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Avant-propos

Les historiens des croisades, toujours préoccupés de Jérusalem ont, pour ainsi dire, systématiquement laissé dans l'ombre l'histoire de la principauté d'Antioche en ne lui faisant pas la place qu'elle mérite dans le récit des événements qui s'accomplirent en Syrie au cours de la première moitié du XIIe siècle.
Cependant, en bien peu d'années, ce petit Etat avait atteint le maximum de son développement, alors que le domaine royal ne se constituait que lentement autour de Jérusalem.
Le 29 octobre 969, les lieutenants de Nicéphore Phocas avaient repris Antioche aux Arabes, et les Grecs l'avaient conservée jusqu'en 1084. Quand, le 3 juin 1098, les croisés s'en emparèrent à leur tour, cette ville était encore aux trois quarts grecque. Aussi, pendant près de deux siècles, les souverains de Byzance firent-ils des tentatives nombreuses pour l'enlever aux Latins tantôt par la ruse, tantôt par la force, et durant tout ce temps ne cessèrent-ils point d'insister pour obtenir le rétablissement du patriarcat grec de cette ville.
L'influence byzantine était demeurée très puissante au sein de la population gréco-syrienne d'Antioche, ce qui explique les ménagements que les princes latins crurent devoir garder à l'égard de cette partie de la population.
La principauté fondée à Antioche par les Francs se développa rapidement. Bohémond et Tancrède, profitant habilement des querelles qui divisaient alors le monde musulman, conquirent en peu de temps les provinces voisines. Dès l'année 1106, le dernier de ces princes était maître d'Apamée, du Sermin, de Cafartab, d'Athareb et des villes de la Cilicie. A partir de 1119, toute la partie occidentale et septentrionale du territoire d'Alep, notamment les districts d'El-Aouacem, de Leïloun, de Djebel-Halaka et une partie du Djebel-es-Soummak se trouvaient au pouvoir des Francs, qui, maîtres des tours de El-Hader et de Kefer-Haleb, tenaient la cité étroitement bloquée, obligeant ses habitants à partager avec eux les produits des jardins de la ville et à leur payer un tribut annuel de 20,000 dinars.

La principauté avait dès lors acquis un développement considérable; au nord-ouest, elle comprenait une partie de la Cilicie jusqu'au fleuve Djihoun ; mais, depuis la constitution définitive du royaume d'Arménie, la frontière nord-ouest de la principauté d'Antioche fut à la Portelle. Au nord-est, elle était limitée par le comté d'Edesse, dont la frontière passait au sud de Coricie, entre Hazart et Turbessel. Vers l'est, elle comprenait, au-delà de l'Oronte, les territoires et les villes d'El-Bara, de Fémie ou Apamée, de Cafarda, de Maaret-en-Noman appelée alors La Marre. De ce côté, les villes du Cérep, d'Atareb, de Rugia, de Keferlata et du Sermin formaient la ligne des places frontières. Elle était bornée à l'ouest par la mer, au sud par le ruisseau coulant entre Markab et Valenie ainsi que par le contrefort de la montagne des Ansariés, formant alors la limite nord du comté de Tripoli; au sud-est, enfin, par les cantons montagneux de Kobeïs et de Massiad, possédés par les Bathéniens. Mais la chute définitive de la principauté d'Edesse, survenue en 1145, modifia profondément cet état de choses dès la seconde moitié du XIIe siècle.

La principauté d'Antioche avait comme principaux fiefs Sahone, Harrenc, le Soudin, Margat, Berzieh, Zerdana, le Sermin, Cérep, Marésie, Albin, Telaminia, Hunnine, Turguolant, Vanaverium, Cafartab, Laitor et Anab.
Elle comptait deux, villes, archiépiscopales du rite latin, Albara et Fémie (Apamée), ainsi que les évêchés d'Artésie, de Laodicée, de la Lische, de Zibel et de Valénie.
Antioche possédait un siège archiépiscopal arménien. Fémie et Laodicée étaient la résidence de deux évêques du même rite.
Le patriarche syrien jacobite titulaire d'Antioche habitait généralement au couvent de Mar-Barsauma, dans la principauté d'Édesse.
Dans la, Montagne Noire, nommée alors par les historiens orientaux la Montagne sainte ou la Montagne admirable, se voyaient de nombreux monastères des rites grec, syrien et arménien.

Bohémond Ier prince d'Antioche (1098-1104)

La généalogie des princes normands, souche des premiers princes d'Antioche, présente certaines incertitudes.
M. de Saulcy (1), dans son étude sur Tancrède, apporte au tableau généalogique donné par Du Cange quelques modifitions qui semblent justifiées. D'après lui, Emma, mère de Tancrède, aurait été fille de Robert Guiscard et non de Tancrède de Hauteville, et aurait été, par conséquent, soeur de Bohémond. La chronologie et le surnom de « Wiscardide » donné par Raoul de Caen (2) à Emma et à ses enfants, Tancrède et ses deux frères, ainsi que celui de « Wiscardigena », par lequel le même auteur désigne Bohémond, semblent indiquer une origine commune, c'est-à-dire la paternité de Robert Guiscard. Tancrède serait donc le neveu et non le cousin de Bohémond, ce qui expliquerait parfaitement l'affection quasi paternelle de ce dernier pour Tancrède et le choix qu'il fit de lui, en 1104, pour lui confier la baillie de sa principauté, au moment de son départ pour l'Occident.

Six écrivains, dont plusieurs contemporains de la première croisade, Tudebode (3) Robert le Moine (4), Baudry (5), Albert d'Aix (6), Guibert de Nogent (7), et Guillaume de Tyr (8), nous disent que Tancrède, fils d'Emma et du marquis Eudes de Bon, était, par sa mère, le neveu de Bohémond.
Il est vrai que Jacques de Vitry, Orderic Vital et Raoul de Caen présentent Tancrède comme cousin, cognatus, de Bohémond plutôt que comme son neveu. Mais ce que nous savons de la date de la naissance et de la mort de certains des personnages dont nous nous occupons, semble corroborer l'opinion des premiers, ce qui me porte a considérer Emma, comme fille de Robert Guiscard et soeur de Bohémond, de Roger et de Guy, opinion que vient pleinement confirmer le passage suivant de Cafaro (9) : Tanclerium, nepotem Baiamundi ex sorore.
De son mariage avec le marquis Eudes de Bon, elle eut quatre enfants :
D'après ce que nous venons de dire, voici le tableau que l'on peut dresser de la descendance de Tancrède de Hauteville.

Tancrède de Hauteville
Tancrède de Hauteville

Tancrède, né vers 1072; Guillaume, mort en 1097 à la bataille de Gorgoni ; Robert, qui ne nous est connu que par un passage de Raoul de Caen (10), et, enfin, une fille, mariée à Richard du Principat. Cette dernière fut mère de Roger, troisième prince d'Antioche (11).
Robert Guiscard ayant épousé Albérade vers 1108, paraît avoir eu de ce mariage quatre enfants : Bohémond Ier, prince d'Antioche (12); Emma qui, mariée au marquis Eudes de Bon, fut mère de Tancrède; Roger, devenu plus tard comte de Sicile, et Guy qui prit la croix en 1096 et mourut à Durazzo en 1108.

Bohémond semble être né entre les années 1052 et 1060. En 1085, il accompagna son père dans son expédition contre l'empire grec. Puis, à la mort de Robert Guiscard, il devint prince de Tarente et de Bari. A la première nouvelle de la croisade, prévoyant le profit qu'il en pourrait tirer, il s'empressa d'exciter les Normands de Sicile et de Calabre a prendre part à la guerre sainte (13). Ces derniers l'élurent pour chef, et, à la fin de l'année 1096, il s'acheminait vers Constantinople, en compagnie de son neveu, Tancrède, et de Richard du Principat, son cousin, amenant un renfort considérable à l'armée latine, campée sous les murs de Byzance. Bohémond, circonvenu par les avances de l'empereur grec, qui, charmé de le voir s'éloigner de la Calabre, ne cessait de l'encourager à se tailler une principauté en Asie, eut alors la faiblesse de prêter, par avance, foi et hommage à Alexis pour les provinces qu'il pourrait conquérir en Syrie (14). On peut dire, à sa décharge, qu'il ne fut pas seul à agir ainsi; malheureusement, ce fut le point de départ d'interminables conflits entre les États latins de Syrie et l'empire byzantin, car les trois principautés d'Édesse, d'Antioche et de Tripoli ne cessèrent d'être troublées, durant la première moitié du XIIe siècle, par des intrigues qui eurent pour origine les serments d'allégeance prêtés alors par Bohémond et par Raymond de Saint-Gilles.

Au moment de l'arrivée des croisés en Cilicie, le versant sud du Taurus et la région dite de l'Euphratèse étaient divisés en petites principautés arméniennes et musulmanes qui s'étaient formées par suite de la faiblesse et de l'impuissance de l'empire grec.
Bohémond enleva à Baudouin et à ceux qui les occupaient les villes de Tarse, d'Adana, de Missis, d'Anazarbe, dont il se fit confirmer la possession par Thathoul, curopalate de l'empereur Alexis, résidant à Marès, où il portait le titre de légat impérial (15).
L'armée franque, après avoir forcé le Pont de Fer, était parvenue, le 21 octobre 1097 (16), sous les murs d'Antioche. La ville, prise le 3 juin 1098 (17), fut attribuée à Bohémond à cause de la grande part qu'il avait eue à l'heureuse issue de ce siège.
Le 6 juin, les premiers coureurs de l'armée de Ketboga ou Kiwam-ed-Daula, prince de Mossoul, parurent devant Antioche (18), et, le 28 du même mois (19), l'armée persane fut défaite à la bataille livrée sous les murs de la ville.

Le premier acte du principat de Bohémond, qui nous soit connu (20), est la donation faite par lui aux Génois, le 14 juillet 1098, c'est-à-dire seize jours après cette bataille, de l'église Saint-Jean, dans la ville d'Antioche, église s'élevant dans la rue qui se dirigeait vers la basilique de Saint-Pierre. Cette donation comprenait en outre, un fondouk, un puits et trente maisons situées sur la place voisine de l'église.
C'est alors qu'éclata dans l'armée chrétienne, épuisée par les privations et les fatigues du siège, une maladie épidémique (21), la peste probablement, qui, pendant trois mois, causa une mortalité effrayante (22).
Au nombre des victimes, se trouvèrent Adhémar de Monteil, évêque du Puy, qui succomba le 1er août (23), Renaud de Hemersbach, Erard III du Puiset, mort le 21 août (24), et bien d'autres, car le chroniqueur estime à cinq cents le nombre des chevaliers qui en furent victimes et on ne peut dire ce qu'il mourut de gens du peuple. Cette épidémie prit fin vers le commencement de décembre (25).
A la suite de la prise d'Antioche, pendant que les troupes de Ketboga investissaient la ville, un certain nombre de croisés, parmi lesquels se trouvaient Guillaume de Grand-Mesnil et Etienne de Blois, comte de Chartres, désespérant du salut de l'armée, s'enfuirent furtivement au port Saint-Siméon et, malgré les protestations de Guillaume de Vieux-Pont (26), seigneur de Courville, qui refusa de les suivre, ils gagnèrent par mer la côte d'Asie-Mineure, où ils rencontrèrent l'empereur Alexis et de nombreux croisés latins venant rejoindre l'armée franque.
Etienne de Blois, qui, à son passage à Constantinople, s'était beaucoup lié avec l'empereur grec, lui fit un tableau effrayant de la situation de l'armée latine, lui représentant qu'après sa destruction, qui ne pouvait manquer, les Musulmans enlèveraient à l'empire Nicée et toute la Bythinie, que les Francs lui avaient remis après s'en être rendu maîtres (27). A ces nouvelles déplorables, l'empereur, renonçant à aller plus loin, reprit en hâte le chemin de ses États, malgré les objurgations des croisés et de Guy, frère de Bohémond, qui accusaient de lâcheté les déserteurs de l'armée franque (28).
Après la bataille du 28 juin (29) et la défaite de Ketboga, les grinces croisés avaient envoyé des messagers à l'empereur pour lui annoncer leur succès et l'inviter à venir, suivant sa promesse, prendre part au siège de Jérusalem (30) ;. mais ces envoyés ne purent rejoindre l'armée impériale qui avait déjà effectué sa retraite.

Le 1er novembre de cette même année, ou le 24, d'après Kemal-ed-Djn, Tancrède et le comte de Saint-Gilles attaquèrent la ville de Marrah (Maarat-en-Noman) qu'ils prirent en deux jours ; puis ils s'emparèrent de la ville d'El-Bara (31). Dés le mois de juillet, le château de Tell Menés avait été remis aux Francs par les Syriens qui l'occupaient (32). Tout l'hiver 1098-1099 fut employé par les compagnons du nouveau prince d'Antioche à conquérir la région voisine de cette ville.

Vers le commencement du printemps (1099) (33), on vit arriver à Antioche les ambassadeurs de l'empereur Alexis envoyés pour se plaindre de ce qu'au lieu de lui remettre les provinces conquises, les croisés s'y établissaient pour leur propre compte, quand lui, empereur de Byzance, en était le seul et légitime seigneur. On leur répondit que c'était lui-même qui le premier avait violé le pacte en ne secourant pas les Francs ainsi que cela avait été convenu, ce qui libérait ces derniers de leurs engagements.
Les envoyés demandèrent, alors, qu'on attendît l'empereur pour assiéger Jérusalem ; mais les chefs de la croisade déclarèrent qu'ils étaient las des tergiversations des Grecs (34), qu'il n'y avait plus de temps à perdre pour se porter en avant, et, au mois de mars, l'armée se mit en marche pour Jérusalem (35).
Cette réponse exaspéra Alexis; mais, comme il ne pouvait employer la force contre les croisés, il commença contre eux cette guerre sourde de trahisons et de perfidies incessantes qui est un des côtés les moins connus de l'histoire des principautés franques de Syrie (36). S'il faut en croire Ibn-el-Athir (37), l'empereur, alarmé de la puissance croissante des Francs, ne cessait de la dénoncer au sultan Barkyarok, fils de Malek Shah, comme un danger contre lequel il n'aurait pas trop de toutes les forces de l'Islamisme. En outre, il lui signalait, secrètement, tous les passages des renforts se dirigeant vers la Syrie et les faisait attaquer en Asie-Mineure (38).

À la fin de l'année 1099, sur l'invitation de Godefroi de Bouillon, le prince d'Antioche se rendit en pèlerinage à Jérusalem pour la fête de Noël (39).
Au mois de juin suivant (40), Bohémond, s'étant porté sur Femie, en ravageait les environs, quand Rodohan, prince d'Alep, se mit en campagne, assiégea Athareb et demeura campé devant cette place jusqu'au 5 juillet. Attaqué ce jour-là par les Francs, il fut complètement battu, près du village de Kella (41), et laissa cinq cents prisonniers, dont plusieurs émirs, aux mains des chrétiens. Le prince d'Antioche se rendit maître alors des tours de Kéfer Haleb et de El-Hader.

A la fin de juillet de cette même année 1100, Bohémond et Richard du Principat assiégèrent Alep. Ils étaient campés à El-Meschrika, sur les bords du Koïk, au sud de la ville, quand ils apprirent l'attaque de Mélitène par l'émir Danischmend Malek-Ghazy-Mohammed, surnommé Gumuchtekîn (42). A cette nouvelle, ils levèrent le siège d'Alep et se portèrent au secours de Mélitène; mais ils essuyèrent, non loin de cette ville, un échec, et Bohémond fut fait prisonnier (43).
A la suite de cet événement, Djenah-ed-Dauleh, prince d'Emèse, attaqua Asfouna dont il réussit à s'emparer (44). Les habitants d'Antioche confièrent alors à Tancrède la baillie de la principauté, pendant la captivité de Bohémond, qui dura près de trois ans.

C'est, je crois, en 1102 ou dans les premiers mois de 1103 que doit se placer l'expédition, en Cilicie, de Monastras, stratège byzantin, envoyé par l'empereur Alexis, qui profita de la captivité de Bohémond pour enlever à la principauté d'Antioche les villes de Tarse, d'Adana, de Missis et d'Anazarbe, pendant que l'amiral grec Cantacuzène s'emparait de Laodicée; mais ces villes ne devaient pas tarder à être reprises par les Latins (45).

Je dois à la bienveillance de M. P. Casanova, auteur d'une remarquable étude sur la numismatique des princes Danichmendites, la communication de sa traduction française d'un mémoire de M. F. Ouspensky, intitulé Malek Gkasi et Dhoulnoûn (Extraits des Mémoires de La Société impériale d'histoire et d'antiquités d'Odessa, 1879, en russe). Ce travail, pour lequel M. Ouspensky s'est servi de tous les documents fournis par les auteurs des croisades tant orientaux qu'occidentaux, contient une foule de détails du plus grand intérêt sur la captivité de Bohémond.
La défaite et la captivité de Bohémond causèrent une grande joie dans tout le monde musulman, et, dès que la nouvelle de cet événement parvint à l'empereur Alexis, qui était en relations avec les Danichmendites, ce dernier s'empressa de charger Georges Taronite, gouverneur grec de Trébizonde, d'offrir à Mélik Ghâzy la somme de 260,000 dinârs et un traité d'alliance, s'il voulait lui livrer le prince d'Antioche (46). L'empereur espérait bien qu'une fois Bohémond en son pouvoir, là principauté ne tarderait pas à tomber entre ses mains (47). Le prince musulman, très fier d'avoir vaincu un guerrier aussi illustre, traitait Bohémond avec les plus grands égards (48) et lui témoignait une grande confiance. Aussi Bohémond fut-il bientôt mis au courant de ces négociations.

Comme le prince normand connaissait les visées ambitieuses de l'émir, il lui fit espérer qu'avec l'appui des Francs, qu'il se faisait fort de lui concilier, il arriverait, sans peine, à triompher de l'empire grec et à étendre sa domination sur toute l'Asie-Mineure. Bohémond sut être si persuasif que Mélik Ghâzy préféra l'alliance des Latins à celle des Grecs (49) et que Georges Taronite lui-même se laissa séduire par les espérances que le rusé normand fit briller à ses yeux.

Pendant ce temps Baudouin Ier, comte d'Édesse, et Bernard de Valence (50), patriarche d'Antioche, s'occupaient de réunir tant dans les provinces franques de Syrie qu'en Pouille et en, Sicile, la rançon de Bohémond que Mélik Ghâzy, après avoir refusé les offres de l'empereur, avait fixée à la somme de 100,000 dinârs (51).
Il fut alors convenu que Mélik Ghâzy se rendrait à Mélitènê accompagné de Bohémond (52), et, c'est là que, chez le prince arménien, Gabriel, au commencement du mois de mai 1103, la rançon fut versée, et le traité d'alliance conclu entre le prince musulman et les francs de Syrie, représentés, je crois par le comte d'Édesse et le prince d'Antioche (53).

Cette convention alarma le Soudan d'Iconium et l'empereur, grec, qui la dénoncèrent au calife de Bagdad comme une trahison envers l'islamisme (54).
Le prince arménien Kog-Vasil paraît avoir participé pour 10,000 dinârs à l'acquittement de la rançon de Bohémond (55).
Bohémond prit part, en 1104, à la tentative de Baudouin, comte, d'Édesse, contre la ville de Harran et échappa, au désastre qui en fut la suite (56).

Les émirs Sokman et Djekermich ayant bientôt, assiégé Édesse, défendue par Tancrède, Bohémond. se porta au secours de la ville et infligea une sanglante défaite aux deux princes musulmans qui laissèrent de nombreux prisonniers entre les mains des Francs (57).

A la fin de cette année 1104, Bohémond, accompagné de Daimbert, patriarche de Jérusalem, et de Frederik de Zimmern, quitta Antioche pour venir chercher des secours en Occident, laissant la principauté à la garde de Tancrède (58).
Arrivé en France au commencement de 1106, il demanda au roi Louis le Gros la main de sa fille naturelle Constance, qui, mariée à Hugues, comte de Champagne, se séparait de lui pour cause de parenté. Yves, évêque de Chartres, activa de tout son pouvoir cette affaire de divorce (59).
Le mariage ayant été conclu fut célébré à Chartres, vers le temps de Pâques, et, après la cérémonie nuptiale, le prince d'Antioche, debout sur les marches de l'autel, invita les assistants à suivre l'exemple des premiers croisés. Beaucoup de chevaliers du pays chartrain prirent alors la croix, et au nombre de ces derniers se trouvaient, Hugues du Puiset, vicomte de Chartres, Robert de Maule, Raoul de Pont-Echanfré, Hugues Sans-Avoir, Robert de Vieux-Pont, de la famille des seigneurs de Courville, ainsi que bien d'autres qui nous sont inconnus (60).
De son mariage avec Constance, Bohémond eut deux fils : Jean, mort tout jeune en Pouilles, et Bohémond II qui, par la suite, lui succéda dans la principauté d'Antioche (61).
Aussitôt après son mariage, Bohémond revint en Calabre, y réunit des troupes et envahit, l'année suivante, l'Illyrie ; en 1108, il assiégeait Durazzo quand l'empereur Alexis, effrayé de ses succès, lui fit des ouvertures de paix et l'invita à se rendre à Constantinople (62). A la suite de longues négociations, l'empereur réussit à conclure avec Bohémond la convention suivante : Alexis concédait, par un chrysobulle, à Bohémond, qui les recevait sous la suzeraineté impériale, tout le territoire dépendant d'Antioche, c'est-à-dire Antioche et son territoire, Suedie, le territoire relevant du duc [d'Antioche] (63), Cauca (Cancra ?), le lieu nommé Loulos, la Montagne admirable, Pherésia et ses dépendances, la stratégie de Saint-Hélie, celles de Borze (Berzieh ?), de Larissa ou Scheïzar, d'Artésie, de Dalouk et de Germanicia (Marash), le Mont Maurus avec ses châteaux et la plaine qui s'étend à ses pieds ; la stratégie de Pagrae, celle de Palatiza et le thème de Zuma avec ses dépendances (64). L'empereur lui concéda, en même temps, ses droits sur la région d'Alep (Berroea) et sur les parties de la Mésopotamie situées entre l'Euphrate et Édesse (65). Enfin, il lui conféra le titre de sébaste (67). Le prince normand s'engagea, par contre, à installer à Antioche un patriarche du rite grec qui relèverait de l'église de Constantinople et serait désigné par l'empereur (66). Cette clause devait être, dans l'avenir, l'origine de bien graves difficultés entre l'empire grec et les princes latins de Syrie. Le prince d'Antioche reconnut, en même temps, les droits de l'empire grec sur la Cilicie tout entière, sur les villes de Laodicée et de Zibel, sur les stratégies de Balanée et de Maraclée, ainsi que sur celle d'Antaradus, comme anciennes dépendances du duché d'Antioche (68). A la suite de cette convention, Alexis envoya à Antioche des commissaires chargés de prendre possession de la principauté en son nom. Mais Tancrède refusa de les recevoir et leur fit une réponse pleine de dignité et de fierté (69). L'empereur grec aurait bien voulu pouvoir le contraindre par la force, mais ses conseillers lui firent observer qu'il serait plus sage d'attendre le retour de Bohémond en Orient et qu'on obtiendrait alors de lui et du roi Baudouin l'exécution de, l'accord conclu (70).

Revenu en Calabre, Bohémond employa les sommes qui lui avaient été remises par Alexis à lever de nouvelles troupes, car celles qui l'avaient accompagné en Illyrie étaient fort éprouvées par la campagne et surtout par le siège de Durazzo. Le séjour de Bohémond en Pouilles se prolongea encore plus de deux ans et la mort vint le surprendre le 6 mars 1111 (71), au moment où il se disposait à retourner en Syrie. Constance, sa veuve, renonça alors à se rendre en Orient et se retira à Bari, où elle mourut en 1126.
1. Bibliothèque de l'École des chartes, première série, tome, IV, pp. 301-315.
2. Muratort. Script. rer. ital., tome, V, pp. 286 et 290.
3. Livre III (Historiens occidentaux, tome III, page 27).
4. Livre II, chapitre II (ibid., tome, III, page 744).
5. Livre I, chap. vin et XIII (ibid., tome, IV, pp. 17 et 21).
6. Livre II, chap. XXII (ibid., tome, IV, page 315).
7. Livre III, chapitre II (ibid., tome, IV, page 152).
8. Livre XI, chap. I (ibid., tome, I, page 450).
9. Cafaro, Liberatio civ. Orientis (Histoire Occidentale des Croisades, tome, V, page 59).
10. Muratori, Script, rer. ital., tome, V, page 289.
11. Albert d'Aix, livre XII, chap. XI (Histoire occidentale, tome, IV, page 691).
12. Tudebode (Histoire occidentale, tome, III, page 174).
13. Guibert de Nogent (Histoire occidentale, tome, IV, pp. 151-152).
14. Guillaume de Tyr, livre II, chap. xv (Historiens occidentaux, tome, I, page 94). - Cont. De Tudebode (ibid., tome, III, page 179). - Historiens grecs, tome, I, page 32.
15. Histoire arménienne, tome, I, pp. 50-51 et 75.
16. Tudebode (Historiens occidentaux, tome, III, pp. 35 et 132) et Guibert de Nogent, Gesta (Historiens occidentaux, t IV, page 169).
17. Raymond d'Agiles, Historia Francorum, chapitre IX (Historiens occidentaux, t.. III, page 252). - Foulcher de Chartres, livre I, chapitre XVII (ibid., page 343). - Robert le moine, Historia Iherosolimitana, livre V, chap. xiv (ibid., page 801).
18. Guillaume de Tyr, livre VI, chap. m, page 238). - Guibert de Nogent, Gesta (Historiens occidentaux, tome, IV, page 190).
19. Foulcher de Chartres, livre I, chap. XXII (Historiens occidentaux, tome, III, page 348). - Guibert de Nogent, Gesta (Historiens occidentaux, tome, IV, page 208).
20. Ughelli, Italia sacra, tome, IV, page 846 et Liber jurium, tome, I, page 30.
21. Albert d'Aix, livre V, chap. IV (Historiens occidentaux, tome, IV, page 435).
22. Guillaume de Tyr, livre VII, chap. II (Historiens occidentaux, tome, I, page 278).
23. Raymond d'Agiles, chap. XIII (Historiens occidentaux, tome, III, page 262). - Guibert de Nogent, Gesta (Historiens occidentaux, tome, IV, page 210).
24. De Dion, Le Puiset au XIe et XIIe siècle, page 20.
25. Guillaume de Tyr, livre VII, chap. VIII (Historiens occidentaux, tome, 1, page 289).
26. Li Estoire de Jérusalem et d'Antioche (Historiens occidentaux, tome, V, page 636).
27. Guillaume de Tyr, livre VI, chap. X (p. 250 et suivantes).
28. Gesta Francorum Jherusalem expugnantium, chap. XVII (Historiens occidentaux, tome, III, page 501). - Pierre Tudebode, Historia de Hierosolymitano itinere (ibid., tome, I. page 74, 75, 76).
29. Raoul de Caen, Gesta Tancredi, chap. LXXII (Historiens occidentaux, tome, III, pp. 658, 659). - Matthieu d'Édesse- (Historiens armén:, tome, I, page 42, note 2). - Guillaume de Tyr, livre VII, chap. I (p. 277).
30. Riant, Inventaire des lettres histoires des croisades (Archives de l'Orient latin, tome, I, p. 177). - Baudry, Historia Jerosolimitana, livre III (Historiens occidentaux, tome, IV, pp. 79, 80).
31. Historiens arabes, tome, III, page 586.
32. Robert le Moine (Historiens occidentaux, tome, III, page 838). - Baudry, Historia Jerosolimitana, livre III (Historiens occidentaux, tome, IV, page 81).
33. Riant, Inventaire des lettres histoires des croisades (Archives de l'Orient latin, tome, I, pp. 189-191).
34. Riant, Inventaire des lettres histoires des croisades (Archives de l'Orient latin, tome, I, page 192).
35. Guillaume de Tyr, livre VII, chap. VII (p. 295).
36. Riant, Inventaire des lettres histoires des croisades (Archives de l'Orient latin, tome, I, page 174).- Raymond d'Agiles, chap. XVI (Historiens occidentaux, tome, III, page 277).
37. Historiens arabes, tome, I, page 280 (Extraits du Kamel-al-Tewaryk). - Historiens armén., tome, I, pp. 58-59.
38. Guillaume de Tyr, livre X, chap. XIII, page 417. Cet état de choses durait encore dix ans plus tard, en 1108 et même en 1119, ainsi qu'on en peut juger par le dire des historiens musulmans (Historiens arabes, tome, III, pp. 531-533) et par ce que nous apprend Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, IV, pp. 141, 262-264).
39. Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux, tome, III, page 364).
40. Historiens arabes, tome, I, page 204.
41. Ibid., tome, III, page 588, Chron. de Kemal-ed-Dîn
42. Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux, tome, III, page 368).
43. Kemal-ed-Din, dans Roehricht, Beitrage zur Gesch. der Kreuzzuge, page 228.
44. Ibid., page 231.
45. Anne Comnène, 2e partie, ap. (Historiens grecs des Croisades), tome, I, pp. 88-90.
46. Albert d'Aix, livre VII, chap. XXIX et livre IX, chap. xxm (Historiens occidentaux, tome, IV, pp. 525 et 610).
47. Migne, Patrologie grecque, tome, CXXVI, col. 413-415.
48. Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, IV, pp. 142, 143).
49. Albert.d'Aix,. livre IX, chap. XXXV et XXXVI (Historiens occidentaux, tome, IV, pp. 611-613).
50. Raoul de Caen (Historiens occidentaux, tome, III, page 709).
51. Albert, d'Aix (Historiens occidentaux, tome, IV, pp. 612,613).
52. A la suite de l'échec qui mit Bohémond au pouvoir de Mélik Ghâzy, Baudoin Ier, comte d'Edesse, fit occuper la ville de Mélitène par cinquante chevaliers qui repoussèrent, avec succès, les tentatives du prince Danichmendite pour se rendre maître de cette ville. - Voy. Foulcher de Chartres, T. II, ch. XXIII, et Albert d'Aix, livre VII, chap. XXIX (Historiens occidentaux, tome, III, page 407, et IV, page 526).
53. Ibid.
54. Albert d'Aix (Historiens occidentaux, tome, IV, page 613).
55. Ibid., page 612, Historiens armén., tome, I, page .69. - Bar-Hebraeus, Chron. syriac, éd. de Leyde, page 291. - Mathieu d'Édesse, éd. Dulaurier, pp. 252-253.
56. Albert d'Aix, loc. cit., page 616.
57. Albert d'Aix (Historiens occidentaux, tome, IV, pp. 618, 619).
58. Foulcher de Chartres, livre II, chap. XXVI (Historiens occidentaux, tome, III, pp. 408 et 538). - Furcy Haynaud, Etude sur la chron. de Zimmern (Archives de l'Orient latin, tome, II, page 30).
59. Suger, Vie de Louis le Gros, chap. IX; - Orderic Vital, éd. Le Prévost, tome, IV, page 213. - Voyez aussi L'Espinois, Historiens de Chartres, tome, I, page 81.
60. Orderic Vital, éd. Le Prévost, tome, IV, pp. 3, 13, 239.
61. Ibid., pp. 240-242, et Suger, Vie de Louis le Gros, éd. Lecoy de la Marche, page 31.
62. Anne Comnène, 2e partie (Historiens grecs, tome, I, pp. 95-171).
63. Le texte grec dit : Templiers.net - Que l'éditeur a traduit : « Locus Bux vocatus, cum universo ambitu suo », ce qui ne nous paraît pas convenir au sens littéral.
64. Ibid.; page 181.
65. Ibid., page 183.
66. Ibid., page 187.
67. Lequien, Oriens christ., tome, III, col. 787. - Historiens grecs, tome, I, pp. 181-182.
68. Historiens grecs, tome, I, page 182.
69. Anne Comnène, 2° partie (Historiens grecs, tome, I, page 189).
70. Histoires grec, tome, I, page 190.
71. Nécrologe de l'abbaye de Molesmes (Bibliothèque de l'Arsenal, n° 1009, Catal., tome, II, page 376).

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Tancrède, baile, puis prince d'Antioche (1104-1112)

Tancrède, fils du marquis Eudes de Bon et d'Emma, soeur de Bohémond, reçut en fief, dès l'année 1099, Tibériade et Caifa. Mais cette dernière ville ne fut prise qu'en 1100 (1).
Il donna alors à l'abbaye de Notre-Dame de Josaphat le casal de Tymine (2), près du Mont-Carmel, ainsi que divers immeubles à Câifa. L'année suivante, nous le voyons confirmer à l'abbaye du Mont-Thabor la donation d'un certain nombre de casaux (3).
Il y avait à peine un an et demi qu'il était en possession de Tibériade quand, au commencement de mars 1101 (4), il fut appelé à prendre la baillie de la principauté d'Antioche, durant la captivité de Bohémond qui, au mois de juillet précédent, avait été fait prisonnier par l'émir Danischmend Gumuchtekîn au moment où, avec Richard du Principat, il allait secourir Gabriel, prince arménien de Mélitène (5).
Bohémond demeura aux mains des Musulmans jusqu'au milieu de l'année 1103 (6) époque à laquelle il put se racheter grâce à l'intervention de Baudouin Ier (7), comte d'Edesse, et du prince arménien Kog-Vasil, ce dernier ayant avancé ou donné 10,000 dinars sur les 100,000, réclamés pour sa rançon (8).
Dès 1101 (9), nous voyons Tancrède faire une donation d'immeubles et accorder, dans la principauté, un privilège commercial aux Génois.
A peine de retour à Antioche, Bohémond se décida à aller chercher de nouvelles forces en Occident et, après avoir pris part, en août 1104, à la malheureuse tentative de Baudouin d'Édesse sur la ville de Harran (10), il partit, laissant la baillie à Tancrède qui, a dater de ce moment, peut être considéré comme véritablement prince d'Antioche. C'est alors qu'il fit frapper ces curieuses monnaies où il apparaît de face, portant à la main une grande épée et la barbe longue descendant sur sa poitrine. Il est vêtu d'une ample robe toute ornée de pierreries et sa tête est couverte d'un large turban surmonté de la croix; la légende est en grec comme celles des monnaies byzantines (11). Par cette double concession apparente, il faisait appel aux sympathies de ses nouveaux sujets musulmans et grecs. L'adoption du costume arabe amené par le climat brûlant de la Syrie fut aussi un emprunt fait à l'ennemi sarrasin qu'on voulait se concilier et avec lequel on trouva bien vite un modus vivendi très réel (12).

Les incessantes dissensions des princes arabes entre eux, dissensions dont profitèrent les Francs pour appuyer les uns au détriment des autres (13), ne furent pas une des moindres causes de rapprochement entre les deux races, et il se passa alors en Syrie ce qui était déjà advenu en Sicile (14), où une civilisation, moitié arabe, moitié byzantine, régnait à la cour normande de Palerme.

Dans le nord de la Syrie, la domination arabe était établie depuis assez peu de temps pour que l'influence et les traditions grecques fussent encore dominantes, et M. Schlumberger a pu constater que certains émirs musulmans, notamment les Danischmendites, princes de la Cappadoce (15) adoptèrent eux-mêmes, à cette époque, l'usage des légendes grecques pour leurs monnaies.

Tancrède se rendait bien compte qu'il fallait flatter la population grecque d'Antioche et ne lui point faire sentir trop vivement qu'elle était obligée d'obéir à des étrangers, à des Latins; aussi les légendes grecques furent-elles seules admises sur les monnaies de la principauté, qui, durant les premiers temps de la conquête et jusqu'au règne du prince Roger, conservèrent une apparence byzantine.
C'est, je crois, dans les premiers temps de l'année 1105 (16), que doit être placée la campagne au cours de laquelle Tancrède reprit aux Grecs les villes de Cilicie, que Monastras, stratège de l'empereur Alexis, avait enlevées à Bohémond, trois ans auparavant. En peu de semaines, il se rendit, sans peine, maître d'Anazarbe, de Missis, d'Adana et de Tarse. Cette ville fut alors donnée en fief à un chevalier nommé Guy le Chevrier qui la possédait encore en 1115.
Cette même année (1105) (17) fut encore marquée par la prise d'Artah et la victoire remportée par Tancrède, le 20 avril, non loin du village de Tizîn (18), sur les troupes de Rodohan, prince d'Alep, à la suite de laquelle l'armée franque envahit le territoire de cette ville et s'empara de Tell Agdi (19).
L'année suivante, les agissements des Bathéniens amenèrent la prise d'Apamée par les Francs.

Togtekîn, atabek de Damas, avait confié le gouvernement de cette ville à un émir nommé Khalaf-ibn-Molaeb (20), affilié à la secte des Bathéniens, que protégeait secrètement Rodohan, prince d'Alep. Les Francs s'étant dirigés du côté de Sermin, le cadi qui l'administrait se réfugia près de Khalaf et bientôt conspira contre lui. Il se mit en rapport avec Abou Taher, l'un des familiers de Rodohan, lui promettant de faire périr Khalaf et de remettre Apamée au prince d'Alep (21). La conspiration réussit; l'émir Mousabbih, seul des fils de Khalaf, échappa au massacre des siens et se réfugia à Scheïzar, près de Izeddîn Abou l'Asakir Soultan, prince Mounkidite de cette ville (22). Abou Taher vint aussitôt prendre le gouvernement d'Apamée.
Mais le fils de Khalaf, désireux de venger la mort, de son père, appela le prince d'Antioche, qui parut bientôt sous les murs d'Apamée et se rendit maître de la ville, le 14 septembre. 1106 (23).
Le cadi de Sermin, Aboulfeth, fut mis à mort, et Tancrède emmena Abou Taher prisonnier à Antioche (24). C'est ce dernier qu'Albert d'Aix désigne sous le nom de Botherius (25). Abou Taher ayant été racheté, peu de temps après, par Rodohan, se retira à Alep, où il devint un des propagateurs les plus actifs de la doetrine des Bathéniens en Syrie. Il fut mis à mort en 1113 par Alp-Arslan, prince d'Alep, fils et successeur de Rodohan (26).

C'est vers 1107 qu'on doit, je crois, placer le mariage de Tancrède avec Cécile, fille naturelle du roi de France, Louis VI, dont la date précise n'est fournie par aucun document à ma connaissance.
L'année suivante vit Tancrède s'emparer d'Athareb et de Zerdana, puis il accompagna Baudouin Ier, roi de Jérusalem, dans son expédition pour ravitailler Edesse et les châteaux de cette principauté envahie par les émirs musulmans de Mardin et de Mossoul (27). A son retour, il ravagea le territoire d'Alep, notamment le canton d'En-Nakira, et, au mois de décembre, s'empara de la forteresse d'Atareb.
Dans le cours de la même année, il réunit à la principauté d'Antioche, la ville de Laodicée qu'il enleva à Cantacuzène, amiral de l'empereur Alexis. A cette occasion, il concéda aux Pisans, en reconnaissance de l'aide qu'ils lui avaient prêté durant le siège de Laodicée, les magasins du port de cette ville et la rue dite de Saint-Sauveur à Antioche (28).
Le 27 novembre, il parut sous les murs de Scheïzar et ne se retira qu'après avoir reçu un riche présent du prince Mounkidite Madj-ed-Dîn-abou-Salama-Mourschid (29).
Au mois de mars 1109, Tancrède vint rejoindre le roi Baudouin sous les murs de Tripoli et assista à la prise de cette ville. Le 23 juillet, il se rendit maître de Zibel (Gabulum) qu'il réunit ainsi que Valenie à la principauté d'Antioche (30).

L'année 1110 fut marquée par le conflit qui s'éleva, alors, entre Tancrède et Baudouin II, comte d'Edesse. Le différend paraît avoir eu pour origine les prétentions de Tancrède sur la ville et la principauté d'Edesse, qu'il avait gardées durant la captivité de Baudouin et que Richard du Principat avait remises, sans condition, à son légitime possesseur, quand, au mois de septembre 1109, ce dernier recouvra sa liberté à la suite de la prise de Mossoul par Maudoud. Les hostilités qui s'ouvrirent alors, et auxquelles prirent part plusieurs princes arabes, entre autres l'émir Djavalï, se prolongèrent jusqu'à la victoire remportée par Tancrède, non loin de Tell-Bascher, sur les troupes et les alliés de Baudouin (31).
A la nouvelle de ce combat, le roi, les barons et les prélats latins, effrayés des conséquences désastreuses que ne pouvait manquer d'amener cette lutte fratricide, s'entremirent et par leur médiation rétablirent la paix entre les deux rivaux (32).

La même année, Tancrède s'empara du château des Kurdes (33) et contraignit Rodohan, enfermé dans Alep, à solliciter une trêve, qu'il lui accorda à la condition que cette ville payerait désormais à la principauté d'Antioche un tribut annuel de 20,000 dinars et que Rodohan lui rendrait tous les prisonniers francs qui étaient en son pouvoir ainsi que les paysans arméniens enlevés dans les casaux. Tancrède reçut, en outre, du prince d'Alep, un riche présent consistant en chevaux de grande race, tapis, joyaux et étoffes précieuses. Les Mounkidites de Scheïzar durent payer également 4,000 dinars, et Ali le Kurde, prince de Hamah, en versa 2,000, pour obtenir d'être compris dans la trêve (34).

A la nouvelle de la mort de Bohémond, survenue en Italie, le 6 mars 1111, l'empereur Alexis, toujours possédé de ses visées sur Antioche, qu'avait confirmées la convention conclue en 1108 avec le prince décédé, et espérant intimider Tancrède (35), lui envoya un agent, qui fut fort mal accueilli par le prince d'Antioche. Alexis, furieux, fut sur le point de lui déclarer la guerre ; mais ses conseillers lui en ayant montré les dangers, l'empereur résolut de semer la division parmi les princes francs de la Syrie. Il envoya donc Manuel Botoniate, porteur, de riches présents, à Bertrand, comte de Tripoli, pour l'inviter à ne point secourir Tancrède. Le nouveau comte de de Tripoli, se regardant comme lié par le serment d'allégeance prêté à Alexis par Raymond de Saint-Gilles, crut devoir le renouveler afin de n'avoir point à refuser les présents de l'empereur. Quant au roi Baudouin, il reçut plus que froidement et s'empressa d'éconduire l'envoyé byzantin qui, en quittant Tripoli, était allé le trouver à Acre.
L'empereur grec avait dépêché en même temps un agent au calife de Bagdad (36) pour l'exciter à faire la guerre aux Francs. Cette ambassade paraît avoir été la cause déterminante de l'expédition entreprise l'année suivante (1112) par Maudoud, prince de Mossoul, qui échoua sous les murs d'Edesse dont il dut lever le siège (37).
La mort de Bohémond Ier, survenue en 1111, ne laissant pour héritier qu'un enfant de trois ans, assurait pour long-temps le principat d'Antioche à Tancrède. Ce dernier s'empressa alors de reprendre les hostilités contre les princes musulmans, ses voisins.

En 1111 (38), il s'empara du château de Bikisraïl, puis se porta sur Scheïzar et imposa aux Mounkidites un tribut annuel de 10,000 dinars, gui subsista jusqu'en 1124. Les princes Mounkidites en furent affranchis, à cette époque, par le roi Baudouin II (39), à la suite de la part qu'ils eurent à la délivrance de ce prince. Après avoir occupé le château de Bikisraïl, Tancrède entreprit d'élever un château sur la colline d'Ibn-Mâschar, en face de Scheïzar, dans le but de dominer le pays. Mais, pendant qu'il était occupé a l'édification de cette forteresse, il apprit l'invasion du comté d'Edesse (40) ainsi que le siège de Tejl-Bascher pàr Maudoud, prince de Mossoul, et Sokman-el-Kothbi. Cette nouvelle lui fit abandonner son entreprise. L'armée latine de secours partit de Fémie (Apamée) sous les ordres du roi de Jérusalem, de Tancrède et du comte de Tripoli, et se porta au devant de l'armée musulmane qui, au premier bruit de son approche, s'était hâtée de lever le siège de Tell-Bascher. On s'observa quelque temps de part et d'autre sans engager l'action puis les princes arabes reprirent le chemin des bords du Tigre.

D'après certains auteurs musulmans, l'armée franque se serait avancée jusqu'à Edesse et aurait, à son retour, ravagé le territoire d'Alep (41). Tancrède mourut le 12 décembre 1112 (42). A son lit de mort, il engagea sa veuve, la princesse Cécile de France, à épouser Pons, comte de Tripoli (43).
1. Baudry, Historiens Jerosolimitana, livre IV (Historiens occidentaux, tome, IV, page 111). — Raoul de Caen, Gesta Tancredi, chap, CXXXIX (Historiens occidentaux, tome, III, p: 703). — Foulcher de Chartres, livre II, chap, III (ibid., page 377). — Guillaume de Tyr, liv. IX, ch. XIII (Historiens occidentaux, tome, I, page 384).
2. Delaborde, Chartes de Terre-Sainte, pp. 30-34,45.
3. Paoli, Codice Diplomatic, tome, I, page 200.
4. Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux, tome, Ill, page 384).
5. Kemal-ed-Din ; dans Rohricht, Quellenbeitruge, page 229.
6. Foulcher de Chartres, livre III, chap, XXIII (Historiens occidentaux, tome, III, page 407).
7. Historiens arméniens, tome, I, page 69.
8. Historiens arméniens, tome, 1, pp. 69-70.
9. Ughelli, Itat. sacra, tome, IV, page 848.
10. Albert d'Aix, livre IX, chap. XXXIX (Historiens occidentaux, tome, IV, p, 614). - Foulcher de Chartres, livre III, chap. XXVI et XXVII (Historiens occidentaux, tome, III, pp. 408 et 409). - Raoul de Caen, Gesta Tancredi, chap. CLIII (ibid., page 713). — Guillaume de Tyr, liv. X, chap. XXX (p. 448).
11. Schlumberger, Numismatique de l'Orient lat., page 45.
12. Rey, Colonies franques de Syrie, pp. 11 et 12.
13. Historiens arabes, t.1, page 5.
14. Ibid., page 6.
15. Schlumberger, Numismatique de l'Orient latin, page 493. - Casanova, Numismatique des Danischmendites. Paris, 1896, pp. 60 et suiv. (Extraits de la Revue numismatique, 1896).
16. Anne Comnène (Historiens grecs, tome, I, page 101).
17. Historiens arabes, tome, I, p, 8.
18. Ibid., tome, III, page 529 (Extraits du Mirâ-ez-Zemân).
29. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 73.
20. Historiens arabes, tome, I, page 235.
21. Ibid., page 251.
22. H. Derenbourg, Vie d'Ousuma, page 74.
23. Defrémery, Etude sur les Bathéniens, page 13 et (Historiens occidentaux, tome, IV, pp. (640 et suivantes).
24. Tornberg, Extraits d'Ibn-Khaldhoun, page 64.
25. Albert d'Aix (Historiens occidentaux, tome, IV, page 639).
26. Historiens arabes, tome, 1, pp. 235 nt 291.
27. Historiens arabes, tome, I, pp. 278-280.
28. G. Muller, Doc. Tose, pp. 3 et 4.
29. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 77, note 6.
30. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 81, note 4.
31. Historiens arméniens, tome, I, page 86. - Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux, tome, III, page 410).
32. Albert d'Aix, livre X, chap. XXXVII (Historiens occidentaux, tome, IV, pp. 648-649). - Guillaume de Tyr, livre XI, chap. VIIII, page 465.
33. Historiens arabes, tome, III, page 539.
34. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 88.
35. Anne Comnène, 2° partie (Historiens grecs, tome, I, page 191).
36. Historiens arabes, tome, I, page 280; et Vie d'Ousâma, page 89.
37. Historiens arabes, tome, III, pp. 531-533 (Extrait du Mirat-ez-Zèmân). Les troupes de Kilidj Arslan étant occupées en Asie-Mineure à défendre le roi de Constantinople contre les Francs, le roi des Grecs les combla de marques d'honneur et de cadeaux.
38. Kemal-ed-Din (Historiens arabes, tome, III, page 599).
39. Ibid., page 626.
40. Ibid., page 599.
41. Historiens arabes, tome, 1, page 280.
42. Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux, tome, III, page 425).
43. Guillaume de Tyr, livre XI, chap. XVIII, page 483.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Roger, prince d'Antioche (1112-1119)

Roger succéda à Tancrède, son oncle, mort le 6 ou le 12 décembre 1112 (1). Il était fils de Richard du Principat, prince de Salerne, beau-frère de Tancrède, et avait épousé Hodierne (?) de Rethel, soeur de Baudouin II, roi de Jérusalem. Sa soeur était mariée à Joscelin de Courtenay (2), alors comte de Tell Bascher. On doit donc placer aux derniers jours de l'année 1112 le commencement de son principat.
En le désignant pour son successeur, Tancrède enjoignit à Roger (3), par son testament, de remettre la principauté au fils de Bohémond, alors en Italie, dès que ce jeune homme, arrivé en âge de chevalerie, se rendrait en Orient pour être mis en possession de l'héritage de son père.

Bohémond Ier ayant épousé Constance de France en 1106, son fils, Bohémond II, qui paraît être né en 1108, n'était point encore majeur en 1119, au moment de la mort de Roger, et ne vint en Syrie qu'à l'âge de dix-huit ans en 1126, le roi Baudouin dut donc garder pendant sept ans encore la baillie de la principauté, ce qui justifie Roger de n'avoir point remis Antioche à son légitime possesseur et met à néant les accusations portées contre lui, de ce chef, par Guillaume de Tyr (4).
Certains historiens occidentaux ont reproché au prince Roger ses moeurs trop faciles (5). Il y a lieu de penser qu'à l'exemple des princes normands de Sicile, il eut un gynécée, et qu'il devait exister dans les dépendances du palais d'Antioche quelque chose d'analogue au tiraz (6) des palais musulmans et à la manufacture de soie établie dans le palais des rois normands de Sicile, car ce dernier établissement semble bien avoir été, parfois, un nom décent destiné à désigner une espèce de harem où on introduisait des femmes de diverses provenances. Ce qu'en dit Ibn Djobaïr ne laisse guère de doutes à ce sujet (7).

On ne doit point oublier que Roger était de la race de ces princes normands de Sicile, dont la cour, tout à fait orientale, était comparée par Aboulfeda, à celles des califes de Bagdad et du Caire. Ces hommes héroïques, qui par leur indomptable valeur, s'étaient taillé des états aux dépens du monde arabe, n'ayant pu résister à l'attrait des richesses et de la civilisation orientales, en avaient accepté les moeurs et la plupart des institutions (8).
Bien que du VIIe au XIIe siècle, elle eût plusieurs fois changé de maîtres, Antioche était demeurée une ville gréco-syrienne et sa population était profondément imbue des coutumes, des idées et de la civilisation byzantines. Au début de son principat (9). Roger employa le premier, sur ses monnaies, les légendes en langue latine, puis il revint au grec, que conserva Bohémond II. Nous trouvons là, je crois, une des preuves les plus frappantes de la persistance de la langue et de l'influence grecques à Antioche.

En février 1113 (10), Roger et Bernard, patriarche d'Antioche, demandèrent au pape Pascal II de fixer la limite qui devait séparer les deux patriarcats d'Antioche et de Jérusalem. C'est le premier acte du principat qui nous soit connu.
Au mois de mai suivant, le nouveau prince dut réunir ses troupes et rejoindre l'armée royale assemblée à Tibériade pour faire face à une invasion musulmane (11).
A la suite de la mort de Rodohan, survenue le 10 décembre (12) de la même année, Roger obligea Alp-Arslan, son fils, à payer le tribut annuel que la ville d'Alep devait à la principauté d'Antioche. En 1114, il confirma, en y joignant les siennes, les libéralités faites à l'abbaye de Notre-Dame de Josaphat par plusieurs de ses barons (13).
Le 27 novembre, un terrible tremblement de terre ruina en partie la ville d'Antioche et causa de grands ravages dans toute la principauté. Le prince Roger s'empressa de parcourir les châteaux pour les mettre sans retard à l'abri des attaques des Arabes. Pendant ce temps, le duc et le vicomte d'Antioche, convoquant les habitants de cette ville, les invitaient à contribuer, chacun dans la mesure de ses ressources, à la reconstruction des murailles qui avaient été fort endommagées.
Tous, petits et grands, s'imposèrent de lourds sacrifices pour réparer le désastre, redoutant que Alp-Arslan, prince d'Alep, et l'atabek de Damas ne profitassent de la situation déplorable dans laquelle se trouvait la principauté pour l'envahir (14).
Heureusement pour les Francs, de graves dissentiments s'étaient élevés, depuis quelques mois, entre les princes musulmans voisins de la Syrie ; ces derniers, alors absorbés par leurs propres querelles, laissèrent en paix la province d'Antioche (15).

A la suite de l'échec qu'il avait éprouvé sous les murs d'Edesse, en juin 1114 (16), Boursouk, prince de Mossoul, s'étant traîtreusement emparé d'un des fils d'il Ghâzy, celui-ci jura de s'en venger et, au mois de mai 1115; il défit complètement les troupes du prince de Mossoul ; mais redoutant alors la colère du sultan Mohammed Schah, il se retira à Damas près de l'atabek Togtekîn. Ce dernier et Il Ghâzy, apprenant que Boursouk s'approchait de l'Euphrate à la tête d'une nouvelle armée, envoyèrent au prince d'Antioche un agent chargé de lui affirmer par serment leurs bonnes dispositions à son égard et de lui demander unè entrevue (17). Roger se rendit donc à leur camp établi sur les bords du lac de Kadès et tous trois renouvelèrent leurs engagements ; puis le prince retourna à Antioche. Cette réunion paraît avoir eu lieu vers la fin de juillet 1115.
Boursouk ayant franchi l'Euphrate le mois suivant, vint camper dans le ouady Boutnan (18). Le prince Roger, réunissant alors toutes les forces de la principauté, vint s'établir à Fémie et informa le roi et le comte de Tripoli de la venue du prince de Mossoul.
Pendant ce temps, l'armée musulmane, se rendant à l'appel du prince de Scheïzar, établit ses cantonnements autour de ce château et tenta une attaque infructueuse contre Cafartab (Cafarda) (19). Mais, sur ces entrefaites, le roi Baudouin et Pons, comte de Tripoli, ayant rejoint Roger avec toute l'armée franque, ces princes résolurent de se porter sur Gistrum, poste avancé de Scheïzar, dont ils se rendirent maîtres (20). D'après les mémoires d'Ousâma, Togtekîn et Il Ghâzy avaient amené leurs troupes au camp latin et l'atabek de Damas prit part, en personne, à l'attaque du Pont-dès-Mounkidites (Gistrum).
A la suite de cette affaire, l'armée de Boursouk s'étant retirée sur Alep, les Francs crurent, trop facilement, à une retraite et se séparèrent pour retourner, le roi à Jérusalem et Pons à Tripoli. L'armée du prince de Mossoul faisant alors un retour offensif, s'empara de Cafartab et attaqua la Marre ou Marra (Maarat en Noman) et Zerdana. A cette nouvelle, Roger, accompagné de Bernard, patriarche d'Antioche, se rend à Rugia (21), surprend l'armée musulmane campée près de là, dans la vallée du Sarmit, et, le 22 septembre, remporte sur elle une victoire complète (22). A cette journée se distinguèrent, entre tous, Roger de Barneville, Guy le Chevrier, seigneur de Tarse, Robert, seigneur de Zerdana, Bochard, Robert de Sourdval, Alain, seigneur du Cerep et Guy Fresnel, seigneur de Harrenc (23). Le butin fait sur le camp ennemi s'éleva à plus de 400,000 besants d'or.
Ousâma place à l'année 1116 une négociation secrète entre le prince Roger et l'émir Mourchid Mounkid, son père, prince de Scheïzar (24).
D'après Aboulfaradj (25), le prince Roger aurait surpris, vers le même temps, entre Alep et la Marre, l'émir Boursouk et lui aurait fait éprouver un sanglant échec.
La même année, à la demande du philosophe Abdelmessie, d'Edesse, Roger intervint en faveur du patriarche jacobite Mar Athanase VII, que Bernard de Valence, patriarche latin d'Antioche, avait fait emprisonner à tort, et autorisa le patriarche syrien à se retirer au monastère de Cancrata, prés d'Amid (26).
En 1117, la principauté d'Antioche, Alep et la Mésopotamie éprouvèrent une véritable disette (27).
Au milieu des troubles suscités à Alep à la suite du meurtre de Loulou, Yarouktasch, un des émirs de Rodohan, s'empara du pouvoir en 1117 et, redoutant que Boursouk ne parvînt à s'emparer de cette ville, appela à son secours Roger (28), avec qui il fit alliance, lui livra le fort d'El Koubba et lui accorda le droit de lever une taxe sur les pèlerins musulmans, ainsi que le droit de conduire, à travers les marches de la principauté d'Antioche, leurs caravanes se rendant d'Alep à la Mecque (29). Enfin, les troupes du prince d'Antioche se joignirent à celles d'Alep pour attaquer Balis, mais l'approche d'Il Ghâzy leur fit lever le siège.
Peu après Pâques 1118, une armée égyptienne étant venue camper sous les murs d'Ascalon, le roi invita le prince Roger à le rejoindre au camp qu'il avait formé à Azot. Il n'y eut pas d'engagements et les ennemis s'étant observés pendant trois mois, on se retira de part et d'autre (30).
Vers le même temps Boursouk et Togtekîn, cherchant à s'emparer d'Alep, les habitants de cette ville appelèrent Roger à leur aide ; mais les succès de l'armée royale dans le Hauran - et la défaite essuyée, non loin d'Adraha, par Tadj-el-Molouk-Boury, fils de Togtekîn, retinrent l'atabek à Damas (31).
Le prince d'Antioche se rendit alors maître de Hazart, puis il consentit au renouvellement de la trêve avec les habitants d'Alep, qui lui remirent le château de Tell Hirak, acquittèrent le tribut annuel et reconnurent aux Francs la possession de toute la contrée avoisinant Alep à l'ouest et au nord (32).
Cette même année 1118, Roger confirma toutes les donations antérieurement faites à l'Hôpital dans l'intérieur de la principauté (33).
Au mois de mai 1119, Il Ghâzy, prince de Mardin, franchit l'Euphrate aux gués de Bedaza et de Sandja, à la tête d'une armée de 40,000 hommes, ravagea le territoire de Turbessel et de Tell Khaled, puis vint, par Merdj-Dabik et Moslemia, camper à Kinesserïn ; de là, il envahit la principauté d'Antioche en passant par Rugia (34) et s'empara du château de Kastoun (Tell Gastoun ou Gaston).

Roger, après avoir prévenu le roi et le comte de Tripoli de cette invasion, s'établit avec ses troupes entre l'Afrin et Cerep, non loin du château de Tell el Akbarim, dans un lieu nommé Balat (35), dont le site doit être, je crois, le même que celui de la Palatiza des Grecs.
Quand cette nouvelle parvint au roi, il était campé près de Tibériade et venait de terminer une expédition sur la rive gauche du Jourdain. Il se mit sur-le-champ en route, pour secourir le prince Roger, et trouva Pons, comte de Tripoli, prêt à entrer en campagne. Sur ces entrefaites, le prince d'Antioche, à l'instigation de certains de ses vassaux, dont les fiefs étaient à la merci des Musulmans, bien que n'ayant avec lui que huit mille hommes, engagea l'action sans attendre l'arrivée du roi, son beau-frère, et du comte de Tripoli (36). Il forma ses troupes en quatre corps, le premier sous les ordres de Geoffroy le Moine, le second commandé par Guidon Fresnel, seigneur de Harrenc; lui-même se mit au centre à la tête du troisième. Le quatrième, composé de turcoples et de troupes arméniennes, était aux ordres de Robert de Saint-Lô. La réserve chargée de la garde du camp avait, je crois, pour chef Renaud Mansoer.

Le combat fut très acharné, malheureusement le désordre qui se mit dans l'échelle de Robert de Saint-Lô amena une effroyable défaite, dans laquelle le prince d'Antioche et la plupart de ses chevaliers perdirent la vie (19 juin).
Renaud Mansoer, gravement blessé, s'était retiré dans la tour du château de Samartani, espérant pouvoir y tenir jusqu'à l'arrivée de l'armée royale, mais le manque de vivres l'obligea bientôt à se rendre (37).
Après s'être emparé d'Artésie, Il Ghâzy hésita à marcher, sur Antioche (38).

A la nouvelle de ce désastre, la princesse Hodierne et le patriarche Bernard réunirent ce qui restait de Latins dans Antioche, s'efforçant de mettre la ville en état de défense. Le patriarche (39), craignant quelque trahison, interdit à tous les indigènes de sortir la nuit sans lumière et il fit concourir les moines et les clercs à la garde des tours de l'enceinte. Il Ghâzy ayant envoyé deux corps de troupes pour empêcher l'arrivée du roi, le premier de ces corps voulut disputer à Baudouin le passage du Nahar-es-Sïn (40), à mi-chemin entre Zibel et Markab, et fut culbuté. Le souvenir de ce combat s'est conservé jusqu'à nos jours dans le nom que porte encore le cap voisin : Ras Baldy el Melek (Cap du roi Baudouin). L'armée royale rencontra le second corps près de la montagne de Hingron, non loin de Cassembelle (Kassab) (41), et le tailla également en pièces. Le roi arriva enfin à Antioche et prit en main le gouvernement de la principauté. Il assembla, dans l'église Saint-Pierre, les notables, tant latins que des divers rites orientaux habitant la ville, et là, il leur promit de donner sa fille en mariage au jeune Bohémond, dès qu'il serait en âge de chevalerie, et de lui remettre alors la principauté. En attendant, il se chargeait de la défendre et de l'administrer (42).

Pendant ce temps, Il Ghâzy avait entrepris le siège du Cerep (43), profitant de l'absence de son seigneur, Alain du Chesne, qui, ainsi que les chevaliers du comté d'Édesse, s'était rendu à Antioche pour répondre à l'appel du roi. Les défenseurs du Cerep, accablés par le nombre, rendirent le château (44), et les Musulmans se dirigèrent vers Zerdana.
Baudouin ayant réuni toutes les forces disponibles qu'il put tirer des villes de la Cilicie et des seigneuries voisines, se mit en marche, accompagné des comtes d'Édesse et de Tripoli, pour se mesurer avec les Sarrasins. Il se dirigea vers Hab en passant par Rugia (45) et apprit bientôt que l'armée du prince de Mardin était campée à Tell Danit, à 8 kilomètres à l'est de Hab, couvrant le siège du château de Zerdana, que le manque de vivres fit capituler au moment où il allait être dégagé (46).
Le 14 août, l'armée royale remporta sur les turcomans d'Il Ghâzy et les troupes de Togtekin une victoire complète et poursuivit les fuyards jusqu'à Tell-es-Sultan. Le roi eut un cheval tué sous lui, et Ebremar (47), archevêque de Césarée, qui portait la vraie croix, fut légèrement atteint d'une flèche au début du combat. L'issue de la bataille fut un moment douteuse et des fuyards portèrent à Hab, à Antioche et même jusqu'à Tripoli, la nouvelle d'une défaite. Le soir, le roi de Jérusalem vint coucher au château de Hab et retourna le lendemain matin sur le théâtre du combat pour faire relever les blessés et enterrer les morts. Il envoya à sa soeur et au patriarche un messager porteur de son anneau royal pour leur annoncer la victoire de Tell Danit (48), où trois mille Musulmans trouvèrent la mort, tandis que la perte de l'armée franque fut de huit cents hommes, dont cent chevaliers. Le roi revint à Antioche où il fut reçu en grande pompe (49). Dès son arrivée, il choisit, autant que possible, dans les mêmes familles, des feudataires pour les fiefs dont les seigneurs avaient péri et mit en état de défense les forteresses voisines d'Antioche (50).

Les mois de septembre, octobre et novembre 1119 furent employés par Baudouin à reprendre une partie des villes et châteaux tombés au pouvoir des musulmans à la suite du désastre de Balat. Etant donc sorti d'Antioche, il vint d'abord assiéger le château de Zour (51), à l'ouest d'El Bara, forteresse cédée aux Francs par les Mounkidites ; la garnison se rendit sur-le-champ et eut la liberté de se retirer. Puis, il enleva d'assaut Kefer-Rouma, Cafartab, Maaret-Meserin et le Sermin. C'est à la suite de la prise de cette dernière ville que le roi donna à Joscelin de Courtenay l'investiture définitive du comté d'Edesse dont il n'avait encore que la garde. Ce dernier, en rentrant dans ses États, entreprit une campagne dans la région comprise entre le ouady Boutnan et l'Euphrate (52), et fit de nombreux prisonniers aux environs de Membedj. Le séjour du roi dans la principauté d'Antioche se prolongea jusqu'au commencement du mois de décembre, après quoi il rentra à Jérusalem pour la cérémonie de son couronnement, qui eut lieu à Bethléem, le jour de Noël (1119) (53).

Au mois de mai 1120, l'émir Ischak, gouverneur d'Athareb, tenta une nouvelle incursion à la tête des troupes d'Alep, mais il essuya un grave échec dans le district de Leïloun, entre Tourmanïn et Tell Agdi (54).
Le 26 du même mois, Il Ghâzy franchit l'Euphrate avec une armée composée de Turcomans et tenta de s'emparer de Hazart, mais les troupes de la principauté s'étant avancées, il se retira vers Alep après avoir détruit Zerdana.
Le roi Baudouin s'empressa de venir à Antioche où il arriva dans le courant du mois de juin (1120), pendant que le comte d'Édesse pénétrait dans les cantons de Nakira et d'El Ahass, au sud-est d'Alep (55). Il Ghâzy conclut alors avec le roi une trêve qui devait durer jusqu'à la fin de l'année de l'hégire 514 (seconde moitié de mars 1121); mais Joscelin d'Edesse, ne se, considérant point comme lié par cette convention, continua les hostilités contre Alep (56).
En juin 1121, la trêve étant expirée, Baudouin se porta sur Alep et, profitant de la révolte de Schems-ed-doula-Suleïman, fils d'Il Ghâzy qui sollicitait son appui, il vint à Zerdana et en releva les murs; puis, au mois d'août, il attaqua Khanasserah, s'empara de cette ville et fit transporter les portes de la citadelle à Antioche (57). Il se rendit maître ensuite de Bordj-es-Sibna, de Nakirah et d'El Ahass, vint camper de là à Selda sur les bords du Koïk, et se porta enfin devant Atareb, où il s'arrêta trois jours, avant de rentrer à Antioche.

C'est ici. je crois, que doit se placer le traité de paix négocié entre les agents d'Il Ghâzy à Alep, d'une part, et Joscelin d'Edesse, assisté de Geoffroy (le Moine ?). Ces négociations durent être antérieures à la révolte de Suleïman (58), fils d'Il Ghâzy, ce qui expliquerait que Kemal-ed-Dîn les place au mois d'octobre de l'année précédente (1120). Baudouin était, en effet, à cette époque à Jérusalem. Mais, on n'avait pu remettre Athareb aux Francs, par suite du refus de la garnison musulmane d'évacuer cette place (59), ce qui fit probablement que cette convention resta lettre morte jusqu'à la fin de la campagne du roi Baudouin (octobre 1121), laquelle coïncida avec la soumission du fils d'Il Ghâzy.

Cette paix ne devait pas être de longue durée, car le 25 juin 1122, profitant de ce que le roi était retenu à Tripoli par ses démêlés avec Pons, comte de cette ville (60), qui, à l'instigation des Grecs, cherchait à s'affranchir de la suzeraineté royale, Il Ghâzy traversa de nouveau l'Euphrate et, trois jours plus tard, vint camper sous les murs de Zerdana, dont il força la première enceinte après quelques jours de siège. Guillaume, seigneur de ce château, informé du passage de l'Euphrate et de l'approche du prince de Mardin, avait mis la place en état de défense, puis s'était rendu, en toute hâte, à Tripoli pour demander le secours du roi. Ce dernier, confiant dans le traité conclu, ne voulut pas d'abord croire à ce manque de foi. Bientôt (61), cependant, la nouvelle du siège de Zerdana lui parvenant de divers côtes, il se hâta de se rendre à Antioche emménant avec lui le comte de Tripoli qui, revenu à de meilleurs sentiments, avait fait sa soumission. Quand les Francs arrivèrent près de Zerdana, le siège durait déjà depuis quatorze jours et les Musulmans avaient dressé quatre grandes pierrières qui lançaient d'énormes projectiles sur le château (62).
A l'approche du roi, Il Ghâzy leva le siège. L'armée chrétienne se dirigea alors vers Athareb dont elle incendia les faubourgs. Pendant ce temps, Il Ghâzy reparut sous les murs de Zerdana et en reprit le siège. A cette nouvelle, les Francs revinrent à El Deïr, et Il Ghâzy, tombé gravement malade, rentra à Alep.

Peu après l'émir seldjoukide Daoulab fils de Koutoulmich fit une incursion près de Harbel sur le territoire de Hazart, mais il subit un échec et perdit une partie de ses troupes (63).
Au mois d'octobre suivant, Baudouin fit, sur le territoire d'Alep, une campagne durant laquelle il s'empara de Bozâa et d'El Bab (64). Cette campagne paraît s'être prolongée jusqu'en décembre. Il Ghâzy était mort le 2 novembre (1122) (65). Le 9 avril 1123 (66), la paix fut conclue entre le roi Baudouin et Bedr-ed-Daouleh, prince d'Alep, qui remit Athareb au roi. Ce dernier le rendit à Alain du Chesne, qui conserva cette seigneurie jusqu'à sa mort (67).
Le mercredi 18 du même mois, le roi fut surpris, non loin du pont de Schendsché, sur le Kara-Sou (68), par les troupes de Nour-ed-Daula-Balk-ibn-Beheram-ibn-Ortok et fait prisonnier. Il fut conduit à Kartpert (69), où étaient déjà, depuis le mois d'août précédent, Joscelin, comte d'Édesse, et Waleran du Puiset, seigneur de Bir.

En mai, une conspiration des Arméniens de la ville de Kartpert rendit la liberté aux prisonniers. Tandis que le roi restait à la garde de la place, Joscelin d'Édesse se rendit en hâte à Antioche pour y chercher des renforts ; mais le retard apporté à la réunion des troupes permit à Balak de reprendre le château, et le roi ainsi que le seigneur du Bir retombèrent entre ses mains.
A dater de ce moment, la défense des principautés d'Édesse et d'Antioche dépendit absolument de Joscelin qui fit, aux mois de novembre et de décembre de la même année, avec le seigneur du Cerep, une campagne très brillante (70) durant laquelle ces deux seigneurs mirent à feu et à sang toute la contrée environnant Alep. Ce fut Joscelin qui, le 28 avril 1124, gagna, entre Tell Khaled et Membedj, la bataille où Balk-ibn-Beheram ibn-Ortok (71) perdit la vie, et nous savons qu'à la suite de cette victoire, Joscelin envoya d'abord la tête de Balk à Antioche pour rassurer les habitants, puis la fit porter ensuite au camp de l'armée franque qui assiégeait Tyr.

Je crois voir dans ces événements l'origine des prétentions du comte d'Édesse à la principauté d'Antioche et la cause première de sa mésintelligence avec Bohémond II, quand ce jeune prince vint prendre possession de son héritage en août 1126.

La mort de Balk amena la délivrance du roi, qui put alors faire négocier sa rançon près de Timourtasch. Ce fut l'émir Abou-l'Asakir-Soultan-Mounkid, prince de Scheïzar, qui traita cette affaire.
Baudouin quitta Alep le 19 juin et demeura à Scheïzar jusqu'au 30 août (72), date de l'arrivée des otages. Le roi se rendit alors à Antioche. Là, les prélats et les grands feudataires déclarèrent s'opposer à la remise aux Musulmans des places promises pour la rançon du roi, c'est-à-dire des villes d'Athareb, de Hazart, de Zerdana et de Cafartab. On négocia longtemps à ce sujet sans pouvoir parvenir à un accommodement et, pendant ce temps, l'armée franque s'étant réunie à Artah, un traité d'alliance fut conclu entre les Francs et Dobaïs, émir résidant à Hilla, en Mésopotamie, pour assiéger Alep.
Les troupes latines conduites par Baudouin arrivèrent, le lundi 8 octobre (73), sous les murs d'Alep, dont le siège se prolongea jusqu'au 25 janvier 1125, date de l'arrivée à Balis d'une armée de secours conduite par Ak-Sonkor Boursouk. Les Francs se retirèrent vers Athareb, et Boursouk, après être entré à Alep, se dirigea sur Hazart, où il fut atteint par l'armée royale, qui lui infligea, le 22 mai, sous les murs de cette ville (74), une sanglante défaite portant, dans l'histoire des croisades, le nom de bataille de Hazart (75).
Une trêve fut alors conclue et Baudouin racheta de Bour-souk, pour 80,000 dinars, ses otages qui étaient à Scheïzar chez les Mounkidites (76).
On ne put s'entendre pour la conclusion d'un traité de paix et pendant tout le printemps de l'année 1126, les deux armées demeurèrent en présence entre Maaret Meserïn et le Sermin.
Le 23 juillet, Boursouk s'étant retiré à Alep, Baudouin et ses troupes rentrèrent à Antioche où arriva bientôt le jeune prince Bohémond II (77).
1. Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, page 81).
2. Guillaume de Tyr, livres XII et XIX (pp. 490 et 889).
3. Foulcher de Chartres, livre II, chap. XLVII (Historiens occidentaux, tome, III, page 425). - Tudebodus imit. (Historiens occidentaux, tome, III, page 229). - Guillaume de Tyr, livre XI, chap. XVIII (p. 483).
4. Ibid., livre XII, chap. XI (p. 526).
5. Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux des Croisades, tome, III, page 442); - Guillaume de Tyr, liv. XII, chap. X (p. 526).
6. Journal asiatique, 4° série, tome, VI, page 539; et tome, VII, page 215.

7. « Le roi Guillaume de Sicile se sert de musulmans, a dans son intérieur des pages eunuques, il a une garde nègre; l'inspecteur des cuisines est musulman. A sa cour, on déploie un grand luxe d'habillements somptueux. Il y a au palais une manufacture de draps où des femmes brodent en or les vêtements du roi. Dans un harem, il entretient des concubines qui sont toutes musulmanes. » Extrait d'Ibn Djobaïr (Journal asiatique, 4° série, tome, VI, page 539).
8. Rey, Colonies franques de Syrie, pp. 6, 11, 12, 14. Je suis bien tenté de penser qu'il peut, et même qu'il doit y avoir quelque connexité entre ce fait et le récit fort romanesque et probablement très amplifié qu'on lit dans Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, IV, pp. 144-158). Il y est dit, que durant sa captivité, de 1100 à 1103, chez le prince Danichmendite Mélik Ghâzy Mohammed, Bohémond fut traité avec de grands égards, qu'il communiquait, facilement, avec ses sujets d'Antioche et que, notamment, en 1101, il décida par ses conseils l'élection de Bernard de Valence, au patriarcat d'Antioche : que Mêlas, la fille du prince musulman, - et c'est ici que le chroniqueur normand parait avoir donné libre carrière à son imagination - se prit d'admiration et peut-être d'un sentiment plus tendre pour Bohémond. Bientôt un émir, de la famille des Danichmendites qu'Orderic Vital désigne sous le nom de Soliman et comme le propre frère de Mélik Ghâzy, s'étant révolté, le prince d'Antioche et ses compagnons de captivité consentirent, à la demande de la princesse Mêlas, à apporter à Mélik Ghâzy l'appui de leur courage. Soliman ayant été défait, Bohémond et les autres chevaliers latins ses compagnons recouvrèrent leur liberté. En ce qui concerne Soliman, il faut, je crois, l'identifier avec Kilidj Arslan I, auquel les historiens occidentaux donnent également ce nom (Albert d'Aix, livre IX, ch. XXXV, Historiens occidentaux, tome, IV, pp. 611-612). Ce personnage aurait voulu contraindre Mélik Ghâzy à accepter la somme offerte par Alexis, dont il espérait avoir sa part. La princesse Mêlas aurait alors accompagné Bohémond à Antioche où, après avoir été baptisée, elle aurait épousé le prince Roger, neveu de Tancrède et petit neveu de Bohémond. Or, Roger ayant épousé, en légitime mariage, une femme de la famille de Rethel, soeur cadette de Baudouin II roi de Jérusalem, à quel titre la jeune Danichmendite sera-t-elle entrée dans sa maison ? Doit-on voir en elle une première épouse répudiée peut-être postérieurement à 1104, pour faire place à la princesse Hodierne ? Ou doit-on penser, qu'à l'exemple des princes musulmans, ses voisins, Roger choisit ses concubines parmi des femmes plus ou moins directement alliées aux familles des grands émirs formant l'aristocratie du monde arabe, de façon à trouver en elles, à un moment donné, des agents prêts à nouer dans les harems musulmans quelque négociation secrète ou à y puiser des renseignements sur les côtés obscurs des événements et des intrigues qui agitaient, alors, le mondé oriental ? Or les Danichmendites représentent, dans la lutte de l'Orient et de l'Occident, un élément moins rare qu'on ne le croit à cette époque, servant d'intermédiaires entre les deux civilisations chrétienne et musulmane et s'inspirant de l'une et de l'autre indifféremment, au mieux de leurs intérêts personnels.
9. Schlumberger, Numismatique de l'Orient latin, page 46.
10. Cartulaire du Saint-Sépulcre, page 9.
11. Guillaume de Tyr, livre XI, chap. XIX, page 485.
12. Kemal-ed-Dîn, dans Rohricht, Quellenbeitrage, page 243.
13. Delaborde, Chartes de Terre-Sainte, page 27.
14. Gautier le Chancelier, Bella Antiochena (Historiens occidentaux, tome, V, page 85).
15. Historiens arabes, tome, I, pp. 290-292.
16. Ibid.
17. Historiens arabes, tome, I, page 291.
18. Historiens occidentaux, tome, V, page 81. - Bulletin de la Soc. des Antiquaires, an. 1888. page 299.
19. Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, pp. 87-88).
20. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 98.
21. Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, page 90).
22. Ibid., page 94.
23. Historiens occidentaux, tome, III, pp. 430 et 572.
24. H. Derenbourg', Vie d'Ousâma, page 108.
25. Aboulfaradj, Chronologie syriac. (éd. de Leyde), page 304.
26. Bar Hebraeus, Chronologie ecclesiastique (éd. Abbeloos, tome, II. page 471).
27. Historiens arabes, tome, III. page 613.
28. Kemal-ed-Dîn, ap. Rohricht, Quellenbeitruge, pp. 251-252.
29. Le traité relatif à la protection des caravanes par le prince d'Antioche s'exécuta fidèlement.
30. Guillaume de Tyr, liv. XII, chap. VI, page 519.
31. Historiens arabes, tome, I, page 315.
32. Historiens arabes, tome, III, page 315.
33. Paoli, Codice diplomatic, tome, I, page 6.
34. Kemal-ed-Dîn, Rohricht, Quellenbeitruge, page 255.
35. Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux, tome, III, page 442).
36. Gautier le chancelier, Bella Antiochena (Historiens occidentaux, tome, V, page 108, et Guillaume de Tyr, livre.XII, chap. IX (pp. 523-525).
37. Ibid., page 526. Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, page 109).
38. Historiens arabes, tome, III, pp. 619-620.
39. Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, page 115).
40. Historiens arabes, tome, III, page 616. - Bulletin de la société des antiquaires de France, année 1884, page 286.
41. Foulcher de Chartres, liv. III, chap. III (Historiens occidentaux, tome, III, page 442). - Gautier le Chancelier, Bella Antiochena (Historiens occidentaux, tome, V, page 116). - Guillaume de Tyr, livre XII, chap. XI, page 527.
42. Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, page 118).
43. Historiens arabes, tome, III, page 620.
44. Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, page 119
45. Guillaume de Tyr, livre XII, chap. XII, page 528.
46. Historiens arabes, tome, III, page 620.
47. Foulcher de Chartres, liv. III, chap. IV et V (Historiens occidentaux, tome, III, pp. 443-444). - Gautier le chancelier (Historiens occidentaux, tome, V, pp. 121-123).
48. Guillaume de Tyr, livre XII, chap. XII, page 530.
49. Foulcher de Chartres, liv. III, chap. V (Historiens occidentaux, tome, III, page 444). Ibid., page 531.
50. Ibid., pp. 444-445.
51. Kemal-ed-Dîn, dans Rohricht, Quellenbeitrage, page 260.
52. Historiens arabes, tome, III, page 623.
53. Foulcher de Chartres, liv. III, chap. VII (Historiens occidentaux, tome, III, page 445). - Guillaume de Tyr, livre XII, chap. XII, page 531.
54. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage, page 261.
55. (Historiens occidentaux, tome, III, page 446).
56. Kemal-ed-Din (Historiens arabes, tome, III, page 625).
57. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage, page 267. Les portes de la citadelle étaient probablement en fer forgé ornées d'inscriptions coufiques, comme on en voit encore à la citadelle d'Alep et au château de Bir-ed-jik.
58. Ibid., page 265.
59. Historiens arabes, tome, III, page 631.
60. Foulcher de Chartres, liv. III, chap. XI (Historiens occidentaux, tome, III, page 417) et Guillaume de Tyr, livre XIV, chap. XX, page 635.
61. Kemal-ed-Din ; dans Rohricht, Quellenbeitrage, page 269.
62. Ibid., page 272. 63. Kemal-ed-Din (Historiens arabes, tome, III, page 633).
64. Historiens arabes, tome, III, page 635.
65. Cf. Historiens arméniens, tome, I, page 110; - Historiens arabes, tome, I. page 15: tome, III, page 634.
66. Ibid., tome, I, page 319 et tome, III, page 635.
67. Nicetas (Historiens Grecs, tome, I, page 218).
68. Matthieu d'Édesse (éd. Dulaurier, page 307).
69. Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, IV, page 247). - Foulcher de Chartres (Historiens occidentaux, tome, III, page 450). - Guillaume de Tyr, livre XIV, chap. XXI, XXII, XXIV, pp. 537-539, 541.
70. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage.
71. Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, IV, pp. 259-260). - Foulcher de Chartres, liv. III, chap. XXXI (Historiens occidentaux, tome, III, page 463). - Guillaume de Tyr, liv. XIII chap. Il (p. 571).
72. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage.
73. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage, page 281.
74. Ibid., page 287.
75. Foulcher de Chartres, liv. III, chap. XLII (Historiens occidentaux, tome, III, pp. 471-472). - Guillaume de Tyr, liv. XIII, chap. XVI (p. 579).
76. Historiens arabes, tome, III, page 651.
77. Kemal-ed-Dîn, dans Rohricht, page 290.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Bohémond II, prince d'Antioche (1126-1131)

Bohémond II naquit en Pouilles en 1108, deux ans avant la mort de son père. Il y passa son enfance, et ce fut en 1126 seulement, qu'il vint occuper, en Syrie, l'héritage paternel (1).
C'est par les mémoires d'un émir arabe, Ousâma ibn Moun-kid, fils du prince de Scheïzar, que nous avons le plus grand nombre de détails sur l'arrivée en Syrie du jeune Bohémond (2). Le roi Baudouin était à Antioche où, ce jour-là même, il donnait audience à un envoyé des Mounkidites en mission près de lui, quand on vint lui annoncer le débarquement, au Port-Saint- Siméon, du fils de Bohémond Ier. Voici en quels termes Ousâma raconte cet épisode :
« Un navire arriva à Es Soueidieh (3). Il en débarqua un jeune homme couvert de vêtements usés. On l'introduisit près de Baudouin, auquel il se fit connaître comme le fils de Bohémond. Baudouin lui livra aussitôt Antioche et alla établir son campement en dehors de la ville. »
« Notre représentant près du roi Baudouin nous a juré que celui-ci avait dû acheter sur le marché, le soir même de ce jour, l'orge nécessaire à ses chevaux, alors que les greniers d'Antioche regorgeaient de denrées. »
Le roi Baudouin, heureux de ne plus être obligé de se partager entre Jérusalem et Antioche, s'empressa de faire prêter serment de fidélité à Bohémond II par tous les feudataires de la principauté, puis il lui accorda la main de la princesse Alix, sa seconde fille. Le mariage eut lieu vers la fin de septembre 1127 (4).

Au mois de décembre de la même année, Bohémond confirma les donations faites aux Génois, dans la principauté d'Antioche, par son père, le prince Bohémond Ier (5).
Peu après son mariage, le nouveau prince reprit Cafartab, dont il massacra la garnison musulmane. A la même époque, il s'éleva un différend entre lui et Joscelin, comte d'Édesse, qui, probablement aussi, avait nourri l'espoir de posséder Antioche, à la suite de la mort du prince Roger. Joscelin envahit la principauté, accompagné de plusieurs émirs musulmans, ses alliés, et y porta la dévastation. A cette nouvelle, le roi Baudouin, effrayé du péril dans lequel cet événement plongeait les colonies franques de Syrie, s'empressa de se rendre à Antioche en compagnie du patriarche de Jérusalem. L'intervention de ce dernier parvint à ramener Joscelin à de meilleurs sentiments, mais non sans que le patriarche eût été obligé de le menacer des foudres de l'Église (6).

C'est à l'année 1128 que paraît devoir être fixée la tentative de Bohémond II contre Scheïzar, où il eut un cheval tué sous lui par un cavalier à la solde des Mounkidites (7). Bohémond, prévoyant que les prétentions des empereurs de Constantinople sur la principauté d'Antioche finiraient par améner un conflit, s'efforça de mettre en état de défense la partie de la Cilicie qui dépendait de la principauté, pour en faire un rempart contre les tentatives des Grecs. Malheureusement, il fut impuissant contre les intrigues nouées, jusque dans sa propre maison, par les agents secrets de l'Empire.

En 1129 (8), Bohémond s'empara du château de Kadmous. C'est vers cette époque que les Francs imposèrent aux Musulmans d'Alep et de Damas l'obligation de soumettre leurs esclaves chrétiens à la visite de commissaires envoyés par eux à l'effet de libérer tous ceux qui voudraient retourner en pays chrétien (9). L'année suivante, Bohémond accompagna le roi de Jérusalem dans son expédition contre Damas (10).
Ce prince, qui ne régna que cinq ans, et sur qui nous possédons fort peu de détails, périt en janvier 1131 (11), au cours d'un combat livré aux troupes d'Emad-ed-Dîn Zenghi, dans les plaines de la Cilicie, près du lieu nommé alors Portus palorum, non loin de L'Ayas. D'après Romuald (12), ses restes mortels, transportés à Jérusalem, auraient été inhumés dans l'église de Notre-Dame-la-Grande, près du Saint-Sépulcre, il ne laissa de son mariage qu'une fille, nommée Constance.
1. Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, IV, page 246).
2. D'après la chronique de Romuald (ap. Muratori, Script, rer. Ital., tome, VII, col. 184), Bohémond, laissant ses seigneuries de Pouilles à son cousin Alexandre, comte de Calabre, serait arrivé en Syrie au mois de septembre 1126 avec une escadrille de dix-neuf galères et six navires de charge portant une troupe de chevaliers d'élite.
3. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 136; cf. Rev. de l'Oroient latin, tome, II, pp. 446-447.
4. Foulcher de Chartres, liv. III, chap. LXI, (Historiens occidentaux, tome, III, page 485), et Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, IV, page 246). - Guillaume de Tyr, liv. XIII, chap. XXI (pp. 588 et 589).
5. Historia Patriae monumenta. Liber jurium, tome, I, page 31.
6. Guillaume de Tyr, liv. XIII, ch. XXII (p. 590).
7. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 138.
8. Historiens arabes, tome, I, page 387.
9. Ibid., tome, II, 2e partie, pp. 69 et suivantes. 10. Guillaume de Tyr, Hv. XIII, chap. XXVI (p. 596).
11. Guillaume de Tyr, liv. XIII, ch. XXVII (p. 599).
12. Muratori, Scrip. rer. Ital., tome, VII, col. 185.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Baillie des rois Baudouin II et Foulques (1131-1136)

A la mort de Bohémond, la princesse Alix, sa veuve, femme d'un orgueil insensé, se laissant circonvenir par des agents byzantins, entreprit de s'affranchir de la suzeraineté de son père et de se rendre indépendante dans la principauté, espérant, dit Guillaume de Tyr, pouvoir se remarier et apporter la principauté à l'époux de son choix. Redoutant l'opposition des grands vassaux, elle n'hésita pas à s'aboucher avec l'atabek Zenghi et à solliciter l'appui des Musulmans (1).

Dès que le roi Baudouin fut informé de ces incidents, il s'empressa de se rendre à l'appel des feudataires d'Antioche. A son arrivée, il trouva les portes de la ville fermées par l'ordre de sa fille. Cependant, le roi put, grâce à l'aide d'un chevalier, nommé Guillaume d'Avise, se créer des intelligences dans la place, et la porte Saint-Paul fut remise à Foulque d'Anjou, son gendre, pendant que celle du Duc était ouverte à Joscelin de Courtenay, comte d'Édesse. Baudouin ayant pénétré dans Antioche avec ses troupes, la princesse se réfugia dans une des tours de la ville, puis bientôt vint se jeter aux pieds de son père, qui lui pardonna. Après avoir fait jurer fidélité, par la haute cour d'Antioche, à la jeune princesse Constance, fille de Bohémond II, il fit attribuer comme douaire à la princesse Alix, les villes de Laodicée et de Zibel. Puis, ayant pris toutes les mesures propres à sauvegarder la principauté, il rentra à Jérusalem, où il fut, peu après, atteint de la maladie qui, le 20 août 1131, le conduisit au tombeau (2).

Les Musulmans profitèrent de ces troubles pour envahir la principauté et ravagèrent les environs de la Marre (Maarat en Noman) et le territoire de Cafartab (3).
Dès que la princesse Alix apprit la mort de son père, elle se laissa de nouveau aller aux influences néfastes auxquelles elle avait obéi après la mort de son mari, et elle tenta de rechef de se rendre indépendante, soutenue par Raoul de Domfront, patriarche latin d'Antioche, par le comte d'Édesse, le seigneur de Sahone et Pons, comte de Tripoli, entraînés dans cette intrigue par les agents secrets de l'empire grec (4).
Mais le roi Foulques, arrivé sans retard, contraignit par la force le comte de Tripoli à la soumission, et obligea la princesse Alix à retourner à Laodicée ; puis, ayant apaisé les troubles soulevés par cette folle équipée, il remit la baillie et la garde de la principauté à Rainald Mansoer, connétable d'Antioche (5).

Ayant donc rétabli l'ordre et mis la principauté en état de défense, il retourna à Jérusalem, se réservant la baillie nominale d'Antioche jusqu'à l'époque du mariage de la princesse Constance, sa nièce (6).
L'année suivante, l'armée d'Antioche fit, sous les ordres du connétable Renaud Mansoer, une incursion sur le territoire d'Alep et remporta, au mois de janvier 1134, à En-Nakira, une victoire sur les troupes de l'émir Seif-ed-dîn Saouar-ibn-Aitekin, lieutenant de Zenghi. Ce dernier vint, dans le cours de la même année, attaquer Gistrum, près de Scheïzar, et le château de Zerdana, puis battit les Francs, non loin de Harrenc (7).
Au commencement du mois d'avril 1135, l'atabek Zenghi envahit la principauté d'Antioche. Le 17, il prit Athareb, puis Zerdana, Tell Agdi et Maarat-en-Noman (8).
Le roi de Jérusalem paraît avoir fait alors une expédition pour secourir Antioche, et ses troupes parvinrent jusqu'à Kinesserïn. Mais, au mois d'octobre, l'émir Saouar fit une incursion du côté de Laodicée et se retira entraînant avec lui de nombreux prisonniers et un énorme butin (9).
Heureusement, Raymond de Poitiers arrivait sur ces entre-faites et prenait d'une main ferme le gouvernement de la principauté.
1. Guillaume de Tyr, liv. XIII, chap. XXVII-XXVIII (pp. 599, 600. 601).
2. Guillaume de Tyr, liv. XIII, chap. XXVIII (p. 602).
3. Historiens arabes, tome, III, page 664.
4. Guillaume de Tyr, liv. XIV, chap. IV (p. 611).
5. Guillaume de Tyr, liv. XIV, chap. V (p. 614).
6. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage.
7. Historiens Arabes, tome, III, page 667.
8. Ibid., page 670.
9. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Raymond de Poitiers, prince d'Antioche (1136-1149)

Les troubles qui se produisirent dans la principauté à la suite de la mort de Bohémond il, et qui étaient toujours sur le point de se renouveler, décidèrent le roi Foulque à marier, sans retard, sa pupille, la princesse Constance, malgré sa jeunesse. A cet effet, il jeta les yeux sur un seigneur français, Raymond de Poitiers, fils cadet de Guillaume IX, duc de Guyenne et de Philippe de Toulouse, sa femme.
Raymond vivait alors à la cour d'Henri Ier, roi d'Angleterre, qui l'avait armé chevalier. Il accepta avec empressement l'offre du roi de Jérusalem et se mit en route pour la Syrie, où il arriva dans le courant de l'année 1136, après avoir déjoué les embûches dressées sur son chemin par Roger, duc de Pouilles, qui prétendait à la principauté d'Antioche, du chef de sa parenté avec Bohémond. A son arrivée à Antioche, le jeune prince trouva la ville livrée à la faction de la princesse Alix, qui avait réussi à y rentrer, grâce à la connivence du patriarche latin Raoul, homme remuant et ambitieux. Raoul était archevêque de Missis quand, en 1132, au moment de la mort de Bernard de Valence, patriarche d'Antioche, il vint dans cette ville et se fit acclamer patriarche par le peuple. Ce prélat, appartenant à la famille des seigneurs de Domfront, était très prisé par les chevaliers normands qui formaient le fond de l'aristocratie latine d'Antioche. Aussi, fort de cet appui, se passa-t-il des suffrages du Synode des prélats de la principauté, assemblés à Antioche, pour procéder canoniquement, à l'élection du patriarche, et, sans tenir compte des protestations qui se produisirent alors, il prit possession du siège patriarcal, puis se mêla à toutes les intrigues qui agitaient Antioche. Raymond, aussi habile que désireux de posséder cette belle principauté, pour laquelle il avait tout quitté, se hâta d'acheter l'appui de ce même patriarche. La princesse Alix, écartée, dut se retirer à Laodicée qui lui avait été attribuée en douaire avec la ville de Zibel, et l'ambitieux prélat bénit, de ses propres mains, le mariage du comte de Poitiers et de la jeune Constance qui n'était point encore nubile (1).

L'année précédente (1135), Léon Ier, roi d'Arménie, avait enlevé à la principauté d'Antioche la forteresse de Servantikar, située dans l'Amanus. Le premier acte de Raymond de Poitiers fut d'attaquer le roi d'Arménie qu'il fit prisonnier et à qui il ne rendit la liberté que contre la remise des villes de Missis, Adana et Servantikar, plus une rançon de 60,000 dinârs (2).
Sur ces entrefaites, Jean Comnène avait succédé à son père Alexis sur le trône de Byzance et conservait les mêmes prétentions vis-à-vis d'Antioche. Le traité, qui avait été conclu verbalement en 1096, lors du passage des croisés à Constantinople, ainsi que la convention de 1108, lui semblaient, comme à son père, des titres suffisants. Jugeant que les périls au milieu desquels se débattait le royaume latin lui offraient une occasion favorable de faire valoir, par la force, ce qu'il considérait comme ses droits, il se dirigea, au commencement de 1137, vers Antioche, pour s'opposer à la remise de la principauté à Raymond de Poitiers (3)
L'empereur traversa le Taurus, amenant avec lui une nombreuse armée à laquelle il avait joint des troupes turques entrées à son service après la prise de Castamone et de Gangres (4).
Après avoir vaincu Léon, roi des Arméniens, qu'il fit prisonnier ainsi que ses deux fils, Jean Comnène s'empara de Tarse, d'Adana, de Missis et d'Anazarbe (5), qui appartenaient à la principauté d'Antioche, ainsi que de toute la Cilicie. Il se présenta enfin, sous les murs d'Antioche, au moment où le prince quittait sa capitale pour se porter au secours du roi Foulque assiégé par Zenghi dans la forteresse de Montferrand.

Quand Raymond revint, au bout de quelques semaines, le siège de la ville n'étant guère avancé, il put sans peine rentrer dans Antioche, du côté des montagnes, par une poterne voisine de la citadelle.
Cependant, les forces dont disposait l'empereur lui permettant de presser plus vivement le siège, ses attaques se rapprochaient chaque jour des murs de la ville ; des émissaires secrets passant d'un camp à l'autre s'efforçaient de mener une négociation pacifique (6).
Enfin, le prince, inquiet des dangers qu'un tel état de choses faisait courir à la principauté, sans cesse menacée par les princes musulmans d'Alep, de Hamah, de Mardïn et de Mossoul, se décida à se rendre au camp impérial et à faire hommage à Jean Comnène, lui jurant que chaque fois que l'empereur voudrait entrer dans Antioche, il en aurait toute liberté ; il fut décidé en outre que si, par la suite, l'empereur grec pouvait s'emparer d'Alep, de Scheïzar, de Hamah et d'Émèse, il donnerait ses villes en fief à Raymond, qui alors céderait Antioche à l'empereur.

Jean Comnène s'engageait à entreprendre cette conquête dès l'année suivante.
La bannière impériale ayant ensuite été arborée sur le château d'Antioche, en signe de suzeraineté, comme la saison s'avançait, l'empereur alla prendre ses quartiers d'hiver à Tarse. On convint alors que le prince d'Antioche et le comte d'Édesse se joindraient à lui pour l'expédition projetée qui commença avec le printemps de l'année 1138. Le 4 avril, jour de Pâques, l'armée combinée parut devant Bozâa, qui capitula le 11 du même mois (7). Après un arrêt d'une huitaine de jours dans le Ouady Boutnan, elle se présenta le 19 avril sous les murs d'Alep, mais au bout de peu de temps et à la suite d'une attaque infructueuse dirigée contre l'ouvrage nommé la tour des brebis, le siège de cette ville paraissant devoir durer trop longtemps et demander beaucoup d'efforts, l'armée se dirigea, le 26 avril (8), vers Scheïzar, où elle arriva le 29. Le siège de cette forteresse se prolongea jusqu'au 21 mai. Les historiens grecs se plaignent du peu de zèle montré en cette occurrence par les Latins. Il est vrai que le prince d'Antioche trouvait à Scheïzar, dans les Mounkidites, des adversaires avec lesquels les Francs entretenaient, depuis bien des années, des relations courtoises et pour lesquels ils devaient se sentir plus de sympathie que pour les Grecs, qu'ils ne suivaient que fort à contre coeur (9).
Ibn-el-Athyr dit que Nour-ed-Dîn, pour amener la levée du siège de Scheïzar, excita, par tous les moyens, la défiance des Francs au sujet des projets de l'empereur, ce qui lui était d'autant plus facile qu'il devait être au courant des menées d'Alexis, père et prédécesseur de Jean Comnène, pour encourager les princes musulmans à s'unir et à combattre les Francs de Syrie (10).
Le 21 mai, l'approche d'une armée musulmane, commandée par l'émir Kara Arslan-ibn-Sokman, détermina la retraite de l'empereur qui regagna la principauté d'Antioche (11).
Suivant certains auteurs, les Mounkidites auraient acheté la retraite de l'empereur, à prix d'or (12) et lui auraient remis une croix en pierres précieuses enlevée par les Musulmans lors de la défaite de Romain Diogène.
L'armée arriva à Antioche, où l'empereur fit une entrée solennelle, précédé du prince et du comte d'Édesse à pied, tenant tous deux la bride de son cheval (13).
Jean Comnène voulut profiter de cette circonstance pour ranger définitivement la ville sous son autorité, en vertu des serments d'allégeance prêtés par Bohémond Ier à l'empereur Alexis, son père, et tout récemment à lui-même, à la suite de sa campagne de 1137, par le prince Raymond; qui se trouvait ainsi dans une situation des plus difficiles. Pour en sortir, Joscelin souleva, à l'incitation des barons de la principauté, les habitants de la ville, et il s'éleva, vers le soir, une telle sédition que l'empereur, terrifié et craignant pour sa vie, se désista, sur le champ, de toute prétention, et s'empressa de sortir d'Antioche pour retourner en Cilicie. De là, il regagna Constantinople en conservant les places qu'il avait enlevées à la principauté d'Antioche (14).

Le 20 octobre 1138 se produisit un tremblement de terre qui causa de grands ravages à Alep. Athareb fut ruiné de fond en comble et il y eut de fréquentes secousses jusqu'au mois de juillet de l'année suivante (15).
L'année 1139 fut marquée par une incursion de l'émir Seif-ed-Dîn-Saouar, lieutenant de Zenghi, sur le territoire de la principauté d'Antioche. L'émir essuya une sanglante défaite et laissa aux mains des Francs plus de 1,200 prisonniers, au nombre desquels se trouvait Ibn-Amroun, émir d'El-Kahaf (16).
Le 9 mars 1139, Raymond de Poitiers fit abandon à l'Hôpital de la redevance qu'il prélevait sur un jardin que Trigaud, son chambellan, avait donné à l'Ordre, le 30 novembre de l'année précédente (17).

Seif-ed-Dîn-Saouar fut, durant plusieurs années, l'adversaire le plus acharné du prince d'Antioche, dont il envahissait sans cesse les États à la tête de hordes de Turcomans à la solde de l'atabek Zenghi.
Au mois de décembre de cette même année (1139), la tentative de Zenghi pour se rendre maître de Damas, à la suite de la mort de Chehab-ed-Dîn, prince de cette ville, détermina le visir Moïn-ed-Dîn-Anar à appeler les Francs à son secours (18).
Au printemps de 1140, le roi Foulques marcha sur Damas avec les troupes du royaume et le comte de Tripoli. Dans les premiers jours de mai, Raymond, en venant rejoindre l'armée royale sous les murs de la ville, rencontra dans la Bekâa un des corps de l'armée de Zenghi, commandé par Ibrahim-ibn-Torgouth, gouverneur de Belinas. Après un combat acharné où cet émir perdit la vie, les Musulmans furent complètement défaits (19).
Dans le courant du même mois, le roi, le comte de Tripoli et le prince d'Antioche assiégèrent et prirent l'a forteresse de Belinas (20).
Raymond rentra alors à Antioche. Durant son absence, les incursions des Turcomans s'étant multipliées, le prince envoya à Alep un de ses chevaliers avec mission de se plaindre de cette violation des trêves et de sommer l'atabek Zenghi d'y mettre un terme. Mais, comme cet envoyé revenait à Antioche, il fut assassiné par les Turcomans. Raymond de Poitiers considérant la trêve comme rompue par ce fait, envahit le territoire d'Alep, où il fit de nombreux prisonniers (21). Avant de quitter Antioche, le prince avait réglé, le 19 avril 1140, un différend qui s'était élevé entre les chanoines du Saint-Sépulcre et l'abbaye de Saint-Paul (22).
En 1141, Raymond, parti du Sermin, ravage toute la région comprise entre Cafartab et le Djebel-es-Soumak. Pendant ce temps, Alam-ed-Dîn, flls de Saouar, pousse avec ses Turcomans, une pointe audacieuse jusqu'aux portes d'Antioche et fait un butin assez considérable (23).
L'année 1142 fut encore marquée par une incursion de Saouar et de ses hordes turcomanes qui, au mois de mars, vinrent jusqu'au Pont-de-Fer, dont elles surprirent la garnison en passant l'Oronte, à un gué voisin de Harrenc (24).

Cette même année, l'empereur Jean Comnène revint en Cilicie, sous le prétexte d'accomplir les conventions qu'il avait conclues avec le prince d'Antioche relativement aux parties de la Syrie encore possédées par les Musulmans. Mais, au fond, il se proposait de subjuguer les provinces franques de Syrie. A peine arrivé à Tarse, il envahit avec une nombreuse armée le comté d'Édesse, assiégea Tell-Bascher, résidence de Joscelin II, et exigea la remise comme otage d'Isabelle (25), fille de ce prince. Le 20 septembre, il se présenta sous les murs d'Antioche, annonçant le projet de se rendre avec son armée en pèlerinage à Jérusalem.
L'empereur était campé à Gastin, en vue d'Antioche, c'est de là qu'il adressa au prince Raymond la sommation de lui livrer la ville. Le prince ayant alors réuni la Haute-Cour, tous les feudataires de la principauté répondirent, d'un commun accord, qu'ils ne se considéraient point comme liés par l'hommage fait à l'empereur Alexis par Bohémond. L'évêque de Zibel, légat du Saint-Siège, se rendit, à la tête d'une députation des habitants d'Antioche, au camp de Gastin et somma l'empereur, au nom du pape Innocent II, de s'abstenir d'entrer dans Antioche (26).
De son côté, le roi Foulque envoyait Anselme, évêque de Bethléem, avec mission de dissuader l'empereur de son projet de pèlerinage armé à Jérusalem, sujet d'inquiétudes pour les Latins, justement alarmés de ses visées, et, comme la mauvaise saison approchait, Jean Comnène, voyant s'élever devant lui des obstacles qu'il n'avait point prévus, alla prendre ses quartiers d'hiver en Cilicie, ajournant au printemps l'accomplissement de ses vues sur les principautés d'Antioche et d'Édesse. Mais la mort le surprit bientôt à Anazarbe, délivrant ainsi d'un grand péril les colonies franques de Syrie (27).

En 1143, Raymond, s'avança jusqu'au Ouady Boutnan et une trêve fut conclue, par la médiation de Joscelin II, comte d'Édesse, avec l'émir Saouar (28), mais elle paraît avoir été de courte durée, car, dès les premiers mois de l'année suivante, nous voyons recommencer les incursions des Turcomans dans la principauté d'Antioche, où, le 30 mai 1144, ils firent prisonnier le châtelain de Basoutha (aujourd'hui Kalaat Bassouth), forteresse située sur les bords de l'Afrin (29).
Cette même année vit Zenghi s'emparer d'Édesse (23 novembre 1144). Le prince d'Antioche ne paraît point avoir pris part à la tentative de l'armée royale pour secourir cette place.

D'après Cinnamus (30), les premiers mois de l'année 1144 auraient été marqués par une nouvelle expédition grecque en Cilicie, expédition à la suite de laquelle l'empereur Manuel Comnène, successeur de Jean, aurait contraint Raymond de Poitiers à venir, en personne, a Constantinople, lui faire hommage. Lorsque, le 23 novembre de cette même année, l'atabek Zenghi s'empara d'Édesse, Raymond de Poitiers était peut-être encore absent de Syrie, ce qui expliquerait et excuserait son inaction en cette circonstance (31).
La mésintelligence qui régnait depuis longtemps entre le prince d'Antioche et Joscelin II, comte d'Édesse, semble avoir eu deux causes : d'abord la différence absolue de caractère de ces princes; ensuite, selon toute apparence, les menées sans cesse renaissantes d'agents secrets soudoyés dans les deux principautés par l'empereur grec, qui espérait profiter des divisions qu'il s'efforçait de semer entre les princes francs de Syrie. Cette désunion, que n'ignorait pas Zenghi, devint fatale à la chrétienté et favorisa grandement l'entreprise de l'atabek sur Édesse (32).
Au mois de juillet 1146, Raymond donna à la maison de l'Hôpital d'Antioche des bains qui y étaient attenants (33).

Zenghi étant mort en 1145, pendant qu'il assiégeait Kalaat Djabar, son fils Nour-ed-Dîn, qui lui avait succédé comme prince d'Alep, envahit la principauté d'Antioche, dans les premiers mois de l'année 1147 et s'empara d'Artah, de Mamoula, de Basarfout et de Cafarlata. De son côté, le prince Raymond, sorti d'Antioche au commencement de 1146, s'était avancé jusqu'à Selda, petite ville voisine d'Alep, et l'avait livrée au pillage (34).
Ces événements, aussi bien que la déception causée par le refus du roi Louis VII de l'appuyer contre Nour-ed-Dîn, semblent avoir retenu Raymond à Antioche pendant la tentative infructueuse du roi de France et de l'empereur Conrad contre Damas, en 1148.
Le roi de France arriva au port Saint-Siméon dans les derniers jours de l'année 1147 (35), et l'accueil qu'il reçut à Antioche dut vite faire oublier à ses compagnons les cruelles épreuves qu'ils venaient de traverser en Asie-Mineure. Toutes les ressources de la principauté furent mises à leur disposition et à celle du roi, qui put bientôt remettre ses troupes en état de faire la guerre.
Les fêtes que Raymond donna alors aux Croisés reçurent surtout leur éclat de la présence de la reine Éléonore de Guyenne, femme de Louis VII. Cette jeune princesse était fille de Guillaume X, frère du prince Raymond d'Antioche ; elle réunissait les dons les plus séduisants de l'esprit à la plus grande beauté. Antioche avait encore dans ses murs les comtesses de Toulouse, de Blois, de Flandre et plusieurs autres dames célèbres par leur naissance. Raymond, au milieu des réjouissances données en l'honneur de ses hôtes, ne négligeait point les intérêts de sa principauté, qui étaient, en même temps, ceux du royaume latin (36). Il voulait affaiblir la puissance de Nour-ed-Dîn en qui il voyait, avec raison, le plus formidable ennemi des colonies chrétiennes, et il se flattait que le roi consentirait à l'aider à s'emparer d'Alep, en profitant de l'effroi que son arrivée avait répandu parmi les émirs musulmans du nord de la Syrie. Le prince savait que ces derniers se préparaient à fuir à l'approche de l'armée franque, si elle se dirigeait de ce côté (37).
Dans un conseil où étaient assemblés les feudataires de la principauté et les chefs de la croisade, il mit le roi de France au courant de la situation et lui proposa d'assiéger sans retard les villes d'Alep et de Hamah.
Mais le roi, homme d'un caractère faible et indécis, qui n'était conduit en Orient que par un esprit étroit de dévotion, se refusa obstinément à toute opération militaire avant d'avoir accompli son pèlerinage au Saint-Sépulcre (38). Naturellement méfiant et jaloux, les insinuations malveillantes de Roger, comte de Pouilles, l'avaient prévenu contre le prince d'Antioche. Les instances de cette dernière, qui se rendait mieux compte que lui de l'état des principautés chrétiennes, accrurent ses soupçons et le rendirent intraitable (39). Ce fut un grand malheur pour les colonies franques de Syrie, la cause première de l'échec de la croisade et de bien d'autres calamités.
Le prince d'Antioche, ainsi que les comtes de Tripoli et d'Édesse, ne furent point convoqués à l'assemblée tenue à Acre, où fut résolu le siège de Damas (40). L'attitude jalouse et malveillante du roi de France à l'égard du prince d'Antioche, et les agissements de Bertrand, fils naturel du comte de Toulouse (41), contre Raymond de Tripoli expliquent suffisamment l'abstention du prince d'Antioche et du comte de Tripoli, mais montre, en même temps, quelles dissensions intestines déchiraient déjà, à cette époque, les États chrétiens de Syrie.

Le 1er février 1149, Raymond confirma les donations faites à l'hôpital Saint-Jean par les princes ses prédécesseurs et les feudataires de la principauté, en y joignant les siennes (42).

Dans le courant de cette même année, Nour-ed-Dîn envahit de nouveau le territoire d'Antioche avec une nombreuse armée et vint assiéger le château de Nepa (Anab).
Le prince Raymond ayant voulu le forcer à lever le siège de cette place, perdit la vie dans un combat livré le 30 juin entre Fémie et Rugia. Il fut tué par un émir nommé Ased-ed-Dîn (43).
A cette nouvelle, le roi Baudouin III vint prendre en main la baillie d'Antioche.
Raymond laissait quatre enfants de son mariage avec la princesse Constance : deux fils, Bohémond III et Baudouin, qui passa à Constantinople, où il résida à la cour de l'empereur Manuel Comnène, son beau-frère, et où il mourut vers 1174 (44); et deux filles : Philippe, qui, d'abord mariée à Andronic Comnène, fut répudiée et épousa ensuite Homfroy de Toron, connétable du royaume de Jérusalem; Marie (45), qui épousa, en 1160, Manuel Comnène, empereur de Constantinople.
1. Guillaume de Tyr, livre XIV, chap. IX et X, pp. 619 et suivantes.
2. Historiens arméniens, tome, I, page 616.
3. Guillaume de Tyr, livre XIV, chap. XXIV (p. 641).
4. Cinnamus, Epitome rerum ab Joanne et Manuele Comnenis gestarum (éd. de Bonn, pp. 33, 31, 35), et Historiens Grecs, tome, I, pp. 212 et 213; tome, II, notes, pp. 152-153.
5. Guillaume de Tyr, livre XIV, chap. 24 (p. 642).
6. Ibid., page 652, et Orderic Vital (éd. Le Prévost, tome, V, pp. 79-102).
7. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, et Nicetas (Historiens Grecs, tome, I, pp. 215-221; tome, II, notes, pp. 157-165).
8. Kemal-ed-Din, page 306.
9. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, pp. 73, 182,190. Ce fut le prince Mounkidite Ousâma, qui, en 1139, servit de négociateur pour la paix conclue entre le roi Foulques d'Anjou et Djemal-ed-Din. Il raconte à ce sujet qu'il racheta alors aux Francs un assez grand nombre de prisonniers musulmans. A cette époque Ousâma était près du roi Foulques l'agent de confiance de Moïn-ed-Din-Anar, vizir de Damas.
10. H. Derenbourg, Vie d'Ousâma, page 89. - Historiens arabes, tome, I, page 280; tome, III, pp. 531-533.
11. Historiens arabes, tome, III, page 678.
12. Nicétas (Historiens grecs, tome, I, page 221).
13. Guillaume de Tyr, livre XV, chap. III (p. 660).
14. Ibid., page 661.
15. Historiens arabes, tome, III, page 679.
16. Kemal-ed-Din (Historiens arabes, tome, 111, page 680).
17. Revue de l'Orient latin, tome, III, page 48, n° 25 et 26.
18. Historiens arabes, tome, I, pp. 434-435.
19. Historiens arabes, tome, I, page 436.
20. Guillaume de Tyr, éd. Paulin Paris, tome, II, page 60. Le passage auquel nous nous référons est plus précis dans cette édition que dans celle de l'Académie.
21. Kemal-ed-Din (Historiens arabes, tome, III, page 683).
22. Cartulaire du Saint-Sépulcre, page 176.
23. Historiens arabes, tome, III, page 683.
24. Ibid., page 684.
25. Guillaume de Tyr, livre XV, chap. XIX (p. 688)
26. Guillaume de Tyr, livre XV, chap. XX (pp. 691 et suivantes).
27. Guillaume de Tyr, liv. XV, chap. XXII (p. 693).
28. Kemal-ed-Din, dans Rohricht, Quellenbeitrage.
29. Historiens arabes, tome, III, page 685.
30. Epitome rerum ab Joanne et Manuele Comnenis gestarum (éd. de Bonn, page 35).
31. Cf. B. Kugler, Studien zur Gesch. des zweilen Kreuzsuges, page 76.
32. Guillaume de Tyr, livre XVI, chap. IV (p. 708).
33. Revue de l'Orient latin, tome, III, page 50, n' 40.
34. Historiens arabes, tome, IV, page 48.
35. Guillaume de Tyr, livre XVI (p. 751).
36. Guillaume de Nangis, Chron. ad ann. 1149. - Gesta Ludovici VII, chap. XV.
37. Guillaume de Tyr, livre XVI, chap. XXVII, page 752.
38. Ibid.,
39. Ibid., chap. XXIX, page 755.
40. Ibid., livre XVII, chap. I, page 758.
41. Dom Vaissète, Historiens du Languedoc, Ier éd., tome, II, pp. 451, 454.
42. Paoli, Codice diplomatic, tome, I, page 27.
43. Kitab-er-Raudataïn (Historiens arabes, tome, IV, page 63).
44. Nicétas, Hist, de Manuel Comnène, livra V, chap. VII.
45. Du Cange, Familles byzantines, pp. 190-191.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Renaud de Châtillon, prince d'Antioche (1153-1160)

Parmi les chevaliers qui, en 1147, accompagnèrent le roi Louis VII en Terre-Sainte, se trouvait un membre de la famille des seigneurs de Châtillon, destiné à jouer un rôle considérable en Syrie. Renaud de Châtillon, jeune chevalier, beau et courtois, dit Guillaume de Tyr (1), semble être demeuré à Antioche près du prince Raymond de Poitiers qui lui donna un fief de soudée.

Après la mort de ce dernier, l'empereur Manuel Comnène ayant tenté de remarier la princesse Constance, sa veuve, à Jean Roger (2), césar de l'Empire, les feudataires de la principauté prirent ombrage de ce projet et s'opposèrent à cette union. Plusieurs autres prétendants furent successivement écartés par la princesse. Cette dernière s'éprit de Renaud qu'elle choisit pour époux au commencement de 1153.
Mais ce mariage ne pouvant se conclure sans l'assentiment du roi, Renaud se rendit auprès de Baudouin III (3), pour solliciter son agrément. Le roi, charmé de n'avoir plus à s'occuper de la défense de la principauté d'Antioche et reconnaissant le mérite et les grandes qualités'du prétendant, donna aussitôt son consentement. Renaud s'empressa alors de retourner à Antioche, où le mariage fut célébré antérieurement au mois de mai de cette année 1153, date à laquelle nous voyons Renaud confirmer, comme prince d'Antioche et de concert avec la princesse Constance, son épouse, un privilège commercial accordé aux Vénitiens par les princes, ses prédécesseurs (4).
Amalric, patriarche d'Antioche, qui avait vu de mauvais oeil le mariage de la princesse Constance, ne tarda pas à faire une opposition très vive à Renaud de Châtillon (5), qui, poussé à bout, le fit arrêter et enfermer au château d'Antioche, où il fat traité d'une manière très inhumaine. Le roi Baudouin III, instruit de ces faits, envoya, sans retard, Frédéric, évêque d'Acre, et Raoul, chancelier du royaume, porteurs d'une lettre ordonnant au prince de mettre sur-le-champ Amalric en liberté et de lui rendre les biens du patriarcat qu'il avait séquestrés. Renaud obéit à cette injonction, et le patriarche se retira à Jérusalem où il séjourna durant plusieurs années (6).

Le 10 mai de l'année suivante, Renaud concéda à l'archevêque et à la commune de Pise un terrain à Laodicée et une maison située à Antioche (7). Vers la même époque, il confirma une donation de moulins faite à l'Hôpital par un bourgeois nommé Alexandre, fils de Bernard (8). Pendant l'été de cette année 1154, Renaud semble avoir pris part au siège d'Ascalon. Guillaume de Tyr le mentionne d'une manière assez incertaine et vague (9), comme y ayant assisté.
Les chroniques syriennes de Michel le Grand et d'Aboul-faradj parlent de la part brillante que Renaud aurait prise à l'assaut de cette ville, le 15 août 1154 (10). L'historien arabe Schahab'eddin donne, dans le Kitab-er-Raudataïn, la même date pour la prise d'Ascalon par les Francs (11).

L'année suivante, à l'incitation de l'empereur Manuel Comnène, Renaud de Châtillon, qui réclamait vainement de Thoros, roi d'Arménie, la restitution à l'ordre du Temple du château de Gastin ou Gaston (12), que ce prince avait enlevé aux Templiers, envahit la Cilicie. Les débuts de la campagne ne furent pas heureux pour le prince d'Antioche. Il éprouva d'abord un échec non loin d'Alexandrette (aux portes de Jonas ?), mais bientôt il prit sa revanche et obligea Thoros à solliciter la paix et à la faire en même temps avec l'empire byzantin (13).
Également en 1155, Renaud et la princesse Constance confirmèrent la donation du casal de Saloria, faite à la maison de l'Hôpital d'Antioche par une dame nommée Adeline (14).
Vers le même temps, le prince d'Antioche écrivit au roi de France, Louis VII, pour lui demander de secourir la Terre-Sainte et le prier de chercher en France des époux pour les deux filles de feu le prince Raymond de Poitiers (15).

Manuel Comnène avait promis au prince d'Antioche des sommes considérables afin de le décider à attaquer le roi d'Arménie; mais, comme il ne se pressait point de tenir, ses engagements, Renaud de Châtillon s'unit à Thoros, et tous deux débarquèrent dans l'ile de Chypre, alors possédée par les Grecs (16).
Cette île était presque complètement dépourvue de soldats. Jean Comnène, frère de Manuel, et Michel Branas y commandaient pour l'empereur (17). Ces personnages, prévenus par les Grecs d'Antioche des projets du prince, se préparèrent à se défendre. Néanmoins, Renaud et le roi d'Arménie étant arrivés avec des forces considérables, taillèrent en pièces le petit nombre de troupes qui leur furent opposées et revinrent chargés d'un riche butin, ramenant avec eux, comme otages, plusieurs évêques et dignitaires grecs, ce qui causa une grande émotion à Constantinople et irrita profondément l'empereur (18).

Les premiers mois de l'année 1159 furent marqués par la tentative faite par Nour-ed-dîn pour s'emparer de Belinas. A la nouvelle du siège de cette ville, le roi de Jérusalem s'empressa de convoquer tous les feudataires des provinces chrétiennes de Syrie. Renaud se rendit à son appel, ainsi que le comte de Tripoli. A leur approche, Nour-ed-dîn s'éloigna en hâte (19).

Bientôt, Thierry, comte de Flandre, étant arrivé à Barut (Beyrouth) avec une armée assez nombreuse, le roi profita de ce renfort pour se rapprocher de la principauté d'Antioche, que Nour-ed-dîn venait d'envahir. Baudouin III et le comte vinrent camper à Rugia, où ils furent rejoints, au commencement d'octobre, par Renaud de Châtillon et Thoros, roi d'Arménie ; mais ils apprirent en même temps qu'une grave maladie venait de contraindre le prince d'Alep à lever le siège de Nepa (20).
On décida alors de se porter sur Scheïzar, dont les murs avaient été renversés par un tremblement de terre, survenu vers les derniers jours d'août et dans lequel avaient péri les princes Mounkidites de cette ville (21). Les Francs se rendirent sans peine maîtres de la ville basse, nommée Gistrum par les historiens latins et le Pont-des-Mounkidites par les chroniques arabes, qui fut mollement défendue par une troupe d'Ismaéliens, venus de Massiad ; ceux-ci se retirèrent alors dans le château que sa position élevée rendait encore susceptible d'une assez longue défense, malgré les dégâts causés par le tremblement de terre. On entreprit le siège de cette forteresse; mais, comme il était convenu avec le roi qu'elle appartiendrait au comte de Flandre, Renaud voulut exiger que ce prince se reconnût, par avance, vassal de la principauté d'Antioche. Cette prétention fut cause de violents débats qui amenèrent l'abandon du siège et l'échec final de l'entreprise (22).

Le roi Baudouin ayant épousé, au mois de septembre 1158 (23), la princesse Théodora, nièce de l'empereur Manuel, ce dernier jugea le moment opportun pour se venger de Renaud de Châtillon et, dans le courant de l'année suivante, il arriva en Cilicie avec une nombreuse armée.
Le prince d'Antioche, fort alarmé à cette nouvelle, chargea l'évêque de Laodicée (24) de négocier sa paix avec l'empereur qui le reçut à Mamistra où il vint lui prêter serment de foi et hommage pour la principauté. Manuel exigea, en même temps, qu'un patriarche grec fût installé à Antioche (25).

Pendant ce temps, le roi Baudouin, étant arrivé dans cette ville, fit annoncer sa visite à l'empereur, son oncle, qui le reçut avec de grands honneurs et le combla de riches présents (26); puis, tous se rendirent à Antioche, où Manuel Comnène fit son entrée solennelle et passa les fêtes de Pâques. Après s'y être reposé pendant quelque temps, l'empereur, accompagné de Renaud de Châtillon et des chevaliers de la principauté, se dirigea vers Alep, dont il se proposait de tenter la conquête. L'armée vint camper en un lieu que Guillaume de Tyr nomme Vadum Balani (23) et que je crois retrouver dans une dépression située sur la route de Djiser-esch-Schogr à Edlip, un peu à l'ouest de cette ville. C'est une plaine encaissée potant aujourd'hui le nom de Ouady Bala et qui, dans la carte de Rousseau, est appelée Belâa. L'empereur reçut là les envoyés de Nour-ed-dîn, qui, désespérant de résister aux forces réunies contre lui, sollicitait la paix, offrant de rendre 6,000 captifs chrétiens qui étaient entre ses mains et au nombre desquels se trouvaient Bertrand, fils naturel du comte de Saint-Gilles (28), fait prisonnier à Arimah en 1149, Bertrand de Blanchefort, grand-maître du Temple, tombé au pouvoir des Musulmans le 19 juin 1157, à la bataille du lac de Merom, ainsi que beaucoup de chevaliers et de feudataires des principautés franques de Syrie (29).

Renaud de Châtillon et la princesse Constance, son épouse, donnèrent, en septembre 1159, à l'Hôpital des bains voisins de la maison que l'ordre possédait à Laodicée (30). Au mois de mars 1160, Renaud confirma, comme prince d'Antioche, avec le consentement de la princesse Constance son épouse, la vente de deux gastines, faite à l'ordre du Temple par Renaud II, seigneur de Margat (31).
Le 21 novembre de la même année, Renaud fut fait prisonnier par l'émir Medj-ed-dîn-ibn-Daïé, gouverneur d'Alep pour Nour-ed-dîn, dans un lieu nommé Commi, situé entre Marès et Cresson (Kéçoun), au moment où le prince d'Antioche revenait d'une incursion sur les territoires jadis dépendants du du comté d'Édesse (32).
Cet événement termina le principat de Renaud de Châtillon à Antioche. Le roi Baudouin III vint aussitôt dans cette ville et pourvut à la défense de la principauté ; il fit régler le douaire de la princesse Constance et confia la baillie d'Antioche au patriarche Amalric (33).

Le 25 décembre de cette même année (1160), Manuel Comnène, empereur de Constantinople, épousa Marie d'Antioche, fille de la princesse Constance et de Raymond de Poitiers (34).
Le roi Baudouin, qui avait passé l'hiver à Antioche, tomba gravement malade après avoir pris des pilules préparées par Barac (35), médecin syrien du comte de Tripoli, et ne tarda pas à mourir à Barut ou Beyrouth, pendant qu'il faisait route vers à Jérusalem.
La princesse Constance vécut encore deux ans et mourut en 1163, laissant la principauté d'Antioche à Bohémond III, son fils.
1. Guillaume de Tyr, liv. XVII. chap, XXVI (p. 802).
2. Chron. de Matthieu d'Edesse (éd. Dulaurier, page 480, note), et Cinnamus, Epitome rerum ab Joanne et Manuele Comnenis gestarum, liv. III, chap. XIV; liv. IV, chap. XVII (éd. de Bonn, pp. 122, 178).
3. Guillaume de Tyr, liv. XVII, chap. XXVI (p. 802).
4. Font. rer. Aastr., tome, XII, pp. 133-135.
5. Cinnamus, liv. IV, chap. XVIII (ibid, pp. 181-182).
6. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. I, page 815.
7. G. Muller, Doc. Toscani, page 6.
8. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 92.
9. Il y a contradiction dans ce que cet auteur écrit, aux pages 796 et 802, relativement à Renaud de Châtillon et au siège d'Ascalon.
10. Chronologie de Michel le Grand, trad. V. Langlois, page 310. - Aboulfaradj, Chronologie syrienne (éd. de Leyde), pp. 318-319.
11. Historiens arabes, tome, IV, page 76.
12. Guillaume de Tyr, liv. XV, chap. X (p. 835).
13. Chron. de Michel le Grand, page 314. - Aboulfaradj, Chron. syr., page 353. - Kitab-er-Raudataïn (Historiens arabes, tome, IV, page 353).
14. Paoli, Codice dipomatic, tome, I, page 34.
15. Rohricht, Regesta regni Hierosol., page 81.
16. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. X (p. 835).
17. Nicétas, Vie de Manuel, liv. III, chap. III, et Cinnamus, Epitome rerum ab Joanne et Manuele Comnenis gestarum (éd. de Bonn, pp. 178-179 et 183).
18. Bar Hebraeus, Chron. syriac., (édt de Leyde, page 355). - Historiens arabes, t..IV, page 355, et Historiens arméniens, tome, I, p, 187, note.
19. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. XII (pp. 839-840).
20. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. XVII (p. 847).
21. H. Derenbourg-, Vie d'Ousâma, page 281.
22. Guillaume de Tyr, loc. cit. (p. 819).
23. Ibid., page 859.
24. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. XXIII (p. 860).
25. Cinnamus, Epistome rerum ab Joanne et Manuele Comnenis gestarum liv. IV, chap. XVIII (éd. de Bonn, pp. 181-183 et 186).
26. Ibid., page 863.
27. Ibid., page 864. - Voyez aussi Historiens arabes, tome, IV, page 105 et Historiens arméniens, tome, I, pp. 189-190.
28. Dom Vaissette, Historiens du, Languedoc, Ier éd., tome, II, pp. 451, 454. Historiens arabes, tome, II, Ier part., pp. 162-163 et ibid., tome, IV, page 105.
29. Historiens arabes, tome, II, page 162, et Cinnamus, Epitome rerum ab Joanne et Manuele Comnenis gestarum (éd. de Bonn, chap. xvm, page 188).
33. Revue de l'Orient latin, T. III, page 53, n° 57.
31. Paoli, Codice diplomatic, tome, I, page 206.
32. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. XLVIII (p. 869) ; Chron. de Grégoire-le-Prètre, éd. V. Langlois, page 198. Historiens arméniens, tome, I, page 198.
33. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. XXXI (p. 874).
34. Cinnamus, Epitome rerum ab Joanne et Manuele Comnenis gestarum liv. V, chap. IV (éd. de Bonn, pp. 210-211).
35. Guillaume de Tyr, liv. XVIII, chap. XXXIV (p. 889).

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Bohémond III, prince d'Antioche (1163-1201)

La princesse Constance s'étant mariée fort jeune, en 1136, à l'âge de neuf ou dix ans, on peut admettre que Bohémond, s'il fut l'aîné de ses enfants, serait né vers 1144 seulement. Il aurait donc eu environ vingt ans quand il arriva au pouvoir, à la suite de la mort de sa mère, survenue en 1163 (1).
Le premier acte connu de Bohémond III est une donation d'immeubles situés à Laodicée, faite, en 1163, par le nouveau prince d'Antioche à l'église Saint-André d'Amalfi (2).

Les débuts de son principat ne furent pas heureux. Nour-ed-Dîn, prince d'Alep, voulant effacer la honte de la défaite qu'il avait essuyée l'année précédente sous les murs du Krak, à la bataille de la Bochée, envahit, en juillet 1164 (3), la principauté d'Antioche et vint mettre le siège devant Harrenc, tandis que le roi Amaury était alors en Egypte avec les grands ordres militaires et la plupart des feudataires du royaume.
A la nouvelle de cette invasion, le comte de Tripoli et Constantin Caloman, duc de Mamistra et logothète du thème de Cilicie, où il gouvernait les villes possédées dans cette province par l'empire grec, amenèrent à Bohémond toutes les troupes qu'ils purent réunir (4). L'armée, du prince d'Antioche se dirigea donc vers Harrenc, que les Musulmans pressaient vivement. A son approche, Nour-ed-Dîn leva le siège et, simulant une retraite, réussit à attirer à sa suite l'armée chrétienne sur un terrain marécageux, situé entre Harrenc et Imma, où elle éprouva, le 10 août, une sanglante défaite. Le prince d'Antioche, le comte de Tripoli, Constantin Caloman, chef des troupes grecques, Joscelin le jeune, fils du dernier comte d'Édesse; Hugues de Lusignan, etc., furent faits prisonniers et conduits à Alep. Sur soixante Templiers de la commanderie d'Antioche, sept seulement échappèrent au désastre (5). Deux jours après, Nour-ed-Dîn se rendit maître de Harrenc (6).

Le roi Amaury revenant d'Égypte arrivait à Jérusalem quand il reçut la nouvelle de cet échec : il trouva dans, la ville sainte son beau-frère, le comte de Flandre, qui lui amenait d'Occident quelques renforts.
Ils s'empressèrent de se rendre à Antioche. Une trêve fut conclue avec le prince d'Alep, et l'empereur Manuel Comnène négocia avec Nour-ed-Dîn la rançon de son beau-frère, qu'il paya. Elle s'élevait à 100,000 dinars. Bohémond, dès qu'il fut délivré, se rendit à Constantinople près de l'impératrice Marie, sa soeur, qui le combla des plus riches présents (7).
C'est alors qu'à l'instigation de l'empereur son beau-frère, Bohémond ramena et installa à Antioche, Athanase II, patriarche grec titulaire de cette ville (8), qui, le jour de Noël 1160, avait béni le mariage de l'empereur Manuel avec Marie d'Antioche, soeur cadette de Bohémond (9).
A l'arrivée du prélat schismatigue, le patriarche latin d'Antioche, Arnalric, se retira au château de Cursat, mettant la ville en interdit (10). Cet état de choses se prolongea jusqu'en 1171 ; le 29 juin de cette année, se produisit un tremblement de terre, et le patriarche Athanase fut mortellement blessé par la chute d'une des voûtes de l'église Saint-Pierre, où il officiait au moment de la catastrophe (11).

Au mois de septembre 1166, Bohémond confirma une vente faite à l'hôpital par Pierre Gay, bourgeois d'Antioche (12).
En janvier 1167, il donna au même ordre l'abbaye de Rochefort, Levonia, Tala, le casal de Saint-Gilles et le toron de Boldo, Femie avec son lac et ses dépendances, Farmith, le casal de Pailes et le château de Lacoba (13).
Ce que nous savons de ces diverses localités permet de voir dans cet acte, comme dans celui de Baudouin, seigneur de Marésie, en 1163 (14) (donation de la Platte, à l'Hôpital), le commencement, dans la principauté d'Antioche, de la cession aux grands ordres militaires, des domaines les plus exposés aux attaques des Musulmans et dont la garde devenait trop onéreuse au prince ou aux grands feudataires.

En 1168, Bohémond accorda à Geoffroy Falsart, duc d'Antioche (15), la remise d'une partie de la redevance qu'il lui payait, ainsi qu'une gastine nommée Dendeman et les terres situées entre cette gastine et la route allant du Pont-de-Fer a Antioche.
Le 8 janvier de cette année, Bohémond III donna à l'Hôpital plusieurs terres et casaux situés dans la principauté d'Antioche (16).
Bohémond et la princesse Orgueilleuse, sa femme, concédèrent, en 1170, aux Pisans, une maison située à Laodicée et une autre à Antioche (17).

Le 8 janvier 1174, Bohémond, avec l'agrément de la même princesse, donna à Pierre de Melfa, vicomte d'Antioche, la part du moulin de Scomodar qu'il possédait par moitié avec les moines du couvent de Saint-Siméon, ainsi qu'une portion des vignes de Saranjac (18).
Au mois de février de l'année suivante, Bohémond et la princesse Orgueilleuse cédèrent à l'Hôpital, avec l'assentiment de leurs fils, divers biens situés dans le casal de Tricaria (19).

A la suite d'une tentative infructueuse sur la ville de Hamah, en 1177, le comte de Flandre et le comte de Tripoli vinrent à Antioche, puis allèrent avec Bohémond assiéger Harrenc. Comme l'hiver commençait, ils construisirent des baraquements et entourèrent leur camp de fossés, pour ne pas être inondés par l'eau des pluies. Guillaume de Tyr dit que le siège fut mollement conduit, que les chevaliers, vêtus à la longue de robes légères et les pieds nus à la manière des Orientaux, passaient le temps dans leurs pavillons à jouer aux tables et aux échecs et que, sans cesse, ils se rendaient en grand nombre à Antioche, dont ils n'étaient éloignés que de quelques heures de marche, pour y courir les bains, les tavernes et les mauvais lieux. Le comte de Flandre se décida à lever le siège au commencement de l'année 1178 (20).
Ibn el Athyr prétend que cette retraite fut déterminée par le paiement d'une grosse somme qui fut versée aux assiégeants par le prince Malek-es-Saleh (21).
Le 5 février de cette même année, Bohémond donna divers biens en fief à Joscelin de Courtenay, son homme lige, fils de Joscelin II, dernier comte d'Édesse (22).
Le 31 août 1178, Bohémond souscrivit la cession du casal de Bearida, faite à l'hôpital Saint-Jean par Renaud Mansoer, seigneur de Margat (23).

Au printemps de l'année 1179, Bohémond fit une incursion contre Scheïzar et s'empara de beaucoup de chevaux qui étaient au vert dans la vallée de l'Oronte (24).
Le 29 août suivant, il accorde à Gautier de Laitor une rente annuelle de 2,000 besants (25).
On peut dire que, de 1164 à 1180, Guillaume de Tyr est muet sur la principauté d'Antioche, mais à cette dernière date, il parle sommairement des démêlés de Bohémond et du patriarche Amalric, qu'il attribue aux mariages multiples du prince d'Antioche, mariages qui amenèrent, dit-il, son excommunication (26). Toutefois, il passe sous silence l'intronisation du patriarche grec Athanase, qui est cependant demeuré en possession du siège d'Antioche jusqu'à sa mort, survenue le 27 juin 1171.

Or, durant toute cette période, le roi Amaury forma, de concert avec Manuel Comnène, plusieurs entreprises sur l'Égypte, et une grande intimité semble avoir régné entre cet empereur et le roi de Jérusalem, qui, en 1171, se rendit en personne à Constantinople (27).
En 1168, Guillaume de Tyr avait été accrédité par le roi près de l'empereur, pour négocier un traité d'alliance (28) ; il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, chargé par Amaury d'écrire une chronique à peu près officielle, il ait passé sous silence des incidents désagréables pour les alliés du jour et ait grossi outre mesure l'importance des événements où Bohémond était seul en cause.
Il faut ajouter encore qu'à ce moment des négociations étaient engagées entre l'empereur Manuel et le pape Alexandre III pour arriver à l'union des deux Églises qui, si elle n'était pas officiellement proclamée, existait de fait dans une certaine mesure.
Il nous est resté un curieux monument de cet état de choses dans les mosaïques que faisaient exécuter alors, à frais communs, dans l'église de Bethléem, le roi Amaury et l'empereur (29). On y voit alterner les saints orientaux et occidentaux, et le choix des textes grecs et latins a été dicté par un esprit d'entente et de conciliation évident. La présence d'un patriarche grec à Antioche devait donc paraître, alors, moins extraordinaire qu'à toute autre époque.
Je serais bien tenté de croire que le conflit que vinrent pacifier, à Laodicée, le patriarche de Jérusalem et Renaud de Châtillon (30) dans les premiers mois de l'année 1181, remontait beaucoup plus haut ; Guillaume de Tyr aura pris occasion du divorce avec la princesse Orgueilleuse de Harrenc et du mariage de Bohémond avec Sibylle pour exposer sommairement une situation peu orthodoxe, sur laquelle, pour des raisons politiques, il ne tenait pas à donner de détails trop précis.
Il y,a même, en apparence du moins, une certaine contradiction entre la situation exposée par Guillaume de Tyr, donnant à entendre que Bohémond avait été excommunié, et ce qu'il écrit (p. 1062, à la date de 1180) du pèlerinage de Bohémond à Jérusalem et aux Lieux-Saints, où ce prince et le comte de Tripoli firent, dit-il, leurs oraisons.

A quelle date doit se placer la retraite de Renaud Mansoer au château de Margat (31) ? C'est un point historique dont la solution est encore impossible.
L'entrevue de Laodicée (32) paraît avoir eu pour but de régler la remise au patriarche d'Antioche de biens ecclésiastiques séquestrés par le prince; c'est du reste, ce que dit Guillaume de Tyr; quant à la question des mariages de Bohémond, elle fut, très probablement, laissée de côté. La conduite du patriarche Amalric en 1194, au moment du guet-à-pens de Gastin où Léon II fit Bohémond prisonnier, fut d'ailleurs correcte envers le prince qui, cependant, à cette époque, vivait avec Isabelle, sa quatrième femme.
Pour parler des divers mariages de Bohémond, j'adopterai l'ordre suivi par les Lignages et par Guillaume de Tyr. Il y a tout lieu de penser que ce fut sous l'influence de Manuel Comnène, son beau-frère, qu'il épousa, vers 1164, une princesse de la famille impériale, que les Lignages (33) nomment Irène et que Guillaume de Tyr appelle Théodora (34). Il paraît avoir répudié cette princesse dont il avait une fille, nommée Constance, à une date difficile à fixer, mais qui doit être assez voisine de l'année 1168. Il se maria alors avec une dame de la principauté d'Antioche, appelée Orgueilleuse, fille du seigneur de Harrenc (35). Ce seigneur devait être, alors, Guillaume Fresnel, issu de la famille normande de la Ferté-Fresnel (36). Ce mariage fut antérieur à l'année 1170, où nous voyons Orgueilleuse paraître à côté de Bohémond avec le titre de princesse d'Antioche (37).
De cette union, Bohémond eut deux fils : Raymond et Bohémond (38). Au moment de la cession de Margat aux Hospitaliers, en 1186, il est dit, dans l'acte où figurent ces deux jeunes gens, qu'ils sont déjà en âge de chevalerie (39). Il en faut donc conclure qu'ils durent naître entre les années 1169 et 1171.
Nous savons qu'avant 1183, Bohémond s'était déjà séparé de la dame de Harrenc et que cette princesse avait été remplacée par Sibylle, que nous voyons figurer comme princesse d'Antioche, au mois de mai de cette année, dans un acte par lequel son mari fonde, en faveur de l'abbaye du Mont Thabor, une rente annuelle établie sur les revenus de la pêcherie d'Antioche (40). Elle paraît avec ce titre jusque vers 1194 (41).
En janvier 1186 (42), Bohémond et Sibylle confirment la cession d'une rente de 200 besans faite à l'Hôpital par Thomas de Gabel [Zibel ?], fils de Robert Mansel.
De ce mariage, Bohémond eut une fille nommée Aalis. Nous ne savons rien de précis sur l'origine de la princesse Sibylle (43).
On peut seulement conclure du passage suivant, extrait du Kamel-Altevarykh (44) relatif à la prise du château de Burzaïh, au mois d'août 1188, qu'elle appartenait à une famille de l'aristocratie latine de la principauté et était belle-soeur du seigneur de Burzaïh (45).
« La femme du seigneur de Burzaïh était soeur de la femme de Bohémond, prince d'Antioche ; cette dernière dépêchait des messagers à Salah-ed-Dîn, lui offrait des présents et lui apprenait beaucoup de circonstances qu'il désirait savoir ; ce fut à cause d'elle qu'il relâcha cette famille. »

On est réduit à des conjectures sur la date du renvoi de la princesse Sibylle, toutefois cet événement se produisit postérieurement à l'année 1194 (46) et, très probablement, dans les premiers mois de 1195, à la suite de l'affaire de Gastin.
Schahab-ed-Dîn (47) accuse formellement la princesse Sibylle d'avoir espionné pour le compte de Salah-ed-Dîn, à qui elle était toute dévouée, dit-il, et qui la comblait des plus riches présents.
Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que ce fait ait déterminé la répudiation de la princesse Sibylle ?
En 1199, le pape Innocent III parle de la femme du prince d'Antioche et la nomme I[sabelle] (48). Nous savons par les Lignages qu'elle portait en effet ce nom et était cousine germaine de Béatrix de Diaspre. Elle faisait donc partie de la noblesse du royaume de Jérusalem ; Béatrix de Diaspre (49) était fille de Gautier Ledur, maréchal du royaume de Jérusalem entre les années 1185-1192 (50). Elle eut de son mariage avec X... de Aspre ou Diaspre une fille, Marguerite, qui épousa Philippe de Maugasteau (51).
Cette Isabelle était mariée, mais son mari, atteint de la lèpre, était renfermé à l'Hôpital des Mesiaux, ce qui, aux termes des Assises, était un des quatre cas de dissolution du mariage (52).
Bohémond III eut d'Isabelle deux fils : Guillaume, mort jeune, et Bohémond d'Antioche qui devint seigneur du Boutron (53).
La princesse Isabelle survécut à son mari, car on la voit, en décembre 1216, donner à l'Hôpital une rente de 20 besans d'Antioche à prendre sur les revenus du casal de Gedeïde (54).

En 1183, le prince d'Antioche et le comte de Tripoli amenèrent, sur la demande du roi, leurs contingents à l'armée royale, campée à Saphorie.
Le 1er février 1186, Bohémond souscrit, avec la princesse Sibylle, sa femme et ses fils, Amalric, patriarche d'Antioche, et plusieurs prélats et barons de la principauté, la cession de la forteresse de Margat, faite à l'hôpital de Saint-Jean, par Bertrand, fils de Renaud Mansoer, en raison, dit ; l'acte, des charges trop lourdes que cause à son possesseur actuel, qui ne saurait les supporter, le voisinage des Musulmans, et à cause de la grande importance qu'a ce château pour la défense des États chrétiens de Syrie (55).
Il est à remarquer que, dans cet acte, le patriarche Amalric figure à côté de la princesse Sibylle.
En 1186, Bohémond donna à l'église de Saint-Georges, près de Zibel, un casal nommé Herbin, ainsi que les pâturages qui en dépendaient (56).
La même année, Bohémond accueillit de son mieux Baudouin de Rame et les autres chevaliers qui refusaient de reconnaître Guy de Lusignan, comme roi de Jérusalem (57).
Cependant, au mois de juin 1187, il envoya à Guy de Lusignan son fils aîné, Raymond d'Antioche, avec soixante chevaliers de la principauté qui rejoignirent l'armée royale au camp de Saphorie, peu de jours avant la bataille de Hattin (58).
L'année suivante fut désastreuse pour la principauté d'Antioche, car, du 15 juillet au 27 septembre 1188, Salah-ed-Dîn lui enleva les villes et châteaux de Zibel, Laodicée, Sahioun, Schogr-Bekas, Jezraïn, El Aïdhoun, Belatonos, Burzaïh, le Sermin, Darbessac et Bagras. C'est alors que Bohémond, enfermé dans Antioche où il s'attendait à se voir assiégé d'un moment à l'autre, conclut avec Salah-ed-Dîn une trêve qui devait durer du 1er octobre 1188 à la fin de mai 1189. Il lui avait envoyé, pour solliciter cette convention, le frère de la princesse Sibylle sa femme (59).
Le prince d'Antioche paraît avoir fait une simple apparition au camp devant Acre, durant le siège de cette ville par Philippe-Auguste et Richard d'Angleterre (60).
Après la conclusion de la trêve, il eut à Beyrouth, le 20 octobre 1192 (61), une entrevue avec Salah-ed-Dîn, qui lui fit un brillant accueil; quatorze chevaliers de haut lignage qui l'accompagnaient, reçurent du sultan de magnifiques manteaux (62).
En 1193, Bohémond se déclare confrère de l'ordre des Hospitaliers et exprime la volonté d'être enterré dans leur maison, s'il ne l'est dans l'église Saint-Pierre, cathédrale d'Antioche (63).
Léon II, roi d'Arménie, qui convoitait la ville et la principauté d'Antioche, ayant attiré, l'année suivante, le prince Bohémond au château de Gastin (64) le fit traîtreusement prisonnier.
Le continuateur de Guillaume de Tyr dit que ce fut la princesse Sibylle, femme de Bohémond, qui avait organisé ce guet-à-pens avec, le roi d'Arménie, et il raconte en ces termes cet incident :
« Dedens ce que Buemont prince d'Antioche, ala veoir le roi de France et le rei d'Engleterre, qui estaient ses cosins, au siège devant Accre, Sebille, sa femme, qui estoit de mauvaise vie, s'acointa de Livon de la Montaigne, qui sires estoit d'Ermenie. Ele traita o lui coment il dust prendre son mari le devant dit prince. L'achoison por quei ele fist cest atrait si fu por ce que le prince avoit autre feme espousée et estoit povres et en detes, et que il l'avoit malement espousée (65) »
A la nouvelle de cet événement, le patriarche Amalric assembla les habitants dans la cathédrale de Saint-Pierre, et là, d'accord avec Barthélémy de Tirel, maréchal de la principauté, et Richer de Larminat, envoyés par le prince prisonnier pour remettre la ville aux Arméniens, il établit une commune qui fut le premier exemple d'une institution de cette nature en Syrie, où elles furent très rares, ayant chaque fois été établies pour résister à une invasion étrangère (66). Nous n'en connaissons que trois exemples :
En 1194, à Antioche, pour résister au roi d'Arménie ;
En 1234, à Acre, contre l'empereur Frédéric II ;
En 1288, à Tripoli, pour échapper aux prétentions contradictoires des héritiers de Bohémond VII.
Cette institution qui, une fois créée, se maintint dans chacune des dites villes, semble avoir compris un maire (major communis) assisté de jurés (jurati), qui étaient chargés de l'administration de la ville.
Le maire et les jurés convoquaient les habitants au son de la cloche de la commune, soit pour tenir assemblée, soit pour la défense de la ville, comme cela se fit, par exemple, en 1201 et en 1241 (67).
Le principe général de l'obligation du service militaire pour la défense de la cité était, je crois, établi d'une manière générale, et en Orient, comme en Occident, le rôle du maire dut revêtir parfois un caractère presque exclusivement militaire : c'est ce qui semblerait s'être produit en Syrie dans les cas qui nous occupent ici.
En février 1216 (68), on voit figurer, dans un acte, Acharie, tout à la fois comme sénéchal de la principauté et comme major communis (69).
Acharie (appelé par l'acte : « Amaury »), maire (70) de la ville d'Antioche, déclare avoir occupé la ville de Zibel donnée à l'Hôpital par le prince Raymond Rupin et en avoir fait remise à F. Joubert, châtelain de Margat (date probable : 1216) (71).
Au mois de mars 1219, Robert Mansel, connétable de la principauté, souscrit un acte du prince Raymond Rupin, tout à la fois comme connétable et comme major de la commune d'Antioche (72).
Nous savons également que Balian d'Ibelin fut le premier maire de la commune d'Acre en 1231 (73).
Enfin, Barthélémy de Giblet, maire et chévetain de la commune de Tripoli, mourut les armes à la main pour la défense de cette ville assiégée en 1288 (74).
Souvent, la commune était placée sub cathedra, c'est-à-dire sous la protection de l'évêque, et c'est le cas qui paraît à Antioche, en 1194, puisque nous voyons les habitants se réunir, dans la cathédrale de Saint-Pierre, à la voix du patriarche Amalric, pour procéder à l'établissement de la commune (75). D'ailleurs, l'influence exercée par Pierre d'Angoulême, patriarche latin d'Antioche, sur la commune de cette ville, au moment du soulèvement de 1208, dont il semble avoir été l'âme, corrobore encore cette opinion.

D'après la chronique d'Ernoul et de Bernard le Trésorier, Bohémond, comte de Tripoli, fils cadet de Bohémond III, sollicita alors le secours de Malek-ed-Daher, prince d'Alep, qui, par son intervention menaçante, empêcha le roi d'Arménie de s'emparer d'Antioche (76).
Le comte de Tripoli et le prince Raymond, son frère, recoururent, en même temps, à la médiation du comte Henri de Champagne (77), baile du royaume de Jérusalem, qui se rendit en 1195 en Arménie, où, par son influence, il amena Léon à rendre la liberté au prince d'Antioche (78). Cet incident se termina par le mariage de Raymond, fils aîné de Bohémond III, avec la nièce du roi d'Arménie, auquel le jeune prince prêta foi et hommage pour la principauté d'Antioche (79).
En 1197, Bohémond III céda au roi d'Arménie la partie de la principauté bordant le golfe d'Alexandrette et la limite des deux États fut alors fixée à la Portelle (80).
Le 15 juin 1199, il abandonna à l'Hôpital tous ses droits sur la ville de Maraclée (81).
Bohémond III mourut en 1201 (82). A cette époque, Raymond était mort en démence depuis un ou deux ans (1199-1200).
1. Constance avait vingt-deux ans en 1149 quand elle perdit son mari ; elle en avait eu quatre enfants et elle mourut en 1163 à l'âge de trente-six ans.
2. Ughelli, Ital. sacra, tome, VII, page 203.
3. Guillaume de Tyr, livre XIX, chap. IX (p. 895).
4. Constantin Caloman, surnommé Ducas, était bâtard de Caloman, roi de Hongrie, oncle de l'empereur Jean Comnène. Il était logothète de la Cilicie ; il assista en 1163 à la bataille de la Bochée, fut fait prisonnier en 1164 à celle de Imma et était encore chargé du gouvernement de la Cilicie en 1170.
5. Guillaume de Tyr, livre XIX, chap. IX (p. 897).
6. Historiens arabes, tome, II, page 223.
7. Guillaume de Tyr, livre XIX, chap. XI (p. 901).
8. Historiens arméniens, tome, I, page 360.
9. Le Quien, Oriens Christ., tome, II, col. 759.
10. Aboulfaradj, Chron. ecclesiasticon (éd. Abbeloos), tome, II, page 516.
11. Idid, Chron. syriac. (éd. de Leyde), pp. 361-371.
12. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 101.
13. Paoli, Codice diplomatic, tome, I, page 43. Je n'ai pu identifier ni les quatre premières ni les trois dernières de ces localités.
14. Ibid.,p. 41.
15. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 111.
16. Revue de l'Orient latin, tome, III, page 57, n° 90, Paoli, Codice diplomatic, tome, I, page 43. 17. G. Muller, Docum. Toscani, page 15.
18. Rey, Recherches, page 24.
19. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 121.
20. Guillaume de Tyr, livre XXII, chap. XIX (pp. 1036 et suivantes).
21. Reinaud, Extrait des historiens arabes, page 444.
22. Strehlke, Tab. ord. Teutonique. 10.
23. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 138.
24. Historiens arabes, tome, I, page 635.
25. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 143.
26. Guillaume de Tyr, livre XXII, chap. VII (p. 1073).
27. Guillaume de Tyr, livre XIX (pp. 891-939), et livre XX, chap. XXII (pp. 982 et suivantes)
28. Idid, livre XX, chap. IV, page 946.
29. Vogué, Les églises de Terre-Sainte, page 92.
30. Guillaume de Tyr, livre XXII, chap. vu (p. 1073).
31. Guillaume de Tyr, livre XXII, chap. vi (p. 1071).
32. Ibid., liv. XXII, chap. vu (p. 1073).
33. Assises, tome, II : Lignages, chap. V (p. 446).
34. Guillaume de Tyr, livre XXII, chap. V (p. 1069).
35. Ibid.
36. Historiens occidentaux, tome, V, page 94, note 1.
37. G. Muller, Doc. Toscani, page 15.
38. Assises, tome, II : Lignages, chap. V (p. 446).
39. Paoli, Codice diplomatic,'t. I, page 77.
40. Ibid., page 249; et Revue de l'Orient latin, tome, III, page 68, n° 153.
41. Cont. de Guillaume de Tyr, page 207 (variante).
42. Revue de l'Orient latin, tome, III, page 69, n° 160.
43. Guillaume de Tyr, livre XXII, chap. V (p. 1069).
44. Historiens arabes, tome, I, page 729.
45. Historiens arabes, tome, I, page 730.
46. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 207, variante.
47. Kitab-er-Raudataïn (Historiens arabes, tome, IV, pp. 373-374).
48. Baluze, Lettres d'Innocent III, tome, 1, page 506.
49. Assises, tome, II : Lignages, chap. v, page 446.
50. Strehlke, Tab. ord. Teutonique, page 66.
51. Assises, tome, II : Lignages, chap. XXXVI, page 469.
52. Assises, tome, II : Assises de la cour des bourgeois, chap. CLXXV, page 118.
53. Guillaume de Tyr, I. XXII, chap. XXIV (p. 1115).
54. Revue de l'Orient latin, tome, III, page 78, n° 214.
55. Paoli, Codice diplomatic, tome, I, page 77-81.
56. Revue de l'Orient lat., tome, III, page 69, n° 159.
57. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 33.
58. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 46.
59. Historiens arabes, tome, I, pp. 722, 727, 733, et tome, IV, page 380.
60. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 207.
61. Rey, Colonies franques, page 14.
62. Historiens arabes, tome, I, page 67.
63. Paoli, Codice diplomatic tome, I, page 86.
64. Le château de Gastin avait été enlevé aux Templiers par Saladin, le 26 septembre 1188. A la nouvelle de l'arrivée en Terre-Sainte des rois de France et d'Angleterre, les Musulmans l'ayant abandonné, Léon l'occupa et, malgré les réclamations du grand-maître du Temple, appuyées par le patriarche latin, le prince d'Antioche et la commune de cette ville, il s'obstina à la garder. Le pape Innocent III lui écrivit à ce sujet, le 15 décembre 1199 (Baluze, Lettres d'Innocent III, tome, I, page 510, et Potthast, Regesta, tome, I, page 88, n° 929), pour le sommer de rendre la forteresse aux chevaliers du Temple ; mais ce fut en vain. Telle fut l'origine de la querelle qui s'éleva alors entre l'ordre du Temple et le roi Léon II.
65. Continuateur de Guillaume de Tyr (p. 207, variante).
66. Continuateur de Guillaume de Tyr (p. 209).
67. Archives de l'Orient latin, tome, I, page 403; - Continuateur de Guillaume de Tyr, page 313.
68. V. Langlois, Cartulaire des rois d'Arménie, page 137.
69. Liber jurium, tome, I, page 577.
70. Archives des Bouches-du-Rhône, fonds de Malte H. : Inventaire des chartes de Syrie, n° 201.
71. Durant les débats qui s'élevèrent, de 1203 à 1220, entre Bohémond IV et Raymond Rupin relativement à la possession d'Antioche, les papes Innocent III et Honorius III (Potthast, Regesta, T. I, page 283, n° 3314 ; Pressuti, Reg. d'Honorius III, page 121, n° 693) écrivirent à plusieurs reprises au maior de la commune d'Antioche pour lui recommander de soutenir les droits de Rupin : dans ces lettres le prince Bohémond IV est toujours désigné par le pape sous le seul titre de comte de Tripoli.

72. Srehlke, Tab. ord. Teutonique, page 42.
73. Gestes des Chyprois, page 89.
74. Ibid., page 237.
75. Continuateur de Guillaume de Tyr (p. 209).
76. Éd. de Mas Latrie, page 322.
77. Continuateur de Guillaume de Tyr (p. 209).
78. Annales de Terre-Sainte (Archives de l'Orient latin, tome, II, page 43-1).
79. Du Cange-Rey, Familles d'Outremer, pp. 120 et 156.
80. Continuateur de Guillaume de Tyr (p. 215).
81. Revue de l'Orient latin, tome, III, page 73, n° 185.
82. Annales de Terre Sainte (Archives de l'Orient latin, tome, II, page 435).

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Bohémond IV, prince d'Antioche (1201-1233)

Bohémond IV, dit le Borgne, déjà comte de Tripoli depuis 1187, succéda à son père dans la principauté d'Antioche, en 1201, au détriment de son neveu Raymond Rupin et en dépit des protestations de Léon Ier, roi d'Arménie.
Du vivant même de Bohémond III, le 26 août 1199, on le voit prendre, dans une convention avec la ville de Pise, le double titre de prince d'Antioche et de comte de Tripoli (1).
A la nouvelle de la mort de son père, Bohémond arriva à Antioche le jour même de l'enterrement et fit aussitôt sonner la cloche de la commune pour assembler les chevaliers et les bourgeois ; il les requit alors de le reconnaître pour leur prince, ce qu'ils firent sur-le-champ (2).
Le 25 février 1202 (3) Bohémond IV confirma l'affranchissement de toutes les taxes du comté de Tripoli, accordé par Raymond III, son prédécesseur dans ce comté, aux vassaux syriens de l'Hôpital, dans l'étendue ou les dépendances du territoire du Krak des chevaliers.

Mécontent de n'avoir pu entraîner les Templiers dans sa querelle avec le prince d'Antioche, Léon s'empara de tous les biens de l'ordre en Arménie, puis, au mois de novembre 1203 (4), il tenta un coup de main contre la ville d'Antioche. Mais le prince avait confié la garde du château aux Templiers qui prirent une grande part à la défense de la ville. Après être demeuré quelques jours sous les murs de la place, le roi d'Arménie, apprenant que Malek-ed-Daher, prince d'Alep, dont Bohémond avait demandé le secours, était déjà arrivé à Harem, s'empressa de repasser l'Amanus (5).
D'après certains auteurs arméniens, le roi Léon aurait alors réussi à pénétrer dans la place et à s'y maintenir durant trois jours. Je crois qu'ils font ici une confusion avec la tentative faite par ce même prince, en 1207 ou 1208, pour se rendre maître d'Antioche et dans laquelle il parvint à occuper momentanément, une partie de la ville basse (6).
Le roi d'Arménie, pour se venger de cet échec, alla assaillir le château de la Roche de Russole, que l'ordre du Temple possédait dans la terre de Port-Bonnete, non loin d'Antioche(7).

Tout en étant en lutte avec le roi Léon pour la principauté d'Antioche, Bohémond eut encore à réprimer, en même temps, divers troubles dans le comté de Tripoli. En juillet 1205, il concéda à Henri Piscatore, comte de Malte, liberté commerciale absolue dans ses deux principautés en reconnaissance de l'appui que ce dernier lui avait prêté durant la lutte contre les seigneurs de Néphin et de Gibel-Akkar (8).
Au siège de Néphin, Bohémond fut atteint d'une flèche à l'oeil et c'est aux conséquences de cette blessure qu'il dut son surnom de Borgne.

Le pape Innocent III, connaissant l'influence et l'état d'esprit de la partie grecque de la population d'Antioche, qui appelait de tous ses voeux un patriarche de son rite, appuyait sous main les prétentions de Léon espérant ainsi l'attirer, plus sûrement, dans le giron de l'Église romaine. Aussi le roi d'Arménie ne cessait-il d'en appeler au jugement du Saint-Siège qu'il espérait devoir être favorable à ses prétentions sur Antioche. Le prince, se défiant du patriarche latin et des Hospitaliers qui, par antagonisme contre l'ordre du Temple, semblent avoir pris fait et cause pour le roi d'Arménie, et, se laissant influencer par les Grecs (9), autorisa en 1207 l'intronisation d'un patriarche grec (Siméon III, dit Julien (10), espérant ainsi se concilier les sympathies et le dévouement d'une partie notable de ses sujets des rites orientaux. Cette condescendance lui aliéna complètement le clergé latin, et le patriarche Pierre d'Angoulême le frappa d'excommunication.

Léon, toujours prêt à saisir toutes les occasions de faire valoir les droits de son neveu Raymond Rupin sur la ville et la principauté d'Antioche, profita des troubles causés par ces événements et tenta, avec le concours du patriarche latin et des Hospitaliers, une nouvelle entreprise; il réussit même, grâce à un soulèvement de la commune d'Antioche (11) (1207 ou 1208), provoqué par le patriarche Pierre d'Angoulême, à pénétrer dans la ville basse qu'il occupa jusqu'à l'église Saint-Pierre, pendant trois jours (12). Mais l'approche du prince d'Alep et une furieuse sortie des défenseurs du château et des chevaliers du Temple, conduits par Bohémond lui-même, le contraignirent à se retirer (13).
Bohémond traita sévèrement les partisans du roi d'Arménie (14) et fit emprisonner le patriarche latin et ses deux neveux qui semblaient avoir été les meneurs de cette affaire (15). Le 8 juillet, le patriarche mourut prisonnier au château d'Antioche (16).
Cet événement émut beaucoup le pape Innocent III, qui écrivit au prince, le 26 mai 1209 (17), le menaçant d'excommunication, s'il ne recevait pas le nouveau patriarche, successeur de Pierre d'Angoulême. Il lui demanda également de restituer au patriarcat le château de Cursat (Kossaïr), dont il avait pris possession à la suite de l'arrestation de Pierre d'Angoulême. Ce château et son territoire formaient l'apanage du patriarcat latin d'Antioche.
Les protestations du pape (18) donnent à penser que la présence du patriarche grec, Siméon III, se prolongea jusque vers 1214. Ce serait donc postérieurement à cette époque que Siméon aurait quitté Antioche pour se retirer à Nicée où il mourut. Le roi d'Arménie, ayant persisté dans son hostilité vis-à-vis de l'ordre du Temple, fut excommunié (19).

En 1211, Jean de Brienne (20), roi de Jérusalem, envoya aux Templiers un secours de cinquante chevaliers commandés par G. de Cafran et Aymond d'Ays, pour les aider à reprendre le château de Gastin, que leur avait enlevé le roi v Léon.
L'antagonisme existant entre les ordres du Temple et de l'Hôpital fut d'un grand secours au roi d'Arménie dans sa lutte avec le prince d'Antioche. Léon sut se concilier la bienveillance des Hospitaliers qui furent ses médiateurs près du Saint-Siège. En 1217, le pape Honorius III les invita même à soutenir les prétentions de Raymond Rupin (21).
En 1216, par suite des intelligences qu'il avait su nouer dans Antioche, grâce, je crois, à certains feudataires de cette principauté passés en Arménie, et profitant de l'absence de Bohémond retenu à Tripoli, le prince Rupin réussit, par « grands dons et promesses », à se faire livrer nuitamment les portes de la ville, par Acharie, sénéchal d'Antioche. Au point du jour, le roi d'Arménie et lui étaient maîtres de toute la ville basse (22).
Le patriarche Pierre II sacra alors, dans l'église Saint-Pierre, Raymond Rupin, prince d'Antioche. Le château résista d'abord, puis se rendit au bout de peu de jours (23).

Le 25 juillet 1217, le pape Honorius III recommanda aux Hospitaliers de Saint-Jean de soutenir la cause de Raymond Rupin, et, le 5 août suivant, il écrivait à ce prince pour lui annoncer qu'il le prenait lui, sa famille et sa principauté, sous la protection du Saint-Siège (24).
Rupin ne conserva Antioche que pendant moins de quatre ans. Les exigences des Arméniens de son entourage ainsi que son incapacité ne tardèrent pas à lui aliéner la population, et, malgré l'appui du clergé latin et de l'ordre de l'Hôpital, à qui il avait remis la garde du château d'Antioche (25), les partisans de Bohémond IV réussirent à amener un soulèvement qui coïncida avec l'arrivée de ce prince devant Antioche, et la ville lui ouvrit ses portes. Rupin se réfugia au château, dont la garde avait été confiée aux Hospitaliers par Pélage Galvano, évêque d'Albano et légat du Saint-Siège (26); mais bientôt, laissant cette forteresse à frère Ferrand de Barras, commandeur de l'Hôpital et châtelain de Selefké, il gagna l'Arménie à la faveur de la nuit (27).
Assiégé par Bohémond, Ferrand de Barras ne tarda pas a lui remettre la forteresse; mais la conséquence du rôle joué par l'Hôpital dans cette affaire fut une haine terrible vouée par le prince Bohémond IV à l'ordre, dont il séquestra les biens dans la principauté d'Antioche, tant ceux qui lui avaient été donnés par Raymond Rupin que ceux que les Hospitaliers y possédaient depuis de longues années. Le conflit se prolongea jusqu'en 1230 et amena l'excommunication du prince d'Antioche, sur laquelle je reviendrai plus loin (28).

En 1217, Bohémond prit part à la croisade d'André II, roi de Hongrie (29); puis, l'année suivante, il épousa en secondes noces Melisende, fille d'Amauri, roi de Chypre et de Jérusalem (30).
Le 18 décembre 1225, le pape Honorius III autorisa le grand-maître de l'Hôpital à repousser par la force les attaques de Bohémond, que le pontife désigne sous le titre de comte de Tripoli (31).
En janvier 1227, Bohémond donna à l'Ordre teutonique un moulin situé à Antioche, et, au mois de juin de l'année suivante, il concéda encore à la même maison une rente annuelle de 100 besants sur l'assise de la Fonde d'Acre (32).
En 1229, Bohémond se rendit en Chypre, près de l'empereur Frédéric II ; mais, dès qu'il vit que ce dernier exigeait qu'il lui fît hommage pour la principauté d'Antioche et le comté de Tripoli, il s'empressa de regagner la Syrie et évita de se mêler aux événements qui se déroulèrent dans ce pays les années suivantes.

Le 11 juillet 1230 (33), Gérold de Lausanne, patriarche de Jérusalem, fit connaître au clergé d'Antioche et de Tripoli, la bulle d'excommunication lancée le 5 mars précédant (34) par le pape Grégoire IV contre Bohémond comme spoliateur des biens de l'Hôpital. Mais le patriarche de Jérusalem, qui sentait combien toutes ces querelles nuisaient à la cause des principautés chrétiennes de Syrie, s'employa à amener un accommodement entre les deux partis. Grâce à sa médiation, un accord fut conclu à Acre, le 27 octobre 1231, entre Guarin, grand-maître de l'Hôpital, et Bohémond (35).
Par cette convention, l'ordre s'engageait à restituer toutes les donations qui lui avaient été faites dans la principauté d'Antioche par Raymond Rupin, en ne conservant que la ville de Zibel et le château de la Veille ou de la Garde. Par contre, le prince accordait à l'Hôpital une rente perpétuelle de 360 besants à prendre sur les revenus du comté de Tripoli et une autre de 873 sur ceux de la principauté d'Antioche.
Le même jour (36), Bohémond confirma à l'Hôpital la possession de la gastine de Cellorie.
Le 10 avril 1233, le pape leva l'excommunication fulminée contre Bohémond IV et ratifia l'accord conclu avec les Hospitaliers par ce prince, qui mourut la même année (37).
Bohémond IV avait été marié deux fois :
Une fois Avec Plaisance, fille de Hugues de Gibelet;
Une autre fois avec Melisende, fille d'Amauri, roi de Chypre.
Du premier mariage il eut quatre fils :
Raymond, qui fut tué par les Bathéniens ;
Bohémond V, prince d'Antioche ;
Philippe, qui, marié à Élisabelh d'Arménie, fut assassiné en 1224;
Henri, qui se noya le 27 juin 1263 ;
Et deux filles, Orgueilleuse et Marie.
1. G. Muller, Doc. toscani, page 79.
2. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 313.
3. Revue de l'Orient latin, tome, III, page 71, n° 193.
4. L. Alishan, Léon le Magnifique, page 232. - Roinaud, Extraits des Historiens arabes, page 766.
5. Historiens arabes, tome, I, page 82.
6. L. Alishan, Léon le Magnifique, page 232; - Reinaud. Extraits des Historiens arabes, page 706 7. L. Alishan, Léon le Magnifique, page 235.
8. Liber Jurium (Historia Patriae monumenta, tome, I, page 522).
9. L. Alishan, Léon le Magnifique, page 240.
10. Le Quien, Oriens christ., tome, III, col. 1159, et tome, II, col. 735; et Baluze, Lettres d'Innocent III, tome, II, pp. 104-105.
11. Archives de l'Orient latin, tome, II, 2° part., page 496; et Amadi (éd. de Mas Latrie, pp. 96-97).
12. Marino Sanuto, Sécréta fidelium crucis, liv. III, 2e part., chap. III. 13. Archives de l'Orient latin, tome, II, 2° partie, page 436; - Acta sanctorum, des Bollandistes, tome, IV de juillet, page 140.
14. Nous trouvons, dans les chartes du royaume d'Arménie, les noms d'un certain nombre de familles de la principauté d'Antioche, qui paraissent être passées en Arménie vers le commencement du XIIIe siècle, et parmi lesquelles figurent les du Sermin, de l'Isle, de la Tour, le Jaune, de Mamendon, de Villebrun, etc. Ne serait-ce pas la tentative du roi Léon et son insuccès qui auraient été la cause de cette émigration des partisans qu'il avait dans Antioche (cf. Historiens arménienne, tome, I, page 639.
15. Gestes des Chyprois, page 17.
16. Le 4 mars 1209, le pape charge le patriarche de Jérusalem de menacer d'excommunication le Major et la commune d'Antioche, si le patriarche schismatique n'est pas exclu sur-le-champ (Baluze, Lettres d'Innocent III, tome, 11, page 142). L'intronisation d'un patriarche grec semble devoir être considérée comme une conséquence de la demande d'appui que Bohémond IV, inquiet de l'intérêt pris par le clergé latin aux prétentions du roi d'Arménie sur Antioche, adressa à Théodore Lascaris, empereur de Constantinople, qui s'était empressé de lui confirmer la principauté d'Antioche (Baluze, Lettres d'Innocent III, tome, II, pp. 738-739). Ce fait ne nous est connu que par une lettre adressée en mars 1213, par le pape Innocent III, à Albert, patriarche de Jérusalem et légat au saint Siège. Dans cette épître comme dans les autres lettres relatives à ces affaires, le pape, dont toutes les sympathies sont acquises à Rupin, affecte toujours de ne donner à Bohémond que le titre de comte de Tripoli.
17. Baluze, Lettres d'Innocent III, tome, II, page 322; Potthast, Regesta, tome, I. page 322, n° 3728.
18. Le Quien, Oriens christ., tome, II, col. 62. - Baluze, Lettres d'Innocent ITT. tome, II, page 142.
19. Baluze, tome, II, pp. 534-535.
20. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 317.
21. Pressuti, Reg. d'Honorius III, t.1, pp. 174 et s., n° 641, 612, 676, 682,693.
22. Gestes des Chyprois, page 19; - Historiens arméniens, tome, I, page 643.
23. Historiens arméniens, tome, I, page 643.
24. Pressuti, Reg. d'Honorius III, pp. 118 et 123, nos 676 et 707.
25. En effet, dès cette époque, les Hospitaliers occupaient le château.
26. Delaville Le Roulx, Cartulaire général de l'Hôpital, tome, II, pp. 349 et 350.
27. Gestes des Chyprois, page 20; - Continuateur de Guillaume de Tyr, page 318.
28. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 167.
29. Continuateur de Guillaume deTyr, page 305.
30. Du Cange-Rey, Familles d'Outremer, page 204.
31. Delaville Le Roulx, Cartulaire général de l'Hôpital, tome, II, page 343, n° 1824.
32. Strehlke, Tab. ord. Teutonique, pp. 51-53.
33. Delaville Le Roulx, Arch. de Malte, page 167.
34. Delaville Le Roulx, Cartulaire général de l'Hôpital, tome, II, page 404, n° 1955.
35. Delaville Le Roulx, Cartulaire général de l'Hôpital, tome, II. page 427, n° 2000. et Paoli, Codice diplomatic, tome, I, pp. 122-123.
36. Delaville Le Roulx, Archives. de Malte, page 169.
37. Delaville Le Roulx, Cartulaire général de l'Hôpital, tome, II, page 452, n° 2048; - Annales de Terre-Sainte (Archives de l'Orient latin, tome, II, page 439).
37. Du Cange-Rey, Familles d'Outremer, page 205.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Raymond Rupin, prince d'Antioche (1216-1219)

L'affaire du château de Gastin ou Gaston s'était dénouée en 1195 par le mariage de Raymond, fils aîné de Bohémond III, avec Alix, fille de Roupen III, frère de Léon II, roi d'Arménie. Ce mariage ne fut point heureux. Raymond mourut fou en 1199-1200, laissant sa femme grosse d'un fils qui naquit peu après la mort de son père et fut nommé Raymond Rupin (1).
Le roi Léon fut le tuteur du jeune prince et ne cessa de faire valoir les droits de son pupille à la principauté d'Antioche ; mais la jeunesse du fils de Raymond aurait donné pour longtemps la régence d'Antioche au roi d'Arménie, dont les visées ambitieuses firent craindre aux habitants de cette ville qu'il ne profitât de cette circonstance pour annexer la principauté au royaume d'Arménie, et, à la mort de Bohémond III, la commune d'Antioche remit le pouvoir à Bohémond IV, son fils cadet, alors comte de Tripoli, qui, par ce fait, réunit dans ses mains les deux principautés (2). Il s'en suivit, entre lui et le roi Léon, un état de guerre, qui s'étant prolongé pendant tout son règne et celui de son fils, le prince Bohémond V, ne prit fin qu'en 1251, par la médiation de saint Louis, roi de France, et le mariage de Bohémond VI avec Sibylle, fille du roi Héthoum.
Le 11 novembre 1203 (3), le roi d'Arménie parut sous les murs d'Antioche, mais l'approche de Malek ed Daher, prince d'Alep, l'obligea à renoncer à son entreprise (4).
Jean de Nesle et ses croisés flamands accompagnèrent Léon dans cette campagne; leurs bannières furent vues par les défenseurs des murs de la ville, et ce fait souleva un blâme général parmi les Latins (5).
Raymond Rupin prenait le titre de prince d'Antioche et toutes les chartes délivrées en son nom pendant sa minorité le sont avec cette désignation. Bien que mineur, il donna à l'Hôpital, le 22 mai 1207 (6), la ville de Zibel avec toutes ses dépendances. Il renouvela cette donation en 1210 en y joignant, cette fois, le château de la Vaille (7).

Les agissements de la population grecque et l'installation d'un patriarche de ce rite ayant amené des troubles graves à Antioche, le roi d'Arménie réussit, en 1207 (8), avec la connivence de Pierre d'Angoulëme, patriarche latin d'Antioche, à pénétrer dans la ville qu'il occupa en partie et où il se maintint pendant trois jours. Mais le prince Bohémond, retiré au château avec les chevaliers du Temple, fit une impétueuse sortie qui coïncida avec l'arrivée des troupes musulmanes d'Alep envoyées à son secours par le prince Malek ed Daher, et le roi Léon dut se retirer en toute hâte (9).

La conquête de la plus grande partie de la principauté d'Antioche par les Musulmans et l'abandon fait à l'Arménie, par Bohémond III, en 1195, de toute la région sise au nord de la Portelle (10), paraissent avoir amené les princes d'Antioche à résider plus habituellement, à partir du commencement du XIIIe siècle, dans leur principauté de Tripoli.
La population d'Antioche qui, malgré l'occupation franque, était en grande majorité demeurée grecque, avait de profondes sympathies pour l'Église byzantine et c'est ce qui explique comment, à plusieurs reprises, les princes latins permirent l'installation de patriarches de ce rite. Ce fait leur aliéna la papauté et le clergé latin, qui redoutaient la prépondérance des églises orientales. Aussi le roi Léon Ier, qui venait d'entrer dans la communion romaine, profita-t-il habilement de cet état, de choses pour se poser en défenseur de l'Église latine dans la principauté, et sut-il gagner ainsi les légats pontificaux à la cause de Raymond Rupin.
Les donations faites par ce dernier à l'Hôpital (14), comme prince d'Antioche, alors qu'il n'était, point en possession de la principauté, étaient un moyen de se concilier cet ordre puissant qui paraît s'être fait l'avocat de Rupin auprès des papes alarmés de l'intronisation d'un patriarche schismatique à Antioche.
Néanmoins, le pape était inquiet des conséquences que cet état de choses pouvait entraîner pour les colonies franques de Syrie, et, le 4 juin 1210 (15), il écrivit au roi Léon afin de l'inviter à proposer à Bohémond de recourir à l'arbritrage du Saint-Siège. Innocent III, demandait dans sa lettre, qu'en attendant que le litige relatif à la possession de la principauté fût tranché, la ville et le château d'Antioche fussent remis à Pierre [Pierre II de Locedio], patriarche d'Antioche, et que, durant ce temps, les ordres du Temple et de l'Hôpital se chargeassent de la défense de la forteresse. Le roi Léon s'étant empressé d'adhérer à cette proposition, Innocent III désigna, le 20 août 1211, l'évêque de Crémone pour juger le différend; mais Bohémond paraît avoir repoussé cette solution, et l'affaire demeura pendante (16).

Au commencement de l'année 1216, profitant de l'absence de Bohémond, retenu à Tripoli, Raymond Rupin et le roi d'Arménie réussirent, grâce à la connivence d'Acharie (17), sénéchal d'Antioche, à se faire ouvrir nuitamment la porte dite de Saint-Paul et à occuper la ville, sans coup férir (18).
Le patriarche latin, Pierre II de Locedio, sacra en grande pompe, dans la basilique de Saint-Pierre (19), Raymond Rupin, prince d'Antioche.
L'appui de certains feudataires de la principauté chassés en Arménie semble avoir beaucoup aidé au succès de cette entreprise (20).
Dans une lettre pontificale du 25 juillet 1217 (21), le pape Honorius III recommande instamment aux Hospitaliers de Saint-Jean de soutenir les droits du prince Raymond qui, à peine maître de la ville, leur avait confié la garde du château.
Le même jour, ce pontife écrivit au roi Léon pour l'engager à choisir Raymond Rupin, prince d'Antioche, comme son successeur à la couronne d'Arménie (22).
Le 27 (23), du même mois, il s'adressa au légat Pélage pour lui recommander de soutenir le prince d'Antioche à cause de son dévouement au Saint-Siège, lui annonçant, en même temps, qu'il prenait Raymond Rupin, son épouse et leur fille sous la protection de Rome et l'inviter à veiller, en sa qualité de légat, a ce qu'aucune entreprise ne fût formée contre eux. Le 29 (24), il écrivit aussi au maire et à la commune d'Antioche pour leur ordonner de soutenir, au nom du Saint-Siège, les droits du prince Raymond; et enfin, le 5 août (25), il s'adressa au prince lui-même, pour lui annoncer qu'il lui avait accordé, ainsi qu'à sa principauté, la protection du Saint-Siège.
Au mois de février de cette même année, Raymond Rupin avait confirmé les privilèges des Génois dans la principauté (26).

A en juger par les noms des barons de la principauté d'Antioche qui, le 31 mars 1216 (27), peu de jours après la prise de la ville par Raymond, souscrivirent les premiers actes de ce prince, il est facile de voir que la noblesse latine s'était en grande partie ralliée à lui, car on y voit figurer les de l'Isle, de Hazart, le Jaune, de Laitor, de Mamendon, des Monts, de Malebrun, etc., et Acharie, sénéchal d'Antioche, qui lui avait ouvert les portes de la ville, était fils de Gervais, dernier seigneur latin du Sermin et sénéchal d'Antioche.
Nous savons, d'ailleurs, qu'un certain nombre de chevaliers de la principauté d'Antioche étaient allés se fixer en Arménie vers 1208 (28).
Une fois maître d'Antioche, Raymond fut d'une noire ingratitude envers son oncle, le roi Léon, et le contraignit à s'éloigner. Peut-être aussi doit-on voir dans ce fait une sorte de satisfaction donnée à la partie fort nombreuse de la population qui appréhendait de voir l'influence arménienne régner sans conteste dans la principauté et amener un jour son absorption par cet état (29).

C'est à l'année 1210 que doit être fixé le mariage de Raymond avec Helvis, fille d'Amaury, roi de Chypre, qu'il enleva à Eudes de Dampierre (30) et qu'il épousa contre les canons de l'Église ; mais, ce fait ne paraît point avoir alors soulevé, bien sérieusement, contre lui les censures ecclésiastiques (31).
De ce mariage, naquirent deux filles : Eschive, morte jeune, et Marie, dame du Toron, qui épousa Philippe de Montfort, seigneur de Tyr (32).

Au mois de mars 1219, Raymond accorda franchise de tous droits dans sa principauté aux chevaliers de l'ordre Teutonique (33).
Cette même année, l'arrogance des Arméniens de la cour de Raymond ainsi que l'incapacité de ce dernier ayant soulevé le mécontentement des habitants d'Antioche, Guillaume de Farabel, de la famille des seigneurs du Puy, avertit Bohémond, tout en lui préparant les voies avec ses partisans (34). Bohémond parut donc, tout à coup, dans Antioche, où il fut acclamé par la population (35).
A la suite de la mort du roi Léon Ier (1220), Raymond Rupin (36), déçu dans ses espérances sur la succession de cet oncle, résolut de faire valoir par la force ses droits sur l'Arménie, et il se rendit maître de la ville de Tarse; mais le baron Constantin, baile du royaume d'Arménie, ayant repris cette ville, fit enfermer Rupin dans un château du Taurus, où il mourut l'année suivante (37). Le 9 juillet 1221, le pape Honorius III écrivait au légat Pélage qu'il paraissait certain, d'après les bruits répandus en Syrie, que Raymond Rupin était mort prisonnier des Arméniens. Il l'engageait donc, en présence des périls menaçant Antioche et dans la crainte de voir cette ville tomber au pouvoir des Musulmans, d'agir avec les plus grands ménagements vis-à-vis du prince Bohémond IV. Il est à remarquer que le pontife désigne encore dans cette épître Bohémond sous le seul titre de comte de Tripolis (38).
1. Continuateur de Guillaume de Tyr, pp. 212-213.
2. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 313.
3. L. Alishan, Léon le Magnifique, page 221.
4. Historiens arabes, tome, 1, page 82.
5. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 257.
6. Paoli, Codice diplomatic, tome, I, page 95, et Vici. Langlois, Cartulaire des rois d'Arménie, pp. 130-137.
7. Paoli. Codice diplomatic, tome, I, page 99.
11. Rohricht; Regesta regni Hierosol., page 218, note.
12. Marino Sanuto, Secret, fidei. Crucis, liv. III, 2e part., chap. III. - L'opuscule intitulé Gesta Innocenta III, qui se trouve au commencement du tome I des lettres de ce pape, publiées par Baluze, est attribué par cet érudit à un contemporain d'Innocent. Ce document pourra être consulté utilement par ceux qui s'intéressent aux événements dont nous nous occupons.
On voit que l'auteur des Gesta a mis en oeuvre les rapports des légats du Saint-Siège en Terre-Sainte et en Arménie, ainsi que les lettres du roi Léon Ier. Les paragraphes 110 à 119 de ce récit exposent la question au point de vue du pape et de l'Eglise romaine. A la page 75, la relation de l'attaque dirigée contre Antioche, en 1207, par le roi d'Arménie, a été écrite d'après une lettre de ce prince, où il raconte, à sa manière, l'épisode de la sortie à la suite de laquelle le prince Bohémond IV et les Templiers parvinrent à repousser les troupes arméniennes, qui avaient pénétré dans Antioche. 13. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 215.
14. V. Langlois, Cartulaire des rois d'Arménie, page 130; Paoli, Codice diplomatic, tome, 1, pp. 95-99.
15. Baluze, Lettres d'Innocent III, tome, II, page 326.
16. Ibid., pp. 470-471.
17. Gestes des Chyprois, page 19.
18. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 318.
19. Rohricht, Regesta regni Hierosol., page 219 et notes.
20. Cf. ci-dessus : principat de Bohémond IV.
21. Pressuti, Reg. d'Honorius III, tome, I, page 118, n° 676.
22. Pressuti, Reg., d'Honorius III. tome, I. page 118. n° 677.
23. Ibid., page 119, n° 682.
24. Ibid., page 121, n° 693.
25. Ibid., page 123, n° 707.
26. Liber Jurium, tome, I, page 577: - Vict. Langlois, Cartulaire des rois d'Arménie, page 136.

27. Victor Langlois, Cartulaire des rois d'Arménie, pp. 135-136. L'acte est daté du 31 mars 1215, qui doit être ramené à 1216 n. s., car il me paraît difficile d'admettre la date de 1215, pour cet acte, qui a certainement été rédigé à Antioche, puisque au premier rang des témoins on voit figurer Pierre II, patriarche latin de cette ville, et l'évèque de Valenie, dont la présence en Arménie ne pourrait pas s'expliquer. - Les Gestes des Chyprois donnent (p. 19) la date de 1216 pour la prise d'Antioche par Raymond Rupin.
28. Historiens arméniens, tome, I, page 639.
29. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 347.
30. Mas Latrie, Histoire de Chypre, tome, I, page 167.
31. Helvis était de beaucoup l'ainée de son mari. Elle était née du premier mariage de son père, le roi Amauri, avec Eschive d'Ibelin, et épousa Raymond Rupin, antérieurement au mois de septembre 1210 (Revue de l'Orient latin, tome, III, page 76, n° 202). Le pape Innocent III chargea, le 24 septembre 1211, Pierre II, patriarche d'Antioche, de juger cet incident conjugal (Potthast, tome, I, page 371, n° 4307). Bréquigny (Lettres d'Innocent III, page 466) donne la date du 7 des kalendes d'octobre à la lettre par laquelle le pape charge le patriarche d'Antioche d'informer sur cet incident, Helvis ayant été enlevée à Eudes de Dampierre après la consommation du mariage. Baluze donne la même lettre, tome, II, page 555, avec la date du 8 des kalendes. Le clergé latin se montra plus qu'indulgent au sujet de ce mariage : on sent que la papauté voulait ménager le roi d'Arménie, qui doit être considéré comme le véritable auteur de l'enlèvement; car, si la date de 1199, donnée par les éditeurs du continuateur de Guillaume de Tyr (p. 46, note ; cf. page 213) pour la naissance de Raymond Rupin est exacte, ce dernier n'était âgé que de onze à douze ans en 1210 au moment de l'enlèvement et du mariage.

32. Du Cange-Rey, Familles d'Outremer, page 203.
33. Strehlke, Tab. ord. Teutonique, page 41.
34. Gestes des Chyprois, pp. 20 et 28, et Continuateur de Guillaume de Tyr, page 318.
35. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 347. Nous avons dit ci-dessus (p. 390), ce que fit Raymond Rupin à la suite de sa dépossession.
36. Gestes des Chyprois, page 28.
37. Gestes des Chyprois, page 29. - Le continuateur de Guillaume de Tyr (p. 347), attribue cet événement à la lâcheté d'Aymar de Layron, neveu du seigneur de Césarée, qui, envoyé de Damiette, par le légat, au secours du prince Raymond Rupin, s'arrêta en Chypre au lieu de passer en Arménie et de contraindre le baile Constantin à lever le siège de Tarse.
38. Pressuti, Reg. d'Honorius III, tome, I, n° 3495.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Bohémond V, prince d'Antioche (1233-1251)

Bohémond V, fils de Bohémond IV et de Plaisance de Giblet, succéda à son père en 1233. Il avait épousé, en 1222, la reine Alix, veuve de Hugues, roi de Chypre. Ce mariage, décidé à Tortose, fut célébré dans l'île de Saint-Thomas, devant Tripoli (1).
Dès son arrivée au pouvoir, au mois de mars 1233, il confirma (2) les privilèges accordés aux Pisans par le prince Raymond III. Il fut dans un état de guerre constant avec l'Arménie, jusqu'en 1250, date à laquelle ce différend prit fin, à la suite de l'intervention de saint Louis, roi de France.

Le mariage de Bohémond avec la reine Alix paraît avoir été annulé dès l'année 1227 (3). En 1235, Bohémond épousa, en secondes noces, Lucie, fille du comte Paul Ier de Segni, fils du comte Richard, duc de Sora, frère d'Innocent III (4). Ce mariage fut, par la suite, une cause de troubles dans le comté de Tripoli. Paul II, des comtes de Segni, frère de la princesse Lucie, étant devenu évêque de cette ville, y prit une influence qui ne tarda pas à porter ombrage aux feudataires de la principauté.
En 1236, les troupes du soudan d'Alep, sous les ordres de El-Melek-el-Mohaddem Touran Schah, se portèrent sur la forteresse de Bagras, que les Templiers venaient de relever ; mais le prince d'Antioche, qui était en paix avec le prince d'Alep, s'entremit, et le siège fut levé (5).
D'après Amadi, les Templiers auraient essuyé, l'année suivante, un sanglant échec non loin de ce même château (6).

Le 11 février 1238, le pape Grégoire IX désigna le patriarche de Jérusalem, l'archevêque de Tyr et l'évêque de Barut pour trancher le différend qui s'était élevé entre le prince d'Antioche et l'Hôpital, relativement à la possession du château de Maraclée (7).
En 1242, à la suite de l'évacuation de Tyr, Lother, frère du maréchal R. Filangieri, chef des troupes impériales, se retira à Antioche, où Bohémond lui fit contracter un riche mariage, et il vécut dans cette ville jusqu'à sa mort (8).
C'est vers cette époque que David, patriarche grec titulaire d'Antioche, étant rentré dans le giron de l'Église catholique, fut autorisé, avec le consentement du pape, à s'installer à Antioche, où il prit bientôt une grande situation qui amoindrit beaucoup celle du patriarche latin.

Bohémond, qui fut très absorbé, par les difficultés que lui créèrent, dans le comté de Tripoli, ses différends avec les seigneurs de Giblet, semble avoir assez rarement résidé à Antioche. Fixé à Tripoli, il paraît avoir été dominé par sa femme qui fit donner l'évêché de cette ville à son frère, Paul II, comte de Segni, et appela près d'elle plusieurs membres de sa famille. Il se forma, alors, à Tripoli, un parti italien qui fit beaucoup de tort aux feudataires de la principauté.
Pendant ce temps, Antioche était gouvernée par un baile, représentant le prince, et par la commune (9).
Bohémond mourut en 1251 (10).
Il laissait deux enfants de son mariage avec la princesse Lucie : un fils, qui fut Bohémond VI, et une fille, nommée Plaisance, successivement mariée à Henri de Lusignan, roi de Chypre, puis, après la mort de ce dernier, à Balian d'Ibelin d'Arsur (11).
1. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 403.
2. G. Millier, Doc. Tose; page 99.
3. L. Auvray, Reg. de Grégoire IX, page 7, n° 10.
4. Historiens arméniens, tome, II, page 748.
5. Reinaud, Extraits des historiens arabes des croisades, pp. 351-352.
6. Amadi (éd. de Mas Latrie, page 185).
7. Delaville Le Roulx, Cartulaire général de l'Hôpital, tome, II, page 522, n° 2181.
8. Gestes des Chypriotes, page 136.
9. Paoli, Codice diplomatic, tome, I, pp. 262-263.
10. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 40.
11. Du Cange-Rey, Familles d'Outremer, page 206.

Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

Bohémond VI, prince d'Antioche (1251-1268)

Bohémond VI, fils de Bohémond V et de la princesse Lucie, nièce du pape Innocent III, naquit en 1237 et devint, en 1251, par la mort de son père, prince d'Antioche et comte de Tripoli, sous la tutelle de sa mère (1). L'année suivante, la princesse et son fils étant allés voir le roi de France saint Louis, qui se trouvait alors à Jaffa, ce dernier conféra la chevalerie au jeune prince d'Antioche, qui venait d'atteindre sa quatorzième année, et l'autorisa, en souvenir de ce fait, à écarteler les armes d'Antioche de celles de France (2).

Au mois de mai 1252, les troupes du prince d'Alep campées à Scheïzar avaient envahi le comté de Tripoli, brûlé de nombreux casaux voisins du Krak des Chevaliers et enlevé quatre mille prisonniers (3).
Le jeune prince pria le roi (4) de demander à sa mère de l'émanciper, afin de pouvoir secourir la ville d'Antioche, que la princesse Lucie avait complètement abandonnée pour se fixer à Tripoli, laissant ainsi la principauté livrée aux tiraillements incessants qui régnaient entre la population grecque et les latins d'Antioche. Ces derniers étaient gouvernés, en l'absence du prince, par un baile (5) et par la commune (6); mais celle-ci, placée sous l'autorité du patriarche latin, dont l'importance avait bien diminué depuis que le patriarche grec, étant entré en union avec Rome, résidait à Antioche, celle-ci, disons-nous, était assez mal vue de la population indigène, qui préférait de beaucoup le prélat oriental, dont l'influence n'avait par tardé à devenir prépondérante. Aussi, le patriarche latin, trouvant sa situation trop amoindrie, avait-il quitté la ville pour se rendre en Occident, et se faisait-il remplacer par un vicaire (7).
L'absence du prince et du patriarche laissant donc le champ libre aux intrigues des divers rites orientaux, en lutte sourde contre l'élément latin, Antioche courait grand risque de tomber au pouvoir des Musulmans. Aussi, le roi de France s'empressa-t-il de satisfaire à la demande du jeune prince, et Bohémond se rendit sans retard à Antioche, qu'il mit en état de défense (8).
Il paraît s'être opéré, à cette occasion, un grand rapprochement entre le jeune Bohémond et Héthoum Ier, roi d'Arménie, dont Bohémond épousa la fille Sibylle, en 1254; ces deux princes, sentaient la nécessité d'oublier les querelles qui s'étaient élevées entre leurs prédécesseurs pour s'unir afin de résister aux attaques, chaque jour plus redoutables, des sultans Mamelouks d'Égypte.
Comme son père, Bohémond semble avoir eu de graves démêlés avec les Hospitaliers de Saint-Jean, et un premier accord fut conclu, en avril 1256, entre l'Ordre et ce prince (10).

En 1258, se trouvant a Acre au moment des troubles qui s'élevèrent dans cette ville, Bohémond fut amené, pour son malheur, à prendre parti contre les Génois. Alors, à l'instigation de ces derniers, les seigneurs de Giblet et du Boutron se révoltèrent contre lui et vinrent attaquer Tripoli. Dans une sortie, le comte fut grièvement blessé d'un coup de lance par Bertrand de Giblet et souffrit longtemps de cette blessure (11).
Le roi d'Arménie Héthoum Ier s'empressa d'intervenir et rétablit, en 1259, la paix entre son gendre et les vassaux de ce prince, ainsi qu'avec l'ordre de l'Hôpital, et un nouvel accord fut conclu cette même année (12).

En 1260, Bohémond et son beau-père accompagnèrent Houlangou, khan des Tartares, dans son expédition en Syrie ; ils assistèrent à la prise de Damas, et le prince d'Antioche fit alors purifier la grande mosquée de Saint-Jean qui servit à l'exercice du culte latin pendant l'occupation de cette ville par les Tartares et leurs alliés. Les autres mosquées furent transformées en écuries, ce qui causa aux Musulmans une indicible fureur et fut l'origine de la haine personnelle de Malek-ed-Daher Bibars contre le prince d'Antioche (13).
La victoire remportée sur les Tartares, non loin de Tibériade, le 3 septembre de la même année, par l'armée égyptienne, commandée par l'émir Bibars, détermina la retraite de ceux-ci, et Bibars, revenu en Égypte, ayant tué le sultan, fut proclamé à sa place, par ses compagnons d'armes, sous le nom de Malek-ed-Daher Bibars Bondoukdary (14).

Le roi Héthoum Ier semble avoir exercé une très grande influence sur son gendre, et il en profita pour, amener l'éloignement d'Euthyme, patriarche gréco-syrien d'Antioche. Ce prélat paraît avoir été ramené, dans cette ville, par les Tartares, de 1259 à 1260. Mais, après la retraite de ces derniers, de graves différends s'élevèrent de nouveau entre Euthyme et le roi d'Arménie, qui, vers 1263, contraignit le patriarche à abandonner son siège et à se retirer à Constantinople (15).

En 1262, un nouvel accord conclu avec Hugues de Revel, grand-maître de l'Hôpital, régla que tout différend qui s'élèverait désormais entre le prince d'Antioche et l'ordre, serait tranché par arbitrage (16).

Au mois de juillet de cette même année, le nouveau sultan d'Égypte, Bibars, résolut d'inaugurer son règne en se rendant maître d'Antioche (17) pour se venger de l'appui que le prince avait prêté aux Tartares, ainsi que de l'occupation de Damas; mais, au moment où il parut sous les murs de cette ville, l'approche des forces combinées du roi d'Arménie et des Tartares le contraignit à se retirer (18).
L'année suivante (19), les troupes musulmanes de Syrie, sous les ordres de l'émir Hassan-ed-Dîn Aïntabi, se portèrent sur la Cilicie et firent éprouver un échec au roi Héthoum Ier qui, à la tête des troupes arméniennes et tartares, avait envahi le territoire d'Aïntab.
En 1264, une armée tartare assiégea Bir, et l'émir Djemal-ed-Dîn Nadjybi, lieutenant de Bibars en Syrie, envoyé au secours de cette place, vit le siège de cette ville-levé à son approche (20).
Pendant ce temps, le roi Héthoum se rendait à Antioche, sous prétexte de pèlerinage et assurait la défense de la ville en cas d'attaque des Musulmans, puis il s'avança jusqu'à Cerep, Maarat-Meserin et Sermin, et revint chargé de butin (22).

L'année 1265 fut marquée par une tentative infructueuse de Bohémond sur Émèse (La Chamelle). Une invasion des troupes de Bibars contre l'Arménie fut repoussée (23).
L'année suivante, Héthoum envoya des secours a Antioche, menacée par les Musulmans, tandis que lui-même se rendait maître des villes de Marasch et de Behesné; mais, apprenant que des forces égyptiennes considérables se réunissaient en Syrie pour l'attaquer, il demanda le secours des Tartares. Le sultan, mettant à profit l'éloignement de ces derniers, envoya, au mois de mai, Malek Mansour, prince de Hamah, l'un de ses lieutenants, en Syrie, contre le comté de Tripoli qu'il ravagea; puis, ayant mis ainsi le prince Bohémond dans l'impossibilité de prendre part à la guerre, il se dirigea vers la Cilicie où, le 18 août de la même année (24), il remporta sur l'armée arménienne la victoire de Derbent-Mery. Le prince Thoros, fils cadet du roi Héthoum, ainsi que le connétable d'Arménie, frère du roi, y perdirent la vie (25), et Léon, prince royal d'Arménie, fut fait prisonnier. Ce désastre ouvrit à l'ennemi les portes de la Cilicie. Le prince de Hamah, poursuivant les débris de l'armée vaincue, prit le château d'Amouda (26), possession de l'ordre Teutonique, puis s'empara de Sîs, capitale du royaume, qu'il incendia pendant que l'émir Kelaoun se dirigeait sur Missis, Adana, Tarse et L'Aïas, portant partout le pillage et l'incendie.

Le connétable d'Antioche, avec un contingent de troupes de cette principauté, aurait, au dire de l'historien arabe Ibn Ferat, partagé a Derbent-Mery, la défaite des Arméniens (27), mais ce point est encore assez obscur.
Vers le même temps, des ambassadeurs du roi de Géorgie, envoyés à Bibars, ayant fait naufrage, non loin de Tripoli, Bohémond les fit prisonniers et les livra à Houlangou, khan des Tartares, qui les fit mettre à mort (28).
Ce dernier événement porta a son comble l'irritation du sultan contre le prince d'Antioche et il résolut de saisir la première occasion de s'emparer de cette ville.

Au mois d'avril 1268, à la suite de la prise de Beaufort, dont il s'était emparé le 15 de ce mois, Bibars, après avoir simulé une attaque contre Tripoli pour donner le change au prince, divisa son armée en trois corps : il dirigea le premier sur le Soudin (Souedieh) dont il s'empara ; le second sur Bagras et se rendit de sa personne, avec le troisième, à Apamée (29).
Pendant qu'il marchait sur cette ville, le sultan rencontra le commandeur de Tortose et le châtelain de Safita (Chastel-Blanc), qui lui remirent trois cents prisonniers musulmans (30). Le sultan traversa pacifiquement leur territoire et arriva à Apamée, d'où il partit le 9 mai (31); le 14, les trois corps se trouvèrent réunis sous les murs d'Antioche (32).
Simon Mansel, connétable de la principauté, tenta une sortie pour combattre les Musulmans ; mais ses troupes essuyèrent un échec et lui-même fut fait prisonnier par l'émir Schems-ed-Dîn et amené devant le sultan. Ce dernier l'engagea à rentrer dans la ville pour décider les habitants à se rendre sans s'exposer à une prise d'assaut (33). Ayant donc laissé son fils en otage au sultan, le connétable rentra dans Antioche (34).
Simon était fils de Robert Mansel (35), ancien connétable de la principauté et très proche parent de Sempad, connétable d'Arménie. Certains auteurs orientaux ont même voulu en faire un oncle de Léon III, roi d'Arménie, dont, suivant Ibn Ferat, il aurait partagé, deux ans auparavant, la défaite, à la journée de Derbent-Mery (36).
Après trois jours passés en allées et venues et en négociations infructueuses, le sultan commença l'attaque, et ses soldats ayant, le 19 mai, escaladé les murs du côté de la montagne, près du château, pénétrèrent dans la partie haute de la ville

Le roi Héthoum qui, pendant ce temps, négociait avec le sultan la délivrance de son fils et qui avait, à cet effet, des envoyés à Damas, ne put secourir Antioche.
Plusieurs religieux de l'ordre des frères Prêcheurs, entre autres le frère Buoninsegna (40), périrent à la suite de la prise de la ville. Le patriarche latin, ou plutôt son vicaire nommé Guillaume (41), obtint l'autorisation de se retirer à Cursat et paraît avoir conservé cette place jusqu'en 1274.
A l'approche de l'armée musulmane, frère Guiraud de Sauzet (42), commandeur du Temple en la terre d'Antioche, s'était rendu au château de Gastin, puis il se retira à celui de La Roche de Russole ; mais ces forteresses ne tardèrent pas à être abandonnées aux Musulmans.
Le sultan rendit la liberté au connétable Simon Mansel qui se retira à Sîs, près du roi d'Arménie (43).

A partir de cette date la principauté d'Antioche cessa d'exister autrement que d'une façon nominale, et le prince Bohémond, réduit au comté de Tripoli, mourut le 11 mai 1275, ne laissant qu'un fils, Bohémond VII, mort lui-même sans postérité en 1287.
De son mariage avec Sibylle d'Arménie, Bohémond VI eut encore trois filles : Isabelle, morte sans avoir été mariée ; Marie, gui épousa Nicolas de Saint-Bertin, et Lucie, femme de Narjot de Toucy, seigneur de la Terza. Cette dernière eut un fils, Hugues, qui, du chef de sa mère, prit le titre de prince d'Antioche; mais il parait être mort sans postérité.
Dans le cours du XIVe siècle, le titre de prince d'Antioche fut relevé par la famille royale de Chypre et porté, à partir de 1340, par plusieurs membres de celte famille (44).
1. Gestes des Chypriotes, page 202.
2. Continuateur de Guillaume de Tyr, page 440.
3. Delaville Le Roulx, Cartulaire général de l'Hôpital, tome, II, page 727.
4. Joinville (éd. de Wailly, publiée pour la Société de l'Histoire de France, page 187).
5. Nous savons qu'en mai 1263, ce poste était occupé par Jean d'Angeville (Paoli, Codice diplomatic, 6. I, page 262).
7. Potthast, Regesta, tome, I, page 283.
8. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 230.
9. Joinville (éd. de Wailly, page 187).
10. Paoli, Codice. diplomatic, tome, I, pp. 153-154.
11. Gestes des Chypriotes, page 158.
12. Delaville Le Roulx, Archives de Malte, page 19G.
13. Gestes des Chypriotes, page 161.
14. Ibid., pp. 165 et suivantes.
15. Le Quien, Oriens christ, tome, II, col. 764.
16. Paoli, Codice diplomatic, 1.1, page 262.
18. L. Alishan, Léon le Magnifique, page 365.
19. Amadi (éd. de Mas Latrie, page 206).
20. Sonali, dans Reinaud, Extraits des historiens arabes, page 669.
21. Ibid., page 670.
22. L. Alishan, Léon le Magnifique, page 366.
23. Schafi, dans Reinaud, Extraits des historiens arabes, page 673; - Historiens arabes, tome, II, première partie, page 223.
24. Amadi (éd. de Mas Latrie, page 208).
25. Historiens Arméniens, tome, II, page 13.
26. Voyez V. Langlois, Cartulaire, des rois d'Arménie, pp. 117-120, et Reinaud, Extraits de Makrizi, page 7-13.
27. Reinaud, Extraits d'Ibn Ferat, page 789.
28. Ibid., page 677.
29. Reinaud, Extraits de la vie de Bibars, pp. 677-678, et Extraits de Makrizi, page 748.
30. Ibid., page 747.
31. Historiens arabes, tome, I, page 152.
32. Ibid. — En 1268, quand l'armée égyptienne vint assiéger Antioche, la principauté était réduite aux environs immédiats de la ville, c'est-à-dire au Soudin ou port Saint-Siméon, situé à l'embouchure de l'Oronte, aux bourgades fortifiées de Deir-Kousch, Keferdïn, Kefer-Tell-Mesch et Cursat ou Kossaïr, au sud-est d'Antioche ; cette dernière place formait l'apanage du patriarche latin. Les Templiers occupaient les châteaux de Gastin, de Bagras et de la Roche de Russole, ainsi que la terre du port Bonnel (Borounli), qui en dépendait ; mais ces diverses places paraissent avoir été laissées par eux dans un état d'abandon à peu près complet et n'avoir opposé presque aucune résistance aux Musulmans qu'ils envahirent bientôt de tous les côtés (37). Pendant deux jours, Antioche fut livrée au pillage, et les chroniqueurs estiment à 17,000 le nombre des morts et à 100,000 celui des prisonniers faits par les Musulmans. Huit mille personnes avaient trouvé un refuge dans le château (38); mais elles durent, presque aussitôt, se rendre à merci et vinrent grossir le nombre des prisonniers. Bibars fit alors incendier le château (39). L'abbaye de Saint-Paul, la basilique de Saint-Pierre et les autres églises furent démolies et on en tira une énorme quantité de bronze, de fer et de plomb; enfin, la ville elle-même fut livrée aux flammes et complètement ruinée.
33. Ibn Ferat, dans Reinaud, Extraits des historiens arabes, page 789; et Historiens arabes, tome, II, première partie, p. 231
34. Historiens arabes, tome, II, première partie, page 229.
35. L. Alishan, Assises d'Antioche, page 1.
36. Ibn Ferat, loc. cit., page 789.
37. Reinaud, Extraits de Makrizi, page 748.
38. Id., Extraits d'Ibn Ferat, page 790.
39. Id., Extraits de Makrizi, page 749; et Historiens arabes, tome, II, première partie, page 231.
40. Fineschi, Necrologium, page 38.
41. Reinaud, Extraits des historiens arabes, pp. 681-684.
42. Bulletin de la Société de l'histoire de France, 1889, pp. 208-209.
43. Historiens arabes, tome, II, première partie, page 233.
44. Voyez Du Cange-Rey, Familles d'outremer, pp. 211-213 : Les princes titulaires d'Antioche.


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Sources : E. REY. Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, pages 321 à 409. Revue de l'Orient Latin, tome IV, Paris 1896.

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