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Le Krac des Chevaliers - Préface

Introduction

Il est des pays prédestinés à voir se développer l'art de la fortification. Ce sont ceux qui, armés d'un réseau montagneux, ont le privilège de constituer un nœud important de routes commerciales. La Syrie présente ces caractéristiques ; aussi, de bonne heure, se couvrit-elle de citadelles dressées sur un éperon du terrain — ce que les Arabes appellent un ras, c'est-à-dire un « cap », — au voisinage immédiat d'un point d'eau.

Le deuxième millénaire avant notre ère connut en Syrie un développement remarquable de la fortification : puissantes murailles percées de portes solidement défendues. On s'explique, quand on considère l'enceinte de Megiddo, les difficultés que Thoutmès III éprouva à s'en rendre maître : il n'en vint à bout que par un long siège. Plus tard, Ramsès II ne put s'emparer de Qadesh sur l'Oronte. Les armées assyriennes elles-mêmes, si fortement constituées et munies de lourds béliers, durent souvent revenir à la charge pour réduire successivement toutes les villes fortifiées du pays. La reddition d'une capitale comme Arpad, exigea trois campagnes de Tiglatphalasar III, et sa chute se répercuta jusque dans l'Ancien Testament tant elle impressionna les contemporains.

Les grands empires orientaux, Assyriens, Néobabyloniens et Perses, ne songeant qu'à opprimer les indigènes, tendirent à démanteler les forteresses syriennes ; mais les Grecs, les Romains et les Byzantins les rétablirent, en accord avec la population locale, et même les développèrent, tant pour jalonner les routes de pénétration et de commerce, que pour flanquer la frontière de solides défenses. Les Croisés éprouvèrent à leur tour la même nécessité et d'une façon plus pressante encore car, n'ayant pu se maintenir sur l'Euphrate, frontière naturelle, ils se replièrent assez vite derrière l'Oronte.

Des recherches de M. Paul Deschamps, il résulte que l'art byzantin de la fortification est à la base du développement des architectures militaires franque et musulmane. Les traditions des tailleurs de pierre syriens ont certainement fourni aussi leur contribution, car on mettra difficilement au compte du hasard le fait que, précisément dans la région d'Apamée (Fémie) et plus au nord, on trouve dès le VIe siècle de notre ère, l'usage de l'échauguette en pierre. D'ailleurs, nombre de forteresses franques réutilisaient d'anciennes places fortes locales et ce n'étaient pas les moins importantes puisqu'on compte parmi elles Saône, le Crac des Chevaliers et Kerak de Moab.

Toutefois, les Croisés avaient eux aussi des traditions d'art militaire et la preuve en est fournie, comme le signale M. Paul Deschamps, par les châteaux-forts qu'ils élevèrent aux premiers temps de l'occupation, lors du siège de certaines villes de la côte : Tripoli, Tyr et Ascalon. Et quelle que soit la part accordée à l'enseignement byzantin et syrien, on ne peut manquer d'être frappé de la richesse d'invention des architectes francs. L'uniformité qui règle le plan des forteresses byzantines indique que les ingénieurs grecs possédaient et suivaient une doctrine très ferme. Tout au contraire, les constructeurs médiévaux venus d'Occident utilisent des dispositions très variées. Cela incite à penser qu'ils ne se sont guère penchés sur les traités techniques de leurs émules byzantins.

Quoi de plus original que le formidable donjon de Tortose plongeant dans la mer — la mer d'où l'on attendait perpétuellement le secours — et protégé par trois enceintes ? Au Crac, c'est bien autre chose : le donjon classique est remplacé par un système de trois tours puissantes, qui renforcent la défense sur la ligne la plus exposée par la nature du terrain. L'étude de M. Deschamps met à chaque page en évidence l'esprit inventif des architectes francs, leur ingéniosité à ménager aux occupants les ressources nécessaires à un long siège, et leur préoccupation constante de perfectionner la fortification pour maintenir le système défensif à la hauteur des progrès de l'armement musulman. Malgré tout, ce dernier l'emporta grâce aux puissantes machines de guerre de Beibars et de Qelaoun.

Chassés de Syrie, les constructeurs francs refluèrent sur Chypre et même revinrent en Occident. M. Deschamps explique par-là les progrès qui, à la fin du XIIIe siècle, marquent en France l'art de la fortification. Ces quelques observations indiquent l'ampleur du sujet traité.

Quel était l'état de nos connaissances en la matière avant que M. Deschamps se mît à l'œuvre ? Le premier explorateur qui ait méthodiquement relevé les restes de l'architecture militaire des Croisés est Guillaume Rey, dit plus tard le baron Rey. Il ne lui a pas été rendu suffisante justice puisqu'il ne doit d'avoir bénéficié d'une notice sur sa vie et ses travaux qu'au hasard qui mit M. Henry Bordeaux (1) en présence de son œuvre si méritante. Cependant, durant plus d'un demi-siècle les historiens des croisades, à l'étranger comme en France, ont utilisé les relevés que Guillaume Rey a établis par ses propres moyens, dès 1859. Sa vue cavalière du Crac des Chevaliers était même tombée dans le domaine public au point qu'on la reproduisait sans citer l'auteur.
1. Voyageurs d'Orient, Paris, 2 volumes, 1926; Guillaume Rey, tome I, pages 77-100.

Evidemment, ces monuments méritaient qu'on en reprit l'étude. Le voyage de Max van Berchem, en 1895, à la recherche des inscriptions arabes, avait montré que tout l'historique en était à établir. Aussi, dès l'institution du mandat français en Syrie, le Général Gouraud, Haut-Commissaire, chargea le regretté Camille Enlart de relever à nouveau et d'étudier les monuments que les Croisés avaient laissés en Syrie. De la façon la plus méritoire, Enlart s'acquitta de cette tâche en ce qui concerne les églises médiévales ; mais l'état de sa santé ne lui permit pas d'aborder l'étude des forteresses. Dans son Avant-propos, M. Deschamps retrace la scène, émouvante dans sa simplicité, où, à la veille de sa mort, le maître confie à son disciple la mission de continuer son œuvre.

Secrétaire de l'Ecole des Chartes et professeur-adjoint à cette école de 1921 à 1927, M. Deschamps fut chargé de plusieurs suppléances. Jusque dans ses recherches épigraphiques, il prit la sculpture romane pour objet de ses travaux. En étudiant la renaissance de la sculpture à la fin du xie siècle dans le Bulletin Monumental de 1925, il a suprésenter la question des origines sous un jour nouveau. On n'a d'ailleurs pas oublié la brillante controverse qu'il soutint pour maintenir les théories d'André Michel et de Lasteyrie sur l'expansion de l'art français au moyen âge. Le savant espagnol Gomez Moreno vient de se rallier à la date préconisée par M. Paul Deschamps pour les sculptures du cloître de Silos.

A la disparition de Camille Enlart, le distingué secrétaire de l'Ecole des Chartes fut nommé conservateur du Musée de sculpture comparée du Trocadéro (1927) et bientôt il fut investi par l'Académie des Inscriptions et le Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts de deux missions successives pour aller étudier sur place les forteresses des Croisés. Dans l'hiver 1927-1928 il fut assisté de deux collaborateurs aussi habiles que dévoués, M. l'architecte Anus qui, depuis, a réussi de beaux travaux de consolidation en Syrie, et M. le capitaine (aujourd'hui commandant) Fr. Lamblin, de l'armée du Levant. La seconde mission réunit encore, en 1929, MM. Paul Deschamps et Fr. Anus.

Le premier volume, sorti de cette collaboration et éclairé par les relevés et les croquis de M. Anus, est consacré à la description et à l'étude du Crac des Chevaliers, place forte qui commandait le défilé réunissant la plaine de Homs (la Chamelle) au rivage de Tripoli de Syrie. Un premier chapitre groupe les éléments d'information fournis par les chroniques franques et arabes. Dans le deuxième chapitre, la description et l'examen archéologique sont fondés sur un déblaiement judicieux, sinon complet, qui a amené d'importantes découvertes. C'est ainsi qu'il a été établi que la primitive forteresse franque (1110-1142) fut doublée par les Hospitaliers d'un puissant revêtement dans lequel les tours rondes s'enchâssent avec précision.

Le chapitre suivant renferme des remarques originales dont l'intérêt n'échappera pas aux archéologues et dont ils pourront tirer parti dans leurs travaux futurs. Clermont-Ganneau avait signalé ce qu'il appelait la « taille des Croisés ». En examinant attentivement l'appareil des châteaux francs, M. Deschamps a développé le critérium en distinguant deux espèces de bossages d'époques différentes et, entre les deux, le bel appareil à pierres lisses qui semble apparaître à la fin du XIIe siècle. L'examen minutieux des outils employés et des tailles différentes qui en résultent, fournit un argument nouveau pour distinguer les campagnes successives de construction des forteresses franques et aussi pour différencier l'œuvre franque de l'œuvre arabe. Il serait intéressant d'étendre l'enquête aux monuments de cette époque qui subsistent en France.

La carte en quatre couleurs a été établie avec le plus grand soin. M. Deschamps a révisé toutes les identifications proposées avant lui et il y a apporté des améliorations sensibles. Il suffira de citer l'identification d'Ahamant non plus avec Maan (sud-sud-est de la mer Morte), mais avec Amman (nord-est de la dite mer) actuellement capitale du royaume de Transjordanie ; la position d'el-Habis a été fixée à l'est du lac de Tibériade. Le savant auteur a montré que le comté d'Edesse s'était étendu plus à l'est qu'on ne le pensait jusqu'ici et il a localisé près de Mardin et de Ras el-Aïn, les châteaux francs de Tell Gouren, Tell Mouzen et el-Koradi.

Dans l'album établi avec goût on prendra une connaissance exacte de tous les aspects de ce chef-d'œuvre de l'art militaire franc qu'est le Crac. Les plans en couleurs, établis par M. Anus, sont d'une lisibilité parfaite et ses dessins d'une élégante précision. Les photographies d'avion, prises par le 39e régiment d'aviation, remplacent utilement les vues cavalières d'antan. Les photographies d'ensemble ou de détail, dont nombre sont dues au capitaine Lamblin, sont nouvelles et témoignent de l'importance des dégagements accomplis par la mission. A la simple vue de ces documents graphiques on comprend que, maîtres du Crac des Chevaliers, les Hospitaliers aient exercé une véritable suzeraineté sur les Etats musulmans limitrophes, comme l'atteste le cartulaire publié par Delaville Le Roux, qu'ils purent infliger une défaite sévère à Noureddin (1163) et que Saladin, même après l'effondrement du royaume de Jérusalem, évita de se mesurer avec la redoutable forteresse (1188).

En savant médiéviste et en historien averti, M. Paul Deschamps ne s'est pas contenté de retracer l'histoire du Crac et d'en fournir une description précise, il s'est proposé, dans une large Introduction, de dresser un tableau des principautés franques de Terre Sainte et de l'organisation défensive de tout le territoire occupé. Il ordonne ainsi le grand système stratégique grâce auquel les Croisés ont pu maintenir leur colonie dans la prospérité durant le XIIe siècle et la plus grande partie du XIIIe. Cette page d'histoire militaire n'avait pas encore été écrite avec une connaissance aussi profonde des textes, des monuments et du terrain. Elle laisse loin derrière elle les essais qui l'ont précédée et qui, généralement, ont été esquissés dans une ignorance totale du pays.

Cette Introduction servira également à éclairer le tome II qui décrira d'autres prodigieuses constructions, comme l'immense Saône, le fier Margat et le redoutable Kerak de Moab, sans compter Soubeibé, près des sources du Jourdain, Beaufort perché comme un nid d'aigle, d'autres encore. Ainsi, M. Paul Deschamps, qui réunit, à un rare degré, les qualités qu'on exige aujourd'hui de l'historien et de l'archéologue, aura achevé de nous donner, sur les châteaux-forts de Terre-Sainte, l'ouvrage capital qui manquait et qui ne sera plus à refaire.

René DUSSAUD, Membre de l'Institut.

Avant-Propos

L'Histoire des Croisades et de l'occupation des pays du Levant par des populations latines pendant plusieurs siècles du moyen âge, a été l'objet d'ouvrages considérables au cours du XIXe siècle. Depuis l'historien Michaud, une pléiade de savants ont étudié les divers aspects de cette histoire, les uns l'examinant du point de vue politique, social ou économique, d'autres se consacrant à des recherches plus spéciales telles que l'architecture, l'épigraphie, la sigillographie, la toponomastique.

Un élément de travail essentiel pour ces chercheurs se réalisait depuis 1841, grâce à l'initiative de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres qui constituait une vaste collection, le Recueil des Historiens des Croisades, dont le but était de réunir toutes les chroniques, latines et françaises, arméniennes, grecques et arabes ayant trait à quelque phase des Croisades. En 1875, un savant éminent, le comte Riant, fondait la Société de l'Orient latin qui se proposait de compléter l'oeuvre de l'Académie en publiant des documents de détail, ne pouvant entrer dans le programme du Recueil, tels que chartes, lettres, itinéraires de pèlerins, etc. Cette Société publiait d'abord deux importants volumes sous le titre Archives de l'Orient latin, puis entreprenait en 1893, un périodique, la Revue de l'Orient latin. Dans ces publications figuraient des articles d'érudition signés du comte Riant, de Molinier, d'Hagenmeyer, de Kohler, de Schlumberger, de Charles Diehl, de Delaville le Roulx, ce dernier dont l'oeuvre considérable doit être mentionnée tout particulièrement ici, puisqu'il publia en un recueil monumental (4 vol. grand in-folio), le Cartulaire général des Hospitaliers auxquels appartenait le Crac des Chevaliers. Indépendamment de ces recueils, des ouvrages importants paraissaient, donnant les résultats de recherches faites sur le sol même de la Terre-Sainte ; dans le domaine de l'archéologie monumentale qui nous intéresse surtout, trois érudits se signalaient : Clermont-Ganneau, Rey et Max Van Berchem.

En 1898, un savant allemand, Rôhricht, doué d'une étonnante puissance de travail, et qui s'était déjà signalé par d'importants travaux sur la Terre-Sainte au temps des Croisades, publiait en un volume de 1.100 pages, une histoire générale du Royaume de Jérusalem, rédigée sous forme d'Annales, qui contenait l'essentiel sur toute la vie de la grande colonie franque pendant les deux siècles qu'elle dura, depuis la prise de Jérusalem jusqu'à la chute de S. Jean d'Acre en 1291.

Après l'ouvrage de Rôhricht, il semble que l'érudition ait abandonné peu à peu ce champ d'investigations. La Revue de l'Orient latin cessa de paraître en 1911 et pendant le premier quart de ce siècle, peu de travaux furent consacrés à l'œuvre des Croisés.

Cependant Chalandon qui avait déjà abordé l'histoire des Croisades en publiant d'importants ouvrages sur les Comnène, trois empereurs byzantins du XIIe siècle, préparait une Histoire de la première croisade, que sa mort prématurée laissait inachevée, mais que sa veuve fit paraître (1925) ; M. Louis Bréhier publiait sous le titre L'Eglise et l'Orient au moyen âge, Les Croisades (5e édition, 1928), un ouvrage remarquable où l'on trouve, en une excellente synthèse, une vue d'ensemble sur la conquête et l'occupation de la Terre-Sainte par les Francs aux XII et XIIIe siècles.

* * *

La guerre de 1914-1918 ramena nos troupes sur ces rivages où tant de bons Français avaient jadis combattu et où l'oriflamme de Saint Louis avait flotté. M. Louis Madelin évoquait alors en un magistral article de la Revue des deux mondes (La Syrie franque, mars 1917) les Gestes de la France en Syrie au temps des Croisades. En 1919, la France dont la bonne renommée s'était maintenue parmi les populations syriennes et maronites, reprenait un étroit contact avec la Syrie : la Société des Nations lui confiait le mandat d'organiser ce peuple, de lui donner un Gouvernement et de développer ses richesses économiques. Ce mandat devait permettre aux érudits français de se consacrer plus facilement à l'étude des souvenirs des Croisades. D'autre part, en Palestine, l'Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, fondée en 1890, et dirigée par les Dominicains demeurait ouverte non seulement aux études bibliques, mais aussi à celles de l'histoire médiévale de la Palestine.

Les RR. PP. Vincent et Abel publiaient de remarquables travaux sur la Jérusalem du temps du royaume latin et plusieurs de leurs confrères ou de leurs disciples consacraient dans la Revue biblique des articles à l'œuvre des Croisés en Palestine.

En 1921, le Haut-Commissaire de la République Française à Beyrouth, le Général Gouraud, faisait venir en Syrie, pour y étudier les monuments des Croisés, Camille Enlart, accompagné d'un architecte, M. Roger Jusserand. On sait que Camille Enlart avait, en de nombreux travaux, montré comment au moyen âge l'art français s'était répandu à travers tout le monde chrétien ; dès sa jeunesse il avait abordé l'étude de l'Orient latin, en accomplissant une mission en Chypre, d'où il avait rapporté la matière de deux volumes sur les églises et les châteaux construits dans cette île par les sires de Lusignan, devenus rois de Chypre à la fin du XIIe siècle. Il était donc tout désigné pour entreprendre cette vaste enquête sur les monuments construits aux pays du Levant par nos compatriotes au moyen âge.

A Paris, M. René Dussaud prenait à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres la charge d'organiser les missions, aussi bien françaises qu'étrangères, qui au nombre de plus de soixante jusqu'à ce jour, devaient, sous son impulsion vigoureuse, apporter par des fouilles fructueuses tant de révélations sur les arts de l'Antiquité orientale, tant de documents précieux sur les plus vieilles civilisations. Il fondait Syria où les résultats de ces fouilles trouvaient de savants commentaires.

Il publiait, outre de nombreux articles sur l'histoire des religions orientales et sur l'archéologie syrienne, un ouvrage sur la Topographie historique de la Syrie antique et médiévale (1927) qui, du point de vue seul qui nous occupe ici, est appelé à rendre les plus grands services pour l'étude de tout ce qui touche l'occupation des Croisés en Syrie, l'auteur ayant tiré parti non seulement de tous les travaux antérieurs sur cette question, mais ayant lui-même fourni un apport considérable d'observations nouvelles et ayant résolu une quantité de problèmes de toponymie des Croisades que les éditeurs de chroniques n'arrivaient pas à expliquer.

* * *

Le 7 février 1927, j'avais passé l'après-midi à travailler auprès de Camille Enlart, dans son appartement de l'avenue Duquesne. Ce maître très cher qui me traitait comme un ami, m'avait convié à étudier avec lui quelques inscriptions médiévales. Le travail achevé, il m'avait parlé d'un air las de son grand ouvrage sur l'architecture religieuse des Croisés dont la fin s'imprimait : « Je n'ai plus la force de retourner en Syrie, m'avait-il dit, il reste à étudier l'architecture militaire, ce sera votre tâche. » Je n'avais pas caché à M. Enlart mon étonnement de tels propos si surprenants dans la bouche de cet homme exceptionnellement vigoureux qui me paraissait en pleine santé. Huit jours après, le i 5 février au soir, Camille Enlart mourait subitement dans la rue à quelques pas de son domicile, auprès de notre ami, M. Emile Brunet, inspecteur général adjoint des monuments historiques, avec lequel il se promenait.

Quelques jours plus tard, M. René Dussaud me faisait l'honneur de me demander de prendre la suite des travaux de Camille Enlart, en allant étudier l'architecture militaire des Croisés, et de commencer par celle de leurs forteresses qui s'est le mieux conservée et qui fut sans doute la plus importante qu'ils élevèrent, le Crac des Chevaliers (1).
1. Les auteurs modernes écrivent généralement Krak sans que rien ne justifie cette orthographe. Enlart au début faisait comme eux, mais il s'est corrigé dans son dernier ouvrage. J'ai fait exactement comme lui et j'adopte l'orthographe Crac, les textes latins ou français du moyen âge n'ayant jamais employé de K pour écrire ce nom.
J'avais vu ce magnifique monument un an auparavant au cours d'un congrès international d'archéologie, organisé sur l'invitation de M. le Haut-Commissaire Henry de Jouvenel.

M. Charles Virolleaud, Directeur du Service des Antiquités de Syrie, s'employa aussitôt avec empressement à préparer la mission projetée. Un jeune architecte, diplômé par le Gouvernement, ancien élève de l'Ecole des Beaux-Arts, M. François Anus, fut choisi pour aller lever les plans du Crac ; un officier breveté, qui s'intéressait fort à l'architecturé militaire du moyen âge, le capitaine André du Halgouët devait aussi faire partie de notre mission, mais des exigences de service l'ayant retenu en France, il fut remplacé par un officier de l'Armée du Levant, le capitaine Frédéric Lamblin, ancien élève de l'Ecole Polytechnique.

Je retrouvai celui-ci à Beyrouth au début de décembre et nous partîmes pour le Crac où M. Anus était arrivé quinze jours auparavant. Muni d'instruments de mesure insuffisants, installé de façon précaire, celui-ci s'était mis aussitôt au travail avec une belle énergie dont il ne cessa de se départir pendant la longue durée de notre mission : nous restâmes en effet au Crac jusqu'en mars 1928.

* * *

Deux archéologues avaient étudié attentivement le Crac avant nous : en 1859, Rey y passa (1), il fit du château un plan sommaire, des dessins, des coupes et une remarquable vue cavalière d'une précision rigoureuse qui fut maintes fois reproduite dans les ouvrages relatifs aux Croisades ; il consacra à ce magnifique monument une étude historique et archéologique et l'ensemble de cette documentation parut dans son livre publié en 1871, après plusieurs voyages en Syrie et intitulé : Etude sur les monuments de l'architecture militaire des Croisés en Syrie et dans l'Ile de Chypre (Paris, Imprimerie nationale, Collection des Documents inédits). Rey fit véritablement œuvre de précurseur dans ce livre qui restera toujours utile et qui fut pour nos recherches un guide très précieux (2).
1. Emmanuel Guillaume Rey fit au moins trois voyages en Syrie : en 1857-1858 (Voyage dans le Hauran), en 1859 où il travailla au Crac, en 1864 où il dut retourner au Crac et où il séjourna, à Margat. Né en 1857, il mourut en. 1916. Dans les quinze dernières années de sa vie, Rey parait s'être tenu à l'écart du monde savant : affligé d'une grande surdité, il ne venait plus à Paris, il donna sa démission de membre de la Société nationale des Antiquaires de France, dont il avait été l'un des membres les plus actifs, et vécut surtout dans son château près du Mans. Sa fille, Mme la Baronne du Houlley, a bien voulu me permettre de consulter ses notes qu'elle a précieusement conservées. Il semble que presque toute sa documentation fut utilisée dans ses publications dont la dernière parut en 1901.
2. Nous nous étions tellement imprégnés de l'œuvre de Rey, mes camarades de mission et moi, que nous avions pris l'habitude de désigner les diverses constructions du Crac par les lettres qu'avait employées l'auteur pour les inscrire sur son plan. Par respect pour l'œuvre de notre devancier et pour montrer combien nous nous y étions attachés, nous avons conservé sur les plans de M. Anus les lettres employées par Rey pour les grands ouvrages de la seconde enceinte en n'y apportant que quelques modifications qui s'imposaient. Nous avons supprimé certaines lettres qui nous étaient inutiles et de la sorte notre alphabet est incomplet : il va de la lettre G à la lettre P en supprimant la lettre N. Quant aux ouvrages de la première enceinte que Rey n'avait pas distingués les uns des autres, nous les avons indiqués sous les n° 1 à 13.


Un savant suisse, Max Van Berchem fit en 1895 à travers la Syrie du Nord un fructueux voyage d'étude, dont les résultats ne parurent qu'en 1913-1915. Dans ce Voyage en Syrie, l'éminent archéologue a publié un fort intéressant commentaire historique du Crac et un examen des constructions qu'il croyait pouvoir attribuer aux réfections des Arabes postérieures à leur occupation de la forteresse en 1271.

A la même époque que Van Berchem, M. René Dussaud faisait une enquête archéologique en Syrie, au cours de laquelle il visita le Crac et d'autres châteaux des Croisés. Dans les comptes rendus de ses voyages parus dans la Revue archéologique (1896 et 1897), il corrigeait certaines conclusions trop absolues de Rey sur les procédés de construction employés par les grands Ordres Militaires du Temple et de l'Hôpital. Enfin, dans sa mission de 1921-1922, Camille Enlart passa quelques jours au Crac et son ouvrage contient d'excellentes pages consacrées à la chapelle, à la Grand 'Salle et à la décoration du « Logis du Maître » et du Donjon.

Au cours de notre long séjour, nous avons pu explorer des salles entières et divers éléments de la forteresse qui avaient été ignorés jusqu'à nous, retrouver des entrées insoupçonnées, découvrir sous les hauts talus de la seconde enceinte, les vestiges de la forteresse primitive des Croisés ; la remarquable série de plans, étage par étage, exécutés par M. Anus, l'enquête minutieuse que nous avons menée dans toutes les parties du monument, l'examen de son appareil et des méthodes de construction qui ont varié avec le temps, nous ont permis d'apporter un important développement à l'étude de Rey. En outre, nous pensons avoir distingué dans cet édifice complexe, où les remaniements furent nombreux, les campagnes successives de construction des Croisés et montré aussi les caractères différents des ouvrages francs et des ouvrages arabes, en indiquant ainsi la part des Musulmans de façon plus précise que n'avait pu le faire Van Berchem, dont le passage au Crac fut trop rapide.

Il y a eu dans ces recherches et dans ces découvertes, dans la détermination des phases successives des travaux des architectes du moyen âge, une très étroite collaboration entre M. Anus et moi.

Je tiens à rendre hommage à l'intelligence et à l'activité de mes deux camarades de mission. Le premier, excellent architecte, travailleur acharné, ne se laissa jamais rebuter par aucune difficulté ; le second, d'esprit fertile, doué d'une faculté d'adaptation lui permettant de saisir l'intérêt de problèmes tout neufs pour lui, devait faciliter notre tâche par sa connaissance du pays, par son talent de photographe — la majeure partie des photographies qui illustrent cet ouvrage sont son œuvre — enfin par des qualités pratiques qui n'étaient pas à dédaigner dans un pays dépourvu de toutes ressources. Qu'on ajoute à cela sa perpétuelle bonne humeur fort appréciable dans les conditions véritablement pénibles où nous fûmes obligés de vivre.

Les circonstances de notre séjour nous furent en effet entièrement défavorables. Nous arrivâmes au plus mauvais moment de l'année, en plein hiver, et l'hiver est fort rude sur ce sommet isolé, dressé à 700 mètres d'altitude, dans le large couloir que forme la trouée de Homs. Un vent terrible, un froid sévère avec de la neige et de la glace, des jours courts et des pluies torrentielles, voilà le sort qui nous fut réservé dans cette ruine que j'avais vue, avec quelle émotion l'année précédente, sous le ciel d'un bleu intense et le soleil du printemps oriental.

Les enceintes du Crac et ses ouvrages de défense ont été envahis par toute une population musulmane formant un véritable village, administrativement constitué avec son Mokhtar, c'est-à-dire son maire. Cinq cent trente indigènes vivent là pêle-mêle avec leurs bêtes, ânes, chameaux, vaches, chèvres et volailles. On imagine facilement la peine que purent avoir des archéologues cherchant à restituer l'état ancien d'un monument si encombré. Les habitants les plus riches ont abattu le couronnement des ouvrages de la première enceinte pour y construire des maisons modernes, spacieuses et confortables, comme on peut s'en rendre compte en comparant sur la Planche LXXVI, une photographie du front sud faite par Rey en 1859 et ma photographie de 1929. (Voir aussi PL XXXII et XXXIV, état actuel). La majorité des occupants, de pauvres familles de paysans, se sont installés dans les salles basses des tours et des courtines de la première enceinte y faisant leur logement ou les transformant en écuries ; d'autres ont construit de petites maisons, faites de pierres arrachées au monument et de terre battue, sur les terre-pleins entre les 2 enceintes (1).
1. Nous ne trouvâmes à nous loger que dans une misérable masure dont l'unique chambre était large de 4 mètres carrés (au flanc sud de la tour O). Je dois signaler la bonne volonté constante que nous manifesta le principal personnage du village, le regretté mufti, de la noble famille Zobi, qui avait été fait chevalier de la Légion d'honneur pour son loyalisme envers les troupes françaises, lors de la pacification de la Syrie. Il nous fit toujours le plus aimable accueil et nous rendit maints services. Je citerai aussi le dévoué Assad-Ebbas, aujourd'hui guide au Crac, qui fut un serviteur actif et consciencieux.

* * *

Quel était le but de notre mission ? D'abord reprendre le plan sommaire de Rey, le corriger, retendre ; en même temps, développer l'étude archéologique de cet important monument.
Dès les premiers jours, M. Anus vit que la tâche était beaucoup plus difficile qu'on ne l'avait prévu, et tout autre que lui eût sans doute abandonné la partie.
En effet, tout l'étage inférieur de la seconde enceinte était entièrement comblé (1). Les indigènes, installés depuis de longues années au premier étage, avaient utilisé les bouches d'aération percées dans les voûtes de ce rez-de-chaussée et jetaient par-là leurs ordures.
1. Voyez page 203, n. 2, les conditions dans lesquelles il nous fallut explorer cette partie de la forteresse.

Certaines parties de la première enceinte étaient également remplies et l'on pouvait estimer au chiffre formidable de cinquante mille tonnes, le fumier accumulé dans les salles basses de la forteresse. Il semblait fort désirable de dégager ces salles dont on ne voyait que les murs extérieurs. Mais comment aborder ce travail gigantesque et faire venir du matériel jusqu'à ce site éloigné dans la montagne, où l'on n'accède que par une mauvaise piste, et situé à 180 kilomètres de Beyrouth et à 70 de Tripoli.
M. Anus insistait pour que nous commencions nous-mêmes par nos propres moyens, c'est-à-dire à l'aide de moyens très rudimentaires ; grâce à cela seulement, disait-il, les autorités de Beyrouth s'intéresseraient à nos projets et leur donneraient une réalisation.

Il avait, pleinement raison. Nous embauchâmes une une quinzaine d'indigène » qui avec des ânes chargés de couffins commencèrent les déblaiements. Mais ainsi, il eût fallu des années de travail continu pour aboutir. Un jour, deux inspecteurs de l'Armée, envoyés de Paris en mission à l'Armée du Levant, MM. Bois et de la Perelle, vinrent nous rendre visite ; ils comprirent admirablement nos vœux et s'en firent l'écho favorable au Haut-Commissariat : dans les derniers jours de notre mission nous eûmes la satisfaction de voir arriver dans les murs du Crac les premiers éléments d'un important matériel de transport monté de Tripoli, à dos de chameaux. Sur l'ordre du général Gamelin, l'armée allait continuer les déblaiements que nous avions entrepris, des wagonnets et 1.500 mètres de rails allaient être installés et soixante soldats alaouites, commandés par un officier français, le lieutenant Poussin, procéderaient au dégagement des salles basses.


L'opération fonctionna activement pendant plusieurs mois et permit des découvertes intéressantes, telles que des issues inconnues, le puits et le four à pain de la garnison, mais surtout ce travail eut pour résultat de dégager sur une superficie étendue les vastes salles de la seconde enceinte, ce qui améliorait considérablement l'aspect intérieur de la forteresse et rendait beaucoup plus intéressante la visite du monument aux touristes.

L'opération, abandonnée à l'automne, fut reprise dès mon retour en Syrie en avril 1929, aussitôt que j'en eus fait la demande au général de Bigault de Granrut qui s'intéressait fort à l'archéologie et en particulier à nos travaux. Quelques jours après notre arrivée, un important détachement du bataillon alaouite de Tripoli nous rejoignait au Crac et M. Anus mettait en train le chantier et donnait les instructions voulues à l'officier commandant le détachement pour poursuivre l'évacuation des salles basses du château (1).
1. Aujourd'hui la seconde enceinte est complètement déblayée. Il reste encore à dégager certains emplacements à la première enceinte.

Seconde mission aux châteaux des Croisés (printemps 1929)

Notre première mission avait été fructueuse, puisque non seulement nous avions pu réunir une documentation importante permettant d'amplifier et de rectifier les résultats des études antérieures, mais puisque, en outre, nous avions obtenu qu'en dehors de toute question de publication scientifique, on s'intéressât au sort du monument lui-même, en le mettant en valeur, comme il le méritait.

Cependant, après que M. Anus demeuré quelque temps en Syrie comme architecte du Service des Antiquités, m'eût retrouvé en France, nos longues réflexions, nos échanges de vues sur les éléments de l'immense bâtisse dont nous cherchions à scruter le passé pierre à pierre, nous firent apparaître la complexité de bien des problèmes qui nous avaient paru plus simples tout d'abord.

Outre les grandes campagnes, nous constations tant de reprises de construction, tant de transformations destinées à améliorer le système défensif qu'il nous semblait que pendant les cent soixante ans que dura l'occupation du Crac par les Francs, le chantier de construction n'avait pas cessé d'être en activité. Sur certains détails nos opinions différaient. De plus M. Anus voulait à la suite des déblaiements effectués depuis notre départ, contrôler certaines mesures prises dans des conditions précaires. Une révision de nos informations nous paraissait utile et nous fûmes heureux de reprendre en commun notre enquête. En outre, je constatais de façon impérieuse que le Crac ne devait pas être étudié isolément et que, pour établir sa propre histoire architecturale, il fallait chercher des éléments de comparaison.


A la fin de notre première mission, nous avions visité hâtivement Margat, Saône et Chastel Rouge. Il fallait reprendre leur examen et voir d'autres châteaux importants. Au printemps 1929, le capitaine Lamblin, qui commandait une batterie à Damas n'ayant pu se joindre à nous, M. Anus et moi nous parcourûmes la Syrie, la Palestine et la Transjordanie pour visiter une douzaine de châteaux francs. J'y fis une importante moisson photographique et M. Anus leva les plans, les uns très développés, les autres sommaires selon le temps dont nous disposions, des châteaux de Kérak de Moab au-delà de la Mer Morte, Chastel-Pèlerin (Athlit) au sud de S. Jean d'Acre, le Toron (Tibnin), Subeibe près de Banias, Beaufort, Saïda, Giblet, Coliat, Akkar, Chastel-Blanc (Safitha), Margat, Saône. M. Anus visita seul Arima et Bourzey. Ces forteresses me donneront, je l'espère, la matière d'un second ouvrage. Enfin nous passâmes quelques jours au Crac. Ainsi cette randonnée à travers une partie importante des territoires occupés par les Croisés, nous permit d'examiner en des monuments divers, les procédés des constructions des Croisés, les modèles qu'ils avaient empruntés, les appareils et les tailles de pierre qu'ils employèrent. Nous pûmes ainsi contrôler ou corriger certaines observations faites au Crac des Chevaliers.

* * *

Dans cette entreprise pour la défense et illustration du plus beau monument laissé par, nos ancêtres en Orient, il restait plusieurs gestes à accomplir : d'abord arrêter sa dégradation, et prendre des mesures énergiques pour sa conservation.

En 1859, Rey le trouvait presque intact et constatait qu'il n'y manquait que quelques éléments du crénelage. Mais plus tard, Max Van Berchem signalait l'opprobre infligé à la majestueuse forteresse, transformée en un misérable village « croupissant sur son fumier. »
Dans la publication de son voyage en Syrie de 1895, il jetait un cri d'alarme contre les atteintes portées à l'édifice et indiquait les grandes lignes de l'œuvre à entreprendre pour le sauver (1).
1. Voici ce qu'écrivait Van Berchem (Voyage en Syrie, p. 135-136) : « Quand le baron Rey en entreprit l'étude, la forteresse était presque intacte. Dès lors le village installé dans son enceinte s'est agrandi aux dépens de ses courtines dont le couronnement a disparu presque partout. Malgré ces mutilations nouvelles, le Krak est encore le joyau de l'architecture militaire des Croisés et l'un des plus beaux vestiges du moyen âge féodal. Au retour de notre voyage, nous appelions de nos vœux l'exploration complète de ses ruines, en vue d'une étude définitive du monument et de son histoire.
« Hélas ! Cette étude reste à faire, et peut-être sera-t-il bientôt trop tard pour l'entreprendre... Il ne s'agit pas, bien entendu, de l'étudier en vue d'une restauration intégrale, projet presque chimérique, puisqu'il exigerait, avec de lourds sacrifices, l'expropriation de tout un village. A tout le moins, sans y pratiquer les fouilles et les sondages indispensables pour une exploration méthodique, on pourrait en faire des relevés plus exacts et plus complets que ceux que nous possédons à ce jour, et prendre des mesures pour arrêter les progrès de la ruine. »


Après lui, les dégradations ne cessèrent de s'accroître. A son tour, M. Anus dans plusieurs rapports appela l'attention sur l'urgence de réparations indispensables, consolidation de certains ouvrages, pose de chapes de ciment sur les terrasses où les infiltrations des eaux de pluie amenaient de graves désordres dans la construction, enfin il signalait les dégâts causés par la population agglomérée dans l'enceinte où aucune mesure de voirie ni d'hygiène n'était prévue. Un seul moyen apparaissait d'arrêter les progrès de la ruine : obtenir que cet élément si important de notre patrimoine artistique fasse retour à la France et que l'Administration des Monuments historiques le prenne sous sa tutelle. C'était un devoir pour notre pays d'assumer une pareille charge en faveur de ce monument, véritable relique nationale, qui faisait partie intégrante de son histoire.

M. le Haut-Commissaire Ponsot avait émis le premier cette idée devant moi. Il fallut quatre ans de démarches menées aux Affaires étrangères, à la Délégation du Haut-Commissariat de Syrie, et aux Beaux-Arts pour faire aboutir le projet. M. Paul Léon, Directeur général des Beaux-Arts, et le très distingué chef du bureau des Monuments Historiques, M. Chabaud, s'y employèrent, tandis qu'en Syrie M. Schoeffler, gouverneur de l'Etat de Lattaquié propriétaire du Crac, facilitait les négociations.

Sur la proposition du général Gouraud et de M. René Dussaud, alors Président de l'Académie des Inscriptions, cette Académie dans sa séance du 8 février 1930, émit un vœu favorable à l'acquisition du Crac des Chevaliers.

Le 28 mars 1931, à la tribune du Sénat, M. Roger Grand, sénateur du Morbihan, professeur à l'Ecole des Chartes, attira l'attention de la Haute-Assemblée sur l'intérêt que présentait, pour notre histoire nationale, la sauvegarde du monument et M. Petsche, sous-secrétaire d'Etat des Beaux-Arts, l'assura que son administration s'en préoccupait.

En 1932, M. Flandin, ministre des Finances, avait signé l'autorisation du crédit nécessaire pour désintéresser l'Etat de Lattaquié, qui aurait la charge d'exproprier le village et la chose paraissait devoir aboutir, lorsque d'impérieuses nécessités d'économies obligèrent l'Administration des Beaux-Arts à retirer sa demande. Tout était à refaire.

Je repris les démarches avec l'aide de mes confrères de l'Ecole des Chartes, M. Jean Marx, Directeur aux Affaires étrangères et M. Roger Glachant, attaché au cabinet du même ministère. A ce moment, M. Emile Bollaërt qui quittait la Direction du cabinet des Affaires Etrangères pour la Direction Générale des Beaux-Arts, prit vigoureusement en mains l'affaire que j'étais allé plaider devant lui et obtint l'agrément de M. de Monzie, ministre de l'Education nationale et des Beaux-Arts. Par un acte solennel, en date du 16 novembre 1933, l'Etat de Lattaquié cédait à la France le Crac des Chevaliers, moyennant une somme de un million destinée à indemniser les habitants expropriés.

L'Administration des Beaux-Arts a fourni cette somme et la Caisse des Monuments Historiques a assumé les frais de réparations et de mise en valeur du château, qu'on peut désormais assimiler à un monument historique français. Les services des Beaux-Arts se mirent en liaison avec M. Henri Seyrig, Directeur du Service des Antiquités de Syrie, qui, assisté de M. Coupel, architecte de ce service et de M. Quetard, chef de chantier, prit aussitôt avec l'activité et la diligence remarquables qu'on lui connaît, les mesures nécessaires pour assurer la conservation de l'édifice et en faciliter la visite aux voyageurs.

Le Crac des Chevaliers en effet, qui tient si étroitement à l'histoire de notre pays, doit attiré de nombreux Français, grâce aux souvenirs qu'il évoque ; mais en outre son aspect imposant, sa magnifique ordonnance architecturale doivent le placer au même rang que les grands sites du Levant qui depuis longtemps ont séduit les voyageurs : Palmyre, Baalbeck, Qal'at Sim'an. Il est assurément le vestige militaire le plus caractéristique de l'épopée des croisades en cette Terre-Sainte qui pendant plusieurs siècles exerça une sorte de mirage sur l'esprit des populations occidentales.

* * *

J'ai cru devoir faire précéder l'étude historique et archéologique du Crac des Chevaliers, d'une assez longue Introduction : comme je l'ai dit plus haut, le Crac ne peut être examiné isolément. Il forme une page magnifiquement illustrée de cette grande histoire monumentale que les Croisés ont écrite sur la Terre d'Orient, depuis le Taurus jusqu'aux rives de la Mer Rouge. Il fallait placer le Crac dans son cadre, signaler les monuments que les Francs avaient trouvés en arrivant en Syrie, rechercher les modèles dont ils s'inspirèrent, puis montrer sur la carte le nombre considérable de villes qu'ils fortifièrent, de châteaux-forts qu'ils dressèrent pour défendre leur vaste colonie, enfin, tracer rapidement l'histoire de leur occupation.

Rey qui fut l'élève d'un géographe distingué, l'abbé Drioux, s'intéressa toujours à la Géographie de la Terre-Sainte au temps des Croisades. Son excellent livre sur les Colonies franques donne sur les noms de lieux des Etats latins, des renseignements originaux et fort détaillés ; en outre il publia pour le Guide Joanne (Orient, Syrie et Palestine, par Chauvet et Isambert, 1882), une carte du nord de la Syrie où figurent au milieu des sites de l'antiquité et des localités modernes, un grand nombre de noms de lieux occupés par les Croisés. Clermont-Ganneau, Rôhricht, le P., Lammens apportèrent aussi dans leurs travaux une contribution à l'étude de la toponomastique de l'époque des Croisades. M. René Dussaud a enrichi considérablement pour la Syrie ces premières recherches (1).
1. Le R. P. Abel, dont je n'ai pu utiliser pour mon livre la remarquable étude sur la Géographie de la Palestine qui vient de paraître, a mis à ma disposition ses connaissances très étendues sur l'histoire et la géographie des Croisades en Palestine.

J'ai amplement profité de ces travaux pour l'établissement de la carte des Positions stratégiques des Croisés qui est jointe au présent ouvrage. Cette carte étant spéciale à l'époque des Croisades, j'ai naturellement donné aux noms de lieux l'orthographe employée dans les textes français et latins du moyen âge. Mais on trouvera à l'une des tables qui terminent ce volume, la concordance entre ces noms anciens et les noms actuels des localités. J'ai surtout cherché à indiquer le plus grand nombre possible de points fortifiés, j'ai aussi noté quelques casaux et quelques champs de bataille célèbres (1).
1 Outre les cartes de Rey et de M. Dussaud, j'ai eu recours à un certain nombre de cartes, notamment la carte française d'Etat-Major au zoo.ooo6, établie en 1920, d'après la carte de reconnaissance de l'Etat-Major ottoman et une carte au 100.000e qui est une amplification de cette même carte ottomane. Le Bureau Topographique de l'Armée française du Levant a repris entièrement le travail et prépare une carte au 50.000e qui supplantera toutes les cartes antérieures. J'ai consulté également la carte anglaise au 1.000.000e (International Map, en vente à la Librairie Plon), la carte du Liban du capitaine Gélis (au 200.000e, 1862), la carte de la Palestine au 250.000e par Victor Guérin (1881), la carte de la Palestine ancienne et moderne au 400.000e par A. Legendre, dressée par L. Thuillier (Librairie Letouzey).
On trouvera de plus amples renseignements sur la cartographie de la Syrie et de la Palestine, dans les préfaces des ouvrages de M. Dussaud et du R. P. Abel.


Mlle Catherine Delebecque, ancienne élève de l'Ecole des Chartes, licenciée d'histoire et de géographie, m'a fort obligeamment aidé dans la recherche de ces noms de lieux, et M. Vignier, géographe-adjoint du Ministère des Affaires étrangères, a eu la tâche longue et minutieuse de tracer cette carte qui fait grand honneur à son talent de dessinateur comme à sa conscience de cartographe.

Les premières planches de mon Album (l à XXI), illustrent l'Introduction. On y trouvera des photographies de châteaux de Cilicie dues à M. l'abbé Bretocq et à M. l'architecte Maurice Pillet, qui parcoururent ces régions. On y verra aussi quelques photographies d'avion ; en effet, j'ai trouvé l'accueil le plus cordial auprès des officiers de l'aviation militaire de Syrie qui ont, sur ma demande, photographié un certain nombre de châteaux des Croisés.

D'autres photographies d'avion de monuments des Croisades ont été reproduites dans les Planches de l'ouvrage que j'ai publié avec MM. Dussaud et Seyrig : La Syrie antique et médiévale illustrée. On sait l'éclatant service que l'aviation militaire vient de rendre à l'archéologie en aidant pendant plusieurs années le P. Poidebard dans ses recherches sur le limes romain et byzantin dans le désert de Syrie. Je souhaiterais vivement qu'une enquête analogue fût entreprise à l'aide de l'avion pour la recherche méthodique en Syrie des vestiges des constructions de l'époque des Croisades. Ainsi éluciderait-on un certain nombre de problèmes sur les positions stratégiques des Croisés, notamment sur la situation de leurs forteresses des rives de l'Oronte.

Après les Planches illustrant l'Introduction, j'ai réuni dans l'Album des photographies d'ensemble du Crac des Chevaliers (PL XXII à LVI) et d'admirables dessins tirés des carnets de croquis de M. Anus (PI. LVII à LXIX). La fin de l'Album contient des photographies de détail du Crac destinées à accompagner l'étude descriptive du château. Outre les croquis qui ornent l'Album, M. Anus a bien voulu exécuter de nombreux dessins, des coupes et des plans de détail qui seront le meilleur et le plus clair commentaire de mon examen archéologique du monument (chap. II, III, IV).

Arrivé au terme d'une longue entreprise, je tiens à exprimer tout d'abord ma profonde reconnaissance à M. René Dussaud, qui non seulement a encouragé mes voyages, mais a suivi dès le début l'élaboration de mon livre et m'a maintes fois aidé de ses conseils et de son érudition.

M. Charles Virolleaud, Directeur du Service des Antiquités de Syrie au temps de mes missions, a appuyé mes efforts au Crac des Chevaliers, sollicitant avec bonne grâce en ma faveur les divers Services du Haut-Commissariat pour m'aider à mener à bien ma tâche.

M. René Gagnât, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, M. Jean Marx, Directeur du Service des œuvres françaises à l'étranger au Ministère des Affaires étrangères, MM. Brussel et Bouchet, Directeur et Directeur-adjoint de l'Association française pour l'Expansion artistique à l'étranger, M. Henri Seyrig, aujourd'hui Directeur du Service des Antiquités de Syrie, me témoignèrent à la fois bienveillance et confiance en me procurant des subventions soit pour mes missions, soit pour la publication du présent ouvrage.

A Beyrouth, M. le Haut-Commissaire Ponsot et ses collaborateurs, en particulier M. Henri Hoppenot, conseiller d'Ambassade, et M. Jean Le Bec, Inspecteur des Finances, qui était alors Directeur des Finances de la Syrie, me firent le meilleur accueil et m'apportèrent maintes fois l'appui de leur autorité.

M. Maurice Bérard, Directeur de la Banque de Syrie et du Grand-Liban, Administrateur aux larges vues, encouragea mes projets d'archéologue où il envisageait des résultats qui favoriseraient en Syrie l'évocation des souvenirs de la plus vieille France.

Le colonel Blin, Chef d'Etat-Major, mit toute son activité à faire participer la troupe aux travaux entrepris au Crac et à procurer le matériel nécessaire.

Je dois une toute particulière reconnaissance au lieutenant Robert Ballot qui, lors de ma première mission, était officier du service des renseignements au village de Tell-Kalakh, au pied de la montagne où se dresse le Crac. Cet officier nous aida en toutes manières avec une constance véritablement touchante. Il s'ingénia en particulier à améliorer notre vie matérielle ; ainsi nous faisait-il apporter presque chaque jour par un cavalier du pain de troupe que nous savourions avec délice. En outre, sachant avec quelle impatience nous attendions le courrier de France, il nous le faisait parvenir en toute hâte dès qu'il le recevait.

Dans nos courses en Syrie, nous avons été reçus de la façon la plus cordiale à Lattaquié par le colonel Paul Jacquot, dont les guides archéologiques du pays des Alaouites et de la région d'Antioche contiennent des pages fort instructives sur l'époque des Croisades, à Tripoli par le capitaine Huguenet, à Chastel-Blanc (Safitha) par le lieutenant de Gouville, à Masyaf par le lieutenant Vuilloud, à Djebelé par le capitaine May, à Tartous par le capitaine Jarnias tué en janvier dernier en service commandé, à Saône par le capitaine Le Penven, à Rayak par le colonel Pennés et le capitaine David. Pour atteindre le château de Beaufort, nous avons trouvé la plus hospitalière réception dans la demeure d'un grand ami de la France, loussef bey el Zein. Enfin, M. et Mme Maurice Dunand nous ont maintes fois accueillis de la plus charmante façon à Giblet (Djebeïl). M. Quétard, maître appareilleur, qui travailla sous les ordres de M. Anus dans ses grands travaux de restauration des Temples de Baalbeck, m'a donné de très utiles indications sur les procédés de taille de pierre.

Une partie de mon texte a été revue par M. Marcel Aubert et par M. Gaston Wiet et j'ai profité de leurs précieux avis. La présentation de l'ouvrage a été surveillée avec le plus grand soin par M. Ort-Geuthner.

En achevant ce livre si laborieusement établi, on comprendra sans doute le sentiment qui me fait évoquer avec émotion le souvenir de trois maîtres très aimés, aujourd'hui disparus, qui m'ont ouvert la voie dans mes études sur l'art du moyen âge, Maurice Prou, Directeur de l'Ecole des Chartes, Eugène Lefèvre-Pontalis qui fut mon Professeur d'archéologie en cette Ecole, et Camille Enlart.

Mai 1934. Paul DESCHAMPS.

La conquête et la colonisation

Le grand mouvement qui provoqua la première Croisade, où d'immenses armées se levèrent en Europe, eut des causes diverses, les unes psychologiques, les autres politiques. A la fin du XIe siècle la Chrétienté était menacée aux deux extrémités de l'Europe par les progrès de l'Islam. A l'est, l'Empire byzantin tremblait sur ses bases, Antioche était tombée aux mains des Turcs Seldjoukides en 1085, et Constantinople était en danger. A l'ouest, les Maures d'Afrique venaient à l'aide de ceux d'Espagne et, en 1086, les armées chrétiennes étaient écrasées à Zallaca ou Sagrajas (1086, Victoire des Almoravides sur le roi de Castille Alphonse VI). La Papauté allait faire un grand effort pour briser l'étau de la puissance musulmane qui se resserrait tout à coup.

En outre, plus que jamais, la vogue était grande des pèlerinages de Terre-Sainte. Beaucoup, qui avaient fait le vœu d'accomplir le pénible et périlleux voyage, se réunissaient et formaient d'importantes troupes armées ; ceux qui, après une longue absence, revenaient dans leur patrie, parlaient de leurs compagnons massacrés, des dangers auxquels ils avaient échappé et des vexations subies de la part des Infidèles qui se montraient de plus en plus hostiles aux Chrétiens.

L'heure de la grande Croisade allait sonner. L'opinion des princes comme celle du peuple y était préparée en France. Les itinéraires étaient connus, les étapes fixées ; sur les routes les plus fréquemment suivies, des hospices s'étaient installés pour donner asile aux pèlerins. La conversion des Hongrois au Christianisme au début du XIe siècle, facilitait aux voyageurs la route du Danube.

Ainsi l'idée d'une expédition militaire en Orient, qui hanta l'esprit du grand Grégoire VII, ne devait pas paraître à un seigneur français vivant à la fin du XIe siècle un projet irréalisable. De nombreux chevaliers de notre pays avaient à cette époque franchi les Pyrénées pour combattre les Sarrasins d'Espagne et savaient quels ennemis ils allaient affronter. Les papes, les abbés de Cluny, entretenaient leur esprit chevaleresque au service de la foi chrétienne. Deux races, deux religions, deux civilisations allaient se heurter sur les champs de bataille d'Asie-Mineure.

La réalisation de la Croisade fut une œuvre essentiellement française. En 1095, Urbain II, pape français, prêchant à Clermont disait aux seigneurs et aux prélats qui l'entouraient : « C'est de vous surtout que Jérusalem attend de l'aide, parce que Dieu vous a accordé plus qu'à toute autre nation l'insigne gloire des armes ». Guibert de Nogent intitulera son histoire de la Croisade Gesta Dei per Francos, « pour honorer, dira-t-il, notre nation. » Désormais pour les Arabes les Francs désigneront tous les Chrétiens venus d'Occident.

Les plus hauts barons qui partirent, les contingents qu'ils emmenèrent, étaient pour la grande majorité des français de naissance ou tout au moins d'origine, français de langue et de civilisation. Les Français du royaume avaient à leur tête Hugues de Vermandois, frère du roi Philippe Ier ; Etienne comte de Blois, Robert duc de Normandie, Robert comte de Flandre ; Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, qui avait déjà combattu les Sarrasins en Espagne, commandait une armée composée de Croisés du Languedoc. Les Français du nord-est formant les troupes dites allemandes, s'étaient réunis sous les ordres de Godefroy de Bouillon. Celui-ci était duc de Basse-Lorraine, c'est-à-dire de Brabant, par héritage d'un oncle maternel ; il était donc feudataire de l'Empire. Mais il était fils d'un seigneur français Eustache, comte de Boulogne, et il avait été élevé dans cette ville. Ses frères, Baudoin qui devait être le premier roi de Jérusalem et Eustache l'accompagnaient.

Un contingent considérable fut fourni à la Croisade par les Normands de Sicile et de l'Italie méridionale. Bohémond prince de Tarente, fils aîné de Robert Guiscard et petit-fils d'un seigneur normand, Tancrède de Hauteville (Aujourd'hui Hautteville-la-Guichard - Manche), voyant arriver en Fouille les premiers Croisés et se souvenant de la patrie que sa famille avait quittée, s'écria : « Ne sommes-nous pas de race française ? Nos pères ne sont-ils pas venus de France ? Nos parents et nos frères iraient-ils sans nous au martyre ? » Son neveu Tancrède se croisa avec lui ; tous deux amenèrent une puissante armée.
Enfin il faut ajouter que la flotte génoise prêta à la Croisade un précieux concours.

On sait comment les Croisés partis au nombre de 600.000 combattants avaient traversé l'Asie-Mineure, livrant de sanglants combats en rase campagne et s'emparant, après des sièges parfois très longs et toujours meurtriers, de villes puissamment fortifiées. Nicée (Iznik, Turquie), Tarse (Tarse, Tarsus, Turquie), Edesse (Sanliurfa, Urfa Turquie) au-delà de l'Euphrate (juin 1097-mars 1098), Antioche (Antakya ou Hatay, Turquie) (3 juin 1098), tombèrent entre leurs mains. Puis ils descendirent vers le sud en plusieurs corps, s'avançant prudemment, ménageant leurs forces déjà amoindries, étudiant leurs itinéraires, envoyant avant d'attaquer une ville des cavaliers en reconnaissance, sans se contenter des renseignements fournis par les chrétiens indigènes. Ainsi prirent-ils Al Bara (fin septembre 1098), Marra (Ma'arrat en No'man - Ma'arrat al-Numan : ville de Syrie sur la route d'Alep à Hama) (11 décembre 1098), Archas (mai 1099), Archas : Tell Arqa, 'Arqa ou Arka à 12 km au nord-est de Tripoli. En mai 1099, ils pénétrèrent en Palestine, s'emparant de Ramleh (Ramla, Israël), de Lydda (Lod Israël) et de Jaffa (Israël). Enfin, un jour, ils virent leur apparaître Jérusalem, but suprême de leur entreprise. De l'immense armée il ne restait que 40.000 combattants, malades pour la plupart, épuisés par les fatigues d'une campagne de trois années et des combats incessants. Les Croisés commencèrent le siège de Jérusalem le 7 juin 1099, puis secourus par les Génois, ils se ruèrent sur la Ville-Sainte et l'enlevèrent dans un furieux assaut le 15 juillet 1099.

La conquête de la Terre-Sainte était virtuellement réalisée ; on allait entrer dans la phase de la colonisation du pays.
La plupart des Croisés rentrèrent peu après en Europe. Un très petit nombre abandonnant toute idée de retour au pays natal, s'installèrent en Syrie et en Palestine, se partagèrent les territoires arrachés aux Musulmans, étendirent leur domination au cours des années suivantes avec l'aide de nouveaux contingents venus surtout de France et constituèrent un Etat franc d'Outre-Mer qui devait durer deux siècles.

Les grandes Croisades de Terre-Sainte qui suivirent n'eurent d'autre but que de fortifier cet établissement, de reprendre aux Musulmans les cités et les forteresses qu'au cours de leurs attaques ils avaient enlevées aux Chrétiens d'Orient. Ceux-ci trop peu nombreux pour conserver un domaine trop vaste faisaient constamment appel à leurs frères d'Occident et toujours d'abord aux Français. Trois rois de France, Louis VII, Philippe-Auguste, Saint Louis iront successivement les secourir.

* * *

Dès avant la prise de Jérusalem, deux chefs de la Croisade s'étaient attribué la souveraineté de vastes territoires dont ils allaient faire deux des principaux états latins de Terre-Sainte : Baudoin, frère de Godefroy de Bouillon, s'établissait dans le comté d'Edesse, et Bohémond de Tarente devenait prince d'Antioche. Raymond de Saint-Gilles devait fonder la dynastie des comtes de Tripoli. Tancrède occupait la princée de Galilée.

A Jérusalem, les Barons choisirent pour chef Godefroy de Bouillon, mais l'autorité ecclésiastique revendiquant la suzeraineté des Lieux-Saints, et refusant d'accepter un seigneur laïque à la tête de l'Etat en formation, Godefroy ne prit que le titre d'avoué du Saint-Sépulcre. Il mourait l'année suivante (juillet 1100), son frère Baudoin était élu à sa place et fortifiait son prestige en prenant le titre de roi de Jérusalem. Ainsi se constitua le royaume latin de Jérusalem dont le souverain n'avait qu'une autorité restreinte, et dont les trois grands vassaux, le comte d'Edesse, le prince d'Antioche (Antakya ou Hatay, Turquie) et le comte de Tripoli, se considéraient comme des princes à peu près indépendants. Les Croisés installés en Terre-Sainte voulurent y établir une sorte de modèle de l'Etat féodal. Ils lui donnèrent un gouvernement oligarchique où les décisions du roi devaient être approuvées par une Haute-Cour. Lorsque le roi mourait, cette Haute-Cour choisissait son successeur qui jurait devant elle de respecter les « Assises et Coutumes. » Le rôle du roi était surtout celui d'un chef militaire qui convoquait ses vassaux à des expéditions nécessaires à la sûreté de l'Etat, et le service de guerre que lui devaient ceux-ci était subordonné à certaines conditions.

Au lendemain de la première Croisade, les Etats latins n'étaient défendus que par quelques centaines de combattants. Cependant en Occident l'enthousiasme allait croissant. De nombreux Croisés, des combattants français, allemands, lombards, partirent en grand nombre pour la Terre-Sainte au cours des années 1099, 1100 et 1101, mais ces arrière-croisades aboutirent à d'effroyables désastres et furent dispersées ou anéanties par les Grecs et les Turcs avant d'atteindre la Palestine. En 1106, encore, Bohémond prince d'Antioche, ce Normand de Sicile qui se proclamait bien haut de race française, alla en Occident chercher des renforts ; il vint en France, épousa la fille du roi Philippe I et, dans la cathédrale de Chartres, à l'issue de son mariage, debout sur les marches de l'autel, il raconta ses campagnes et exhorta les chevaliers à suivre l'exemple des premiers Croisés. Un certain nombre de seigneurs d'Ile-de-France prirent la croix. Mais ces renforts et d'autres qui suivirent furent toujours peu importants. Il fallut attendre la chute d'Edesse en 1144 pour qu'une nouvelle levée en masse se produisît. Les princes de Terre-Sainte n'eurent donc à compter que sur eux-mêmes et c'est avec des ressources bien modestes en combattants et en argent qu'ils consolidèrent et accrurent même leur premier établissement.

Des pèlerins, des émigrants, des gens de toutes conditions, de futurs colons, étaient partis aussitôt après la première Croisade, pour s'installer en Orient, attirés par les vastes étendues de terrain qu'on leur offrait et la colonie se développa rapidement. Un quart de siècle plus tard, un Etat prospère était organisé, la paix y régnait, la vie économique s'améliorait chaque jour sous l'administration intelligente des seigneurs francs qui, tout en invitant leurs compatriotes à venir s'établir en ce pays, avaient su par leur tolérance y faire demeurer les indigènes chrétiens et musulmans dont ils utilisaient la main-d'œuvre pour les travaux qu'ils entreprenaient. La vie était si clémente en Terre-Sainte que Foucher de Chartres pouvait écrire vers 1125 : « Dieu a transformé l'Occident en Orient. Celui qui habitait Reims ou Chartres se voit citoyen de Tyr ou d'Antioche... Tel d'entre nous possède déjà dans ce pays des maisons et des serviteurs, tel autre a épousé une femme indigène, une Syrienne, ou même une Sarrasine qui a reçu la grâce du baptême... La confiance rapproche les races les plus éloignées... Le pèlerin est resté en Terre-Sainte et est devenu un de ses habitants. De jour en jour nos parents viennent nous rejoindre. Ceux qui étaient pauvres en leur pays, ici Dieu les a faits riches. Pourquoi retournerait-il en Occident celui qui a trouvé l'Orient si favorable ? »
La conquête ne cessa de s'étendre pendant le premier tiers du XIIe siècle. C'est à la fin de cette période (vers 1125-1140) que les Etats francs atteignirent leur plus grand développement territorial.

La chute d'Édesse et la deuxième Croisade

Edesse fut enlevée en 1144 par Zengui, sultan de Mossoul et d'Alep. Certaines places du comté restèrent aux mains des Francs jusqu'en 1152. Plutôt que de les rendre aux Musulmans, la veuve du comte Joscelin II donna plusieurs forteresses qu'elle ne pouvait plus défendre aux Grecs et aux Arméniens.
La grande colonie franque d'Orient était pour toujours amputée d'un de ses membres.
La chute d'Edesse causa en Occident une profonde émotion et provoqua la deuxième Croisade. Celle-ci fut l'œuvre du roi Louis VII, du Pape Eugène III, ancien moine de Clairvaux, et de Saint Bernard. Ce dernier prêcha à Vézelay et donna lecture de la Bulle pontificale exhortant les Français à la Croisade : « C'est l'honneur des Croisés, écrivait le Pape, et en particulier des Français, d'avoir arraché aux Infidèles Jérusalem, Antioche et tant d'autres cités... J'espère que vous prouverez que l'héroïsme de votre race n'a pas dégénéré. » Le roi de France organisa avec soin le transport des troupes, écrivant aux princes d'Occident: pour leur demander leur concours. Et toute l'Europe chrétienne s'arma alors contre les Infidèles. Saint Bernard, après avoir prêché en Allemagne et en Suisse, avait décidé non sans peine Conrad III à prendre la croix et à unir ses troupes à celles du roi de France. En même temps des Saxons, des Danois, des Suédois, des Polonais s'équipaient pour marcher contre les Slaves idolâtres. Les Anglais armaient des navires pour aller guerroyer soit en Afrique contre les Maures, soit en Terre-Sainte ; enfin la Croisade reprenait en Espagne.

La guerre en Terre-Sainte fut un échec ; Louis VII et Conrad III prirent la voie de terre, celle de Godefroy de Bouillon, et les Francs eurent à se plaindre du mauvais vouloir de l'empereur Manuel et de l'hostilité des Grecs. Si le roi de France eût accepté la proposition du roi de Sicile, Roger II, qui lui offrait son armée et des navires pour transporter ses troupes, la Croisade aurait peut-être réussi. Louis VII rentra en France après le siège inutile de Damas.

Les Etats latins d'Orient après le désastre de la deuxième Croisade se trouvaient plus désemparés qu'auparavant. Devant la défection des Croisés d'Occident l'audace des émirs musulmans s'accrut ; le sultan Nour ed-Din s'empara pour quelque temps du château de Tripoli et de plusieurs forteresses de la principauté d'Antioche, vainquit l'armée du roi de Jérusalem à Yaghra (1) au nord d'Antioche, et écrasa le 29 juin 1149, au combat de Fons Muratus près Apamée, celle du prince Raymond d'Antioche qui fut tué dans la mêlée. Cependant le roi Baudoin III rétablit la situation et même en 115 3 il emportait d'assaut la ville d'Ascalon, le seul port que les Musulmans eussent conservé en Palestine et qui, dépendant des califes fatimides, était ravitaillé par l'Egypte et constituait une menace constante pour les Etats chrétiens.
Après cette victoire, le royaume de Jérusalem connut encore une période de gloire et de prospérité sous le roi Amaury I, prince d'une haute intelligence et d'une rare énergie. Au cours de campagnes audacieuses, Amaury fut bien près de s'emparer du Caire et de chasser les Musulmans d'Egypte.
1. Buhairah al Yaghrâ - Un lac cité par Yâkût, probablement l'un des plus petits lacs trouvés au nord-est du lac d'Antioche

La perte de Jérusalem

Malheureusement un nouveau danger menaçait les colonies franques. Jusqu'ici les Francs avaient pu se maintenir en profitant des dissensions qui renaissaient sans cesse entre les divers émirs musulmans, mais l'un d'eux, Saladin, arriva à réunir sous sa seule autorité les deux morceaux du monde musulman du Levant, l'Egypte et l'Arabie d'une part, la Syrie d'autre part. Jamais les Francs n'avaient eu devant eux un ennemi aussi redoutable, tant par son intelligence et les moyens d'action dont il disposait que par sa ténacité à chasser d'Orient ses adversaires.

En 1182, le seigneur de la Terre d'outre Jourdain, Renaud de Châtillon, faisait construire de grands vaisseaux dans le port d'Ascalon et transporter les éléments démontés de ces vaisseaux à dos de chameau à travers le désert jusqu'au golfe d'Aqaba. Il y fit monter une troupe nombreuse et pendant près d'une année cette flotte sillonna la Mer Rouge poussant jusqu'à Aden, s'emparant des bateaux arabes de commerce qu'elle rencontrait, semant la terreur sur les côtes d'Egypte et d'Arabie. Puis, voulant frapper l'Islam au cœur, les Francs tentèrent un débarquement pour s'emparer de la Mecque et de Médine ; mais ils en furent empêchés par une flotte égyptienne lancée à leur poursuite, des combats eurent lieu sur mer et sur terre et la troupe franque fut anéantie. Cette campagne exaspéra Saladin et la guerre reprit avec acharnement en Palestine. Après plusieurs années de combat où le sort des armes fut favorable tantôt aux armées chrétiennes, tantôt à celles de Saladin, celui-ci au cours des années 1187-1188 aborda la lutte avec une farouche énergie et ses attaques furent presque constamment victorieuses.

Le 4 juillet 1187, toutes les forces de l'Islam et de la Chrétienté d'Orient se heurtèrent à Hattin non loin de Tibériade. Saladin avait attiré l'armée chrétienne dans un désert sans eau et propice aux évolutions de sa cavalerie beaucoup plus légère que celle des Francs. L'armée du roi Guy de Lusignan, malgré des prodiges de valeur, fut écrasée. Le roi, les grands vassaux, les grands maîtres de l'Hôpital et du Temple furent faits prisonniers. L'évêque de Saint-Jean d'Acre succomba en défendant la vraie croix qui resta aux mains des Infidèles. Seul, le comte Raymond II de Tripoli, qui connaissait le terrain et avait instamment déconseillé d'accepter la lutte en cet endroit, put échapper avec la troupe qu'il commandait.

En un jour, l'oeuvre de près d'un siècle semblait anéantie. Saladin victorieux envahit la Palestine. Le 2 octobre, il s'emparait de Jérusalem. Bientôt toutes les places de Palestine tombaient en son pouvoir, sauf le port de Tyr défendu par Conrad de Montferrat qui repoussa toutes ses attaques.

Le sultan fit investir les grands châteaux francs d'Outre Jourdain qui résistèrent plus d'une année et n'ouvrirent leurs portes que lorsqu'ils furent réduits par la famine. Au cours de l'année 1188 Saladin poursuivit sa campagne victorieuse vers le nord. Il s'empara d'un certain nombre de villes et de châteaux de Syrie, mais les grandes forteresses défendues par des chevaliers de l'Hôpital et du Temple, le Crac des Chevaliers, Margat, la citadelle de Tortose lui résistèrent et sauvèrent ainsi les Etats latins d'une ruine définitive. Il s'empara aussi des châteaux qui environnaient Antioche, mais il dut renoncer à attaquer cette ville, car son armée, épuisée par des combats presque journaliers, donnait des signes de lassitude. Il s'empressa donc de consentir à la trêve que lui demandait le prince d'Antioche et rentra à Alep en triomphateur.

La troisième Croisade

La perte de Jérusalem et d'un grand nombre de villes et de forteresses de Terre-Sainte eut un immense retentissement en Europe. Pour la troisième fois une levée en masse se produisit et trois rois se croisèrent, Philippe-Auguste, Richard Cœur de Lion et Frédéric Barberousse.

Cette troisième Croisade, malgré les prouesses du roi de France et du roi d'Angleterre, malgré l'effort magnifique des chevaliers français et anglais, n'aboutit qu'à un demi-succès puisqu'on ne put reprendre Jérusalem. On s'empara d'Acre, de Gaza, de Jaffa, d'Ascalon (Ashkelon, Israël). Saint-Jean d'Acre devint pour cent ans (1191-1291) la capitale du royaume de Jérusalem désormais mutilé. (Acre : Akko, Israël, Akka en arabe, Ptolémaïs dans l'antiquité)

Le royaume de Chypre

Mais cette Croisade eut une autre conséquence : Richard, mécontent des procédés de l'empereur byzantin, lui enleva l'île de Chypre, puis il la vendit aux Templiers qui la recédèrent peu après au roi détrôné de Jérusalem, Guy de Lusignan. Ce prince, qui s'était montré pitoyable général à la journée de Hattin, se révéla merveilleux administrateur dans son nouveau royaume de Chypre. Il vit venir à lui de nombreux chevaliers dépouillés de leurs châteaux et de leurs fiefs par les victoires de Saladin et sut les retenir en leur donnant des domaines ; il attira les colons en leur accordant de nombreuses franchises : « on vit, nous dit le continuateur de Guillaume de Tyr, de pauvres savetiers, des maçons, des écrivains publics devenir tout à coup dans l'île de Chypre chevaliers et grands propriétaires. »
Et ce fut le développement soudain d'une magnifique colonie française où la vie courtoise et l'art français s'épanouirent dans toute leur grâce.

Les dernières Croisades

D'autres Croisades eurent lieu encore sans qu'on pût recouvrer Jérusalem par les armes. Un traité conclu en 1229 entre le sultan d'Egypte, Malek el Kamel, et Frédéric II rendit bien la Ville-Sainte avec Bethléem et Nazareth à l'Empereur d'Allemagne, mais cette possession ne fut qu'éphémère et en 1244 la ville était reprise aux Chrétiens. Quelques années plus tard, on put espérer qu'un prodigieux effort allait rendre au royaume latin les Lieux-Saints et les territoires qu'il avait perdus.

Saint Louis fut l'âme de la Croisade ; ayant fait ses préparatifs en Chypre où il séjourna plusieurs mois (septembre 1248 à mai 1249), il partit pour l'Egypte avec ses trois frères et une grande partie de la noblesse de France. On sait les premiers succès des Croisés, la prise de Damiette et la marche sur le Caire, puis l'échec de Mansourah et la mort glorieuse du vaillant Robert, comte d'Artois, l'aîné des frères du roi (8 février 1250), la captivité de Saint Louis et ses souffrances, sa magnifique fermeté d'âme, la noblesse de son attitude qui provoqua l'admiration de ses vainqueurs ; puis son départ pour la Palestine avec les débris de son armée : sur 2.800 chevaliers qu'il avait réunis en Chypre il lui en restait moins de cent.

Le roi resta quatre ans en Palestine (mai 1250-avril 1254), négociant le rachat des prisonniers laissés en Egypte, rendant confiance aux Chrétiens d'Orient, faisant des dépenses considérables pour remettre en état de sûreté les villes qu'ils possédaient encore, relevant les fortifications de Saint-Jean d'Acre, de Césarée, de Jaffa, de Sidon, participant corporellement à ces travaux, comme nous l'apprend Joinville qui le vit maintes fois porter la hotte au fossé.

Saint Louis devait reprendre la Croisade. Le sultan Beibars aussi redoutable que Saladin s'était emparé de Césarée en 1265. Préoccupé des succès des armées musulmanes, le roi, bien que malade, organisa une nouvelle expédition ; celle-ci fut brusquement terminée par sa mort à Tunis. La même année (1270), Ascalon était prise. L'année suivante, Beibars enlevait aux Hospitaliers le Crac des Chevaliers, le plus puissant des châteaux de frontière. L'Ordre de l'Hôpital perdait encore, en 1285, la grande forteresse de Margat. La ville de Tripoli était prise en 1289. Enfin en 1291 la grande place forte de Saint-Jean d'Acre succombait après une résistance acharnée qui dura cinq semaines, où les chevaliers du Temple se battirent en héros sûrs du martyre, après des combats de rues, d'incessants corps à corps, après des succès et des revers où tour à tour Chrétiens et Musulmans étaient maîtres d'une portion de l'enceinte ou d'un quartier de la ville.
La chute de Saint-Jean d'Acre marque la fin de l'occupation de la Terre-Sainte par les Francs. Deux mois plus tard il ne restait plus rien aux Croisés sur les rivages du Levant.

* * *

Ainsi, pendant près de deux siècles, la Terre-Sainte fut au pouvoir de princes français : Français les rois de Jérusalem, Baudoin I, Baudoin II comte de Rethel, Foulques comte d'Anjou et ses fils et son petit-fils qui lui succédèrent, puis Guy de Lusignan seigneur poitevin, Henri comte de Champagne et Jean de Brienne comte de la Marche. Français les comtes toulousains de Tripoli et les sires de Courtenay devenus comtes d'Edesse ; Français les princes d'Antioche Raymond de Poitiers et ses descendants ; Français enfin les sires d'Outre Jourdain qui s'appelaient Romain du Puy, Philippe de Milly, Renaud de Châtillon.

Si ces Princes ardents à la bataille furent souvent sur la brèche et si plusieurs d'entre eux moururent en combattant, il n'en est pas moins vrai que dans ces grandes colonies où vécurent six ou sept générations de familles occidentales et surtout françaises et de toutes conditions, la paix régna pendant de longues années et si parfois on se battait aux frontières, les grandes villes chrétiennes, bien protégées par leur rempart de forteresses, connurent longtemps le bien-être et une situation prospère.
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Chapitre II

Géographie Historique des Etats Francs de Terre-Sainte

II. — Géographie Historique des Etats Francs de Terre-Sainte

Les Etats Francs occupaient toute la bande de territoire qui, du nord au sud, forme le littoral oriental de la Méditerranée (1). Sur toute cette côte en ligne droite d'une longueur de 600 kilomètres allant du golfe d'Alexandrette aux confins du désert d'Egypte, le domaine des princes latins ne dépassait guère soixante-dix kilomètres dans l'intérieur des terres et même, en certains endroits, sa largeur était inférieure à cinquante kilomètres.
Au nord et au sud de cette côte le territoire s'élargissait considérablement : au nord les Francs imposèrent quelque temps leur domination sur la Cilicie, et la principauté d'Antioche trouvait à l'ouest une frontière naturelle dans les chaînes du Taurus et de l'Anti-Taurus, tandis que vers l'est le comté d'Edesse se prolongeait au-delà de l'Euphrate et occupait une partie de la Mésopotamie.

Au sud, le royaume latin s'étendait au-delà de la Mer Morte et de l'Ouadi Araba sur un vaste territoire appelé la Terre oultre le Jourdain qui couvrait de sa protection la presqu'île du Sinaï et, confinant au désert d'Arabie, atteignait le golfe d'Aqaba d'où les Francs entretinrent quelque temps une flotte sur la Mer Rouge. Ainsi ce grand fief qui dépendait directement du royaume de Jérusalem commandait la grande route du Hedjaz, route des pèlerins de Syrie aux villes saintes de l'Islam, la Mecque et Médine, et coupait en deux tronçons le monde musulman, l'Egypte et l'Arabie d'une part, la Syrie d'autre part.
La colonie franque était distribuée en quatre grands Etats : c'étaient du sud au nord, le royaume de Jérusalem, le comté de Tripoli, la principauté d'Antioche et le comté d'Edesse, les trois derniers n'ayant vis-à-vis du premier que des liens de vassalité très lâches.

Du royaume de Jérusalem dépendaient immédiatement quatre baronnies principales et douze seigneuries secondaires.

Sagette (Saïda)

Sagette, Saïda - Image Paul Deschamps
Sagette (Saïda) - Image, Paul Deschamps

Les quatre baronnies étaient le comté de Jaffe et d'Escalone (Ascalon), la seigneurie du Crac (Kérak de Moab) et de Montréal qu'on appelait la Terre oultre le Jourdain, la princée de Galilée avec la Terre de Suète au-delà du lac de Tibériade, la baronnie de Sagette (Saïda).
Les seigneuries étaient celles du Darum, de Saint-Abraham (Hébron), d'Arsur, de Césaire (Césarée), de Naples (Naplouse), du Bessan, de Caimont, de Caïphas, du Toron et Belinas (Banias), de Scandelion, de Saint-Georges (Lydda), de Barut (Beyrouth).
La forteresse la plus méridionale au bord de la Méditerranée était celle du Darum (aujourd'hui Deir el Belah) au sud de Gadres (Gaza) (2).
La limite septentrionale du royaume qui le séparait du comté de Tripoli était constituée par une rivière entre Barut (Beyrouth) et Giblet (3) (Djebeil), probablement le Nahr al Mu'amiltain à la hauteur de Juine (Djouniyé) (4).
La limite entre le comté de Tripoli et la principauté d'Antioche se trouvait entre Maraclée et Valénie (Banias) sur une rivière passant au pied du promontoire que domine le château de Margat (5).
Enfin la limite qui séparait au nord-est la principauté d'Antioche du comté d'Edesse (6) passait au sud de Coricie probablement entre Hazart et Corsehel (7).

* * *

La politique réfléchie et prudente que suivirent les Princes latins pour étendre leur conquête, le soin qu'ils mirent à donner à leurs Etats des frontières naturelles et à fortifier celles-ci en occupant les points stratégiques importants, le souci qu'ils eurent de s'emparer de certains territoires dont la fertilité était réputée et aussi de s'établir sur les grandes routes commerciales par où passaient les produits de l'Asie, méritent d'être examinés.
Si l'on observe la structure de la Syrie et de la Palestine on constate qu'à la suite de bouleversements de l'écorce terrestre une profonde dépression s'est constituée du nord au sud : c'est la fosse syrienne dont on retrouve la trace depuis Marash jusqu'à la Mer Rouge.
Cette fosse est représentée par une série de vallées et de plaines qui s'allongent entre deux chaînes parallèles de montagnes en Syrie, de plateaux en Palestine ; entre la chaîne de l'ouest et la mer s'étend une étroite frange de plaines côtières. Ces vallées de la fosse syrienne sont celles du Qara-sou, la plaine d'er-Roudj et la plaine du Ghâb où coule l'Oronte, la Bouqeia ou petite Bekaa que les Francs appelaient la Boquée ou Bochée constituant la trouée de Homs, la longue plaine de la Bekaa, la « Vallée plane », couloir de 120 kilomètres de long qui s'étend entre le Liban et l'Anti-Liban, puis la vallée du Ghor où coule le Jourdain, enfin la Mer Morte, et la vallée de l'Araba aboutissant au Golfe d'Aqaba.
Or, ce grand val syrien forma pour ainsi dire l'immense fossé qui servit de défense aux Etats francs, les monts de l'ouest en constituant l'escarpe et ceux de l'est la contrescarpe. Si les Francs vinrent à déborder ces derniers, leur situation fut toujours précaire dans ces régions éloignées.

En Syrie, la côte méditerranéenne communique avec la fosse syrienne par trois dépressions transversales allant de l'ouest à l'est qui sont :
1° la grande dépression d'Antioche par laquelle l'Oronte tourne à l'ouest pour se jeter dans la mer entre la chaîne du Mont Parlier (Cassius) (8) et la Montagne Noire (Amanus) (9).
2° la dépression de Lattaquié qui va jusqu'à l'Oronte.
3° la dépression de Tripoli communiquant avec la Boquée par la vallée du Nahr el Kébir et la fertile plaine d'Akkar.

Plus au sud, en gagnant la Palestine, on trouve des trouées analogues, coupant d'ouest en est le système montagneux. C'est la gorge du Litani, fleuve descendant entre le Liban et l'Anti-Liban dans la vallée de la Beqa, puis tournant brusquement à l'ouest et se frayant un passage entre les derniers contreforts méridionaux du Liban et le Plateau de Galilée. C'est la plaine de Jezréel entre la Galilée et la Samarie. C'est enfin la dépression d'Hébron au sud de la Judée.
Nous verrons plus loin les précautions prises par les Francs pour défendre ces vallées qui, franchissant le rempart formé par les chaînes de montagnes, pouvaient procurer un passage facile aux armées musulmanes.

L'organisation de la défense ; l'occupation des positions stratégiques

Le littoral

A la mort de Godefroy de Bouillon (18 juillet 100), les Francs ne possédaient en Palestine que Jérusalem, Rames (Ramleh), Lydde, Bethléem, Naples (Naplouse), Tabarie (Tibériade) et le port de Jaffe ou Joppé (Jaffa). Pour défendre cet embryon du futur royaume de Jérusalem accru peu après du port de Caïphas (Caïffa), on ne comptait comme combattants que trois cents chevaliers et trois cents hommes d'armes. Cependant cette petite troupe continua à assiéger les places de Palestine, puissamment aidée par les équipages des flottes génoise et vénitienne. La formation du royaume de Jérusalem proprement dit fut surtout l'œuvre de trois rudes guerriers, toujours en campagne, Baudoin ! » (1100-1118), Baudoin II (1118-1131) et Foulques d'Anjou (1131-1144), qui non seulement repoussèrent victorieusement les retours offensifs des Musulmans, mais aussi développèrent leur conquête. Ils ne se contentèrent pas seulement d'étendre leur propre domaine : on les vit encore parcourant en incessantes chevauchées toute l'étendue des Etats latins, tantôt se portant au secours du comte de Tripoli ou du comte d'Edesse, tantôt barrant la route à une armée sarrasine qui marchait sur Antioche, tantôt assiégeant la grande citadelle musulmane d'Alep.

Sour (Tyr)

Sour (Tyr) - Image Paul Deschamps
Sour (Tyr) - Image, Paul Deschamps<

Les Francs prirent les villes de la côte, Arsur (Arsouf, au sud de Césarée) et Césaire (Césarée) en 1101, Acre et Giblet (Djebeil, l'antique Byblos) en 1104, Triple (Tripoli) en 1109, Barut (Beyrouth) en 1110, Sagette (Sidon) la même année avec l'aide de croisés norvégiens et de leur roi Sigurd ; fut prise en 1124. Ascalon ne fut occupée qu'en 1153.

Pour conquérir ces grandes villes du littoral bien fortifiées, il fallut aux princes francs toujours démunis de troupes, les assiéger pendant plusieurs années. Et se rendant compte que leur siège serait long, ils construisaient sur une colline voisine un château-fort ou parfois même ils en élevaient plusieurs, encerclant la ville du côté de la terre. Ainsi ils étaient aux assiégés tout espoir d'être secourus par une armée musulmane qui aurait tenté une incursion dans le domaine latin.

En 1102, Raymond de Saint-Gilles construisit sur une colline proche de Triple, le Mont Pèlerin, un château (10) d'où les Francs dirigeaient les opérations du siège. Triple ne tomba en leur pouvoir qu'en 1109. Peu à peu, le château devint le centre de la ville franque qui s'éleva au pied de ses murailles, l'ancienne ville musulmane perdant son importance et devenant le faubourg du port. De magnifiques jardins séparaient les deux agglomérations.

Pour prendre Sour (Tyr), Hugues de Saint-Omer, seigneur de Tibériade, construisit vers 1106 entre sa ville et Sour le château du Toron (Tibnin) (11), et quelques années plus tard, en 1117, on construisit dans la même intention le château de Scandelion entre Acre et Sour. La ville ne fut prise par les Francs qu'en 1124.

La grande ville d'Escalone (Ascalon) était considérée comme imprenable par les Arabes qui l'appelaient « la Vierge de Syrie. » Les Francs ne s'en emparèrent qu'en 1153 et jusque-là cette cité, possédée par les sultans fatimides, communiqua librement avec l'Egypte qui y entretenait une importante garnison. Les Croisés construisirent dans son voisinage une ceinture de forts : Bethgibelin (1137) (12), Ibelin (1141), puis Blanche-Garde (1142) (13), qui devaient leur permettre de se garantir d'une invasion égyptienne et aussi d'y concentrer leurs forces quand le moment favorable serait venu de tenter la prise d'Escalone (Ascalon).

La frontière méridionale du royaume de Jérusalem

La région au sud-est et à l'est de la Mer Morte (Terre outre le Jourdain).

Prolongeant au sud la grande fosse syrienne, l'Ouadi Araba creuse profondément son chemin depuis le sud de la Mer Morte jusqu'à la Mer Rouge au Golfe d'Aqaba, sur une distance de 180 kilomètres.

De hauts plateaux dominent les escarpements qui bordent cette longue vallée. Les plateaux de l'ouest présentent de vastes étendues pierreuses et dénudées : c'est le désert de Tih que les Francs appelaient La Grande Berrie (de l'arabe barriyé qui signifie désert).

Les Croisés ne jugèrent pas utile d'établir de postes dans cette région improductive et c'est au nord de celle-ci, c'est-à-dire au sud de la Judée, qu'ils établirent une sorte de ligne-frontière suivant la dépression d'Hébron, une de ces dépressions transversales que nous avons vu, d'ouest en est, mettre en communication la Méditerranée avec la fosse syrienne. Cette ligne-frontière était munie de forts ou de postes qui devaient servir de gîte d'étape aux troupes que le roi pouvait envoyer, au-delà de la Mer Morte, au secours de son vassal de la Seigneurie d'outre Jourdain.

Tels étaient le château de Darum près de la mer au sud de Gaza, le château du Fier, les postes de Semoa, de Carmel (Kermel) (14) et de Zouweirah (15). Ce dernier est situé près de la rive sud-ouest de la Mer Morte ; la route d'Hébron à Kérak de Moab y passait.

Les hauts plateaux dominant l'Ouadi Araba à l'est sont au contraire très fertiles. C'est l'antique pays d'Edom ou Idumée et c'est aussi l'Arabie Pétrée où la cité de Pétra, capitale des Nabatéens, connut dans les deux siècles qui précédèrent immédiatement notre ère et au début de celle-ci une singulière prospérité. Au nord de l'Idumée se trouve le pays de Moab bordant la côte orientale de la Mer Morte.

Ces plateaux de l'est que les Juifs appelaient l'Abarim « les monts d'en face » forment sur une longue étendue une bande de terres d'une richesse exceptionnelle, terres rouges provenant de la décomposition du calcaire, terres noires résultant de la désagrégation de roches basaltiques, qui constituent un sol très productif, de 15 à 18 kilomètres de large, propre à la culture des céréales et à l'élevage des troupeaux. Les Francs furent attirés de bonne heure par l'aspect riant de cette contrée verdoyante qu'au temps du Bas-Empire on appelait la « Palestina Salutaris. » Leurs historiens lui donnent le nom de Terre oultre le Jourdain ou de « Syrie Sobal. » Des vallées s'ouvrant à travers le plateau pouvaient fournir un passage facile aux bandes de Bédouins pillards ou aux armées musulmanes. Aussi les princes latins reconnurent-ils la nécessité de s'y fortifier solidement en y élevant plusieurs châteaux.

Cette contrée où les Romains avaient construit des routes importantes constituait un grand passage faisant communiquer la Syrie avec l'Arabie et l'Egypte. Et pendant une grande partie du XIIe siècle cette marche lointaine des Etats francs s'avançant comme un coin dans les territoires des Sarrasins vint diviser le monde arabe, gênant considérablement les relations entre les Etats musulmans et empêchant la liaison de leurs armées Outre le besoin d'assurer la sécurité des domaines de l'intérieur en se fortifiant, outre l'attrait d'une région particulièrement fertile, un autre motif, d'ordre commercial, avait incité les Francs à occuper ce pays : c'est par là, au pied du plateau de Moab et d'Idumée qui descend en pente douce vers l'est, que passe le Derb el Hadj, c'est-à-dire la route du Hedjaz suivie par les nombreuses troupes de pèlerins se rendant de Mésopotamie et de Syrie vers les villes saintes de Médine et de la Mecque. Les grandes caravanes de marchands, qui allaient et venaient de Syrie en Egypte, de Damas au Caire, prenaient cette même route. Au port d'Aïlat (Eilat, Israël) sur le Golfe d'Aqaba elles recevaient pour les transporter dans le nord et sur le littoral, les produits que les navires de la Mer Rouge apportaient du Yémen, du Golfe Persique et de l'Inde. Bien vite les Francs se rendirent compte du parti qu'ils pourraient tirer de la possession de cette contrée pour le développement économique de leur colonie. Le seigneur de la Terre oultre le Jourdain obtenait d'importants revenus des droits qu'il prélevait sur toutes ces caravanes passant à travers son territoire. Maîtres du port d'Aïlat (Eilat, Israël) où ils construisirent une forteresse, les Francs eurent le contrôle du commerce de la Mer Rouge. Ils organisèrent aussi un service de navigation sur la Mer Morte ; des navires transportaient sur la côte de Palestine les blés de Moab, les cannes à sucre de Montréal, les dattes de Segor, ainsi que le bitume et le sel récoltés sur les bords même du Lac Asphaltite. Cette navigation dut être particulièrement intense à l'époque où le seigneur d'outre Jourdain fut en même temps seigneur de Saint-Abraham (Hébron) c'est-à-dire le maître des deux rives de la Mer Morte.

Dès la fin de l'année 1100, avant même de se faire couronner roi de Jérusalem, Baudoin avait conduit une reconnaissance au sud de la Mer Morte. Son chapelain Foucher de Chartres, qui devait être son historien, l'y avait accompagné (16) ; ils avaient été séduits par la fertilité de la contrée où ils avaient trouvé des fruits en abondance. Il semble bien que dans cette expédition ils atteignirent, à l'extrémité sud-est de la Mer Morte, un lieu célèbre depuis l'Antiquité, c'est la Zoar biblique, que les Grecs appelaient Segor et les Byzantins Zoora. Cette Zoora (17) figure sur la carte en mosaïque de Madaba, œuvre du VIe siècle, sous l'aspect d'une forteresse environnée de palmiers. Le bananier, l'indigotier et surtout le dattier y prospéraient. Les Francs frappés par cette végétation luxuriante changèrent son nom et l'appelèrent Palmer ou Paulmiers (18).

Damas, Porte Bab Charqui sur les remparts

Damas, Porte Bab Charqui sur les remparts - Image Paul Deschamps
Damas, Porte Bab Charqui sur les remparts - Image, Paul Deschamps

Aussitôt la guerre économique commence : En 1108 des Turcs venus de Damas entreprennent de construire dans la vallée de Moïse, c'est-à-dire dans le voisinage de Pétra un château pour en interdire le passage aux marchands chrétiens. Le roi Baudoin va les combattre avec 500 chevaliers et détruit leur ouvrage (19).

Quelques années plus tard en 1115, c'est Baudoin qui entreprend la construction d'un château dans cette contrée et Albert d'Aix nous laisse entendre qu'il voulait avoir le contrôle des routes commerciales qui traversaient le pays (20). Ce château que Baudoin avait appelé Montréal (esh-Shôbak) (21) surveillait le Derb el Hadj. Le roi s'était rendu lui-même sur les lieux, avait examiné le terrain et Guillaume de Tyr le vante de son choix, le site étant naturellement fortifié et les terres voisines étant fertiles et susceptibles de produire du blé, du vin et des olives.

Les Francs avaient désormais une position très forte dans l'Arabie Pétrée, au nord de Pétra, cette Palmyre du sud, cette cité jadis opulente, cachée dans les rochers où l'on ne pénètre que par un étroit défilé.

Les Nabatéens, dont les caravanes sillonnaient le désert, avaient fait jadis de cette ville leur entrepôt des denrées qu'ils amenaient d'Asie vers la Mer Rouge, l'Egypte et la Méditerranée. Dans ce site fermé, admirablement défendu par la nature, ils pouvaient entasser leurs richesses sans crainte du pillage. Les Francs construisirent tout à côté sur une éminence un petit château-fort que les chroniqueurs appellent « le château de li Vaux Moïse » (22). Une voie romaine passait là venant du Hauran et se dirigeant vers le Golfe d'Aqaba. Le roi Baudoin avait atteint la Mer Rouge en 1116 et c'est peut-être alors qu'il avait établi le poste fortifié d'Aïlat (23) qui formait l'extrémité méridionale des Etats francs. Il est très probable que, dans le golfe même, les Francs occupèrent momentanément l'Ile de Graye et y construisirent une forteresse (24).

En 1142, le seigneur de ce territoire qui devint le fief le plus vaste du royaume de Jérusalem, éleva un château, plus puissant encore que Montréal, à Kérak, la ville la plus importante du pays de Moab ; les textes bibliques font mention des défenses de son enceinte et ce fut une cité florissante à l'époque byzantine. Il subsiste encore des vestiges importants de ce château que les textes occidentaux appellent « le Crac », ou encore « Petra Deserti. » Les pierres retaillées de ses murailles réparées à plusieurs reprises gardent le témoignage des nombreux sièges supportés par les chevaliers qui défendirent avec acharnement cette citadelle avancée des Etats francs dressant sa masse gigantesque au-dessus du grand désert de Syrie.

Bien au nord de Kérak la seigneurie d'outre Jourdain se prolongeait sur toute la côte orientale de la mer Morte et même au nord-est de celle-ci. Elle occupait le territoire du Belqa avec le fief d'Ahamant (Amman) (25) ville située dans une région fertile et qui acquit une grande importance aux temps de la domination grecque et romaine ; c'est aujourd'hui la capitale de l'Etat de Transjordanie.

Au sud de Kérak s'échelonnaient avec Montréal, li Vaux Moïse et Aïlat, des forteresses, Tafilet, Hormoz, Sela, et cet ensemble de châteaux constituait une ligne de défense allant droit du nord au sud sur la chaîne de hauteurs dominant à l'ouest le Derb el Hadj.
Ainsi la seigneurie d'outre Jourdain s'étendait sur une longueur de 350 kilomètres environ, ayant comme frontière au nord le Nahr Zerqa (l'ancien Yabboq) et aboutissant au sud à la Mer Rouge (26).
Le prince d'outre Jourdain avait aussi une sorte d'autorité nominale sur la presqu'île du Sinaï (27) et le chroniqueur Ernoul nous dit que le Mont est « en la terre le seignor de Crac » (28). Nous savons en outre que l'abbé-évêque du Mont Sinaï était suffragant de l'archevêque latin de Kérak (29).

Les campagnes d'Egypte

A la fin de son règne, Baudoin Ier essaya d'étendre encore sa domination et de conquérir l'Egypte. Il pénétra de vive force dans Farama (30) (mars 1118) et mourut à El Arish le 2 avril 1118 au retour de son expédition. Il reste un souvenir émouvant de son passage dans cette région : le roi ayant demandé à être enterré au Saint-Sépulcre à côté de son frère Godefroy de Bouillon, son cuisinier Addon ôta du corps les viscères pour empêcher une décomposition rapide et ces viscères furent enterrées à El Arish. On éleva pour marquer l'endroit un tas de pierres, et le lieu s'appelle encore Hadjeret Berdaouil, « la pierre de Baudoin » ; la région environnante porte le nom de Sebkhat Berdaouil « la lagune de Baudoin. »

Plus tard le roi Amaury Ier devait faire plusieurs tentatives pour s'emparer de l'Egypte et c'est toujours par le chemin de la côte que ses armées passèrent. En général, c'est à Escalone que les contingents francs se réunissaient, de là ils gagnaient Cadres, puis le château de Darum qui était la dernière citadelle franque sur la mer ; on pénétrait ensuite sur le chemin de l'Egypte par le désert que les chroniqueurs appelaient « la grande Berrie ». On suivait cette route du rivage que suivirent tant d'armées, depuis celles des Thoutmès jusqu'à celle de Bonaparte. On faisait étape à Laris (El Arish), puis à Farama avant d'atteindre Belbeis.
Au cours de ces campagnes (1163, 1164, 1167, 1168, 1169), les troupes d'Amaury firent le siège de Belbeis, du Caire, de Tinnis, d'Alexandrie et de Damiette (31). Les troupes franques et musulmanes se rencontrèrent sur les deux rives du Nil et une grande bataille eut lieu le 18 mars 1167, très loin vers le sud, à Aschmounein, près de Daldjah (32). Pendant plusieurs mois de cette même année une garnison franque occupa le Caire sous le commandement d'Hugues d'Ibelin.

Quelques années plus tard, Saladin voulant barrer le chemin de l'Egypte aux Francs, construisit le château de Sadr, aujourd'hui Qal'at Guindi (33), sur la route que suivaient les armées arabes allant du Caire à Damas.
En 1177-1178, au cours d'une nouvelle campagne en Egypte, les Francs assiégèrent le château de Sadr mais furent repoussés.

La région à l'est du Jourdain et du, Lac de Tibériade. Adjloun et Djaulan (Terre de Suete)

Hauran.

Les Francs firent de nombreuses expéditions dans l'ancienne terre de Galaad (Adjloun actuel) et dans l'ancienne Gaulanitide (Djaulan actuel) dans l'intention de s'y fixer. Mais nous avons dit qu'ils agissaient prudemment et lorsque s'étant aventurés au loin, ils se rendaient compte qu'ils ne pourraient se maintenir sur telle position dont la garnison eût été trop en avant-garde, ils l'abandonnaient. C'est ainsi que Baudoin II ayant pris aux Musulmans en 1121 le château de Djerash (34), au-delà du Djebel Adjloun, le trouvant trop éloigné pour le conserver, le fit démolir avant de retirer ses troupes du pays (35).

Les Croisés parvinrent à se fortifier et à se maintenir pendant la plus grande partie du XIIe siècle à l'est du lac de Tibériade et, plus au sud, à l'est d'une partie du cours du Jourdain, dans une contrée qu'ils appelaient la Terre de Suete (36), comprenant les territoires situés au nord et au sud du Yarmouk. Un chroniqueur arabe nous apprend qu'en 1105, ils y construisirent une forteresse à 'Aal (37). Togtekin, atabek de Damas, les en délogea la même année. On voit encore à une petite distance au nord de ce village la ruine d'une forteresse qui porte le nom de Qasr Berdaouil, le « Château de Baudoin. » (38)

Mais il est question à plusieurs reprises dans les chroniques d'un autre château occupé par les Francs dans cette contrée. Les historiens arabes lui donnent le nom d'el Habis (39) ; Guillaume de Tyr (40) parle aussi, sans indiquer son nom, d'un château dans la Terre de Suète, mais les détails qu'il fournit, les dates concordantes, autorisent à constater qu'il s'agit bien du même monument.
On ne l'a pas identifié jusqu'ici : les résultats de l'exploration faite dans l'Adjloun par G. Schumacher, publiés par C. Steuernagel (41), nous ont permis de le situer sur la rive gauche du Yarmouk c'est-à-dire au sud de ce fleuve sur le Ras Hilja en face de la station de chemin de fer de Shedjra. Guillaume de Tyr nous donne maints détails sur les dispositions curieuses de cette grotte-forteresse (42) creusée au flanc d'une montagne élevée, et dont le seul accès était un étroit sentier qui courait à une grande hauteur le long de la paroi rocheuse. La possession de ce château assurait aux Francs la domination du pays et le partage avec l'émir de Damas des revenus d'une région très étendue (43) : district de Sait, Adjloun, Ghor (vallée du Jourdain), Djaulan jusqu'au Hauran. Cette situation, qui existait dès 1109, paraît s'être maintenue jusqu'à la malheureuse bataille de Hattin (1187).

En 1184 Saladin s'apprêtant à faire un grand effort contre les Francs fit construire une puissante forteresse à Adjloun. Ce château, l'une des plus importantes places de guerre des Musulmans, joua un certain rôle au XIIIe siècle dans la lutte contre les Croisés (44).
Les Francs pénétrèrent à plusieurs reprises dans le Hauran célèbre par sa fertilité. On les y vit en 1113; ils y retournèrent en 1118 et en 1119, s'emparant de la ville d'Adraa (45) (aujourd'hui Der'a) que le traducteur de Guillaume de Tyr appelle la cité Bernard d'Estampes (46), et s'avançant jusque dans le Ledja où ils prirent le village de Bouser (47). Ils apparurent encore dans le Hauran en 1126 (48), 1147, 1172, 1182; ils tentèrent même en 1147 (49) et en 1182 (50) de s'emparer de l'importante cité de Bosra (qu'ils appelaient Bussereth), poussant ainsi jusqu'aux confins des régions, bouleversées par les éruptions volcaniques, de l'Etat actuel du Djebel Druze. Dans certaines de ces expéditions (1119 (51), 1126, 1147), l'armée franque qui franchissait en général le Jourdain au Pont de la Judaire, au sud du lac de Tibériade, traversait la partie septentrionale de l'Adjloun et se dirigeant vers le fleuve Yarmouk, passait, pour pénétrer en territoire ennemi, par une gorge étroite appelée par les chroniqueurs francs la Cavea Roob (52). Après l'avoir franchie, ils se trouvaient dans la Plaine de Medan, fertile et abondamment pourvue d'eau, située à proximité de la route des caravanes du Hedjaz. Cette plaine était chaque année le lieu d'une grande foire que fréquentaient de nombreux marchands de Syrie, de Mésopotamie et d'Arabie.

La Galilée et la Phénicie méridionale

En Galilée la Plaine de Jezréel ou d'Esdrelon, et plus au nord, entre le lac de Tibériade et les premiers contreforts méridionaux du Liban, une série de vallées pouvaient être des passages faciles aux armées ennemies. Aussi les Francs avaient-ils protégé cette région par un réseau de forteresses : du Jourdain à la mer, dans la plaine de Jezréel s'échelonnaient les forts du Bessan et de Belvoir, de la Fève (53) et de Caimont.

Toron ou Tibnin

Toron, Tibnin - Image Paul Deschamps
Toron, Tibnin - Image Paul Deschamps

Au nord du lac de Tibériade se trouvaient le Chastellet et Saphet (54); ce dernier se dressait à l'entrée du plateau de Galilée sur une éminence isolée constituant une forte position retranchée derrière le Jourdain à l'est, le lac de Houlé au nord et le lac de Tibériade au sud. Au nord de Saphet, Châteauneuf (Hounin) et le Toron Tibnin défendaient l'accès de Tyr.

Château de Beaufort

Château de Beaufort - Image Paul Deschamps
Château de Beaufort - Image, Paul Deschamps

Au-dessus de la Merdj'Ayoun, nommée par les Francs le Val Germain, au nord du lac de Houlé, les Croisés avaient construit deux importants châteaux, l'un à l'est, Subeibe à l'extrémité de l'Hermon, l'autre à l'ouest, Beaufor sur une des dernières crêtes de la chaîne du Liban.

Chateau de Subeibe

Chateau de Subeibe - Image Paul Deschamps
Chateau de Subeibe - Image Paul Deschamps

Le grand château de Subeibe, bien conservé, domine la ville de Bélinas (Banias), l'antique Césarée de Philippe, placée à un nœud de routes romaines, près d'une des sources du Jourdain. Haut perché, il surveillait les routes allant de Damas vers Acre et Tyr. Tout près de là se trouvait la frontière, ici parfaitement indiquée, qui séparait les États francs des États musulmans. Elle passait entre Bélinas et Beit Djenn (55).
Il semble que pendant quelque temps les Francs aient occupé le château d'Hasbeya au nord de Bélinas.
Le château de Beaufort (56), véritable nid d'aigle à 670 mètres d'altitude, est situé au sommet d'une crête rocheuse dominant une pente tombant à pic sur le Litani, là où ce grand fleuve qui descend à travers la Beqaa en longeant le Liban, atteint l'aboutissement de cette chaîne et trouvant une faille entre ces montagnes et le massif de Galilée, fait un coude à l'ouest pour aller se jeter dans la mer.
Ainsi les deux châteaux de Subeibe et de Beaufort plantés à l'extrémité du grand couloir de la Beqaa gardaient à la fois l'entrée de cette vallée, l'accès de la Syrie du sud et celui de la Palestine.

Le Liban

Les deux chaînes parallèles du Liban et de l'Anti-Liban avec leurs crêtes escarpées constituaient aux Etats Latins un rempart infranchissable ; aussi sur toute l'étendue de cette double ligne de montagnes, depuis Beaufort au sud jusqu'à Akkar au nord, sur une longueur de 150 kilomètres ne trouve-t-on pas une grande forteresse et ne voit-on que quelques fortins de plaine surveillant le littoral.
Tout au plus peut-on signaler une position stratégique d'une certaine importance : c'est le Moinestre, château qui commandait un col permettant de passer de Baalbeck à la côte.

La trouée de Homs

Mais en arrivant à l'extrémité septentrionale des deux escarpements montagneux on trouve la première des trois dépressions transversales que nous avons signalées en Syrie, la dépression de Tripoli. Une série de vallées parallèles disposées entre des mouvements de terrain peu élevés viennent séparer le massif nord de la chaîne du Liban, le Djebel Akkar, de la chaîne du Djebel Ansarieh qui longe à l'ouest la vallée septentrionale de l'Oronte jusqu'au voisinage d'Antioche.
Cet intervalle entre les deux massifs, couloir large d'une vingtaine de kilomètres, est occupé par un territoire particulièrement fertile qu'arrosé le Nahr el Kébir, l'Eleuthère de l'Antiquité. On donne aujourd'hui le nom de « trouée de Homs » à ce passage qui mettait en liaison la plaine côtière de Tripoli à Tortose avec la vallée de l'Oronte et les grandes villes musulmanes de Homs et de Hama.
Comme il pouvait fournir aux armées musulmanes une communication facile avec les Etats latins, les Francs l'avaient solidement défendu. Ils avaient d'abord en avant du passage et dans le voisinage de Hama, occupé dès la première Croisade la vieille cité de Rafanée et construit pour menacer les territoires musulmans une forteresse d'avant-garde, Montferrand (Barin). Celle-ci maintes fois prise et reperdue fut finalement rasée en 1238-1239 par Malek el Mozaffer, prince de Hama.
Surveillant la Boquée se dressait au nord de cette plaine le formidable Crac des Chevaliers que les Francs avaient construit sur un sommet presque isolé, constituant le dernier ressaut méridional du Djebel Ansarieh. Plusieurs fortins au pied de cette forteresse en défendaient les abords. En face du Crac, au sud de la plaine, se dressait sur un des derniers contreforts du Djebel Akkar le petit château d'Akkar (57).

Chastel-Blanc (Safitha)

Chateau de Safita-Chastel-Blanc
Chastel-Blanc (Safitha)

A l'ouest de ces deux châteaux on voyait, protégeant les vallées qui conduisaient de là à la plaine côtière, diverses places fortifiées : c'était, du sud au nord, Albe, Archas (Arqa), Arima (Areimé) château des Templiers qui dominait la vallée du Nahr Abrash, Chastel-Rouge (Qal'at Yahmour) (58), Chastel-Blanc (Safitha) (59) l'une des principales forteresses des Templiers, commandant ainsi que Chastel-Rouge une route pratiquée depuis l'Antiquité allant de Hama à Tortose, enfin la tour de Toklé encore conservée.

Tortose

Tortose - Image Paul Deschamps
Tortose - Image, Paul Deschamps

Chateau et ville de Tripoli

Chateau et ville de Tripoli - Image Paul Deschamps
Chateau et ville de Tripoli - Image Paul Deschamps

Les deux villes de Tripoli et de Tortose étaient solidement fortifiées. La cité de Tripoli était dominée par le grand château de ses comtes, construit dès la première Croisade sur le Mont Pèlerin par Raymond de Saint-Gilles pour s'emparer de la ville musulmane Chateau et ville de Tripoli. Quant à Tortose, les Templiers y avaient élevé sur le bord de la mer un puissant donjon qu'enfermait une triple enceinte de murailles.

Le pays des Assassins

Au nord de Tortose les Francs ne possédaient le long de la mer qu'une étroite bande de terrain, large à peine de quelques kilomètres. C'est que là se trouvait, formant une enclave dans les États francs, le pays des Assassins ou des Ismaéliens, musulmans schismatiques qui occupaient plusieurs châteaux, vrais repaires situés dans une région sauvage du Djebel Ansarieh, abrupte, couverte de rochers et où l'on n'accédait qu'en traversant des gorges profondes. Leur chef était appelé « le Vieux de la Montagne » et leurs principaux châteaux étaient El Kahf, Masyaf et Cademois (Qadmous) (60).

Chateau de Margat

Chateau de Margat - Image Paul Deschamps
Chateau de Margat - Image, Paul Deschamps

Les Croisés préférèrent imposer un lourd tribut à ces voisins redoutables (61) et les laisser dans leurs montagnes (62). Mais ils construisirent à l'entrée de l'étroit couloir qui leur appartenait et qui réunissait le comté de Tripoli à la principauté d'Antioche, une puissante forteresse, le château de Margat situé sur une éminence à 2 kilomètres du littoral Chateau de Margat. De là les Croisés commandaient la route qui longeait la mer, ils gardaient aussi les vallées qui non loin de là pénétraient dans le pays des Assassins.

La région de Sheïzar sur l'Oronte

Au sud-est de cette région montagneuse se dressait, à un coude de l'Oronte et sur sa rive gauche, la puissante forteresse arabe de Sheïzar qui sur l'autre versant des monts occupés par les Assassins semblait jouer en territoire musulman le rôle que jouait Margat en territoire chrétien. Sheïzar commandait un des principaux ponts de l'Oronte ; c'était un lieu de concentration pour les troupes musulmanes, en particulier celles des émirs de Homs et de Hama, et maintes fois les contingents arabes descendirent de cette forteresse pour pousser des incursions sur la rive droite de l'Oronte dans la région de Ferme (Apamée) et de Cafertab.
Pour épier la garnison de ce château, les Francs avaient installé des guetteurs dans le petit château du Sarc (Khariba), dressé sur un piton au flanc oriental des monts Ansarieh.
Dès le début de l'occupation, voyant combien cette position de Sheïzar était dangereuse pour la sécurité des Etats chrétiens, les Francs avaient tenté de s'en emparer ; mais se rendant compte que la prise de cette citadelle considérable serait longue et difficile, Tancrède qui venait de prendre le château de Bikisraïl dans les monts Ansarieh et qui occupait alors solidement toute la région, avait entrepris en 1111 de construire un château sur le Tell ibn Mascher en face de Sheïzar (63).
Ayant appris l'invasion du comté d'Edesse et le siège de Turbessel par Maudoud, prince de Mossoul, il fut obligé d'abandonner sa construction.
A plusieurs reprises, mais inutilement, les Francs tentèrent de s'emparer de Sheïzar, notamment en 1138 où une grande expédition réunissant les troupes du prince d'Antioche et celles du comte d'Edesse à celles de l'empereur d'Orient, Jean Comnène, fut dirigée contre Alep et Sheïzar (64). Les Francs appelaient Sheïzar la Grand Césaire.

La région de Lattaquié et d'Antioche

La deuxième des dépressions dont nous avons parlé était celle de Laodicée (aujourd'hui Lattaquié que les Croisés appelaient la Liche). Des châteaux furent construits pour surveiller cette contrée ; le plus puissant d'entre eux était celui de Saône Chateau de Saône, qui commandait une route importante entre Laodicée et l'un des grands ponts de l'Oronte, Djisr esh Shoghr, en direction d'Apamée et d'Alep.

Chateau de Saône ou Qalaat Saladin

Chateau de Saône ou Qalaat Saladin - Image Paul Deschamps
Chateau de Saône ou Qalaat Saladin - Image Paul Deschamps

Dans la dépression la plus au nord, où l'Oronte gagne la mer, se trouve la vieille cité chrétienne d'Antioche. Elle était à l'époque des Croisades munie d'une vaste et forte enceinte et une série de forteresses défendait tous les accès de la région avoisinante. La voie la plus facile pour une troupe militaire ou commerçante venant d'Anatolie et se dirigeant vers la Syrie et la Mésopotamie était celle qui suivait l'étroite plaine d'Issus entre la chaîne de la Montagne Noire (Amanus) et la mer. Il fallait se faufiler par le passage appelé depuis l'Antiquité les Portes Syriennes, situé un peu au nord d'Alexandrette, et que les Francs appelaient La Portelle (65). De là on franchissait à 730 mètres d'altitude le col de Beilan d'où l'on pouvait atteindre facilement Antioche. Ainsi on trouvait là un excellent passage de communication entre la Mésopotamie d'une part et par conséquent la route des Indes et d'autre part la Méditerranée et l'Asie-Mineure.

Antioche voisine de la mer où elle avait le port du Soudin (Souweidiyé) que les Croisés appelaient encore Port Saint-Siméon, ou Echelle de Bohémond (c'est à ce port, à l'embouchure de l'Oronte, que se ravitaillèrent les premiers Croisés assiégeant Antioche et qu'aborda Louis VII en 1147), pouvait donc devenir un grand entrepôt, un lieu propice aux échanges commerciaux entre l'Asie et l'Europe. Les Croisés comprirent parfaitement son rôle et lui rendirent la splendeur qu'elle avait eue au temps des Séleucides et des Romains. Enfermée entre ses montagnes, abondamment pourvue d'eau par les sources de Daphné, environnée de vallons couverts d'oliviers, de mûriers et de figuiers, Antioche offrait aux Francs un séjour véritablement enchanteur dont un voyageur du xme siècle, Wilbrand d'Oldenbourg, nous a laissé un vivant souvenir. Il nous montre ses habitants se promenant dans de frais jardins plantés d'arbres variés et se baignant dans les cours d'eau qui traversaient ces jardins. Sa population était nombreuse et riche, et dans ses rues se coudoyaient les races les plus variées : les Francs, les Grecs, les Arméniens, les Syriens, les Juifs, les Musulmans qui tous vivaient en bonne harmonie (66).
Pour défendre les abords de cette opulente cité il y avait des châteaux sur la côte, notamment dans le voisinage d'Arsouz, le château de la Roche de Roissel (67) ; les abords du col de Beilan étaient gardés par les châteaux de Trapesac et de Gastin ou Gaston (peut-être Baghras). Au sud d'Antioche s'élevait le château de Cursat, et plus loin le château de Saône.

Les territoires à l'est de l'Oronte

Au sud-est une route antique franchissait l'Oronte au grand pont de Shoghr (Djisr esh Shoghr) et les Francs avaient construit sur les deux rives du fleuve plusieurs châteaux dans le voisinage du pont : Shoghr et Bakas, Arcican, Chastel-Ruge (68). En face d'Antioche au-delà de l'Oronte, se dressait la grande forteresse de Harrenc (Harim) (69), qui se trouvait en avant du fameux Pont-de-Fer (Djisr el Hadid), lui-même fortifié, où la route d'Antioche à Alep franchissait l'Oronte.

Shoghr et Bakas

Shoghr et Bakas - Image Paul Deschamps
Shoghr et Bakas - Image, Paul Deschamps

Comme on voyait dans le royaume de Jérusalem plusieurs forteresses se dresser au-delà du Jourdain, de même dans la principauté d'Antioche une série de châteaux-forts formaient une ligne avancée au-delà de l'Oronte : Hazart, Corsehel, Bathemolin, Bassuet, Cerep, Sardone, Sermin, etc. Les Francs s'étaient solidement fortifiés dans cette région qu'ils avaient explorée lors de la première Croisade et ils y avaient occupé alors plusieurs villes importantes notamment Al Bara et La Marre (Ma 'arrat en No 'man). En 1106 Tancrède s'était emparé de Cafertab et de Fémie, l'antique cité d'Apamée, qui devint le siège d'un archevêché latin.

Des combats continuels eurent lieu dans cette région pendant le premier quart du XIIe siècle, les Francs et les Musulmans s'arrachant tour à tour les places fortes. C'est ainsi que Sardone (Zerdana) prise par les Francs en 1110 fut reprise en 1119 par Il Ghazy qui la détruisit en 1120. En 1121 le roi Baudoin II relevait ses murs; en 1122 II Ghazy en faisait le siège et son seigneur Guillaume, bien que les Musulmans eussent enlevé la première enceinte, résista courageusement jusqu'à ce que le roi de Jérusalem et le comte de Tripoli accourus avec leurs armées vinssent délivrer la place. Les Musulmans attaquèrent encore Sardone plusieurs fois ; en 1135 Zengui s'en empara.

Les princes d'Antioche et les comtes d'Edesse étendirent leur domination davantage encore vers l'est au-delà de l'Euphrate et sur une partie de la Mésopotamie. Ils poussèrent leurs incursions jusqu'à Menbidj qu'ils occupèrent momentanément en 1110 (70) et Bâlis, qu'ils incendièrent au cours de la même campagne (71). Bâlis était le grand port de la Syrie sur l'Euphrate où le fleuve cessait d'être navigable et où l'on débarquait les produits apportés de la Perse et de l'Asie centrale par Bagdad, Mossoul et Raqqa ; arrivés à Bâlis ils étaient remis aux caravaniers qui les transportaient par Alep et Antioche vers l'Asie-Mineure.

Plusieurs fois les Francs assiégèrent Alep (72) et ravagèrent son territoire (73) et s'ils ne purent se rendre maîtres de la ville même, ils imposèrent pendant un certain nombre d'années leur domination aux abords immédiats de la ville musulmane et forcèrent les émirs d'Alep à leur payer un tribut annuel et à partager avec eux les produits des jardins de la ville ; ils prélevaient également des taxes sur les caravanes des marchands d'Alep. En 1116 un traité reconnut aux Francs la possession de tout le territoire avoisinant Alep à l'ouest et au nord de la ville (74).

Les troupes franques combattirent aussi dans la contrée montagneuse du Djebel el Hass, au sud-est d'Alep, et en 1121 Baudoin II s'empara de la principale ville de cette région, Khanasserah, et fit transporter à Antioche les portes de la forteresse (75). L'année suivante (1122) le roi occupait la région de Bozaa et de Bab à une quarantaine de kilomètres à l'est d'Alep (76).
Un chroniqueur arabe du XIIe siècle écrivait : « Les habitants de Raqqa et de Harran étaient à l'égard des Francs dans l'état de soumission le plus humiliant. Les communications avec Damas se trouvaient interceptées et on ne pouvait guère y arriver que par la route du désert » (77).
Les villes de Damas (78), de Homs et de Hama, la puissante forteresse de Sheïzar, occupant une position formidable à un coude de l'Oronte, payèrent comme Alep un tribut pendant plusieurs années.

La Cilicie

Au début de la première Croisade, les Croisés s'emparèrent des grandes cités de Cilicie, Tarse, Adane, Mamistre (Missis), Anavarze, qui finalement restèrent aux mains de Bohémond.
Pendant quarante ans les princes d'Antioche conservèrent sous leur autorité immédiate le territoire de la Cilicie qui bordait tout le golfe d'Alexandrette sur lequel se trouvait un port, L'Aïas (Lajazzo) qui devait, au XIIIe siècle sous la domination des rois chrétiens de Petite-Arménie, devenir un des principaux entrepôts du commerce de l'Orient. La cité de Tarse (79) formait la ville la plus occidentale de la Principauté. Enlart (80) y a retrouvé deux églises romanes construites par les Croisés : la Cathédrale dédiée à saint Paul, qui naquit dans cette ville, est peut-être le plus ancien édifice religieux élevé par les Croisés en Terre-Sainte. C'est là que repose l'un des chefs de la première Croisade, Hugues de Vermandois, frère du roi de France, mort en 1102 à Tarse de ses blessures.

A partir de 1135 trois compétiteurs se disputèrent avec acharnement cette contrée : le prince de la Petite-Arménie dont la puissance grandissait, l'empereur byzantin et le prince d'Antioche. En 1135 Léon I d'Arménie prend au prince d'Antioche le château de Servantikar (81), mais celui-ci le lui reprend peu après. En 1137 Jean Comnène pénètre en Cilicie et après avoir vaincu Léon d'Arménie, s'empare des citadelles de Cilicie au secours desquelles le prince d'Antioche, Raymond de Poitiers, ne peut se porter : Tarse, Adane, Mamistre, d'autres châteaux encore tels que Gaban tombent entre ses mains ; après un siège de trente-sept jours (Juillet 1137) Anavarze que défendait son puissant château byzantin lui ouvre ses portes (82).
Mais plus tard le prince d'Antioche rentra en possession de Tarse qu'il garda jusqu'en 1183; à cette date Bohémond III d'Antioche voyant les progrès redoutables de Saladin et se rendant compte qu'il ne pouvait conserver des territoires aussi éloignés d'Antioche vendit Tarse au prince chrétien d'Arménie, Rupen de la Montagne (83). Puis en 1197 le prince d'Arménie Léon II se dégage de sa vassalité envers le prince d'Antioche et l'oblige à lui abandonner le reste de la Cilicie, en particulier la bande de territoire qui longeait à l'est le golfe d'Alexandrette ; la limite des deux Etats est fixée à la Portelle (84). L'année suivante il confirme son indépendance en se faisant couronner roi d'Arménie.
Ce royaume chrétien de Petite-Arménie, établi dans la plaine de Cilicie (85), séparé du plateau d'Anatolie par de hautes montagnes hérissées de forteresses, se trouvait interposé entre les Etats latins et l'Etat turc d'Iconium.

Un certain nombre de forteresses élevées par les Princes Arméniens sont encore conservées. Elles se dressent sur des sommets escarpés, paraissant inaccessibles et témoignent de la hardiesse des ingénieurs qui les ont élevées.
Deux et parfois trois enceintes se superposent en suivant les contours capricieux des escarpements et leurs tours rondes semblent suspendues aux rochers abrupts.

Chateau de Snake castle

Chateau de Snake castle
Chateau de Snake castle

Citons Lampron, lilan Kalé qu'on appelle le Château des Serpents Snake castle, dont les trois enceintes subsistent en un site âpre et sauvage, Sis qui fut la capitale du royaume, Selefkeh (86), que le roi Léon II donna en 1210 aux Hospitaliers, comprenant comme les princes latins, l'utilité d'avoir, pour la défense de son territoire, les troupes bien disciplinées de cet Ordre ; l'Hôpital installa ainsi une commanderie en Petite-Arménie où il eut plusieurs châteaux ainsi que des casaux ; Gorighos enfin, que les chroniqueurs occidentaux appellent le Coure, avait sur le rivage deux châteaux comme Saïda ; l'un sur un ilot (87), l'autre, le château de terre (88), qui est une des forteresses les plus considérables et les mieux conservées de la côte de Cilicie.

Les souverains du royaume de Petite-Arménie se montrèrent maintes fois de fidèles alliés des Princes latins. Maintes unions se firent entre les familles souveraines des principautés franques et celle d'Arménie. Les rois d'Arménie prirent à leur solde pour la garde de leurs nombreux châteaux des chevaliers francs. Ils adoptèrent les coutumes féodales françaises. Les Assises du royaume furent rédigées à l'imitation de celles d'Antioche. A la cour de Sis où les rois avaient leur résidence, le latin et le français furent employés officiellement à l'égal de l'arménien. Deux Lusignans au XIVe siècle furent rois d'Arménie.

Le territoire des Comtes d'Édesse

Dans le comté d'Édesse, le premier constitué des États de Terre-Sainte (Edesse fut occupée en 1098), les Francs furent toujours peu nombreux. La population y était en grande majorité chrétienne, composée d'Arméniens et de Syriens jacobites qui acceptèrent volontiers l'autorité et la protection des seigneurs latins (89).

Les comtes d'Edesse occupaient un territoire qui s'étendait des confins de la Cilicie jusqu'à la vallée du Tigre. Au nord dans les premiers temps de l'occupation le comté s'étendit jusqu'à Mélitène (Malatya) place importante qui commandait un carrefour de vallées à la rencontre de l'Euphrate et de certains de ses affluents. A l'ouest de Marash le fleuve Djihan constituait la frontière vers la Petite-Arménie; Marase (Marash) formait un des principaux fiefs du comté. Entre cette cité et l'Euphrate se trouvaient les châteaux de Taganchara, de Behesne, d'Heusn Mansour, de Gouris et de Gaktha. La région fertile de l'ancienne Cyrrhestique était occupée par un certain nombre de villes importantes et de châteaux-forts : Tulupe, Hatab (Aïntab), Bordj-er-Rassas, Ravendal, Coricie (l'ancienne Cyrrhus), Tell Khalid, Cisembourg, Tell Hizan et Turbessel (Tell Bascher) qui était la résidence habituelle des comtes d'Edesse. Sur la rive occidentale de l'Euphrate se dressaient les châteaux de Gargar, de Samosate, de Ranculat (Roum Kalah), d'Orimon et de Géraple (Djérablous).

Mais les Croisés avaient franchi l'Euphrate et pénétré jusqu'au cœur de la Mésopotamie. Ils avaient été attirés vers cette région, l'une des plus riches de l'Asie-Mineure, formée par les vastes plaines de Saroudj, vaste grenier à blé, d'Ourfa et de Harran (90) qui semblent de véritables jardins environnés de plateaux calcaires moins productifs (91).
Dominant l'Euphrate sur sa rive orientale dans une admirable position stratégique se dressait la puissante forteresse de Bir (ou Bile, ou Birta, aujourd'hui (Biredjik) ; plus à l'est la grande cité d'Edesse et la place forte de Sororge (Saroudj).

S'avançant plus loin encore les Francs avaient occupé des positions qui atteignaient presque la frontière de l'Empire romain, ce vaste champ de bataille des vallées du Belik et du Khabour où Romains et Byzantins soutinrent les attaques des Parthes, des Perses et des Arabes. Les Croisés poussèrent leurs raids jusqu'à Amida devenue le rempart de l'Empire après 363, et jusqu'à Nisibin à peine à 15 lieues du Tigre, Nisibin que fortifièrent successivement Trajan, Septime Sévère et Dioclétien. Dans le voisinage de Mardin et de Ras el Aïn se dressaient plusieurs châteaux francs parmi lesquels Djomolin, Tell Mouzen (peut-être, selon Rey, Veran Scheïr qui serait l'antique Constantia), el Koradi, Tell Gouran et Senn ibn Athyr. Au sud d'Edesse se trouvait l'importante ville musulmane de Harran. La campagne de 1104 la fit presque tomber au pouvoir des Francs mais ils ne surent pas profiter de cet avantage.

Un chroniqueur arabe écrivait : « Les ravages commis par les Francs s'étendaient sur toutes les campagnes du Djeziré (la Mésopotamie) et leurs étincelles y voltigeaient de toutes parts. Leurs dévastations se faisaient sentir sur la partie éloignée du Djezyré et sur la partie rapprochée, et avaient atteint Amide, Nisibe, Rassayn (Ras el Aïn) et Raqqa. Leurs possessions dans ces contrées embrassaient le territoire situé aux environs de Mardin jusqu'à l'Euphrate... Tout ce pays joint à un vaste territoire situé à l'ouest de l'Euphrate appartenait à Josselin et Josselin grâce à sa bravoure et à son esprit de ruse était l'âme des conseils des Francs et le chef de leurs armées... » (92).

On sait que la principauté franque d'Edesse n'eut qu'une durée éphémère et qu'Edesse tomba le 23 décembre 1144 (93), après une héroïque résistance, aux mains de l'atabek de Mossoul Imad ed din Zengui. L'année suivante celui-ci enlevait toutes les places franques situées à l'est de l'Euphrate sauf Bir (94) dont il dut abandonner le siège. Mais les Francs reconnaissant qu'ils ne pouvaient se maintenir en Mésopotamie renoncèrent à défendre cette place et la rendirent peu après. Cette citadelle de Bir encore conservée, quoique considérablement restaurée, dresse sa masse imposante sur une haute colline au-dessus de la ville dont elle est séparée sur deux côtés par des ravins et sur un troisième côté par un large fossé qu'on a creusé dans le roc. Les murailles s'appuient sur de gigantesques talus de maçonnerie. Sa quatrième face domine l'Euphrate et les eaux du fleuve viennent baigner le rocher qui sert de base à la forteresse.
Parmi les places du comté situées à l'ouest de l'Euphrate les unes furent remises, dans les années qui suivirent, à l'Empire byzantin ou aux princes de la Petite-Arménie ; les autres furent prises d'assaut par les Musulmans. En 1153 il ne restait plus rien aux Francs de l'ancien comté d'Edesse (95)
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes - Etats Francs de Terre-Sainte

1. Voyez Album, Planche I, Carte de la côte de Syrie par Guglielmo Soleri ; Majorque, 1380. (Bibliothèque Nationale, Sect. Géogr., Ge B 1131).
2. Ernoul, chapitre IV, éditions Mas-Latrie (1871), p. 27 : « Apriès Escalongne, si a un castiel, à V liues, c'en apièle le Daron. Tant dure li roiaumes de Jherusalem de lonc par deviers le marine. Et là u li roiaumes est plus lés, n'a il mie plus de XXII liues. Et si a tel liu u il n'a mie II liues de lé ; c'est par deviers Antioce. »
3. Guillaume de Tyr, XVI, c. 29, Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 754 : « Orientalis enim Latinorum tota regio quatuor principatibus erat distincta. Primus enim ab austro, erat regnum Hierosolymorum, initium habens a rivo qui est inter Byblium et Berythum urbes maritimas provinciae Phoenicis, et finem in solitudine quae est ultra Darum, quae respicit Aegyptum. » Cf. aussi Jacques de Vitry, Historia Iherosolimitana, I, 31, dans Gesta Dei fer Francos (éd. Bongars), Hanovriae, 1611, p. 1068. — La traduction de Guillaume de Tyr a été reproduite dans Les Grandes Chroniques de France, publiée pour la Société de l'Histoire de France, par Jules Viard, t. VI, Paris, 1930, pp. 42-43.
4. Van Berchem, Notes sur les Croisades, dans Journal asiatique, 1902, p. 399. R. Dussaud, topographie, p. 63.
5. Guillaume de Tyr, XVI, c. 29 : « ....Secundus [principatus] erat versus septentrionem comitatus Tripolitanus, a rivo supradicto [inter Byblium et Berythum] habens initium, finem vero in rivo qui est inter Maracleam et Valeniam... Tertius... Antiochenus, qui ab eodem rivo, habens initium usque in Tarsum Ciliciae. » — XIII, 2 : « a rivo Valaniae qui est sub Castro Margath. » — J. de Vitry, I, 31, « ....in rivo qui est inter Valeniam, sub castro Margath, et Maracleam... » Il s'agit probablement du Nahr Banias dont un affluent passe au sud de l'éminence où s'élève le château de Margat.
6 Guillaume de Tyr, ibid., p. 755 : « Quartus erat comitatus Edessanus, qui ab ea sylva quae dicitur Marrim, in orientera ultra Euphraten protendebatur. »
7. Rey, Colonies franques, p. 324.
8. Le Casius qui fait suite à l'Amarus, au sud, après le dépression du Bas-Oronte, était aussi très boisé : pin d'Alep et chêne vert en étaient les essences dominantes ; de nos jours il ne présente plus qu'un aspect presque entièrement dénudé et son point culminant porte de nom caractéristique de Djebel el-Aqra', « Mont Chauve. » Il était nommé au temps des croisades par certains auteurs « Mont Parlier » - Sources : Espaces et réseaux du haut moyen âge Par Maurice Lombard. Editions Walter de Gruyter, 1972.
9. La région la plus activement exploitée, celle qui fournissait le plus de bois à l'exploitation, était alors l'Amanus méridional: la partie de l'Amanus qui forme le massif promontoire du Râs al-Khanzîr. C'est le "Montagne Noire" des auteurs arabes et arméniens du moyen âge, nom qu'elle doit à la sombre parure de ses forêts de pins et qu'elle a communiqué ensuite à la ville qu'elle domine de ses contreforts méridionaux : as Souwaidiya. - Sources : Espaces et réseaux du haut moyen âge Par Maurice Lombard. Editions Walter de Gruyter, 1972.
10. Il semble même que dès 1099 Raymond de Saint-Gilles commença à fortifier le Mont Pèlerin. Voyez Hagenmeyer, Chronologie de l'histoire du royaume de Jérusalem, dans Revue de l'Orient latin, t. XI (1907), pp. 145-149, n. 632.
11. Guillaume de Tyr, t. XI, c. 5 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 459. — Photos dans R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie antique et médiévale illustrée, 1931, pl. 156.
12. Gibelin ou Bethgibelin (12), petite ville bâtie au douzième siècle, sur les ruines d'Eleutheropolis, et ayant cour de bourgeoisie. Le château était occupé par les Hospitaliers de Saint-Jean ; de nos jours, ce lieu est nommé Beit Gibrïn. On y voyait un monastère de Saint-Georges et une église sous le vocable de Sainte-Anne. — Voyez aussi Guillaume de Tyr, volume I, tome XIV, chapitre 12. (Sources : Rey, les colonies Franques de Syrie aux XIIe et XIIIe siècles. Picard, Paris 1883.)
13. Guillaume de Tyr, XV, c. 24 et 25, ibid., p. 696 et suivantes. Le site de Blanche-Garde (Tell es Safiyeh) était particulièrement bien choisi. Le château se dressait à 152 mètres d'altitude sur une éminence dominant tout le pays de Ramleh à Gaza et commandant l'entrée des monts de Judée. — Voyez Rey, Architecture Militaire, p. 123 et suivantes et R. P. Tonneau dans Revue Biblique, 1929, p. 427-428. — Sur ces châteaux voyez plus loin, p. 55 et n. 4.
14. Rey, Architecture Militaire, p. 103-104. — Amaury campa à Carmel en 1172 (Guillaume de Tyr, XX, c. 28, Historiens occidentaux des Croisades, I, pp. 994-995). Voir R. P. Abel, Une croisière autour de la Mer Morte (1911), p. 102.
15. R. P. Abel, ibid, p. 102-103. Les Francs durent établir aussi un poste un peu plus au nord sur la Mer Morte à Masada (Sebbé) sur les ruines d'une citadelle hérodienne (R. P. Abel, ibid., p. 125-126).
16. Foucher de Chartres (Histoire Hierosolitae, II, c. v ; Historiens occidentaux des Croisades, III, p. 380) donne un récit très vivant de cette expédition : « Ayant tourné le lac au sud, nous dit-il, nous trouvâmes un village au site fort agréable et abondant en ces fruits de palmier qu'on appelle dattes, dont nous nous fîmes un régal toute la journée. Nous y trouvâmes par contre peu d'autres ressources, car avertis de notre arrivée les Sarrasins de l'endroit s'étaient enfuis sauf quelques-uns à la peau plus noire que la suie. Nous n'en eûmes pas autrement cure que des algues de la mer. »
17. Zoara ou Zoar, ville de la Palestine. C'est la même que Segor ou Bala. Voyez Segor. Etienne le géographe fait de Zoara une bourgade de la Palestine; et la notice des dignités de l'empire, place Zoara sur le lac Asphaltide; ce qui fait voir que cette ville a subsisté longtemps. Egesipe, nomme cette ville, Zoaras, et la comprend dans l'Arabie. Il y a apparence que c'est la même ville que Ptolémée, appelle Zoara, et qu'il place dans l'Arabie-Pétrée. Cette ville était, dans le septième siècle, un siège épiscopal de la troisième Palestine, ou première Arabique, dans le patriarcat de Jérusalem. (Asphalte. Lac Asphaltide, Sodome. Mot chaldéen qui signifie une espèce de bitume.)
18. Quand Baudoin IV, roi de Jérusalem, voulut en novembre 1183 faire lever à Saladin le siège qu'il avait mis devant Kérak, il « chevaucha jusqu'au lieu qui est dessus la cité qui ot nom Segor anciennement, mes ele est ore apelée Paumiers » (Traduction de Guillaume de Tyr, XXII, c. 30 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 1130). Voyez sur ce lieu R. P. Abel, Une croisière autour de la Mer Morte, Paris, 1911, p. 78-79.
19. Albert d'Aix, X, 28 ; Historiens occidentaux des Croisades, IV, 644. — Voyez R. P. Savignac, dans Revue Biblique, 1903, p. 118-119.
20. Albert d'Aix, XII, c. 21 ; Historiens occidentaux des Croisades, IV, p. 702. « Praesidium novum... formavit, ut sic potentius terram Arabitarum expugnaret, et non ultra mercatoribus hinc et hinc transitus daretur, nisi ex regis gratia et licentia... ». — Voyez aussi Foucher de Chartres, II, c. LV ; Historiens occidentaux des Croisades, III, p. 431-432.
21. Guillaume de Tyr, XI, c. 26 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 500 : « in colle, ad ejus propositum loco satis idoneo, Praesidium fundat, situ naturali et artificio valde munitum... nomen ex regia dénitrate deductum et imposuit Montemque Regalem eo quod regem haberet fundatorem appellari praecepit... »
22. Le R. P. Savignac a identifié ce château, construit peut-être en 1116, avec le site d'Ou'aira à 3 km. n. n. e. du théâtre de Pétra ; voyez Revue biblique, 1903, p. 117-120 et fig. Voir aussi Musil, Arabia Petraea, II, Edom, I (Vienne, 1907).
23. Les Francs gardèrent Aïlat jusqu'en décembre 1170 où elle leur fut enlevée par Saladin. En 1182-83 les galères de Renaud de Châtillon l'assiégèrent en vain. - Voir une étude sur la stratégie militaire de Renaud de Châtillon
24. R. P. Savignac, Une visite à l'île de Graye, dans Revue Biblique, 1913, p. 588 et suivantes avec Photographie.
25. Et non Maan au sud-est de Montréal comme l'ont pensé Rey (Colonies franques, p. 398) et Delaville le Roulx (Revue de l'Orient latin, t. XI, 1907, p. 185). Voyez sur Ahamant ou Haman la charte de Baudoin III en 1161 dans Strelkhe, Cab. ord. Teutonici, 1869, n° 3, p. 3, et la charte d'Amaury I, de 1166 dans Revue de l'Orient latin, t. XI, 1907, p. 184. Cf. Paul Deschamps, Deux -positions stratégiques des Croisés à l'est du Jourdain, Ahamant et El Habis, dans Revue Historique, juillet-août 1933.
26. « a Zerca usque ad mare Rubrum », charte de 1161 citée ci-dessus.
27. La péninsule du Sinaï paraît avoir été occupée par les Latins dès le règne de Baudoin II, ainsi que tend à le prouver le passage suivant de Guibert de Nogent : « Sed eo tempore (en 1112) rex apud Gavas castrum in Arabia situm concesserat. Hoc non valde procul a Sina monte ad regionem tuendam construxerat ; nam et eo usque regnum dilataverat.
L'abbé évêque du Mont-Sinaï était alors devenu suffragant de l'archevêque latin du Krak.
J'ai parlé plus haut d'un fief latin que je crois avoir existé dans la péninsule Sinaïtique. A l'appui de cette opinion, M. Lottin de Laval me signale, non loin du Ouady Pharan, un canton nommé encore Dar-el-Frandgi, ainsi que les restes d'une forteresse d'apparence occidentale dominant le Ouady Alayat, dans la vallée de Pharan, à cinq heures du Mont-Oreb. Devrait-on voir dans ces restes ceux du château signalé par Guibert de Nogent ?
Tabari cite au nombre des forteresses relevant de la seigneurie du Krak, qui furent rendues à Salah-ed-din, en 1189, celle de Karmaza, mais nous ne possédons malheureusement aucune indication sur le site de ce château, encore à retrouver. Sources : Rey, Colonies franques, page 400.
28. Edit. Mas-Latrie, p. 68.
29. Cf. Eubel, Hierarcha catholica medii aevi, I, 349. — Les Assises de Jérusalem, dans l'énumération des forces du royaume, citent un chevalier du nom de Michel du Sinaï. Cf. Histoires Croisades, Lois, I, p. 425.
30. Très fréquenté, cet espace était cependant mal délimité et mal situé par les géographes. Bordé au nord de Farama (Port Sa'îd) en Égypte à al-Arish en Palestine, par la Méditerranée ; au sud-ouest de Qulzum (Suez) au cap de Ra's MuIammad, par le Golfe de Qulzum ; et au sud-est de Ra's Muhammad à Ayla, par le golfe de 'Aqaba/Ayla. Ces deux golfes débouchant dans la mer Rouge, le littoral y était partout peu hospitalier et n'incitait pas à la circumnavigation. Les pistes qui le traversaient variaient considérablement selon les données météorologiques, tribales ou stratégiques. L'intérieur aride n'était guère généreux avec les voyageurs, toujours menacés par des bédouins pillards. C'est pourquoi ce ne fut qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe que la cartographie de la péninsule put être relevée et établie avec précision. Sources : Thierry Bianquis, « Mouton Jean-Michel, Le Sinaï médiéval. Un espace stratégique de l'islam, Paris, PUF, 2000, 217 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 107-110 - septembre 2005, mis en ligne le 12 janvier 2006, Consulté le 12 novembre 2011. URL : http://remmm.revues.org/index2840.html
31. G. Schlumberger, Campagnes du roi Amaury Ier de Jérusalem en Egypte au XII- siècle, Paris, 1906.
32. Ibid., page 136 et suivantes.
33. J. Barthoux, Description d'une forteresse de Saladin découverte au Sinaï, dans Syria, 1922, p. 44-57. — Gaston Wiet, Les inscriptions de la Qatab Guindi, ibid., p. 58-65 et 145-162.
34. Foucher de Chartres, III, c. 10 ; Guillaume Tyr, XII, c. 16.
35. Guillaume Tyr, ibid. ; Historiens occidentaux des Croisades, I, pp. 535-536 : « Habita cum suis deliberatione utrum magis expediret dirui funditus praesidium, aut christianitati reservari, placuit de universorum assensu municipium everti funditus, nam sine multis sumptibus, et labore continuo, et multo periculo transeuntium a nostris posse conservari. »
36. Cette Terre de Suète correspondait au Sawad, contrée à l'ouest du Djaulan bordant la rive orientale du lac de Tibériade. (Cf. Rey, Note sur les territoires possédés par les Francs à l'est du lac de Tibériade..., dans Mémoires de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1881, t. XLI, p. 86 et suivantes et carte. — Max van Berchem, Notes sur les Croisades, dans le Journal Asiatique, tome XIX, 1902, page 411, note 1. — R. Dussaud, Topographie de la Syrie, médiévale, pages 381, 382. — La Terre de Suète comprenait aussi la région au sud du Yarmouk. Le R. P. Abel veut bien nous signaler que le nom d'es-Sueit désigne de nos jours la région au nord-est de Djerash et d'Adjloun.
37. Mirat-az-Zaman, Historiens orientaux des Croisades, III, p. 529, 530. — Ibn Qalanisi, trad. Gibb : The Damascus Chronicle of the Crusades, Londres, 1932, p. 72.
Année 499 (1105-1106 de J. C.) - Les Francs entre dans la zone cultivée (saowad) de Tibériade et se mettent à bâtir entre ces passages et la Betanée une forteresse nommée 'Aal (1), qu'ils rendent très-redoutable. Thogtékin en est informé, il se met en marche avec son armée, surprend les Chrétiens dans une attaque de nuit, tue et prend beaucoup des leurs, s'empare de la forteresse avec tout ce qu'elle possédait d'engins de guerre et de matériel, et rentre à Damas au mois de djomada second (février-mars 1106), avec son butin et ses prisonniers.
Sources: Recueil des historiens des croisades. Historiens orientaux. Tome 3; publié par les soins de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Editeur: Imprimerie nationale Paris 1874.
38. Le nom de Baudouin, premier roi de Jérusalem, a persisté sous la forme arabe de Berdaouil dans « Qasr Berdaouil », construit en 1105-1106, à dix kilomètres à l'est du lac de Tibériade, et dans « Borj Berdaouil », entre Naplouse et Jérusalem. Mais la trace la plus émouvante du passage des Croisés en ces lieux d'Orient n'est-elle pas celle qui évoque encore aujourd'hui la mort de ce même Baudouin ? Elle survint, le 2 avril 1118, au cours d'une marche sur l'Egypte à el Arish sur la côte. Le cuisinier du roi, Adon, enleva les viscères pour retarder la décomposition du corps et le transporter à Jérusalem, le souverain ayant exprimé le désir d'être enterré au Saint-Sépulcre, auprès de frère, Godefroy de Bouillon. La contrée environnante porte le nom de Sebkat Berdaouil, « le désert salé de Baudouin », et le tas de pierres qui recouvrit l'endroit où l'on enterra les viscères s'appelle Hadjeret Berdaouil, « la pierre de Baudouin. »
Sources: Paul Deschamps, Musée des Monuments français, Paris.
39. Ou Habis Djeldek, Historiens orientaux des Croisades, I, p. 286, 651-652, 781, 784. — III, p. 491, 544. — IV, p. 218.
Les Francs se croyaient à la veille de s'emparer de Tyr: mais Thogdekyn faisait de tous côtés des incursions sur les terres chrétiennes. Il se porta contre le château de Djaysch qui était situé dans la province de Damas, et qui appartenait aux Francs; il fit le siège du château, et s'en rendant maître, il passa au fil de l'épée les hommes qui s'y trouvaient. (Tome I, page 286)
Dans le mois de séfer (6 juin-4 juillet 1182), les musulmans conquirent en Syrie sur les Francs un rocher qui était connu sous le nom de Hobaïs Djeldec (1). Il faisait partie du territoire de Tibériade et dominait la campagne. Le motif de cette conquête, ce fut que les Francs, lorsqu'ils apprirent la marche de Salah-eddin de l'Egypte vers la Syrie, rassemblèrent des troupes contre lui, cavaliers et fantassins, et se massèrent à Carac, dans le voisinage de la route, avec l'espoir de trouver une occasion favorable ou de remporter une victoire. Peut-être aussi empêcheraient-ils les musulmans de marcher plus avant, en se postant près de quelque défilé. Mais pendant ce temps, leur territoire resta abandonné du côté de la Syrie. Ferroukh-chah, à cette nouvelle, rassembla celles des troupes syriennes qui se trouvaient près de lui, et marcha droit sur le pays des Francs. Il pilla Dabouriyah et les bourgades avoisinantes, fit prisonniers ou tua beaucoup d'hommes, fit captives les femmes et pilla les richesses. Il conquit sur les Francs la roche susnommée (Hobïs Djeldek), qui était pour les musulmans une grande cause de dommage. (Tome I, page 651-652)
1. Cette localité est mentionnée sous l'article Hobaïs, dans le Dictionnaire géographique arabe intitulé Mérassid Alittila, page 285. Hobaïs, y est-il dit, est est un château fort situé dans la portion cultivé du territoire de Damas. On l'appelle aussi Hobaïs Djeldec.
Alors survint Baudouin, le 25 de djomada premier 505 (29 novembre 1111); il coupa les arbres des environs et pendant plusieurs jours livra à la ville des attaques infructueuses. Thogtikin se mit alors en campagne et vint camper à Panéas, d'où il envoya à Tyr des secours en cavalerie et infanterie, que les Francs empêchèrent de pénétrer dans la ville. Les Francs eux-mêmes pourtant levèrent le siège, et allèrent attaquer le grand château fort d'El-Habich qu'ils emportèrent d'assaut en massacrant la garnison. (Tome III, Page 491)
En effet, Thogdekyn, à son départ de Damas, était allé camper à Panéas d'où il organisait un corps expéditionnaire pour secourir Tyr. Or ces troupes n'ayant pû pénétrer dans la ville, l'Atabek se dirigea par les Saouad vers la grande forteresse nommée El Habis (1); il l'assiégea, la prit d'assaut et en massacra la garnison. (Tome III, Page 544)
1. Ou mieux Hobeis Djeldeh « la petite prison de Delden. »
Les Francs avaient pris que le sultan était parti d'Egypte suivit d'un grand nombre de marchands, ils se rassemblèrent à Kérak, près de la route qu'il suivait, dans l'espoir de faire quelques bonnes prises sur les caravanes. C'est alors que Ferroukh-Chah s'éloigna de Damas et, trouvant le territoire des Francs vide de troupes, il ravagea Tibériade, Akka, et prit Dabouryah. Arrivé devant Habis Djeldej (1), sur le territoire cultivé de Damas, il s'empara de ce rocher qui dominait le pays musulman et fit de cette position un poste d'observation contre les infidèles qui l'avaient d'abord possédé. (Tome IV, page 218)
1. Yakout indique la position Habis au lieu de Hebaïs qui a été adoptée dans le tome I.
Sources : Recueil des historiens des croisades. Historiens orientaux. Tomes I, III et IV, publié par les soins de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Imprimerie nationale Paris 1872.
40. Guil. Tyr, XVIII, c. 21 (année 1158) et XXII, c. 15 et c. 21 (année 1182); Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 855, 1090-1091 et 1104-1107.
41. Der 'Adschlûn, nach den Aufzeichnungen von G. Schumacher beschrieben von Carl Steuernagel, Leipzig, 1925-1926, p. 532-533 et pi. 80 A, 81, 82, paru aussi dans Zeitschrift der Deutscben Palàstina Vereins, 49, 1926, pi. 21, 22, 23. Voyez aussi même Revue, 40, 1917, p. 165-167 et pi. XII B, XIII, XIV.
42. Voyez plus loin, p. 77-78. Voici quelques détails historiques sur ce château : En HII-III2 Togtekin, atabek de Damas, l'enlève aux Francs. En 1118, 130 chevaliers francs s'en emparent. C'est pour se porter au secours de cette place qu'en juillet 1158 Baudoin III franchit le Jourdain et va battre Nour ed-din dans la Plaine de Butaha au nord-est du lac de Tibériade. En juin 1182 les Musulmans s'en rendent maîtres mais en octobre les Francs la leur reprennent. Cf. Paul Deschamps, Deux positions stratégiques des Croisés à l'est du Jourdain, Ahamant et El Habis, dans Revue Historique, juillet-août 1933.
43. Guillaume Tyr, XXII, c. 15 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 1090-1091 : « Erat enim nobis in regione Suhite, trans Jordanem, a Tibériade sex decim distans milliaribus, praesidium munitissimum et, ut dicitur, inexpugnabile, ex quo nostris multa dicebatur provenire utilitas, nam cum praedicta regio hostium magis esset contermina finibus, quam nostris... hujustamen praesidii beneficio multis annis obtentum fuerat, et obtinebatur nihilominus in praesenti quod nostris et illis ex aequo dividebatur potestas, et tributorum et vectigalium par fiebat distributio. »
44. Voyez R. P. Abel, Le circuit de Transjordanie, dans Revue Biblique, 1928, p. 432.
45. Rôhricht, G. K. J, p. 128.
46. Guillaume de Tyr, XVI, c. 10 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 720.
47. Aujourd'hui Bousr el Hariri, Historiens orientaux des Croisades, III, p. 561.
48. A cette date ils occupèrent Salome (aujourd'hui Sanamein).
49. Guillaume de Tyr, XVI, c. 12 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 725.
50. Dans cette campagne ils occupèrent Zora (aujourd'hui Ezra').
51. Rôhricht, G. K. J, p. 129 et n. 3.
52. Année 1126 : Foucher de Chartres, III, c. 50 ; Historiens occidentaux des Croisades, III, p. 477. Guillaume de Tyr, XIII, c. 18 ; Historiens occidentaux des Croisades., I, p. 583. Ann. 1147 : Guillaume de Tyr, XVI, c. 9 et c. 12 ; Historiens occidentaux des Croisades., I, p. 718 et 726. Le nom de cette Cavea Roob est conservé dans le ouadi Rahoub, affluent du ouadi esh Shellala lui-même affluent du Yarmouk.
Voyez Rey, Notice sur la Cavea de Roob ou Scheriat-el-Mandour, dans Mêmoires de la Société nationale des Antiquaires de France, t. XLVI, 1885, p. 122 ; corrigé par R. P. Abel dans Revue Biblique, avril 1927, p. 283, d'après Der Adschlun... von G. Schumacher beschrieben von Carl Steuernagel, Leipzig, 1925-26, p. 475-476. — Voir aussi Zeitschrift des Deutscken Palastina Vereins, 37, 1914, p. 51 et pl. VII et VIII. — Cf. également Rôhricht, G. K. J., p. 129, n. 3 et p. 178, n. I.
53. Certains écrivains du moyen âge appellent la plaine de Jezréel la plaine de la Fève, traduction du nom de la localité el-Foulé.
54. J. de Vitry, Hist. Iherosolym., I, 49 (édit. Bongars, p. 1074) : « ... ut (nostri) fines suos defenderent, castra munitissima et inexpugnabilia inter ipsos et hostes exstruxerunt ; scilicet Montent regalem, et Petram deserti, cujus nomen modernum est Crac ultra Jordanem ; Sapbeth et Belvoir cum multis aliis munitionibus, citra Jordanem. Est autem Sapheth castrum munitissimum inter Accon et mare Galileae, non longe a montibus Gelboë situm. Belvoir vero, non longe a monte Thabor... situm est in loco sublimi. »
55. Ibn Djobaïr parlant de la route de Damas à Acre nous dit : « La limite des territoires francs et musulmans était un gros chêne, nommé Chêne de la Balance, situé au bord de la route, à mi-chemin entre Beit Djenn et Bélinas. Les Francs se trouvaient responsables de la police de la route, à partir de cet arbre, et les Musulmans l'étaient de leur côté, pour la route se dirigeant vers Damas. » Historiens occidentaux des Croisades, III, p. 446.
56. R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie antique et médiévale illustrée, PL 157.
57. R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie antique et médiévale ill., PL 196 er 147.
58. Ibid., PI. 150.
59. Ibid., PI. 148.
60. Les châteaux des Assassins étaient selon Guillaume de Tyr au nombre de dix : « In provincia Tyrensi, quae Phoenicis dicitur, circa episcopatum Antaradensem, est quidam populus, castella decem habens cum suburbanis suis ; estque numerus eorum, ut saepius audivimus, quasi ad sexaginta milia, vel amplior. » Guillaume de Tyr, XX, c. 29; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 995. Voyez R. Dussaud, Topographie, ...(Le territoire du Vieux de la Montagne), pp. 138-148.
61. Cf. R. Dussaud, Topographie, p. 144 et note 2.
62. Burchard de Mont Sion, qui parcourut la Syrie en 1265, donne ce curieux détail : « Terrain istorum (Assissinorum) a terra Christianorum per quosdam lapides discernitur : quibus in lapidibus, in parte Christianorum, signum crucis, Assissinorum cultelli, sculptum est... ». Burckardi de Monte Sion descriptio Cerrae Sanctae, edit. J. C. M. Laurent, Peregrinatores medii aevi quatuor, Leipzig, in-4° (1864), p. 90.
63. PI. Derenbourg, Ousâma... un émir syrien... 1889-1893, p. 91. — Kamal ad din, Historiens occidentaux des Croisades., t. III, p. 599. Il semble que ce Tell Ibn Mascher doive être identifié avec le village d'Acharné ou Asharine (autrefois Maacherïn d'après une note manuscrite de P. Savoye) qui se trouve entre Sheïzar et Bokebeïs (Abou Qobeïs). Ce château aurait ainsi commandé un autre pont de l'Oronte situé à l'ouest de celui que domine Sheïzar.
64. Sur Sheïzar, voyez Van Berchem, Voyage..., p. 178-188 et planches XXIV à XXVI.
65. Wilbrand d'Oldenbourg « Primo die venimus ad Portellam. Hoc est casale bonum, prope se habens Portam a qua ipsum denominatur. Hec sola sita est in strata publica in ripa maris, et est ornatissima albo et valde polito marmore composita... Hoc casale dista ab Alexandreta quator millia » (Edition J. C. M. Laurent Peregrinatores… - Voyez Rey, Les périples.... et R. Dussaud, Topographie, p. 446. Des châteaux se dressaient dans le voisinage : Baiesses (Payass, le Castrum Puellarum dont parle Albert d'Aix), Sarisaki, Tchivlan Kalé (appelé aussi Chalan Kalé).
66. Wilbrand d'Oldenbourg, édition citée, p. 172.
67. Voyez R. Dussaud, Topographie, p. 443.
68. L'emplacement de ce château n'a pas encore été déterminé. Voir les intéressantes hypothèses de M. R. Dussaud dans sa topographie..., p. 165 et suivantes et 174-177.
69 Les Croisés prirent Harrenc au cours de la première Croisade, le 9 février 1098 ; cf. Hagenmeyer, Chronologie n° 232 et 233. — Au milieu du XIIe siècle la forteresse qui avait une grande importance stratégique fut plusieurs fois assiégée, perdue et reprise par les Francs ; Nour ed-din s'en empara définitivement en août 1164. Voyez Van Berchem, Voyage..., p. 232-233 et Dussaud, Topographie, p. 172.
70. Chroniques de Michel le Syrien, XV, 14, édition Chabot, III, 215. Les Francs y revinrent en 1119 et en 1124.
71. Chroniques de Michel le Syrien, ibid. En 1117 Roger, prince d'Antioche, assiégea Bâlis. Un nouveau siège eut lieu en 1122.
72. En juillet 1100, en 1124-1125, en 1138.
73. En 1105, 1108, 1120, 1121, 1122, 1125, 1134, 1138, 1146.
74. En 1110 Tancrède imposa à Rodouan, prince d'Alep, un tribut annuel de 20.000 dinars : H. Derenbourg : Ousama …un émir syrien… (1889-1893), p. 88. — Aboulfeda nous apprend que cet état de choses durait encore en 1130. Cf. Historiens occidentaux des Croisades., I, p. 18.
75. Rey, Résumé chronologique de l'histoire des princes d'Antioche, dans Revue de l'Orient Latin, t. IV (1896), p. 350.
76. Historiens occidentaux des Croisades, III, 635.
77. Rakka, ville considérable, située sur la rive gauche du second de ces fleuves, était le point d'arrivée de deux grandes routes de caravanes, l'une venant de Mossoul, en passant par Nisibïn, l'autre venant de l'ouest et partant d'Iconium en Asie-Mineure, traversait Adana, Samosate, Edesse et Harran pour atteindre Rakka (Edrisi, tome II, page 138). Cette ville, qui se trouvait être ainsi le centre d'un énorme mouvement d'affaires, communiquait par Palmyre avec Damas, centre du commerce de la Syrie.
Par cette même voie, elle se trouvait encore en rapport avec Hamah, Horas, et les villes maritimes du comté de Tripoli.
La navigation de l'Euphrate s'arrêtait alors à Baalis, qu'au dixième siècle, Istakkry (El Istahry, traduction Mordiman) nomme, fort justement, le port des Syriens ; c'était, en effet, la première ville de la Syrie du côté de l'Irak, et le port de la Syrie sur l'Euphrate.
Cette ville est désignée, avec Dauser (Kalaat-Djaber), comme les deux points de passage du fleuve au nord de Rakka.
Il ne faut pas oublier que, durant la première moitié du douzième siècle, la puissance des princes latins d'Edesse et d'Antioche s'étendait sur les bords de l'Euphrate et sur une partie considérable de la Mésopotamie. Le passage suivant extrait du livre de Schahab-ed-din, intitulé Les deux Jardins (Kitab-er-raudataïm, traduction Quatremere, page 107), est, ici, un témoignage d'un très grand poids : "Les habitants de Rakka et de Harran étaient, à l'égard des Francs, dans l'état de soumission le plus humiliant. Les communications avec Damas se trouvaient interceptées et on ne pouvait y arriver que par la route du désert. » Sources : Rey, Les colonies franques, p. 197.
78. Ibn al Athir, Historiens occidentaux des Croisades., I, p. 496. Cf. Rey, Note sur les territoires possédés par les Francs à l'est.... du Jourdain, dans Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, 1881, t. XLI, p. 90.
79. Sheïzar paya un tribut de 10.000 dinars de 1111 à 1124.
80. Enlart, II, p. 378-380. Album, planche 152.
81. Rey, Revue de l'Orient Latin, IV, p. 359.
82. Rôhricht, G. K. J, p. 211 et n. 2, voir Guillaume de Tyr, XIV, c. 24, Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 642. — Cinnamus, I, 7, Historiens grecs des Croisades, I, p. 211 et suivantes — Nicetas, de Joann., 6, ibid., p. 215 et suivantes.
83. Guillaume de Tyr, XXII, c. 24 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, pp. 1114-1115. — Michel le Syrien, Chronique, éd. Chabot, t. III, pp. 393-394. Cf. Rôhricht, p. 403.
84. Continuât. Guillaume de Tyr, XXVI, 26, Historiens occidentaux des Croisades, II, p. 215. — Cf. Rôhricht, G. K. J., p. 662-663 ; Rey, Revue de l'Orient Latin, t. IV, 1896, p. 386.
85. Voyez C. Favre et B. Mandrot, Voyage en Cilicie [1874], dans Bull, de la Société de Géographie, 6e série, XV (1878), p. 5-37 et 116-154, carte au 4oo.oooe.
86. Voyez Delaville Le Roulx, Les Hospitaliers en Terre Sainte et à Chypre, 1904, p. 140 et suivante.
87. On y voit deux inscriptions arméniennes relatant, l'une la fondation de ce château en 1206, l'autre son achèvement en 1251 (Rey, Architecture de l'Orient Latin, tome II, 1854, p. 351, Herzfeld et Guyer, Meriamlik und Korykos, Manchester University Press, 1930).
88. Rey, ibid : « C'est un polygone irrégulier mesurant environ 180 mètres de long sur une largeur de 150, bâti sur un promontoire et défendu, vers la terre ferme, par un profond fossé taillé dans le roc et que remplissait jadis la mer. Il possède deux enceintes reliant entre elles des tours, les unes arrondies, les autres barlongues. » Ce château résista aux Musulmans jusqu'en 1448 ; ce fut un des derniers refuges des Croisés sur le continent d'Asie.
89. Aboul Faradj le constate en 1138 à propos de l'héroïque résistance des habitants d'Édesse contre Zengui. Cf. Aboul Faradj, Chronicon Syriacum, éd. Bruns et Kirsch, Leipzig, 1789, t. I, pp. 333-334.
90. L'antique Carrhae dont Justinien restaura l'enceinte.
91. Dans une région que les chroniqueurs arabes appellent le Schaabaktan.
92. Ibn al Athir, Historiens orientaux des Croisades, I, p. 444.
93. Sur la prise d'Edesse, voyez J.-B. Chabot, Un épisode de l'histoire des croisades, dans Mélanges offerts à M. Gustave Schlumberger (1924), I, pp. 169-179.
94. On possède de curieux détails sur le siège de Bir en 1145 grâce à une chronique syriaque. Elle nous apprend que Joscelin II d'Edesse voulant secourir la citadelle fit monter à Ranculat, qui se trouve sur l'Euphrate en amont de Bir, deux cents combattants sur de grandes barques. Celles-ci descendirent le fleuve, mais la violence du courant qui entraînait les embarcations et les flèches lancées des rives par les assiégeants ne permirent qu'à un petit nombre de ceux qui montaient ces barques de pénétrer dans la citadelle. Beaucoup se noyèrent, d'autres furent tués ou faits prisonniers. (Voyez J.-B. Chabot, Un épisode inédit de l'histoire des Croisades, Le siège de Birta (1145), dans Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1917, p. 77).
95. Les Arméniens gardèrent quelques-uns de ces châteaux jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Quant aux places que Baudoin III de Jérusalem confia en 1152 aux Grecs, ceux-ci se les laissèrent enlever dans l'espace d'une année. Guillaume de Tyr consacre une page émouvante à l'abandon de ces belles forteresses du comté d'Edesse qu'occupaient naguère cinq cents chevaliers avec leurs familles. Il décrit l'émigration des populations franques quittant en masse ces terres fertiles sous la protection du roi de Jérusalem et de son armée qui s'étaient portés à leur secours et qui défendaient péniblement contre les attaques incessantes des Turcs le lent exode des vieillards, des femmes et des enfants sur les routes encombrées de bêtes de somme, de chariots et de bagages (Guillaume de Tyr, XVII, c. 15 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 783).

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Chapitre III

Les travaux de fortification

Si l'on examine les travaux de fortifications des Francs soit sur le terrain, soit dans les chroniques latines ou arabes, on reconnaît que l'activité de leurs constructeurs fut véritablement prodigieuse. Pour assurer la sécurité de leurs Etats, les Princes Francs ne se contentèrent pas de construire aux frontières d'imposants châteaux-forts qui gardaient les cols des montagnes et les passages des fleuves ou faisaient face aux citadelles arabes élevées au-delà de l'Oronte et sur l'Euphrate, ou encore surveillaient l'horizon infini du désert aux dunes menaçantes. Ils fortifièrent aussi puissamment le pays intérieur protégeant leurs villes principales par une citadelle et les fermant par une solide enceinte munie de tours, élevant des ouvrages à l'entrée de leurs ports, enfin organisant tout un réseau défensif entre la côte et la frontière orientale, tours de guet, fortins, châteaux de plaine, destinés à maintenir la liaison entre les diverses places fortes et à surveiller les routes.

Ces grands travaux ne furent pas seulement l'œuvre du début ; jusqu'au dernier jour leurs architectes, leurs tailleurs de pierre et leurs maçons travaillèrent à entretenir les fortifications, à les relever si elles avaient été mutilées par un siège ou un tremblement de terre, ou démolies systématiquement par un émir, à édifier de nouveaux châteaux là où leur construction paraissait utile à la défense de la terre chrétienne.

En arrivant dans ces régions que tant de races s'étaient disputées, sur ce sol que tant d'armées avaient foulé, ils rencontrèrent des traces nombreuses d'anciennes fortifications.

Parfois, surtout dans le nord, où ils trouvèrent d'importantes forteresses dues aux ingénieurs byzantins, notamment à Tarse, à Anavarze, à Marash, à Antioche, à Edesse, ces défenses étaient si bien conservées et si parfaitement conçues qu'ils n'eurent guère à les modifier ; parfois, ils les réparèrent et les amplifièrent. Ailleurs ils créèrent de toutes pièces de nouveaux châteaux (1).

Mais, dans ce dernier cas, il arriva que le point stratégique dont ils reconnaissaient l'importance avait été utilisé avant eux, et les substruc- tions qu'ils découvraient alors leur procuraient les matériaux.

Au surplus, ils appliquaient là une de ces règles de la construction militaire byzantine dont ils s'inspirèrent maintes fois. Le traité anonyme de la Tactique, rédigé au VIe siècle, recommande, lorsqu'on veut choisir l'emplacement d'une forteresse, d'examiner s'il y a dans les environs des pierres toutes taillées (2).

Les Francs firent ainsi très souvent. Parfois même, dans leurs recherches d'une position, la rencontre de ruines qui fourniraient des matériaux sur place, décidait de leur choix. Guillaume de Tyr le dit nettement pour la construction du château de Darum au sud de Gaza : « Hoc castrum... rex Amalricus... fundaverat, occasione vetustorum aedificiorum, quorum aliqua adhuc ibi supererant vestigia » (3).

L'énumération de toutes les anciennes fortifications, juives, phéniciennes, romaines, byzantines, arabes « remployées » par les Francs serait longue.

Yabneh dont il est question tant de fois dans la Bible, la Jamnia des Grecs, devint Ibelin au temps des Croisades. Le roi de Juda, Ozias l'avait démantelée et Judas Macchabée brûla son port et ses vaisseaux. Pompée enleva cette place forte aux Juifs (63 avant J.-C.) et Auguste la rendit à Hérode (30 av. J.-C.). En 1141 les Francs construisirent sur cet emplacement un des châteaux destinés à menacer Escalone. Guillaume de Tyr nous apprend que les pierres des ruines qui se trouvaient en ce lieu furent utilisées pour la construction (4), et son traducteur ajoute une observation curieuse : « Pierres trouvèrent en cel leu des forteresses qui jadis y avaient esté, car, si comme l'en dist : Chastel abatuz est demi refez. »

Il en fut de même à Chastel Pèlerin (Athlit) où les Francs découvrirent, en creusant leurs fondations (1218), des vestiges et des monnaies d'une installation probablement phénicienne qui leur furent d'un grand profit tant pour l'usage des matériaux que pour les frais de la construction (5). A Masada (Sebbé), sur la Mer Morte, dans les ruines d'une citadelle hérodienne, le P. Abel a retrouvé une porte de l'époque des Croisés (6). A Montferrand (Barin), à l'extrémité orientale du comté de Tripoli, les Francs ont dû utiliser les restes d'un camp romain (7). Le Crac des Chevaliers vint remplacer un petit château arabe du XIe siècle.

Les Croisés n'utilisèrent pas seulement d'anciennes forteresses. Les monuments des villes antiques, leurs colonnes et leurs pierres leur fournirent des matériaux dont ils profitèrent largement.

A Césaire (Césarée) un môle du port a sa chaussée faite de colonnes antiques couchées côte à côte et provenant de la ville d'H érode ; Rey et le P. Abel considèrent avec beaucoup de vraisemblance que c'est là une œuvre des Croisés (8). Le grand théâtre romain de Gabala (Zibel des Croisés, aujourd'hui Djebelé au sud de Lattaquié) fut transformé par les Francs en château-fort ; ils en condamnèrent les ouvertures et le flanquèrent de tours carrées (9).

Les modèles byzantins.

Mais c'est surtout des forteresses byzantines que les Croisés occupèrent. Les ingénieurs byzantins avaient couvert le sol de la Cilicie et de la Syrie d'imposantes citadelles et de tout un réseau de défenses secondaires. Lorsque les Croisés les trouvèrent ruinées, les fondations en subsistaient et ils les utilisèrent, parfois sans modifier le plan. Souvent ils adoptèrent ce plan pour leurs nouvelles constructions. A leur arrivée, ils avaient traversé ou conquis de grandes cités, Constantinople, Nicée, Anavarza, Marash, Edesse, Antioche, aux solides murailles dues en grande partie aux architectes byzantins des Ve et VIe siècles. En 1101, ils avaient pris la citadelle d'Angora construite, semble-t-il, au VIIe et restaurée au IXe siècle (10). Les grandes traditions de l'art militaire du temps de Justinien s'étaient conservées sous ses successeurs. Nicéphore Phocas (963-969) et Jean Zimiscès (969-976), lors de leurs campagnes de Syrie, avaient fait relever les murailles d'un certain nombre de places fortes, c'est alors que fut restaurée la puissante citadelle d'Antioche et que durent être construits les châteaux de Saône et de Bourzey où plus tard les Francs vinrent s'établir.

Si de nombreuses ressemblances sont observées entre les châteaux francs et les châteaux arabes de Syrie, c'est assurément parce que Francs et Musulmans copièrent les constructions des Byzantins, mais aussi sans doute parce qu'ils s'adressèrent à des praticiens grecs, arméniens ou syriens pour leurs travaux de fortification (11). Nous en avons un exemple certain pour une fortification musulmane peu antérieure aux Croisades : c'est la seconde enceinte du Caire qui fut construite entre 1087 et 1091 selon la méthode byzantine et dont trois portes défendues par des tours sont l'œuvre de trois frères, architectes venus de la région d'Edesse (12).

Nous savons aussi que les Croisés avaient dans leurs armées des ingénieurs grecs et arméniens qui fabriquaient leurs machines de guerre et en commandaient la manœuvre. Ces ingénieurs experts dans l'art de la guerre de siège devaient être en même temps des architectes initiés à toutes les connaissances de la défense des places fortes et héritiers des grandes traditions de l'Antiquité.

Guillaume de Tyr (13) nous apprend qu'au siège de Tyr (1124) les Francs firent venir un ingénieur arménien d'Antioche, Havedic, pour construire des perrières.

Racontant le siège de Sheïzar en 1138 Ousama parle « des machines de guerre effrayantes que les Grecs avaient apportées de leurs contrées. Elles lançaient des pierres parcourant des distances infranchissables même pour les flèches de bois » (14).

Kasr-Bagaï

Kasr-Bagaï. — Enceinte de la ville byzantine
Fig. I. — Kasr-Bagaï. — Enceinte de la ville byzantine (Diehl, Afrique byzantine p. 191, fig. 31

Si l'on compare les plans des villes fortifiées et des grandes places fortes de l'époque de Justinien conservées sur le sol de son vaste empire, aussi bien en Syrie que dans l'Afrique du Nord, avec les plans de certaines forteresses franques, on constate des ressemblances frappantes.

Dans les villes fortes byzantines le point le plus élevé de la place est occupé par un réduit, la Citadelle. Cette citadelle est formée d'un rectangle de murailles flanquées de tours carrées aux angles et parfois au milieu de chaque front ; l'ouvrage est quelquefois renforcé par une sorte de donjon intérieur s'élevant plus haut que les murailles qui l'enferment.

Kasr-Bagaï

Kasr Bagaï
Fig. 2. — Kasr Bagaï, citadelle défendant la ville fortifiée (Diehl, Afrique byzantine, p. 193. fig. 31).

On remarque ce plan en Tunisie à Kasr-Bagaï (15) (Plan, Fig. I et 2). On le retrouve en Syrie, notamment à Soura (16) sur l'Euphrate dont les fortifications furent relevées par Justinien après la destruction de Chosroès. Non loin de là à Trétrapyrgium dont le nom grec indique bien quatre tours, le R. P. Poidebard (17) au cours de ses reconnaissances en avion de 1929 et 1930 a retrouvé cette forteresse, aujourd'hui Qseyr as Sêlé, entre Soura et Resafa ; c'est un rectangle à quatre tours rondes enfermé dans une enceinte. On trouve encore ce plan à Salamiyé (18) (Fig. 3) au sud-est de Hama.

Citadelle de Salamiyé

Citadelle de Salamiyé
Plan Fig. 3 — Citadelle de Salamiyé (Syrie)

Le même principe s'observe sur le domaine des Croisés dans plusieurs de leurs villes fortifiées ou de leurs grandes places fortes dont certaines furent assurément occupées avant eux par les Byzantins. Telles sont les forteresses de Marase (Marash) (19), de Coricie (Cyrrhus) (20), d'Al Bara (21), d'Arima (Plan, Fig. 4), de Giblet (Plans, Fig. 5 et 13), de Subeibe (Plan Fig. 6), de Bourzey (Plan, Fig. 7) et de Saône ; ces deux dernières furent, nous l'avons vu, occupées et sans doute fortifiées par l'empereur Jean Zimiscès en 975 (22).

Château de la ville de Giblet

Château de la ville de Giblet
Fig. 5. — Château de la ville de Giblet (Plan par R. Jusserand).

Les Arabes, comme les Francs, utilisèrent les forteresses byzantines et y prirent des modèles et cela dès avant les Croisades. Ainsi en Tunisie, Bagaï, Belezma, Tobna, Sousse, forteresses Justiniennes, furent occupées, restaurées ou en partie reconstruites par les Arabes au IXe siècle (23).

Chateau de Subeibe

Chateau de Subeibe
Fig. 6. — Subeibe (Plan Fr. Anus).

Chateau de Bourzey

Chateau de Bourzey
Fig. 7 — Bourzey (Plan Fr. Anus).

Les Byzantins avaient aussi des forteresses isolées, hors des villes, des castella (opoépia) dont le plan était identique à celui des citadelles des villes fortes que nous venons de voir.

Ces castella consistaient en un rectangle flanqué aux angles de 4 tours carrées. Ce système très simple se compliquait parfois d'un saillant carré ou barlong au milieu de chaque front, ce qui faisait 8 ouvrages contre l'enceinte ; parfois on voyait seulement 2 saillants sur les deux fronts les plus étendus, soit 6 ouvrages, parfois même un seul front était muni d'un saillant, soit 5 ouvrages.

Les Byzantins avaient emprunté ces modèles à l'architecture militaire romaine ; comme l'a observé M. Diehl, beaucoup de forteresses byzantines « ne sont guère autre chose que des réductions plus ou moins modifiées du camp romain » (24).

Le type le plus simple (4 tours aux angles), se trouve en Afrique aux forts byzantins de Lemsa (25) (Plan, Fig. 8), de Zana (26), de Zaraï (27), etc.

On le voit en Syrie au Tétrapyrgium d'Ad Dahal entre Soura et Resafa et à Koser II Hallabat construit au me siècle (213 à 217) et reconstruit (529) au temps de Justinien (28).

Au castellum de Han Aneybé (29) construit à la fin du me siècle au temps de Dioclétien, on voit 4 tours aux angles et, au milieu d'un front un 5e ouvrage dans un flanc duquel est percée l'entrée du fort. Le même plan se retrouve dans un castellum romain de Tripolitaine, Benia ben Recheb (30).

On trouve 6 ouvrages (4 aux angles et 2 aux fronts les plus étendus) à la citadelle byzantine de Circesium (auj. Busairah) au confluent du Khabour et de l'Euphrate, (31).

Les castella plus importantes flanqués de 8 ouvrages se trouvent en Afrique à l'époque byzantine à Tobna (32) (Plan, Fig. 9), à Timgad (33), à Henchir-Sguidan (34), à Ksar-Bellezma (35), etc.

Lemsa

Lemsa
Fig. 8. — Lemsa. (Diehl, L'Afrique Byzantine, p. 208, fig-43.)

Tobna

Tobna
Fig. 9. — Tobna. (Diehl, L'Afrique Byzantine, p. 216, fig-18.)

Des plans tout à fait analogues se voient dans certains châteaux de l'époque des Croisades (36). Le plan à 8 tours apparaît au petit château de plaine de Coliat (El Qlei'at) près de Tripoli (Plan, Fig. 10, et Album, PI. XVII A). Il faut constater que l'une des tours d'angle est plus importante que les autres (37). En Palestine deux châteaux présentent les mêmes dispositions que les castella byzantins : c'est Belvoir au sud du Lac de Tibériade et le Chastellet au nord du même lac.

Coliat

Coliat
Fig. 10. — Coliat. (Van Berchem, Voyage... p. 131, fig. 62).

Belvoir (38) est un château assez considérable formant un rectangle de 160 mètres sur 120. Il est flanqué aux angles de tours carrées et sur ses faces de saillants barlongs (39). Au milieu de l'enceinte s'élèvent les restes d'un édifice qui était bien probablement un donjon. Cette forteresse, campée sur l'éperon des montagnes de la Galilée du sud-est, domine de 500 mètres la vallée du Jourdain. De trois côtés son enceinte est munie de fossés taillés dans le roc, larges d'une vingtaine de mètres et profonds d'une dizaine (40). Le quatrième front se trouve au-dessus de l'escarpement de la montagne.

Le roi Foulques construisit ce château vers 1140. En 1168 il fut vendu aux Hospitaliers. Saladin l'assiégea en vain en 1182, mais s'en empara en janvier 1189 malgré une résistance énergique des chevaliers de l'Hôpital.

Le Chastellet, moins important, est du type à quatre tours d'angle. Le roi Baudoin IV l'avait construit en l'espace de six mois (1178-1179) pour commander le passage du Jourdain appelé le gué de Jacob. Ce château défendu par les Templiers fut pris quelques mois plus tard par Saladin le 30 août 1179 (41).

Les chroniques latines relatant certains travaux de fortification faits par les Francs signalent des châteaux construits sur ce même plan : Nous avons vu (42) qu'entre 1137 et 1142 le roi de Jérusalem fit construire plusieurs forts destinés à encercler la grande cité d'Escalone (43) alors au pouvoir des califes fatimites. Ces petits châteaux, Ibelin, Bethgibelin, Blanche-Garde, furent construits sur le même plan : ainsi les Croisés élevèrent sur des positions bien choisies un praesidium ou un oppidum, avec une enceinte flanquée de quatre tours aux angles.

Ce praesidium c'est le donjon, qui occupe la place du praetorium du camp romain et qui apparaît quelquefois dans les citadelles byzantines avec ses murs plus hauts que ceux de son enceinte.

Ce type de châteaux francs généralement peu importants, dont le plan est imité de celui des castella romains et byzantins, paraît donc avoir été assez fréquemment employé en Terre-Sainte dès la première moitié du XIIe siècle.

Un petit château des Croisés présentant des dispositions analogues à celles des trois châteaux de Palestine que nous venons de citer, existe encore dans le voisinage de Tortose : c'est Chastel-Rouge (Qal'at Yahmour) (44) (Plan, Fig. 11).

Chastel-Rouge

Chastel-Rouge
Fig. 11. - Chastel-Rouge. (Plan Fr. Anus).

Il consiste en un grand donjon carré appartenant incontestablement à l'époque franque qui domine une enceinte carrée, remaniée par les Arabes.

Il semble donc que les Croisés venus en Orient avec des connaissances très sommaires de l'architecture militaire firent des emprunts aux modèles que leur fournissaient les anciennes forteresses byzantines (45) et qu'ils eurent recours parfois à des ingénieurs indigènes. Mais ils se perfectionnèrent rapidement, ils trouvèrent à leur tour de nouveaux procédés de défense et firent faire de grands progrès à l'art de la fortification.

En particulier pour la disposition des entrées, de leurs châteaux; Voyer Paul Deschamps, Les entrées des châteaux des Croisés en Syrie et leurs défenses, dans Syria, t. XIII, 1932, p. 369 et suivantes.
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes - Les travaux de fortification

1. Cf. ci-dessus, Géographie Historique des Etats Francs de Terre-Sainte - Le Littoral.

2. Traité de la tactique (éditions Köchly et Rüstow, Griechische Kriegsschriflsteller, tome II, 2 Abt., Leipzig, 1855).
— Voyez Ch. Diehl, l'Afrique byzantine, 1896, p. 148 et 174. En Afrique les constructeurs byzantins « ont puisé dans les ruines des cités qu'ils rencontraient sans distinguer entre les différentes pierres qui leur tombaient sous la main, empruntant aux forums leurs bases honorifiques avec les statues qui s'y élevaient, aux temples leurs architraves, leurs colonnes, leurs inscriptions votives, aux cimetières leurs tombes » (Cagnat, Timgad, p. XI).
3. Guillaume de Tyr, XX, c. 19, Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 975.
4. Guillaume de Tyr, XV, c. 24, Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 696. Traduction (ibid., P- 697).
5. Jacques de Vitry, Historia Orientalis, III, éditions Bongars, p. 1131.
6. R. P. Abel, Une croisière autour de la Mer Morte, Paris, 1911, p. 125-126.
7. R. Dussaud, topographie historique de la Syrie aux XIIe et XIIIe siècle, p. 98-99.
8. Rey, Architecture militaire, page 222.
— F.-M. Abel, Le littoral palestinien et ses ports, dans Revue Biblique, oct. 1914, p. 575, fig. 6 et p. 588, et planche I et II.
9. Rey, Architecture militaire, page 215.
10. Voyer G. de Jerphanion, Mélanges d'archéologie anatolienne, Beyrouth, 1928, p. 213-214.
11. Les habitants de l'Asie-Mineure ont eu de longue date des connaissances remarquables en architecture militaire. Strabon (ier siècle av. J.-C.) nous apprend qu'en Gordyène, région avoisinant la haute vallée du Tigre, les indigènes avaient « la réputation d'être des architectes, des ingénieurs militaires incomparables, réputation qui les avait fait employer en cette qualité par Tigrane. » Plutarque nous dit aussi que Gouras frère du roi d'Arménie Tigrane, avait auprès de lui un certain Callimaque, sans doute un mercenaire grec au service de l'Arménie, qui avait une grande expérience militaire et une singulière habileté pour l'invention des machines. Voyez V. Chapot, La frontière de l'Euphrate, de Pompée à la conquête arabe, Paris, 1907, p. 18 et 19, n. 1.
12. Nous empruntons ce détail à M. Louis Hautecœur dans son étude, sur les portes du Caire et leurs défenses, parue dans Les Mosquées du Caire par L. Hautecoeur et G. Weit (Paris E. Leroux 1932. 2 vol. in-4°), t. I, P. 222-240.
13. Guillaume de Tyr, XIII, c. 10, Hist. occ. Crois., I, pp. 569-570.
14. Ousama Ibn Mounkidh, Autobiographie, trad. Derenbourg, 1895, p. m et R. O. L., t. II (1894), p. 439.
15. Ch. Diehl, l'Afrique byzantine (1896), p. 192-193, fig. 31, 32 ; M. Diehl observe le même système à Laribus et dans d'autres citadelles de l'Afrique du Nord (ibid.., p. 194, n. 2). A la citadelle de Gadiaufala (Ksar-Sbehi) on voit un carré à 4 tours aux angles et une 5e tour au milieu d'un front (ibid., p. 608, fig. 65).
16. La citadelle de Soura de plan carré est munie de tours aux angles et sur les fronts.
— Voyez V. Chapot, La frontière de l'Euphrate, de Pompée à la conquête arabe (1907), p. 287, fig. 7.
— Sarre et Herzfeld, Archaologische Reise in Euphrat und Tigris-Gebiet, Berlin, 1911, I, p. 153-154.
17. A quelques kilomètres de là le R. P. Poidebard a retrouvé un castellum (Ad Dahal) à quatre tours carrées. On sait que le R. P. Poidebard a exploré en avion avec le concours des officiers du 39e régiment d'aviation les castella et autres postes militaires, élevés du 11e siècle à la conquête arabe, tout le long du limes romain, depuis Damas jusqu'au Tigre. R. P. Poidebard, Recherches sur le Limes romain (campagne d'automne 1930), dans Syria, 1931, p. 274-280, pl. LV-LVII.
— La trace de Rome dans le désert de Syrie (Paris, Geuthner, 1934), p. 74, 82-83 et Atlas, pl. LXXVI-LXXVIII.
18. La citadelle de Salamiyé a une tour à chaque angle et une au milieu de chaque front, soit 8 tours. Voyez Van Berchem (Voyage en Syrie, p. 168, plan fig. 93) qui cite (p. 169, n. 5) d'autres forteresses byzantines présentant ce plan, dans le voisinage de Salamiyé et dans le Hauran méridional.
19. Rey, Colonies franques de Syrie, MARES, p. 316-317.
20. V. Chapot, La Frontière de l'Euphrate (1907), p. 431, fig. 19 et Fr. Cumont, Etudes Syriennes, Cyrrhus (1917), pp. 241-245.
21. Van Berchem, p. 199, fig. 122.
— Dussaud (Topographie de la Syrie, p. 181), qui constate que le plan est byzantin. Quand les Croisés occupèrent Al Bara en 1098, ils la trouvèrent fortifiée « urbs munitissima » (Guillaume de Tyr, VII, c. 8, Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 288).
22. La même observation peut être faite aussi à la citadelle d'Harim, l'ancienne Harrenc des Croisés. Il ne reste plus dans ces ruines de traces de leurs travaux, la forteresse enlevée aux chrétiens dut être reconstruite par les Musulmans, mais en concevant le plan ancien et les fondations. Or on sait que les Byzantins y élevèrent une forteresse à la fin du Xe siècle. CF. Van Berchem, Voyage...., page 232.
23. Sousse avait été fortifiée par Solomon, le lieutenant de Justinien. Les émirs aghlabides au IXe siècle relevèrent ses remparts ; son ribât qui semble être uniquement leur œuvre a tout à fait l'aspect d'un fortin byzantin avec son enceinte rectangulaire munie de tours aux angles et au milieu des côtés.
— Voyez G. Marçais, Manuel d'art musulman, I (1926), p. 44 à 49 et figure du ribât de Sousse, p. 48, fig. 20.
24. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 215.
25. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 208, fig. 43.
26. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, P. 253 fig. 54.
27. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, P. 252 fig 53.
28. Princeton Expédition, Div. II, Sec. A. 2e part., p. 70 et suivantes, plan p. 72.
29. Musil, Palmyrena, New-York, 1928, p. 107.
— R. P. Poidebard, dans Syria, 1931, p. 274-280, planche LV.
— La trace de Rome dans le désert de Syrie (1934), Atlas Pl. XXVII, XXVIII.
30. R. Cagnat, La frontière militaire de Tripolitaine, dans Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. XXXIX, p. 86.
31. Sarre et Herzfeld, Archaeologische Reise in Euphrat und Tigris-Gehiet, I (Berlin, 1911), p. 173, fig. 79. A Anderin (VIe s.), au n. e. de Hama, le castellum a 4 tours d'angle hexagonales et deux saillants carrés sur les deux fronts les plus étendus. Princeton Exp., Div. II, sect. B, 2e part. (1909), p. 107, planche 8. Le castellum de Stabl'Antar est moins régulier ; il a 4 tours d'angle carrées, au milieu du front Est se trouve un saillant carré ; l'entrée au milieu du front Sud est flanquée de 2 saillants carrés.
32. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 216, fig. 48.
33. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 200, fig. 37.
34. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, P. 285, fig. 65.
35. Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, p. 251, fig. 52.
36. Les Arabes ont aussi utilisé les plans de forteresses romaines. M. Sauvaget l'a constaté à la citadelle de Damas : « celle-ci correspond au plan ordinaire du castrum romain carré avec une tour à chaque angle et une porte au milieu de chaque face. » (Sauvaget, La citadelle de Damas, dans Syria, t. XI, 1930, p. 61).
37. La même chose s'observe au château de Darum.
— Voyez ci-dessous note 43.
38. Rey, Colonies franques de Syrie, Belvoir, pages 436, 437.
39. Chacun de ces saillants commandait une entrée de la place : « quatre portes, une à chacun des points cardinaux, donnaient ainsi accès dans la place... » Victor Guérin, Description... de la Palestine, 3e partie, Galilée, t. I, p. 129 et suivantes. Le même auteur dit que les murs d'enceinte ont plus de 2 m. d'épaisseur. Sur Belvoir, voyez aussi le R. P. Abel, Exploration de la vallée du Jourdain, dans Revue Biblique, juillet 1912, p. 405-409 Phot. de la base d'une tour d'angle, p. 406. Belvoir s'appelle en arabe Kokab el Hawa dont les Francs firent Cocquet. Plus tard les Hospitaliers l'appelèrent Belvoir. Voyez sur ce château Jacques de Vitry, Hist. Iherosol. I, 49, édit. Bongars, p. 1074.
40. Ainsi nous trouvons à Bel voir une analogie avec les trois éléments fondamentaux de la forteresse byzantine selon les règles de Procope et du traité anonyme de la tactique rédigé au VIe siècle. Ces éléments sont :
1° le mur d'enceinte (Τειχος — περιβσλς), avec de place en place des tours carrées flanquant les courtines.
2° en avant du (Τειχος), se trouve l'avant-mur — (προτειχιουα) moins élevé que le (Τειχος).
3° bordant l'avant-mur un fossé large et profond.
A Belvoir à la place du (Τειχος) nous avons le donjon que protège un avant-mur et un fossé.
— Voyez Procope, De Aedificiis, édit. Niebuhr, Bonn, p. 211 et suivantes.
— traité de la tactique, publications et tradieux par Köchly et Rüstow, Griech. Kriegsscbrifsteller, t. II, 2 Abt., Leipzig, 1855.
— Voyez Ch. Diehl, L'Afrique Byzantine (1896), p. 145 et ss. passim.
41. Historiens orientaux des Croisades, I, 635-636 (Ibn al Athir : Kamel-Altevarykh), et Aboulféda, ibidem, p. 49.
— Rey, Colonies franques de Syrie, Le Chastellet, page 438.
— Röhricht, G. K. J., p. 382 et 386-387.
— voir Robinson, Pal., III, 633-634.
— V. Guérin, Description de la Palestine, Galilée, I, 341.
42. Voyez plus haut.
43. Guillaume de Tyr, XIV, c. 22, Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 638. « Nostri vero videntes praesumptionem eorum [Ascalonitarum] non cessare... judicant... municipia in circuitu per gyrum aedificari, unde collecta facilius militia et de vicino commodius hostium discurrentium refrenari posset impetus, et civitas [Ascalona] frequentius impugnari Proviso igitur loco ad hoc idoneo, circa radices montium, in campestrium initio... urbem veterem et dirutam Bersabee nomine reaedificare parant... praesidium aedificantes muro insuperabili, antemuralibus et vallo, turribus quoque munitissimum... »
A propos encore de Bersabée (= Bethgibelin) et d'Ibelin voyez Guillaume de Tyr, XV, c. 24 et 25 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 697. Sur Ibelin « aedificant praesidium cum turribus quatuor, veteribus aedificiis, quorum multa adhuc supererant vestigia, lapidum ministrantibus copiam... »
A propos de Blanche-Garde (Guillaume de Tyr, XV, c. 25 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 698) « ...Proposito igitur satisfacientes, dominus rex et principes ejus, una cum domino patriarcha et praelatis... ad locum unanimiter conveniunt, et vocatis artificibus, simul et populo universo necessaria ministrante, aedificant solidis fundamentis et lapidibus quadris oppidum cum turribus quatuor, congruae altitudinis. »
Sur Blanche-Garde voyez le croquis de Rey, Architecture militaire, page 124, qui a retrouvé les traces du donjon et deux des tours carrées des angles de l'enceinte.
Un peu plus tard les Francs construisirent au sud de Gaza, pour surveiller la route du littoral allant vers l'Egypte, le petit château de Darum qui lui n'avait pas de donjon, mais dont une des quatre tours d'angle était plus importante que les autres. Guillaume de Tyr, XX, 19 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 973 et suivantes [v. 1170] : « Hoc castrum... dominus rex Amalricus paucis ante annis, in loco aliquantulum eminente fundaverat, occasione vetustorum aedificiorum, quorum aliqua adhuc ibi supererant vestigia... Fundaverat autem... rex ibi castrum modicae quantitatis, vix tantum spatium intra se continens quantum est jactus lapidis, formae quadrae, quatuor turres habens angulares, quarum una grossior et munitior erat aliis ; sed tamen absque vallo erat et sine antemurali. »
44. R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie antique et médiévale illustrée, Pl. 150, en haut.


Chapitre IV

Les divers types de constructions militaires - Les défenses des villes

Nous examinerons les défenses des villes et des ports, les petits châteaux de l'intérieur et les tours-postes destinés à faire la liaison entre la frontière et le littoral ; nous terminerons par les grandes forteresses qui font l'objet essentiel de cette étude.

Les enceintes qui enfermaient les villes franques ont en grande partie disparu. Dans leur marche à travers l'Asie-Mineure les premiers Croisés trouvèrent, nous l'avons vu, de vastes enceintes byzantines telles que celles de Nicée (1), d'Anavarze (2), d'Edesse et d'Antioche. Ils conservèrent bien entendu ces enceintes en les restaurant et en y ajoutant de nouveaux éléments de défense sur certains points.

Si Edesse (3) garde encore des restes de l'enceinte de Justinien analogue à celle d'Antioche (4), cette dernière ville a perdu tout récemment et presque entièrement sa magnifique ceinture de hautes murailles crénelées flanquées de nombreuses tours carrées à trois étages de défenses (5). Cette immense enceinte qui escaladait les pentes du terrain fort accidenté avait un développement de 12 à 15 kilomètres. Au sommet du mont Silpius dominant toute la ville, sur son rocher presque inaccessible, se dressait sa massive citadelle reconstruite à la fin du Xe siècle. A tous ces ouvrages les Francs ne firent que quelques restaurations et des aménagements.

Fémie (Apamée, aujourd'hui Qal'at el Moudiq), ville épiscopale des Francs au-delà de l'Oronte, n'a rien conservé du passage des Croisés et son enceinte est une construction musulmane du XIIIe siècle.

Les tours rondes de l'enceinte de Tibériade tombèrent lors du tremblement de terre de 1837. L'enceinte de Jérusalem est due en grande partie à Soliman II (1537-1540).

Plusieurs villes du littoral ont cependant conservé quelques vestiges de leurs enceintes. Un certain nombre d'iconographies anciennes parvenues jusqu'à nous peuvent aussi aider à restituer les défenses des villes des Croisés. Les Francs firent aux cités du bord de la mer des travaux plus importants qu'aux villes de l'intérieur.

Ces villes maritimes étaient défendues du côté de la terre par une enceinte qui avait le plus souvent la forme d'un trapèze appuyé à la mer. Cette enceinte était munie de tours en général rectangulaires. Une ligne de murailles pouvait également occuper des falaises dominant le rivage et fermer ainsi la ville du côté de la mer. Une citadelle particulièrement bien fortifiée se dressait à un angle de la place et avait des communications directes avec la campagne. Elle se dressait sur un point culminant (à La Liche, Giblet (Fig. 13), Sagette, Jaffe, de même qu'à Edesse, Antioche et Jérusalem), ou près de la mer (Tortose, Barut, Césaire). Parfois la ville possédait une double enceinte comme Saint-Jean d'Acre. A Tortose (Plan, Fig. 12), le formidable donjon des Templiers, proche de la mer, était protégé par trois enceintes, dont la troisième défendait la ville. Sour (Tyr) occupe une presqu'île ; un chroniqueur la dépeint assez exactement en disant « qu'elle présentait l'image d'une main dans la mer, rattachée au continent par un poignet qu'entourent les flots » (6).

Plan de la ville de Tortose

Plan de la ville de Tortose
Fig. 12. — Plan de la ville de Tortose, par Fr. Anus.

Trois remparts coupaient l'isthme sablonneux qui relie la ville au continent ; l'un deux était précédé d'un fossé large et profond dans lequel, en cas d'attaque, on pouvait faire entrer l'eau de la mer par ses deux extrémités (7). Elle était puissamment défendue et tandis qu'après sa victoire de Hattin (4 juillet 1187) Saladin s'emparait de toutes les places de Palestine, elle put sous le commandement de Conrad de Montferrat lui opposer une héroïque résistance et l'obliger à battre en retraite (8).

Les Croisés ne s'emparèrent d'Escalone qu'en 1153, car la ville était bien défendue ; elle était munie d'une enceinte flanquée de tours carrées et précédée d'un avant-mur. Ces fortifications avaient été très probablement élevées par les Arabes sur le modèle byzantin ; les Croisés se contentèrent de réparer les brèches et firent quelques additions.

Lorsque, au cours de la troisième Croisade, les Francs eurent repris Saint-Jean d'Acre, Saladin fit démanteler Escalone de crainte que cette ville ne tombât en leur pouvoir et ne devînt une base d'opération pour l'armée chrétienne (1191) (9). Les travaux des Francs sont donc ici de la seconde moitié du XIIe siècle.

Guillaume de Tyr (10) a donné une intéressante description de l'Escalone du moyen âge. « Située sur le rivage de la mer elle a la forme d'un demi-cercle dont la corde s'étend le long du rivage et dont l'arc est tourné du côté de la terre ferme vers l'orient. Toute la ville est dans une sorte de cavité... environnée de toute part par des terres factices au-dessus desquels sont les remparts que flanquent de nombreuses tours. C'est un ouvrage très solide, et le ciment qui unit les joints est plus dur que la pierre...

La place est, en outre, entourée et fortifiée avec soin par une ceinture d'avant-murs (11) bâtis de même solidement... Le périmètre des remparts était percé de quatre portes ; la grande porte ou porte de Jérusalem à l'est..., la porte de la Mer à l'ouest, la porte de Gaza au sud... et la porte de Joppé au nord »

A propos de la porte de Jérusalem le traducteur de Guillaume de Tyr ajoute : « Iluec a deus tors de ça et de là grosses et hautes si que c'est la greindre forteresse de la ville. En la barbacane devant a trois issues qui meinnent en divers leus. » Cette barbacane qui défendait la principale entrée de la ville et deux grosses tours rondes de l'enceinte paraissent être des œuvres franques. Mais partout on retrouve dans les murs de cette enceinte des colonnes antiques engagées en profondeur et apparaissant sur le parement. Or ce système fut constamment employé par les Arabes dans leurs constructions du moyen-âge. Cependant il fut aussi pratiqué quelquefois par les Francs, notamment à Césaire et à La Liche.

L'enceinte de Zibel, détruite depuis peu, celle de Tortose dont il reste quelques vestiges, présentaient des saillants barlongs constituant un faible flanquement. Ces enceintes datent du XIIe siècle. L'enceinte de Giblet (Fig. 13), rasée par Saladin en 1190, fut relevée vers 1199 par Guy de Giblet. Elle présente les mêmes caractères.

Ville et port de Gibelet

Ville et port de Gibelet
Fig. 13. - Ville et port de Gibelet (d'après le plan de Fr. Anus)

Pendant son séjour en Terre-Sainte, qui dura 4 ans (1250-1254), le roi Saint Louis, très préoccupé du sort des populations chrétiennes d'Orient, entreprit de grands travaux pour munir les villes du littoral de solides enceintes. C'est ainsi qu'il fortifia ou releva les enceintes détruites de Saint-Jean d'Acre, Césaire, Jaffe et Sagette (Sidon).

Césaire, où le roi séjourna un an (de mars 1251 à mai 1252), a conservé de son enceinte des restes suffisants pour qu'on se rende compte de ce que faisaient en ce temps les ingénieurs militaires. On constate dans les dispositions défensives un progrès sur les constructions analogues du siècle précédent. Cette enceinte (12) à la forme d'un quadrilatère présentant vers la terre ferme trois côtés à angle droit et vers la mer un quatrième côté suivant la ligne du rivage. Les murs sont flanqués de tours barlongues (13) espacées régulièrement de 40 mètres environ. Ces tours sont beaucoup plus saillantes que celles des enceintes du XIIe siècle. Elles présentent environ six mètres de saillie sur la courtine. De hauts talus bordent les tours et les murailles. Ces talus ne sont point massifs ; ils renferment une galerie voûtée en quart de cercle (14), éclairée par des baies semblables à des archères. Cette galerie permettait de suivre à l'abri des projectiles le rempart au fond du fossé (15) qui borde cette enceinte et pouvait permettre aussi de surveiller les travaux de sape de l'assiégeant.

Indépendamment de cette enceinte, une puissante tour carrée s'élevait sur un promontoire s'avançant dans la mer. Une coupure dans le rocher isolait la tour de la terre ferme. Cette tour défendait le port.

Des fortifications de Sagette (Sidon, aujourd'hui Saïda) (PL XIII B) et de Jaffe (ou Joppé : Jaffa) (PI. XI B - Plan sur le web), il ne reste que peu de vestiges. Sur un monticule qui domine la ville de Saïda on voit encore des ruines d'ouvrages carrés et arrondis, vestiges du château (16) que les chrétiens appellent encore le « château de Saint Louis » et qu'on désigne aussi sous le nom de « château de terre » (PL XVI A) par opposition au « château de mer » dont nous parlerons plus loin. Joinville évoque à sa manière toujours naïve et familière maints souvenirs de son séjour à Sagette dans l'intimité du roi (17).

Le château de Jaffe (Jaffa) (18) s'élevait sur une éminence qui dominait la ville basse. Ce château fut construit ou reconstruit en 1228 (19). L'enceinte semi-circulaire, l'arc étant tourné du côté de la terre ferme, fut relevée par Saint Louis et munie de 24 tours (20). Près de la mer on voyait aux extrémités de cette enceinte deux gros ouvrages arrondis.

Parfois ces châteaux des grandes cités franques s'ornaient d'un magnifique appareil guerrier ; tel fut le jour où le comte de Jaffe, pour recevoir en sa ville le roi Saint Louis, pavoisa le couronnement de sa forteresse d'un nombre considérable d'écus et d'étendards à ses armes :
« Quant il cuens de Jaffe vi que li roys venoit, il atira son chastel en tel manière que ce sembloit bien estre ville deffendable car à chascun des carniaus (créneaux), dont il avoit bien cinq cens, avoit une targe à ses armes et un panoncel ; laquex chose fut bele à regarder car ses armes estoient d'or à une croix de gueles pâtée (21). » On imagine facilement l'impression que pouvait donner l'aspect de ces murailles crénelées se découpant sur le ciel au-dessus de la mer avec ces étendards faisant flotter au vent leurs flammes d'or ornées d'une croix rouge.

Les fortifications de Saint-Jean d'Acre étaient beaucoup plus considérables. Malheureusement il n'en reste rien (22). On peut cependant tenter d'en restituer le plan à l'aide des chroniques, des récits de voyageurs (23) et de dessins du moyen âge qui en reproduisent le tracé (PL VIII B et XIII A).

Cette grande cité reprise au cours de la troisième Croisade devint dès lors la capitale du royaume de Jérusalem. On y voyait au XIIIe siècle de nombreuses églises, les palais et les hôtels du roi de Chypre et de Jérusalem, des princes de Galilée et d'Antioche, du chef des troupes du roi de France, du comte de Tripoli, des seigneurs de Barut, d'Arsur et de Tibériade, les maisons de l'Ordre de l'Hôpital, de l'Ordre du Temple (24) et de l'Ordre Teutonique, qui étaient de véritables châteaux forts, et celles des Ordres de Saint-Thomas et de Saint-Lazare (25). On y voyait aussi les tours seigneuriales des républiques commerçantes italiennes. Ces palais fortifiés, ces tours munies de hourdages donnaient à cette grande cité l'aspect féodal qu'ont conservé certaines villes de Toscane.

Ruinées par le tremblement de terre de 1199 les fortifications furent relevées ensuite et on les améliora et les développa pendant tout le cours du siècle jusqu'à la veille du siège de 1291, où après un furieux assaut qui dura presque sans répit pendant trente-trois jours, Malek el Ashraf s'empara de la ville.

Dès 1212 elle apparaissait comme fort bien défendue au voyageur Wilbrand d'Oldenbourg qui nous parle de son double fossé et de ses deux enceintes munies de tours, les ouvrages de la seconde enceinte étant plus hauts et plus puissants que ceux de la première (26).

Les remparts d'Acre étaient pourvus à leur base de ces grands talus de maçonnerie que nous avons déjà signalés à l'enceinte de Césaire et que nous retrouverons dans plusieurs châteaux des Croisés (27).

L'enceinte était formée de deux fronts constituant deux lignes perpendiculaires, le front nord partant de la mer et s'étendant sur plus de 600 mètres, le front est allant jusqu'au port et ayant une longueur de 500 mètres environ.

Au nord de la cité, près de la mer, se trouvait le faubourg de Montmusart (28) qui fut ravagé par un incendie en 1234. Pendant son séjour en Palestine, Saint Louis (29) fortifia ce faubourg par une double enceinte munie de tours qui allait en s'écartant du rivage pour atteindre presque l'extrémité du front nord de la cité. Ainsi ce faubourg faisait-il un triangle isocèle dont deux côtés étaient formés l'un par la mer, l'autre par la ligne de murailles construites par Saint Louis, et dont la base s'appuyait au mur de la cité avec laquelle on communiquait par quatre portes.

Burchard de Mont Sion (30) qui visita Acre en 1284, compare son plan à un écu triangulaire dont deux côtés se réunissent en pointe vers la mer et dont le troisième est bordé par la campagne environnante. En effet, Saint-Jean d'Acre occupe une presqu'île triangulaire.

Le château s'élevait au front nord de la cité près de l'endroit où la ligne de défenses de Montmusart atteignait le mur de la ville. Chacune des deux enceintes avait une douzaine de tours principales (dont 5 pour chaque enceinte de Montmusart) et de plus des ouvrages moins importants devaient relier certaines d'entre elles. Les tours de la seconde ligne étaient plus puissantes, nous l'avons dit, que celles du premier mur et, comme il est naturel, il y avait alternance entre les tours des deux lignes, c'est-à-dire que chaque tour de la deuxième ligne apparaissait dans l'intervalle laissé par deux tours de la première ligne.

En avant du fossé de la première enceinte s'élevait une série d'ouvrages (31), des barbacanes qui avaient surtout pour but de défendre les principales issues de la ville. Certains de ces ouvrages étaient considérables. Rey (32), qui a retrouvé à l'extrémité nord de Montmusart, près de la mer, les traces d'une énorme tour ronde, compare avec vraisemblance les grandes barbacanes d'Acre à la barbacane de la « porte de Laon » au château de Coucy (33). Il faut observer aussi qu'à la fin du règne de Saint Louis on entreprit les grandes barbacanes du château de Carcassonne.

Nous savons par Marino Sanuto (34) et Amadi que, peu d'années avant 1291, on fit de grands travaux pour améliorer les défenses avancées de la place. Ces ouvrages étaient bordés de fossés et l'on y accédait par des ponts, les uns de bois, les autres de pierre.

Les noms des principales tours nous sont connus ; plusieurs portaient les noms de ceux qui avaient assumé les frais de leur construction. En partant du port, c'est-à-dire en allant du sud au nord, on trouvait : la tour du Légat ou du Pont, la tour des bouchers, la tour Saint-Nicolas, la tour ronde ou tour neuve du roi Henri (35) qui se trouvait à l'angle nord-est de la cité. Sur le front nord on voyait la tour des Anglais et la tour des Vénitiens.

A la seconde enceinte : la tour des Génois, la tour des Pèlerins, la tour Maudite, la tour du Sang.

Les ouvrages avancés dont les noms nous sont parvenus étaient la barbacane du roi Edouard d'Angleterre qui, peu avant son couronnement, avait combattu en Terre-Sainte (1271-1272), la barbacane du roi Hugues (36) et la tour de la comtesse de Blois (37) que cette princesse, vers 1287, avait fait ajouter à la Barbacane placée en avant de la porte de la tour Saint-Nicolas.

Rien n'est parvenu jusqu'à nous de l'enceinte de Barut ni de son château (38). Ce château se trouvait au nord-est de la ville à proximité de la mer sur une falaise de 8 à 10 mètres de hauteur. Il était défendu du côté de la terre par une double enceinte munie de tours (39) et de profonds fossés (40). Barut démantelée par Saladin en 1190 fut reprise en 1197 (41) par le roi de Jérusalem qui donna cette cité à Jean d'Ibelin. Celui-ci releva son château et ses remparts avec beaucoup d'activité. La ville acquit sous sa prudente administration une grande prospérité. Dans le récit de son voyage de Syrie qui eut lieu vers 1212, Wilbrand d'Oldenbourg nous a laissé une description (42) bien curieuse d'une salle luxueusement décorée qui se trouvait dans une tour nouvellement construite du château de Barut : « Cette salle, dit-il, ouvre d'un côté sur la mer et l'on voit voguer les navires, de l'autre côté sur des prairies et des vergers. Son pavage de mosaïque représente une eau ridée par la brise et on est tout étonné en marchant de ne pas voir ses pieds empreints sur le sable représenté au fond. Les murs sont revêtus de placages de marbre qui simulent des tentures. La voûte est peinte à l'image du ciel et l'on y voit les nuages courir, le vent souffler et le soleil distribuer l'année, les mois, les jours et les semaines, les heures et les minutes suivant leur mouvement dans le Zodiaque. En ces arts décoratifs, les Syriens, les Sarrasins et les Grecs excellent et rivalisent. Au milieu de cette salle se trouve un bassin en marbres de couleurs diverses formant un ensemble admirable où l'on voit une variété infinie de fleurs qui éblouissent le regard. Au centre de cette vasque on voit un dragon qui semble prêt à dévorer d'autres animaux figurés en mosaïque et lançant en l'air une gerbe d'eau cristalline et abondante qui, grâce à l'air circulant librement par de larges et nombreuses fenêtres, répand en cette salle une fraîcheur délicieuse. Cette eau jaillissante retombant en gouttelettes fait un doux murmure berçant le sommeil de ceux qui viennent là se reposer. »

Les forteresses de montagne que nous aurons à étudier ne possédaient assurément pas d'appartements aussi luxueux.. Si ces châteaux, dont les Francs avaient pourvu les villes du littoral, étaient bien fortifiés et équipés pour soutenir un siège, ils étaient en même temps des résidences princières qu'avaient élevées dans le style des monuments d'Occident des architectes venus de France et d'Italie et qu'avaient décorées des artistes indigènes. Ces palais faisaient l'ornement des cités florissantes où abordaient constamment des personnages notables d'Europe, où se faisait un trafic commercial intense avec le monde entier, et où des fortunes considérables avaient amené chez les habitants le goût des fêtes et des réjouissances.

Ce n'est pas ici le lieu d'évoquer la vie que menaient en Orient les Princes latins, les cérémonies, les divertissements de toute sorte, les tournois et aussi les grandes chasses qu'ils organisaient et que nous content les chroniqueurs avec enthousiasme. Mais nous signalerons que dans des circonstances solennelles des fêtes somptueuses étaient données dans les Grand-Salles de leurs châteaux. C'est ainsi qu'après le 15 août 1286 où le roi de Chypre Henri II fut couronné roi de Jérusalem, il donna à Saint-Jean d'Acre dans la Grand-Salle de l'Auberge de l'Hôpital une fête qui dura quinze jours. Cette salle avait 150 cannes de long (43) et avait dû être justement choisie à cause de son ampleur. Les chevaliers et les nobles dames s'y distribuèrent les rôles des héros de la Table Ronde et l'on y vit paraître en des joutes galantes Lancelot, Tristan, Palamède et la reine de Fémenie (44).

Forteresses Maritimes

Au bord de la mer entre Saint-Jean d'Acre et Césaire, l'Ordre du Temple construisit en 1218 une grande forteresse qu'on appela Chastel Pèlerin (Athlit) (Plan, Fig. 14 et Album, PI. XII).

Chastel Pèlerin (Athlit)

Chastel Pèlerin (Athlit)
Fig. 14. — Croquis du plan de Chastel Pèlerin (Athlit) et ses abords. (Par F. Anus)

Le lieu était bien choisi et d'une défense facile. Pour faire ce choix les Templiers avaient dû avoir plusieurs motifs ; ils avaient gardé le souvenir de la facilité avec laquelle, après avoir écrasé l'armée du roi de Jérusalem à Hattin, Saladin avait pu conquérir la Palestine. Cette forteresse était dans une bonne position pour servir de base d'opération contre un ennemi qui aurait occupé les monts de Galilée. En outre, la situation au bord de la mer permettait un débarquement facile à une armée de secours venue d'Europe. Enfin les chevaliers du Temple trouvaient là plus d'indépendance que dans une des grandes villes de la côte.

Le château occupe un promontoire rectangulaire long de 300 mètres, large de 200, bordé de rochers battus par les flots ; les Croisés élevèrent un mur tout autour et du côté de la terre ferme ils élevèrent d'un rivage à l'autre deux puissantes murailles flanquées l'une, très épaisse, de deux gros saillants barlongs en pierres à bossages de très grand appareil, l'autre en avant, moins importante, de trois saillants barlongs.

Chastel Pèlerin (Athlit)

Chastel Pèlerin (Athlit)
Fig. 3. — Chastel Pèlerin (Athlit) et ses abords. (D'après le plan de Rey, rectifié par F. Anus)

Chastel Pèlerin

Chastel Pèlerin
Chastel Pèlerin, magasins voûtés

Il reste quelques tronçons des énormes murailles d'Athlit (PI. XII) et des magasins voûtés - Sources: Temple de Paris (45).

Murailles d'Athlit

Murailles d'Athlit
Tronçons des énormes murailles d'Athlit - Sources image class="Lnav">Castel Pèlerin
Sources image : http://www.topkastelen.nl/kastelen.php?SubMenu=main&SelCastle=pelerin

Les Hospitaliers eux aussi possédaient à proximité de la mer une puissante forteresse, Margat, qui se dresse au nord de Tortose sur une haute éminence à deux kilomètres du rivage.

Château de Margat

Château de Margat
Château de Margat (Marqab) - Paul Deschamps. Sources:
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memsmn_fr?ACTION=RETROUVER_TITLE&FIELD_98=SERIE&VALUE_98=L&GRP=161&SPEC=3&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=1&MAX3=50&REQ=%28%28L%29%20%3aSERIE%20%29&DOM=All&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P

château de Margat

Plan du château de Margat
Plan du château de Margat (Marqab) - Sources:
http://byzantiumnovummilitarium.blogspot.fr/2013_03_01_archive.html

Une construction bien curieuse fut celle de la tour de Maraclée non loin de Margat. Cette tour fut élevée vers 1260 en mer sur un haut-fond à 50 mètres de la côte. C'était une tour carrée ayant environ 16 mètres de côté. Maqrizi parle avec admiration de la hauteur extraordinaire de cette tour et de la puissance de ses murailles (46). M. Dussaud en a retrouvé les fondations (47). Cette construction eut lieu seulement lorsque la puissance chrétienne se trouvait profondément amoindrie sous les coups répétés de Beibars. De là le seigneur de Maraclée pouvait faire des incursions en terre ferme contre les Musulmans, débarquer à l'improviste pour s'approvisionner et rentrer dans son île où il était bien difficile de l'assiéger. De fait il causa de grands dommages aux Musulmans et en 1271, Beibars tenta de le faire assassiner.

Le repaire de Maraclée était si dangereux que lorsqu'il se fut emparé de Margat en 1285, le sultan Qelaoun exigea du comte de Tripoli que la tour fût rasée. Un souvenir nous est conservé de cette tour fameuse ; elle est représentée sur le sceau de Meillor de Ravendel, sire de Maraclée (48).

Après la prise de Saint-Jean d'Acre en 1291 Qelaoun enleva rapidement toutes les villes de la côte et la puissance chrétienne fut chassée définitivement de la Syrie et de la Palestine.

Mais les Francs continuèrent quelque temps encore à inquiéter les vainqueurs en faisant sur le littoral de fréquents débarquements de l'île de Rouad voisine de Tortose. Les Templiers s'y étaient fortifiés et ce n'est qu'en 1302 que les Musulmans purent se rendre maîtres de l'île.

La défenses des ports

Les Francs construisirent d'importants ouvrages pour défendre l'entrée de leurs ports (49). Ils en réduisaient le plus possible la largeur en ajoutant des jetées aux deux caps qui souvent resserraient déjà le bassin du port. Pour créer ces jetées ils utilisaient parfois une ligne de récifs.

Une tour carrée commandait la passe ; parfois on en voyait deux se faisant face situées chacune à l'extrémité d'une jetée. La passe était fort étroite et une chaîne (50) pouvait la fermer. Ainsi firent-ils au grand port de Tyr ainsi qu'à celui de Saint-Jean- d'Acre (51) où l'une des tours commandant la passe est citée dans les chroniques sous le nom de tour des Mouches ; il en était de même aux ports moins importants d'Arsur, de Barut (52) où les deux tours s'appelaient les tours des Génois, de Giblet (Fig. 13 et PI. XV) et de la Liche (53).

Parfois comme à Zibel (54) (Djebelé), ils n'eurent pas de jetée à construire, la passe étant naturellement étroite ; il leur fallut seulement édifier une tour qu'ils isolèrent du rivage par une coupure faite dans le rocher. On trouve au port de Césaire une coupure semblable dans le rocher pour isoler, à la pointe sud du port, une puissante tour carrée élevée par les Croisés sur l'emplacement de la tour de Straton. Nous avons signalé plus haut qu'à la pointe nord on voit un môle dont la chaussée a été faite avec des colonnes antiques.

Saïda-Château de la Mer

Saïda-Château de la Mer
Fig. 15 - Saïda-Château de la Mer, état en mai 1929. Plan Fr. Anus

A Sagette les Francs, pour défendre le port, construisirent en 1227-1228 sur une île à proximité du rivage, un château composé de deux tours réunies par une muraille, et muni de citernes (55). Ce château appelé le « Château de la Mer » est en partie conservé (Fig. 15). En même temps les Croisés réunirent le château à la côte par un pont. Ce pont long de 80 mètres environ et fort étroit forme une ligne brisée en son milieu. En cet endroit se trouve un grand massif rectangulaire où il y avait une tour avec une porte. Le bras du pont entre ce massif et l'île est en grande partie ancien et ses trois piles sont munies de becs pour couper les lames ; le bras entre le massif et la ville est moderne.

Les ports étaient éclairés par des phares qui devaient se trouver au sommet d'une tour à l'entrée de la passe. Ainsi en était-il à la Liche, comme nous l'apprend un chroniqueur arabe (56).

Postes de liaison ; grottes fortifiées ; tours de guet ; châteaux de plaine

Entre les villes fortifiées de la côte et les grandes forteresses de montagne qui interdisaient l'accès des domaines des Croisés aux Musulmans refoulés vers l'est, se trouvaient un certain nombre d'ouvrages secondaires qui avaient pour but d'assurer la liaison entre celles-ci et celles-là. Les uns ne consistaient qu'en une simple tour carrée, d'autres formaient un petit fort avec une ou plusieurs tours et une enceinte restreinte. Tous étaient munis d'une citerne. Certains postes juchés sur des sommets d'où la vue était très étendue permettaient aux quelques hommes qui les gardaient de surveiller les alentours et en cas d'incursion de donner l'alerte tant aux garnisons des châteaux qu'aux populations rurales. Ainsi le petit château du Sarc non loin de la grande forteresse arabe de Sheïzar sur l'Oronte. Ousama nous apprend que les Francs avaient occupé cette position pour épier la garnison de Sheïzar au cas où celle-ci voudrait tenter une incursion sur Apamée : « Le fort était inaccessible, juché sur un rocher élevé de tous côtés. On n'y montait que par une échelle de bois qui était enlevée après qu'elle avait servi, aucun chemin ne restant pour y parvenir (57). »

Citons aussi le petit château d'Akkar (58) qui, sur un des derniers contreforts du Djebel Akkar au nord du Liban, surveillait la plaine de la Boquée en face du Crac des Chevaliers. On n'accède dans sa tour principale que par une échelle, la porte étant à plus de 3 mètres du sol.

Les Francs occupèrent aussi des grottes fortifiées. Telle fut cette forteresse d'El Habis à l'est du lac de Tibériade qu'ils se disputèrent avec les Musulmans pendant le cours du XIIe siècle (59). C'était un poste d'observation de premier ordre d'où la vue embrassait une grande étendue. Dominant le cours du Yarmouk cette grotte était située au flanc d'une montagne, le Ras Hilja, qui formait comme un mur au-dessus d'une profonde vallée. On n'y pénétrait que par un sentier étroit surplombant le précipice. Des sources d'eau vive s'y trouvaient. Le terrain crayeux avait permis d'y creuser trois étages de salles qui ne communiquaient entre eux que par des échelles de bois et des galeries (60). En juin 1182 les Musulmans l'enlevèrent aux Francs en creusant une mine et en s'emparant de l'étage inférieur. Mais la même année en octobre les Francs revinrent assiéger cette caverne et à l'aide de pics qui venaient s'émousser sur les lits de silex coupant la roche crayeuse (61), ils entamèrent par le haut la grotte où se trouvaient soixante-dix soldats de Saladin. Tandis que les ouvriers travaillaient au-dessus de la montagne, une partie de la troupe se tenait dans la vallée pour empêcher l'ennemi de tenter une sortie. Après un siège de trois semaines la garnison capitula et les Francs rentrèrent en possession de la place.

Les chroniques signalent d'autres grottes occupées par des troupes franques ou arabes (62).

Aux abords des grandes forteresses on voyait des tours placées en avant-garde qui surveillaient les chemins d'accès. Ainsi le Crac des Chevaliers est environné de tours.

En avant de Tortose on voit la tour encore bien conservée de Toklé (63) avec deux étages voûtés, le premier étage étant divisé par un plancher auquel on n'accédait que par une échelle.

Il y avait aussi des châteaux de plaine qui pouvaient servir de refuge aux laboureurs et à leurs troupeaux et d'étape à une troupe en campagne, tels que Coliat dans la plaine d'Arqa au nord de Tripoli, et Carmel (64) qui faisait partie d'une ligne de fortins surveillant la frontière méridionale du royaume de Jérusalem.

De petits châteaux s'échelonnaient aussi sur les routes fréquentées par les pèlerins.
Parmi ces dernières constructions nous signalerons la tour du « Destroit » ou de la « Pierre encise » près d'Athlit, construite par les Templiers à côté d'un défilé taillé dans le roc, où le roi Baudoin I fut blessé en 1103 et où les pèlerins qui allaient à Jérusalem ou en revenaient étaient constamment attaqués par les pillards (65). Le casal de la Plaine (66) sur la route de Jaffe à Rames (Ramleh) était aussi fort utile à la sécurité des pèlerins (67) ; Saladin l'ayant détruit après la bataille d'Arsur (7 septembre 1191) ainsi que le Casal-Moyen (68), Richard Cœur de Lion et les Templiers reconstruisirent peu après ces deux postes fortifiés (69).

Les ponts fortifiés

Les Francs construisirent de puissantes forteresses près des principaux passages des fleuves. Ainsi l'on voyait des châteaux importants près des grands ponts de l'Oronte, le Pont-de-Fer et le Pont de Shoghr ; en 1178, ils construisirent un château (le Chastellet) en face d'un passage du Jourdain appelé le gué de Jacob. Parfois, ils fortifièrent les ponts eux-mêmes. Nous avons déjà parlé du Pont de Sagette qui, franchissant un bras de mer, réunissait la ville au « château de mer. » Ce pont était fortifié.

Il en était de même du Pont-de-Fer (Djisr el Hadid) par où passait la route très importante d'Antioche à Alep. Avant de faire le siège d'Antioche les Croisés s'en emparèrent (2 octobre 1097). Ce pont était en pierre et muni d'une tour à chaque extrémité (70). Dès lors, il joua un rôle important dans l'histoire de la principauté d'Antioche. En 1161 le roi Baudoin III rebâtit ses fortifications (71).

Les grandes forteresses

A l'époque franque comme à l'époque byzantine, le type de châteaux de plan régulier que nous avons vu plus haut ne fut pas toujours employé. Une telle régularité ne convenait guère qu'en terrain plat. Mais dans les montagnes, sur les sommets où l'on voulait tenir fortement un point stratégique important, on s'efforça de faire suivre aux murailles d'enceinte les bords des escarpements.

Le château de Saone

Le château de Saone
Fig. 16. - Le château de Saone. (Plan par Fr. Anus)

Ainsi, c'est la disposition du terrain qui commande le tracé du plan et celui-ci est presque toujours fort irrégulier.

Ces vastes enceintes franques qui occupent parfois une superficie de plusieurs hectares (Crac des Chevaliers 2 hectares 1/2 environ, Margat, Saphet 4 hectares environ, Saône 5 hectares 1/2 environ) se dressent souvent sur une éminence isolée qui a la forme d'un triangle allongé (Margat, Subeibe, Akkar) ; elles l'occupent entièrement.

Parfois elles sont placées à l'extrémité d'un promontoire en éperon bordé par deux ravins qui viennent se rejoindre ; pour isoler la forteresse de la chaîne montagneuse que termine l'éperon, on coupe cette chaîne par un fossé profond (Edesse, Gargar, Ranculat, Saône (Plan, Fig. 16) (72), Kérak de Moab, Montfort, Bakas, etc.)

Château de Saone

Château de Saone
Château de Saone. Plan par François Anus (partie principale)

A Saône les Francs ayant, pour mieux s'isoler du plateau, creusé dans le roc vif un fossé d'une grande largeur (20 mètres), ils ont pris soin en faisant ce travail de ménager une aiguille de pierre haute de 28 mètres destinée à servir de pile au pont lancé par dessus le fossé et conduisant à une entrée de la forteresse. Une aiguille analogue se voit à Edesse, à Gargar, autre château du comté d'Edesse et à Néphin, château du comté de Tripoli (73).

Un des cas les plus curieux du soin qu'ont pris les constructeurs d'envelopper toutes les parties dominantes de la position sur laquelle ils ont assis leurs fortifications est celui des châteaux jumelés de Shoghr et Bakas : Le site (74) (Fig. 17) est constitué par une longue et étroite crête orientée nord-sud et bordée par des pentes à pic à l'est, et au nord par le Nahr el Abyad, affluent de l'Oronte, qui fait un coude à son extrémité nord ; du côté ouest se trouve un profond ravin. L'éminence se rattache au système montagtieux (A) auquel elle appartient, vers le sud, par une étroite bande de terrain qu'on a coupée par un fossé. Mais une assez profonde dépression du sol divise en son milieu la crête en deux parties. Il était difficile d'établir un système fortifié bien coordonné avec cette dénivellation au milieu de l'enceinte ; cependant on ne pouvait laisser sans la fortifier la première partie de la crête au sud où l'ennemi eût pu arriver facilement et installer des machines de siège.

Châteaux de Shoghr et Bakas

Châteaux de Shoghr et Bakas
Fig. 17. — Châteaux de Shoghr et Bakas (d'après van Berchem, Voyage.... p. 252, fig. 151).

Les Croisés firent donc deux châteaux avec deux enceintes, le second, Shoghr (C), au nord, pouvant leur servir de suprême refuge au cas où le premier château, Bakas (B), aurait été enlevé (75).

Certains de ces châteaux n'ont qu'une enceinte ; mais une muraille et un fossé placés en travers de la position dans la largeur séparent la « basse-cour » de la partie principale de la place (Saône, Subeibe). D'autres ont sur l'un de leurs fronts allongés une enceinte supplémentaire placée en contre-bas et renfermant la « basse-cour. » Cette disposition qu'on trouve à Kérak de Moab, à Beaufort et à Bourzey, a dû être exigée par la conformation du terrain qui sur cette face devait présenter deux plateaux superposés.

Le Crac des Chevaliers présente deux enceintes concentriques dont la seconde commande tous les ouvrages de la première. A Margat, seule la partie principale de la forteresse a deux enceintes tandis que la basse-cour n'en a qu'une.

Le donjon ou l'ouvrage le plus puissant de la forteresse se trouve presque toujours au point le plus vulnérable, celui qui n'est pas défendu par la nature.

Parfois ce donjon dressé au-dessus du fossé commande le plateau auquel se rattache l'éperon qu'on a choisi pour y établir le château (Saône, Bakas). Parfois il s'oppose à une éminence toute voisine où l'ennemi aurait pu dominer l'intérieur de la place : ainsi au Crac des Chevaliers, à Margat, à Subeibe, à Kérak de Moab et à Montfort. Dans le château de Montfort des Teutoniques, construit au xme siècle par des Allemands qui avaient gardé les traditions de leur pays (76), le donjon se trouve en avant en dehors de l'enceinte avec laquelle il devait être relié par un pont franchissant un large fossé.

Nous n'insisterons pas ici sur les éléments de la défense, ni sur les procédés de construction et l'évolution des caractères de cette architecture militaire puisque nous les examinerons en détail en étudiant le Crac des Chevaliers et que nous espérons y revenir à propos d'autres châteaux de Terre-Sainte, mais nous voudrions donner à présent une idée de ce que pouvaient être les conditions d'existence des nombreuses garnisons qui vivaient dans ces vastes enceintes.

La main-d'œuvre

Nous avons vu que les forteresses franques témoignaient d'emprunts faits à des modèles byzantins et que très vraisemblablement les Princes latins avaient eu recours à des architectes grecs ou arméniens.

Certains ouvrages défensifs furent construits très rapidement : ainsi le Chastellet qui possédait quatre tours d'angle fut construit en six mois (77). Le « Château de mer » de Sagette (Plan, Fig. 15), qui se composait de deux tours réunies par un mur, fut construit avec le pont qui le reliait à la côte entre la Saint-Martin 1227 et la mi-carême 1228 (78), c'est-à-dire en moins de 4 mois entre le 11 novembre et le 2 mars (79).

En 1163, un domaine fut donné à l'Hôpital par Baudoin, seigneur de Marésie, et Hugues de la Roche, à charge par cet Ordre d'y élever une forteresse dans le délai d'un an (80). Enfin, il semble bien que la construction du château de Saphet en Galilée, que les Templiers relevèrent en 1240 et qui fut l'un des plus considérables de la Terre-Sainte, fut à peu près terminée en deux ans et demi (81).

Les travaux entrepris par Saint Louis pour enfermer Jaffe, Césaire, Sagette, et une partie de Saint-Jean d'Acre dans de solides enceintes furent aussi menés à bien en très peu de temps.

La main-d'œuvre devait donc être très nombreuse ; on devait employer des indigènes et aussi des captifs. Les Croisés combattants, les Pèlerins participèrent à ces travaux de fortification ; c'était une œuvre pie, un moyen de gagner le pardon de ses fautes et le clergé donnait à cette occasion des indulgences. La participation des pèlerins est restée dans le nom donné à deux forteresses, le château de Mont-Pèlerin à Tripoli, et Chastel-Pèlerin en Palestine. Ambroise, dans son histoire de la troisième Croisade, nous montre Richard Cœur de Lion avec ses chevaliers, ses hommes d'armes et des pèlerins, relevant au début de 1192 les défenses d'Escalone pour couper le passage aux Musulmans qui envoyaient des vivres du Caire à Jérusalem (1).

Nous avons vu que Saint Louis en personne participa comme un manœuvre à des travaux de fortification (2).

Les fondateurs

Ces châteaux furent construits par le roi de Jérusalem ou ses grands vassaux tels que le prince d'Antioche, le comte de Tripoli et le seigneur de la Terre oultre le Jourdain, mais la plupart d'entre eux furent dans le courant du XIIe siècle cédés aux grands Ordres à la fois militaires et religieux qui s'organisèrent en Terre-Sainte pour veiller à la sauvegarde de la chrétienté d'Orient.

Ces Ordres, enrichis par de nombreuses donations faites par tous les princes d'Europe, assumèrent la charge très lourde de l'entretien de ces forteresses où séjournaient de nombreux corps de troupes. Les chevaliers du Temple et de l'Hôpital, moines-soldats astreints par leurs vœux à une discipline sévère, entraînés à la vie des camps, rompus à tous les exercices militaires, étaient admirablement organisés pour mener la rude vie de garnison aux frontières des états chrétiens. Les châteaux que conservèrent quelques seigneurs tombèrent presque tous aux mains des Musulmans dès avant la fin du XIIe siècle.

Thoros. prince d'Arménie, se trouvant vers 1166 à Jérusalem l'hôte du roi Amaury, lui manifestait son étonnement de voir que dans son royaume trois châteaux seulement fussent à lui, tandis que tous les autres appartenaient à l'Hôpital ou au Temple (84).

Au XIIIe siècle c'était un cas tout à fait exceptionnel de voir un baron assumer la lourde charge de la construction et de la restauration d'un château. Quand Jean d'Ibelin, le vieux Sire de Barut, eut à défendre ses droits féodaux devant Frédéric II, il proclama bien haut qu'il avait à lui seul relevé le château de Barut pour la défense de la chrétienté alors que les Ordres militaires n'avaient pas pu s'en charger : « Ai reçu la ville quand la crestienté l'ot recouvrée, toute abatue et tele que le Temple et l'Ospital et tous les barons de Syrie la refusèrent, et l'ay fermée et maintenue des amones delà crestienté et de montravaill... (85) »

Parmi les châteaux de l'Hôpital, les deux principaux étaient le Crac des Chevaliers qui leur fut cédé en 1142, et Margat que son dernier seigneur, Bertrand Mansoer, leur abandonna en 1186 ; citons aussi non loin de Sheïzar le petit fort du Sarc cédé aux Hospitaliers par Guillaume de Maraclée en 1163, Chastel-Rouge à l'ouest du Crac des Chevaliers, Akkar, au sud de cette forteresse, petit château donné à l'Hôpital par le roi Amaury en 1170, et en Palestine Belmont, Bethgibelin et Belvoir, ce dernier château acquis d'Yvon Velos en 1168.

Les Templiers possédèrent au moins dix-huit forteresses parmi lesquelles nous citerons la puissante citadelle de Tortose, Chastel-Blanc (Safitha), Arima dans le comté de Tripoli, Gastin (Baghras) et la Roche de Roissel dans la principauté d'Antioche ; en Palestine le château de la Fève, le Toron des Chevaliers près de Jérusalem, le Chastellet qu'ils élevèrent en 1178 au-dessus du Gué de Jacob sur le Jourdain. En 1218, ils bâtirent Chastel-Pèlerin et en 1240 ils relevèrent la grande forteresse de Saphet. Dans le voisinage de ces forteresses les Ordres militaires possédaient de très nombreux territoires distribués en casaux, c'est-à-dire en métairies et territoires agricoles où vivait une nombreuse population rurale. De ces casaux les Ordres tiraient d'importants revenus.

Les armées franques et les garnisons des châteaux

Dans les rangs des armées franques on comptait de nombreux contingents indigènes, chrétiens et musulmans : d'abord des Arméniens (85) qui étaient nombreux dans le comté d'Edesse et dans les territoires au nord d'Antioche et d'Alep, des Grecs (86) qu'on appelait des « griffons », des Maronites qu'on disait être des archers fort habiles (87) ; les chrétiens du pays étaient souvent désignés sous le terme générique de « Suriens » (88). Les Ordres militaires eurent continuellement à leur solde d'importants corps de soldats musulmans qu'on appelait des « Turcoples » qui constituaient la cavalerie légère des troupes franques et étaient armés et montés à la manière sarrasine. Ce terme de Turcople était emprunté aux Byzantins qui eux aussi avaient employé dans leurs armées ces guerriers d'origine turque ou arabe. D'autres soldats musulmans dans les troupes franques sont désignés sous le terme de « Turcomans. » Les aimées croisées avaient aussi parfois dans leurs rangs des sapeurs d'Alep spécialisés dans les travaux de mine (89).

Les grands châteaux des Ordres militaires avaient de nombreuses troupes de garnison. Ces troupes n'avaient pas seulement le rôle de garder la forteresse : au premier signal du roi de Jérusalem des contingents d'Hospitaliers et de Templiers sortaient des châteaux pour aller se joindre à l'armée royale. Dans toutes les grandes batailles on compte parmi les morts des chevaliers de l'Hôpital et du Temple. Wilbrand d'Oldenbourg, vers 1212, nous dit que le Crac des Chevaliers avait en temps de paix 2.000 combattants (90). Le château de Saphet entretenait 1.700 personnes en temps de paix et on avait prévu la nourriture pour 2.200 en temps de guerre (91). Pour assurer le service quotidien de la place on entretenait cinquante chevaliers du Temple et 30 frères servants avec leur équipement de guerre et leurs chevaux, 50 Turcoples avec leurs armes et leurs chevaux, et 300 servants de machines de guerre (balistarii). Lorsque les Musulmans s'emparèrent de cette forteresse en 1266 ils trouvèrent dans ses murs 3.000 personnes « en comptant les femmes et les enfants. » Malgré les termes de la capitulation 150 Templiers et 767 combattants furent décapités (92).

La forteresse de Margat, où chaque nuit 4 chevaliers de l'Hôpital et 28 soldats prenaient la garde en haut de ses tours, nourrissait 1.000 personnes et avait des réserves de vivres pour cinq ans (93). Ces grands approvisionnements étaient prévus pour les sièges, car alors, outre les occupants ordinaires du château, les populations rurales qui étaient groupées dans le voisinage de ces châteaux y cherchaient aussitôt un abri et s'y réfugiaient avec leurs troupeaux.

Dans les châteaux du XIIe siècle que tenaient les seigneurs, ceux-ci vivaient avec leurs femmes et leurs enfants ; leurs hommes d'armes y avaient aussi leurs familles. Ces familles avaient sans doute leurs logements dans la basse-cour. Un village rural s'établissait aussi dans le voisinage immédiat du château. Sa population agricole exploitait les domaines du seigneur ou de l'Ordre dont dépendait le château.

La construction du château de Darum amena la création d'une petite ville avec une église (94). A côté de Chastel-Pèlerin, forteresse des Templiers, s'établit une ville assez importante dont les bourgeois avaient cour de justice (95).

La sécurité qu'apportait la construction d'une grande forteresse pouvait s'étendre au loin sur une vaste contrée. Ainsi le chroniqueur qui parle de la reconstruction de Saphet en Galilée en 1240 constate que sous le château se trouve une ville avec un marché et que, tout autour et sous sa protection on voit prospérer 260 casaux avec une population rurale de plus de 10.000 personnes (96).
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes — Divers types de constructions militaires

1. Texier, Architecture byzantine, p. 23. Asie mineure, I, p. 39-43.
2. Texier, Architecture byzantine, p. 19-20.
— Schlumberger, Nicéphore Phocas, p. 197-198.
3. Rey, Colonies franques, pages 308-314.
— Voir Poujoulat, Voyage en Orient, t. I, page 413 et suiventes.
— Ch. Texier, La ville et les monuments d'Edesse en Mésopotamie, dans Revue Orientale et Américaine, t. I, 1859, pp. 326-354.
4. Procope, dans le chapitre X de son De Aedificiis, nous décrit les travaux de réfection de l'enceinte entrepris par Justinien.
5. Il y a un siècle cette magnifique enceinte était encore à peu près intacte. Ibrahim Pacha (1835) construisant de vastes casernes utilisa ses murailles comme de véritables carrières. La destruction a continué depuis lors. Dix planches gravées du recueil de Cassas (Voyage pittoresque de la Syrie, Paris, 1799, in folio), sont consacrées à Antioche ; on y voit l'état de l'enceinte en 1772.
Voyez la reproduction de deux de ces planches dans notre Album, PI. IX et la reproduction d'un plan du XIVe siècle.
Sur Antioche voir Rey, Architecture Militaire, page 183 et suivantes, et pl. XVII et XVIII.
— Schlumberger, L'Epopée Byzantine, I, 1896, pages 221, 225, 352, photos.
— Le P. Lammens, Promenades dans l'Amanus, Beyrouth, 1904, page 34 et suivantes.
— Lt Colonel Paul Jacquot, Antioche, centre de tourisme, Beyrouth, 1931, 3 volumes, t. II, photos et plan.
6. Aboulfaradj, éditions Salhani, p. 384-385.
— Michel le Syrien, Chronique syriaque, éditions J.-B. Chabot, 1900, III, p. 404.
— Voir H. Lammens, La Syrie (Beyrouth, 1921), t. I. p. 226.
7. Guillaume Tyr, XIII, c. 5 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 562 : « Erat autem ex parte maritima per circuitum muro clausa gemino turres habens altitudinis congruae proportionaliter distantes. Ab oriente vero unde est per terras accessus, muro clausa triplici, cum turribus mirae altitudinis... Praeterea et vallum late patens, per quod facile ejus cives possent mare introducere in alterutrum. A parte vero septentrionali portus civitatis interior, inter turres geminas habet ostium, infra moenia tamen receptus : nam exterius insula fluctibus objecta, aestuantis pelagi primos frangens impetus, inter se et solum tutam navibus praebet stationem, ventis inaccessam, soli tamen obnoxiam aquiloni... »
— Burchard de Mont Sion, éditions J.-C.-M. Laurent, Peregrinatores medii aevi quatuor... (Leipzig, 1864), page 25 : « ... cincta est triplici muro, forti et alto, et XXV pedes spisso. Qui eciam muri muniti sunt turribus XII fortissimis, quibus in omnibus mundi partibus me vidisse non recolo meliores. Hiis eciam turribus continuatur arx civitatis sive castrum munitissimum et in rupe in corde maris situm, munitum eciam turribus et palaciis fortissimis. Quam expugnare non debet merito totus mundus. »
8. Ernoul, XVI (éditions Mas-Latrie, Société de l'Histoire de France, 1871, page 183).
9. Ambroise, L'estoire de la guerre sainte, éditions Gaston Paris (Collection, des Documents inédits, 1897) vers 6841 et suivantes. Richard Cœur de Lion tenta bien au début de 1192 de relever ses murailles, mais il dut abandonner cette entreprise (Ambroise, vers 7768 et suivantes, et 11773 et suivantes.).
— Chronique d'Ernoul, éditions Mas-Latrie, Société de l'Histoire de France, 1871, p. 277 et 292-293.
10. Guillaume Tyr, XVII, c. 22 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 796.
11. Rey a retrouvé une partie de cet avant-mur (Voyez sur les défenses de la ville, Architecture militaire, pages 205-210, figure 52 et Pl. XIX). On reconnaît là le système employé par les ingénieurs byzantins pour la défense des places fortes.
12. Sur les défenses de Césaire ou Césarée, voyez Rey, Architecture Militaire, page 221 et suivantes et plan n° XXII.
13. Dix tours sur le front principal à l'est, 4 tours sur chacun des fronts nord et sud, trois sur le front de mer. La ville avait 500 mètres du nord au sud et 250 mètres à 300 mètres de l'ouest à l'est.
14. On trouvera la même disposition au Crac des Chevaliers et au château de Cursat.
— Rey, page 224, signale dans l'enceinte de la ville de Césarée refaite par Saint Louis en 1251 les talus traversés par une galerie et ajoute qu'il ne connait pas cet exemple en Syrie.
— Van Berchem, page 144, en parlant du château de Cursat dit d'une de ses tours qu'il attribue au début du XIIIe siècle : « Cette tour renferme deux étages de défenses. A l'étage inférieur un chemin de ronde, voûté en berceau circulaire, a été aménagé dans l'épaisseur du mur. Ce couloir de défense dont la disposition me parait unique dans l'architecture militaire de la Syrie, est percé de sept meurtrières fortement ébrasées qui s'ouvrent au fond d'une niche en arc brisé... »
— Nous voyons qu'au Crac nous sommes en présence d'un système défensif analogue et considérablement développé.
15. Ce fossé est large de 12 mètres et profond de 6 à 7 mètres.
16. C. Enlart (Les monuments des Croisés, t. II, p. 336) constate que ces vestiges rappellent beaucoup les remparts du front sud de Provins.
17. (Juillet 1253 à février 1254) Joinville (Histoire de S. Louis, éditions N. de Wailly, Socièté de l'Histoire de France, 1868), CX et CXIII, pp. 201 et 208 : « Quant li roys ot assouvie la forteresse dou bourc de Jaffe, il prist consoil que il iroit refermer la citéi de Sayete que li Sarrazin avoient abatue. ».... « Il fist venir ouvriers de toutes pars et se remist à fermer la citéi de haus murs et de grans tours. »
18. Jaffe fut une des premières villes occupées par les chrétiens; en 1100 Godefroy de Bouillon y élevait des remparts. Alb. d'Aix, VII, 12 ; Historiens occidentaux des Croisades, IV, p. 515. Démantelée après la bataille de Hattin son enceinte fut restaurée par Richard Cœur de Lion. Elle fut de nouveau rasée par Malek el Adel en 1197.
19. Ernoul, c. XL, éditions Mas-Latrie, Société de l'Histoire de de France, 1871, p. 461 :
« ... estoient li Crestien devant Cesaire où il avoient fremé I. Castiel. Et d'ilenc s'en alerent à Jaffe, où il en fremerent I. autre moult fort. »
20. Entre mai 1252 et juin 1253, Joinville, C, p. 185 « ... se prist li roys à fermer un nuef bourc tout entour le vieil chastiau, dès l'une mer jusques à l'autre. Le roys meismes y vis-je mainte foiz porter la hôte aus fossés, pour avoir le pardon. »
— CIX, p. 201 : « Des grans deniers que li roys mist à fermer Jaffe ne convient il pas parler, que c'est sanz nombre ; car il ferma le bourc dès l'une des mers jusques à l'autre, là où il ot bien vint quatre tours ; et furent li fossei curei de lun dehors et dedans. Trois portes y avoit dont li legas en fist l'une, et un pan dou mur. »
— Continuateur de Guillaume de Tyr, XXXIV, 2 ; Hist. occ. Crois., III, p. 440 : « A. M. CC. LII ferma le roi Louis Jaffe... »
21. Joinville, C, pp. 184-185.
22. Les travaux du siège de Bonaparte en 1799, le siège entrepris par Ibrahim Pacha en 1832 et la construction de nouveaux ouvrages en 1837 ont fait disparaître les vestiges de l'enceinte du moyen âge. Sur les défenses de Saint-Jean d'Acre au moyen âge, voir Rey, Etude sur la topographie de la ville d'Acre au XIIIe siècle, dans Mémoire de la Société Nationale, des Antiquaires de France. T. XXXIX, 1878, p. 115-145 et pl. V et VI ; et Supplément à l'étude...
— Ibidem, t. XLIX, 1888, p. 1-18 et pl. I.
23. Ludolf de Sudheim, voyageur allemand, qui visita Saint-Jean d'Acre en 1335, moins d'un demi-siècle après la perte de la ville, écrit : « Cette célèbre cité située sur le rivage de la mer est construite de blocs de pierre d'une grosseur extraordinaire avec des tours hautes et très fortes à peine distantes d'un jet de pierre les unes des autres. Chaque porte est flanquée de deux tours. Les murailles étaient, comme elles le sont encore aujourd'hui, d'une épaisseur telle que deux chariots courant en sens contraire pouvaient s'y croiser très facilement. »
(De itinere Terre Sancte, I. II, dans Archives de l'Orient latin, tome I, 1884, page 339).
24. Cet édifice était considérable. Amadi nous apprend que la porte de ce palais s'ouvrait au pied d'une tour carrée cantonnée de tourelles à ses angles et au sommet desquelles on voyait quatre lions passants en métal doré qui avaient coûté quinze cents besans sarrazins. Chronique d'Amadi, éditions Mas-Latrie, Collections, des Documents inédits, 1891, p. 224-225.
25. Ludolf de Sudheim nous donne ces détails; il ajoute « vivaient encore à Acre les plus riches marchands qui fussent sous le ciel... les Pisans, les Génois, les Lombards... Du lever au coucher du soleil on apportait ici toutes les marchandises de l'Univers ; tout ce qui pouvait se trouver d'extraordinaire et de rare dans le monde, on l'apportait ici à cause des princes et des grands qui y demeuraient. » Ludolph de Sudheim, De itinere Terre Sancte, I. II, dans Archives de l'Orient latin, tome II, 1884, pp. 339-340.
26. « Hec est civitas bona et fortis, in littore maris sita, ita ut, dum ipsa in dispositione sit quadrangula, duo ejus latera angulum constituentia a mari cingantur et muniantur ; reliqua duo latera fossa bona et larga et profunda funditus murata et duplici muro turrito, pulchro ordine coronantur, eo modo ut prior murus suis cum turribus ipsam matrem non excedentibus a secundo et interiore muro, cujus turres altae sunt et validissimae, prospiciatur et custodiatur. » Wilbrand d'Oldenbourg, I. I, éditions J. C. M. Laurent, Peregrinatores medii aevi quatuor (Leipzig, in-40, 1864), p. 163.
27. Rey, Supplément à l'Etude sur la topographie de la ville d'Acre, p. 6.
28. Si l'on tient compte de ce faubourg, Acre mesurait environ 1700 mètres de longueur maxima parallèlement à la mer et 1000 mètres dans sa plus grande largeur.
29. Guillaume de Saint-Pathus, Vie de Saint Louis, éditions H. Fr. Delaborde (1899), p. 91 : « ... quant il fesoit fermer une partie de la cité d'Acre qui est appelée Mont Musart, et de la cité de Césaire et de Jopem, il meemes charchoit (chargeait) plusieurs foiz les hommes qui portoient la civière et autres choses qui convenoient a référé ces murs. »
30. Burchard de Mont Sion, Descriptio Terrae Sanctae, éditions J. C. M. Laurent (Leipzig, 1864), p. 23 : « Accon autem civitas munita est muris, antemuralibus, turribus et fossatis et barbicanis fortissimis, triangulam habens formam, ut clypeus, cujus duae partes junguntur magno mari, tercia pars campum respicit, qui ipsam circumdat, habens duas leucas latitudinis et plus in partibus aliquibus, vel minus eciam... »
31. Ludolf de Sudheim, édition citée, p. 339. « Du côté de terre les murailles étaient très puissantes avec des fossés très profonds, protégées encore par une foule de bastions et d'ouvrages de toute espèce. »
32. Article cité dans Mémoires Société Nationale des Antiquaires de France, t. XXXIX, 1878, 1. 127-128.
33. Cette barbacane avait environ 90 mètres de diamètre.
34. Marino Sanuto, Liber secretorum fidelium crucis, I. III, c. XXI, éditions Bongars, Gesta Dei per Francos, t. II, p. 230-231.
35. Henri II de Chypre couronné roi de Jérusalem à Tyr, le 15 août 1286.
36. Hugues de Lusignan, roi de Chypre (Hugues III) et de Jérusalem, mort en 1284.
37. Jeanne d'Alençon, comtesse de Blois, morte à Acre le 2 août 1287.
38. Voir l'excellent travail du comte du Mesnil du Buisson : Les anciennes défenses de Beytouth, dans Syria, tome II, 1921, p. 235-257 et 317-327.
39. Wilbrand d'Oldenbourg, éditions J. C. M. Laurent, Peregrinatores..., p. 166.
40. « Le fossé dou chasteau... qui est un des beaus dou monde... » Gestes des Chiptois ; Hist. Crois., Doc. Armén., II, p. 701.
41. Ernoul, Chronique, éditions Mas-Latrie, pp. 311-315.
42. Wilbrand d'Oldenbourg, ouvrage cité, p. 167.
43. Amadi, ouvrage cité, p. 225 : « l'Alogiamento... onde era uno palazzo nobilissimo et bello, longo cane cento cinquanta, et haveva assai gran corte ; et la fu fatta la festa del coronamento del re Henrico. »
44. Amadi, ouvrage cité, p. 217. — M. Gustave Cohen veut bien nous dire que cette « reine de Fémenie » est Penthésilée, reine des Amazones.
45. Sur les fouilles entreprises à Athlit en 1930 par le Service des Antiquités de Palestine, voyez Excavations at Pilgrims' Castle ('Atlit), dans Che Quarterly of the Department of Antiquities in Palestine, (Jérusalem, 1931), volume I, n° 3, p. 111-129, plan XL-LIII.
46. Michaud, Bibliothèque des Croisades, Paris 1829, tome IV, Chroniques arabes, par Reinaud, pages 551-552 : « Au rapport de l'auteur de l'histoire de Kélaoun, tant que Bibars vécut, Barthélemy resta chez les Tartares : après sa mort, il revint dans le pays, et à l'aide du comte de Tripoli, il bâtit un château en face de Marakia au milieu de la mer, à deux portées de trait seulement du rivage. Ce château devint bientôt imprenable : il consistait dans une tour carrée, presque aussi large que longue, ayant sur chaque face 25 coudées 1/2 dans oeuvre ; les murs avaient sept coudées d'épaisseur et la tour sept étages ; on l'avait bâtie sur des barques chargées de pierres et coulées à fond ; les pierres des remparts étaient liées les unes aux autres par des barres de fer ; chaque assise avait été couverte d'une couche de plomb ; en dedans on avait pratiqué une citerne qui suffisait aux besoins de la garnison ; cent guerriers composaient cette garnison et avaient par derrière une seconde tour qui pouvait, au besoin, leur servir de retraite. Le sultan désespérant de prendre cette tour à force ouverte, faute d'une flotte en état de tenir la mer, recourut à un autre moyen ; il écrivit en ces termes au comte de Tripoli : « J'ai maintenant obtenu ce que je voulais ; il ne me reste plus que toi à réduire ; vois ce que tu veux faire. Cette tour, c'est toi qui l'a bâtie ; sans toi, on n'en serait jamais venu à bout ; c'est toi qui en porteras la peine ; je veux qu'elle soit rasée, si non j'entrerai sur tes terres. » « A ces mots le comte effrayé enjoignit à Barthélemy de détruire la tour... On la rasa sur le champ. »
47. R. Dussaud, dans Revue archéologique, 1896, I, p. 24 ; 1897, I, p. 340.
— Topographie de la Syrie au XIIe et XIIIe siècle, p. 126.
48. G. Schlumberger, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, 1905, p. 205-206.
49. Voir Rey, Architecture militaire, Défenses des ports, page 163 et suivante.
— Voir aussi sur la toponymie du littoral syrien au temps des Croisades : Rey, Les Périples des côtes de Syrie et de Petite Arménie dans Archives de l'Orient latin, tome III, 1884, page 329-353.
50. Phocas (Historiens grecs des Croisades, I, p. 531) qui visita Beyrouth en 1177 décrit ainsi le port : « Portum etenim non natura dédit, sed is, artis industria fabrefactus, in sinum urbis ad lunae modum ingeritur ; et in extremis, quae quasi cornua egeruntur, duae magnae turres exstructae sunt, quarum ex una in alteram protensa catena naves in portu stantes obserat. »
— Rey, Archititecture militaire, p. 178, a encore vu à la grosse tour commandant l'entrée du port de La Liche un énorme anneau scellé dans la base de cet ouvrage du côté de la passe et qui était destiné à attacher la chaîne du port. On sait la victorieuse résistance qu'opposa à Saladin Conrad de Montferrat dans Tyr en 1187 lorsque le vainqueur de Hattin vint assiéger la ville. Le continuateur de Guillaume de Tyr nous raconte que le marquis ayant muni de nombreux défenseurs les tours qui commandaient le port, y laissa entrer 5 galères musulmanes, puis ayant fait lever la chaîne, il prit les navires et leurs équipages (Continuateur de Guillaume de Tyr, XXIV, 3, Historiens occidentaux des Croisades, II, p. 170 et suivantes.)
51. Rey, Architecture militaire, Plan, page 171, fig. 43.
52. Rey, Architecture militaire, Plan, p. 173, fig. 44.
53. Rey, Architecture militaire, Plan, p. 177, fig. 46.
54. Rey, Architecture militaire, Plan, p. 175, fig. 45.
55. Continuateur de Guillaume de Tyr ; XXXII, 25, Historiens occidentaux des Croisades, II, p. 365 : « Quant (li pelerin) furent la venus... il virent une isle devant le port en la mer, si connurent que la poeent il faire meillor ovre et plus segure et en po de tens. Lors mirent main a laborer et firent .II. tors, l'une grant et l'autre meene, et un pan de mur entre les .II. torz ; si mistrent a ce faire des la Saint-Martin que il vindrent la très que en mi quaresme. »
Voyez Rey, Architecture militaire, page 153 et suivantes et planche XVI.
56. Rey, Architecture militaire, page 166. Il y avait d'autres tours munies de phares en certains points de la côte et certaines d'entre elles, auxquelles les Arabes donnent le nom de Bordj el Fanous et dont on trouve encore des vestiges sur la côte de Syrie, doivent avoir été construites par les Francs.
57. H. Derenbourg, Souvenirs historiques... Autobiographie d'Ousama... traduction française (1895), p. 79 et R. O. L., t. II, p. 407.
— Cf. R. Dussaud, Topographie de la Syrie aux XIIe et XIIIe siècle, p. 145-147.
58. R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie Antique et Médiévale Illustrée, planches 146 et 147.
59. Voir ci-dessus.
60. Guilaume de Tyr, XXII, c. 15 et c. 21 (ann. 1182) ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 1090-1091 et 1104-1107 : « Erat enim spelunca in altissimo montis latere posita, non habens nisi cum multa difficultate accessum in quo vix pediti esse poterat expedito ; nam inferius usque in profundum subjectae vailis, ingens est et horribile praecipitium, ex latere autem ad eam accedebatjur itinere unius pedis vix habente latitudinem. Erant autem in eadem spelunca mansiones tres, sibi invicem superpositae, in quibus mutuus per quasdam scalas ligneas et per quaedam angusta foramina interius ascensus erat et descensus. »
Dans un autre passage de son ouvrage (XVIII, c. 21, année 1158 ; Hist. occ. Crois., I, p. 855), Guillaume de Tyr donne une description analogue.
61. Guillaume de Tyr, XXII, c. 21 : « ...erat enim lapis cretaceus et ad frangendum facilis, nisi quod venas durissimi silicis interpolatim habebat immixtas, quae saepius et ferrea laederent instrumenta, et his qui in opere fervebant aliquoties ministrarent impedimentum. »
62. Dans les textes latins le mot Cavea désigne parfois une grotte fortifiée : ainsi la Cavea de Cyrum située sur le territoire de Sagette (voy. Rey, (folonies Franques, p. 513), enlevée aux Francs en 1166 au cours d'une incursion des musulmans. (Guillaume de Tyr, XIX, c. II ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 901-902). La même année les Templiers furent chassés d'une grotte fortifiée dont ils avaient la garde au-delà du Jourdain (Guillaume de Tyr, ibid.).
En 1139 Thierry d'Alsace, comte de Flandre, traverse le Jourdain (Guillaume Tyr, XV, c. 6 ; Hist. occ. Crois., I, 665 et s.) et va déloger des pillards musulmans d'une grotte qu'ils occupaient dans le voisinage du mont de Galaad (Djebel Gilead) c'est-à-dire au nord d'es Sait. C'est peut-être cette même grotte que les Templiers perdirent en 1166.
63. Voyez Rey, Architecture Militaire, p. 101-102.
64. Rey, Architecture Militaire, p. 102-104.
65. Olivier le Scholastique, Hist. Damiat., éd. Hoogeweg, p. 169-170. « Turris autem ibidem posita fuit olim propter latrunculos, qui in via stricta peregrinis ascen- dentibus in Jérusalem et descendentibus ab ea insidiabantur, haud longe distans a mari, quod propter viam strictam Districtum appellabatur ».
66. Casellum de Planis. Le Casel des Plains.
67. Itinerary of Richard I, éditions Bohn, p. 289. « [Casellum de Planis] hoc enim reputabatur maxime necessarium propter transitum peregrinorum illuc itinerantium. »
— Voyez aussi Roger de Hoveden, Chronica, éditions Stubbs, t. III, p. 133.
— Cf. Röhricht, G. K. J., p. 598, n. 4.
— R. P. Abel, Yazour et Beit-Dedjan ou le Chastel des Plains et le Chastel de Maen, dans Revue Biblique, 1927, pp. 83-88.
68. Casellum Medianum, Le Casel Maien, Le Maen.
69. Ambroise, L'estoire de la guerre sainte, éditions G. Paris, Collections des Documents inédits, 1897, v. 6854 et 7207-7214, col. 183 et 193.
70. Guillaume de Tyr, IV, c. 8 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 164.
— Albert d'Aix ; III, 33, Historiens occidentaux des Croisades, IV, 362 : « Pons iste mirabili arte et antiquo opere in modo arcus formam accepit... In utraque pontis fronte duae prominebant turres ferro insolubiles, et ad resistendum optissimae... »
— Voyez Van Berchem, Voyage..., p. 238-239.
71. Guillaume de Tyr, XVIII, c. 32; Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 877 : « Interea dum rex in partibus illis moram faceret, ut ejus praesentia regioni esset utilis, castrum quod super pontem. fluminis Orontis, qui vulgo dicitur pons Ferri, aliquando fuerat, ab urbe Antiochena quasi sex aut septem distans milliaribus, reaedificavit, utiliter satis, ad cohibendos hostium discursus et latrocinantium introitus occultos. »
— Röhricht, G. K. p. 307 et passim.
— Van Berchem, Voyage..., p. 238 et suivantes.
— Dussaud, Topographie, p. 171.
72. Paul Deschamps, Le Château de Saône, dans Gazette des Beaux-Arts, décembre 1930, pages 329-364.
73. Paul Deschamps, Les entrées des châteaux des Croisés en Syrie et leurs défenses, dans Syria, 1932, page 369 et suivantes.
74. Voyez Van Berchem, pages 252-253 et figure 150 et 151.
75. C'est ce qui se produisit lors de la prise des châteaux par Saladin en août 1188.
76. Rey, Architecture Militaire, pages 143-151 et planche XV.
77. Guillaume de Tyr. XXI, c. 26, Historiens occidentaux des Croisades, I, p. 1050 « murum mirae spissitudinis, in quadrum aedificantes opere solidissimo... infra sex menses erexerunt. »
78. Continuateur de Guillaume de Tyr ; XXXII, 25, Historiens occidentaux des Croisades, II, p. 365 : « Quant (li pelerin) furent la venus... il virent une isle devant le port en la mer, si connurent que la poeent il faire meillor ovre et plus segure et en po de tens. Lors mirent main a laborer et firent .II. tors, l'une grant et l'autre meene, et un pan de mur entre les .II. torz ; si mistrent a ce faire des la Saint-Martin que il vindrent la très que en mi quaresme. »
79. Nous ne citerons que pour mémoire le château que les premiers Croisés construisirent au lieu dit la Mahomerie en face d'Antioche pendant le siège de cette ville. Ce n'était qu'un ouvrage provisoire construit avec des matériaux peu solides (congerie lapidum et bitumine fragilis luti) ; il était pourtant muni de deux tours, entouré d'un double retranchement et pouvait contenir 500 soldats. La construction de ce château ne dura, selon les calculs d'Hagenmeyer que 12 jours, du 8 au 19 mars 1098. Raymond de Saint-Gilles travailla activement à cette construction avec ses archers et ses servants de balistes, ainsi qu'avec les marins des vaisseaux anglais qu'il était allé chercher au Port Saint-Siméon.
— Voyez Hagenmeyer, Chronologie de la première Croisade, dans Revue de l'Orient latin, tome VI, 1898, pages 542-549, n° 242-248.)
80. Le domaine de Platta.
— Voyez S. Pauli, Codice diplomatico, 1733, tome I, p. 41.
— Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome I (1894), page 226, n° 313.
81. De constructione castri Saphet... voir plus loin.
82. Ambroise, L'estoire de la Guerre Sainte, éditions Gaston Paris, 1897, vers 8009- 8022 : « Cependant tous se mirent à l'œuvre. Ils déblayèrent les fondations d'une porte. Tous y travaillaient si bien qu'ils s'émerveillaient eux-mêmes de la besogne qu'ils faisaient. Les bons chevaliers, les écuyers, les sergents se passaient les pierres de main en main ; tous travaillaient sans relâche, et il y venait tant de clercs et de laïques qu'en peu de temps ils avançaient beaucoup l'ouvrage. Plus tard pour le continuer on envoya chercher des maçons ; il fallut beaucoup de temps pour terminer. » (Traduction G. Paris).
83. Guillaume de Saint-Pathus, Vie de Saint Louis, éditions H. Fr. Delaborde (1899), p. 91 : « ... comme l'on fesait les murs en la cité de Césaire, messire Tusculam (Eudes de Châteauroux, évêque de Tusculum) légat du siège de Romme en ces parties, avait donné pardon à tous ceux qui aideraient à faire cele œvre ; dont (li benoiez rois) porta plusieurs fois les pierres en la hôte sur ses espaules et les autres choses qui étaient convenables à fere le mur. »
83. Ernoul, chapitre IV (éditions Mas-Latrie, p. 27-28) : Sire, dist Thoros au roy, quant je vinç parmi vostre tiere et je demandoie des castiaus cui il estaient, li uns me disait : « C'est del Temple », li autres : « De l'Hôpital » Si que jou ne trouvai ne castiel, ne cité, qui fust vostre, ne mais seulement .III., mais tout à Religion. »
84. Gestes des Chiprois, Historiens des Croisades, Documents Arméniens, tome II, p. 678-679.
— Voyer le Comte du Mesnil de Buisson, Les Anciennes défenses de Beyrouth dans Syria, tome II, 1921, p. 241.
85. Ainsi on comptait des Arméniens dans la garnison de Margat en 1118.
Voyez Van Berchem, Voyage, p. 319-320.
86. Lors de la bataille de la Boquée au pied du Crac des Chevaliers en 1163, la victoire remportée par les Croisés sur Nour ed-din fut due en partie à un corps grec commandé par Constantin Coloman.
— Voyez plus loin, chapitre 1 (Historique).
87. Jacques de Vitry, éditions Bongars, p. 1093 : « Quidam autem homines circa juga Libani in Phoenice provincia, non longe ab urbe Bibliensi inhabitantes, numero non pauci, arcubus et sagittis in praeliis edocti et expediti, Maronitae nominantur. »
— Les Maronites apportèrent une aide précieuse à Raymond de Saint-Gilles dans ses attaques contre Tripoli.
— Voyez Historiens orientaux des Croisades, I, p. 212.
88. Traducteur de de Guillaume de Tyr, XXII, c. 8 ; Historiens occidentaux des Croisades, I, pp. 1076-1077 : « Une manière de gent que l'on apelait Suriens, qui abitent en la terre de Fenice, entor la terre de Libane delez la Cité de Gibelet... Ils étaient genz mout hardies et preuz as armes et meint grans secours avaient fet à noz crestiens quand il se combataient à nos ennemis. »
89. Au siège de Darum, en 1192, Richard Coeur de Lion employa des sapeurs alépins.
— Voyez Beha ed din, Historiens orientaux des Croisades, III, p. 301 : « Des sapeurs d'Alep, attachés au corps d'observation et que le roi d'Angleterre avait su séduire, parvinrent à creuser une mine sous le mur de la forteresse et à y mettre le feu. »
90. Editions J.-C.-M. Laurent, p. 169 : « Crac quod et castrum Hospitalariorum maximum et fortissimum Sarracenis summe damnosum... tempore pacis a duobus milibus pugnatorum solet custodiri. »
91. De constructions castri Saphet, éditions Baluze, Miscellanea, tome I, Paris, 1761, in folio, page 228 et suivantes.
92. Chron. monast. S. Martialis Lemovic., auct. Petro Coral, éditions Baluze, ibid., page 231 : « Interfecit et decapitavit septies viginti fratres et decem Templi, exceptis Hospitalariis, et septingentos et sexaginta septem viros bellatores, et quatuor fratres Minores, exceptis mulieribus et parvulis. Qui omnes aestimati fuerunt usque ad tria millia. »
93. Wilbrand d'Oldenboiurg, éditions J.-C.-M. Laurent, p. 170. — Lorsque le roi Amaury II reprit Barut, en 1197, il trouva dans le château d'abondantes provisions de vivres (Ernoul, éditions Mas-Latrie, p. 315) : « il trouva le castiel bien garni d'armes et de viandes à VII ans, fors seulement de vin. »
94. Guillaume de de Tyr, XX, c. 19 ; Historiens occidentaux des Croisades, t. I, p. 695.
95. Assises de Jérusalem, tome I, p. 420.
96. Baluze, Miscellanea, I, p. 231.

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Chapitre IV

Campagnes de Construction

Les documents historiques ne nous apportent que bien peu de renseignements sur les travaux de construction du Crac des Chevaliers. Tout au plus y trouverons-nous quelques vagues indications qui nous permettront de formuler des hypothèses.

L'examen de l'appareil nous a fait distinguer deux principales campagnes de construction : la première, du XIIe siècle, avec ses murs à bossages dont on pensait qu'il ne restait qu'un témoin sur une petite étendue et dont nous avons retrouvé des vestiges considérables, la seconde vraisemblablement de la fin du XIIe siècle et des premières années du XIIIe siècle, à laquelle nous attribuerons le front ouest de la première enceinte et les grands ouvrages du sud et de l'ouest de la seconde enceinte.

Nous verrons aussi, grâce au style de l'architecture et de la sculpture, des travaux moins importants s'échelonner le long du XIIIe siècle : le Logis du Maître construit vers 1230, la Grand'Salle et la Galerie vers 1250, peu de temps après (1255-1265) la barbacane de Nicolas Lorgne que nous signale une inscription ; enfin les travaux exécutés dans les dernières années de l'occupation par le grand maître Hugues Revel, comme on peut l'inférer d'une lettre de ce personnage ainsi que d'une lettre à lui adressée par le sultan Beibars.

De la forteresse construite avant l'installation des Francs, du château de la Pente (Hosn es Safh) devenu le château des Kurdes (Hosn el Akrad) nous n'avons trouvé aucune trace, sinon peut-être des fondations utilisées par les Croisés telles que celles de l'ouvrage P.

PREMIERE EPOQUE FRANQUE.
Les constructions les plus anciennes des Francs que l'on reconnaît dans cette forteresse sont-elles antérieures aux Hospitaliers, c'est-à-dire datent-elles d'entre 1110 et 1142, ou bien sont-elles dues à cet ordre religieux ? Nous ne saurions le dire. Les chroniques latines sont silencieuses sur le Crac depuis le passage de Raymond de Saint-Gilles jusqu'à la donation faite à l'Hôpital. Ce n'est que par des chroniques arabes que nous savons que Tancrède occupa la position en 1110 et que, en 1115, les Musulmans firent une tentative pour la reprendre. Il se peut que la garnison franque qui s'y installa se soit contentée de la forteresse des Kurdes et que ce soient seulement les Hospitaliers qui, à leur arrivée en 1142, aient renouvelé les constructions.

Cependant ce serait contraire à ce que nous savons des habitudes des Francs qui paraissent avoir construit avec une grande activité dans les premiers temps de leur occupation (1). S'ils s'installaient sur des points stratégiques, déjà fortifiés, s'ils conservaient les fondations et utilisaient les pierres des murailles comme matériaux, il semble que généralement ils transformèrent l'ordonnance de la forteresse occupée et lui donnèrent plus d'importance. On ne peut admettre que l'enceinte primitive (teinte noire), soit l'œuvre des Kurdes. Deux raisons le prouvent : d'abord les nombreuses marques franques qu'on voit sur les bossages et aussi les rapprochements étroits qu'on peut faire entre cet appareil et celui des châteaux construits par les Francs, dans la première moitié du XIIe siècle (Giblet, Saône, Beaufort, Subeibe, etc.). Nous sommes donc en présence d'une œuvre franque et nous la croyons du début de l'établissement des Croisés au Crac, c'est-à-dire d'une époque voisine de l'année 1110 (2). Nous pensons qu'ils utilisèrent, pour la construction de l'ouvrage P, les fondations d'un ouvrage antérieur ; de cet ouvrage P ils firent le saillant gardant la pointe de leur enceinte au nord-ouest. De là ils dominaient la contrée vers l'ouest et la vue embrassait un vaste horizon allant jusqu'à la mer. Mais, tandis qu'au XIe siècle les Kurdes, vassaux de l'émir de Homs, qui gardaient cette position, devaient surveiller l'Occident, les Francs au contraire devaient surtout faire face à l'ennemi vers l'Orient et aussi observer la grande vallée qui s'ouvrait au sud du château, cette vaste plaine de la Boquée qui s'étend entre les derniers contreforts du système montagneux du Liban et l'éminence où se dresse le Crac. Or cette éminence continue à s'élever vers le sud. Aussi les Francs furent-ils obligés d'allonger leur enceinte dans le sens nord-sud jusqu'à ce que, du sommet des tours du sud, on pût découvrir le fond de la plaine et dominer au sud et à l'est la grande trouée de Homs. Ainsi des deux extrémités de la forteresse on pouvait surveiller à une très grande distance tout le pays environnant.

Château Le Crac des Chevaliers

Château Le Crac des Chevaliers
Château Le Crac des Chevaliers - Plan deuxième enceinte

Le plan de la forteresse (teinte noire, plan 4), apparaît clairement : deux murailles parallèles et concentriques renfermant une suite de salles et englobant une cour centrale. Des saillants carrés ; deux entrées, l'une à l'est (ouvrage H) (3) transformée dans la suite, l'autre au nord (ouvrage P), s'ouvrant suivant le système byzantin, très fréquemment employé par les Francs (Saône, Kérak, etc.) dans le flanc d'un saillant ; très probablement une troisième entrée au sud.

Au milieu de la cour vers l'ouest, une troisième muraille, parallèle à la muraille intérieure, devait constituer avec celle-ci une salle ouvrant sur le centre de la cour. Cette salle devait être la Grand'Salle que les Hospitaliers renouvelèrent au milieu du XIIIe siècle.

Si d'après une chronique arabe, le tremblement de terre de 1157-1158 fit des dégâts dans les châteaux des Croisés et notamment au Crac, il semble que celui de 1170 ait été plus grave (4). Si l'on croyait le chroniqueur arabe Abû-Chama, le Crac aurait été entièrement démoli par le séisme de 1170.

Son récit est certainement exagéré et il ne nous paraît pas douteux que l'enceinte à bossages est antérieure à 1170. S'il est faux que « pas un mur n'était resté debout », les dégâts durent être néanmoins considérables et une grande partie des constructions à l'intérieur de l'enceinte dut s'effondrer. Remarquons en outre que le chroniqueur parle de l'effondrement des voûtes des églises et qu'il vient d'être question spécialement du Crac. Il est donc permis de penser que la chapelle du Crac s'effondra dans ce tremblement de terre, exception faite pour son chevet. On voit d'ailleurs, dans la salle de 120 mètres, appliqué contre le mur nord de la chapelle (plan 4), un contrefort qui n'eut d'autre raison d'être que de supporter le compartiment de voûte de cette salle qu'on remontait en même temps qu'on reconstruisait la nef.

On remarquera en effet que l'aspect du plan permet de penser que, dans le système primitif de salles fermées par deux murailles parallèles (teinte noire), la muraille intérieure venait se fermer à l'extrémité nord. Il y aurait eu là une petite chapelle. Lors du tremblement de terre de 1170,1a muraille extérieure ayant résisté et les murailles intérieures s'étant effondrées avec les voûtes, on en profita pour reconstruire la chapelle et l'agrandir vers l'ouest.

Nous constatons qu'au mur occidental de la chapelle et sur les murailles enfermant la cour à l'est et au nord on trouve des pierres à bossages mêlées à des pierres unies. Ces murs durent donc être relevés ou réparés après le tremblement de terre à une époque où on remplaçait les pierres à bossages par des pierres unies, mais on utilisa cependant d'anciennes pierres dans cette restauration.

Enfin la nef de la chapelle du Crac et celle de la chapelle de Margat, autre château des Hospitaliers, sont tout à fait semblables et paraissent bien appartenir à la même époque. Ce sont deux chapelles romanes que leur style un peu retardataire dans un pays éloigné de la France permet de dater de la fin du XIIe siècle. Or la chapelle de Margat plus importante encore que celle du Crac ne peut être que l'œuvre d'un ordre religieux et l'on sait que les Hospitaliers acquirent Margat en 1186. L'ampleur et l'élégance de style plus grandes à Margat qu'au Crac montrent à Margat un perfectionnement : la chapelle du Crac doit dater de peu de temps après 1170; quinze ans plus tard on construisait celle de Margat et tout ceci nous paraît s'accorder parfaitement.

A l'extérieur de l'ouvrage P, le mur de fond de la face nord-ouest a des bossages qui ont été ravalés, mais les deux piliers qui soutiennent les trois arcs ont des bossages. Or si les arcs ont été remaniés ils ont existé dès le début, puisque les piliers n'ont d'autre raison d'être que de soutenir des arcs destinés eux-mêmes à supporter un mur constituant avec le mur de fond un grand mâchicoulis. Ce mâchicoulis, dans ses dispositions primitives, doit donc appartenir aux premières constructions franques du Crac.

La face nord-est de l'ouvrage P a, comme la face occidentale de la chapelle, un mélange de pierres unies et de bossages ; elle paraît donc avoir été remontée après 1170.

DEUXIEME EPOQUE FRANQUE.
La deuxième grande campagne de construction du Crac, qui fut la plus importante, doit occuper la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle (teinte rouge).

L'absence complète de voûtes d'ogives dans tous ces ouvrages des fronts ouest et sud des deux enceintes, alors qu'on en trouve au château d'Athlit, commencé en 1218, nous fait penser qu'on doit dater le début de cette grande campagne de travaux de la fin du XIIe siècle. (On voit bien dans la tour K une salle voûtée d'ogives, mais nous avons constaté que c'était le résultat d'une transformation datant de 1230-1240.)

Une raison historique nous fait aussi penser qu'au début du XIIIe siècle, les grands travaux qui allaient donner au Crac son aspect majestueux devaient se trouver en voie d'achèvement. C'est qu'au cours de ces premières années du siècle, les chroniques signalent des combats incessants auxquels participent les Chevaliers du Crac. Plusieurs fois la forteresse est assiégée et elle repousse victorieusement toutes les attaques. Plusieurs fois une partie de la garnison sort de l'enceinte pour aller combattre les Musulmans sur les territoires de Homs et de Hama. Enfin la forteresse sert de lieu de concentration aux armées chrétiennes. Une telle activité guerrière s'explique si le Crac était alors bien fermé et équipé pour une résistance à toute épreuve.

C'est alors qu'on entreprit d'enfermer l'enceinte dans une autre enceinte, celle que nous avons désignée sous le nom de première enceinte. A peu près en même temps, on dut commencer à transformer l'ancienne enceinte qui devait devenir la seconde enceinte, et sur les fondations de ses tours carrées on éleva les grandes tours rondes de l'Ouest et du sud. Il est possible que les travaux aient commencé par la première enceinte peu après le tremblement de terre de 1170 : comme au mur occidental de la chapelle, on trouve sur la courtine de la première enceinte au nord (entre les tours 13 et 1) et aussi sur la tour 1, des bossages remployés dans l'appareil de pierres unies.

En tous cas, il semble bien que le même architecte conçut à la fois le plan de la première enceinte et celui de la seconde enceinte transformée. On observera que pour cette seconde enceinte, l'architecte décida de garder le plan général de l'enceinte primitive pour en utiliser les fondations et une partie des murailles, mais on constatera aussi que le plan de la première enceinte ne suit pas rigoureusement celui de la seconde et que notamment en allant du nord au sud, l'écart entre les deux enceintes peu après l'ouvrage P, n'est que de 15 mètres, tandis qu'il est de 21 mètres à la hauteur de la tour K. Cette différence ne vient ni d'une erreur d'alignement, ni de conceptions différentes de deux architectes successifs, mais d'une nécessité exigée par le sol. Le terrain s'élargissant de plus en plus à mesure qu'on monte vers le sud, l'architecte a voulu suivre le plus près possible la pente qui borde le plateau à l'ouest. On reconnaîtra cependant que la première enceinte épouse dans sa forme générale celle de la deuxième enceinte et que ses tours viennent alterner assez régulièrement avec les grands ouvrages P, O, K et J. En outre, ces grands ouvrages dominent et commandent de très haut les tours et les courtines de la première enceinte. On les aurait faits sans doute moins élevés si les projectiles lancés du haut de ces ouvrages n'avaient dû atteindre le couronnement d'une enceinte placée en avant, et même passer par-dessus ce couronnement.

Ainsi en est-il à la tour O, dont les archères sont au niveau du sommet du talus et par conséquent très haut placées ; si l'on n'avait prévu une première enceinte, on aurait sans doute jugé nécessaire d'avoir des archères plus bas (7).

Sur les fronts est et ouest, la première enceinte est donc venue border les pentes du plateau ; mais nous avons vu qu'au sud le terrain continue à monter et les ouvrages construits vers le sud n'atteignent pas la partie la plus élevée du plateau. Le château Franc aurait doncpu comme le château antérieur aux Croisades s'appeler le château de la Pente. Mais les ingénieurs savaient le danger que présentait une enceinte trop vaste et ils voulaient avoir la vue sur tout le voisinage. Ils ont donc conduit leurs murailles jusqu'au point où du haut des tours on apercevait le fond de la vallée au sud.

Pour remédier à l'inconvénient de ce plateau trop large et à l'absence de défense naturelle au sud, ils isolèrent la forteresse par un fossé creusé en avant des grands ouvrages du sud de la première enceinte et ils durent, selon l'idée de Rey, construire en avant de ce front sud un ouvrage avancé muni de défenses de bois, et enfermé dans des fossés disposés en triangle (voir photos d'avion, pl. XXII et XXIII).

Bien que plusieurs textes nous fassent penser que certaines des constructions militaires des Francs en Syrie furent élevées très rapidement, il est possible qu'ici, où l'œuvre était véritablement considérable, on mit un laps de temps assez long pour mener à bien ces travaux.

Peut-être les tremblements de terre successifs qui eurent lieu au cours des années 1201 et 1202, donnèrent-ils l'idée aux architectes d'élever ces grands talus de la deuxième enceinte qui, outre qu'ils renfermaient un long couloir permettant de parcourir à l'abri deux fronts de la forteresse et d'en défendre les abords grâce aux archères percées dans leurs flancs, faisaient en même temps l'office de contreforts continus destinés à résister aux secousses sismiques si fréquentes dans ce pays. L'ordonnance de ces grands talus bordant la seconde enceinte transformée s'arrête après la tour I dans le second élément de la rampe. Au pied du chevet de la chapelle et des courtines qui l'encadrent on a laissé le roc nu et l'on s'est dispensé d'appliquer un mur en talus contre la vieille muraille à bossages. Peut-être l'architecte n'a-t-il pas trouvé nécessaire de contrebuter celle-ci qui avait résisté à tous les tremblements de terre, ou bien a-t-il jugé inutile d'ajouter des défenses supplémentaires en cet endroit ?

La première enceinte.
— Pour la première enceinte on distingue clairement ce qui appartient à cette campagne de construction. En partant de la courtine jouxtant la tour 13 à l'ouest, on trouve une œuvre parfaitement homogène sur tout le front ouest, un bel appareil de pierres lisses de 50 à 60 cent, de hauteur. Malgré des restaurations importantes dues aux Arabes au front sud, on suit la trace de l'œuvre sur ce front jusqu'à la face est de la tour 8, après quoi le caractère de la construction est tout différent. Le front est a subi des remaniements considérables. Mais il faut constater qu'une première enceinte fut construite aussi sur ce front est au cours de cette grande campagne. On en trouve des vestiges : c'est le talus fragmentaire qui se voit contre le mur intérieur du premier élément de la rampe ; il indique une construction qui fut à l'origine extérieure (plan 1 et plan 2). 11 formait la base du deuxième élément actuel de la rampe, lequel fut construit alors, avant qu'on songeât à élever le premier élément qui est une addition d'une campagne plus récente.

On voit aussi, à l'étage supérieur, des archères aujourd'hui masquées par la muraille construite plus tard en avant de ces archères (plan 2, ligne rouge au sud du saillant 11 ). Ainsi la première enceinte construite sur le front est au cours de la deuxième campagne était en retrait de la première enceinte actuelle.

Nous avons observé plus haut que la belle ordonnance si homogène du front ouest commençait aussitôt après la tour 13, qui est la barba- cane de Nicolas Lorgne, exécutée longtemps après la deuxième campagne de construction. Peut-être les dispositions architecturales du front ouest se prolongeaient-elles en direction de l'est, au-delà de la tour 13 actuelle et venaient-elles se raccorder aux talus qui sont aujourd'hui à l'intérieur de la rampe ? Mais les transformations faites de ce côté de la forteresse ne permettent que des hypothèses.

L'échauguette du coude de la rampe.
— Le talus dont il vient d'être question se termine à l'échauguette placée aujourd'hui au coude de la rampe (plans 1). L'usage de cette échauguette fut dans la suite diminué par l'addition du premier élément de la rampe et de l'ouvrage M, puis supprimé lorsque les Arabes construisirent une voûte qui prit un de ses appuis à la base de l'échauguette. Primitivement, c'est-à-dire lors de la deuxième campagne au cours de laquelle elle fut construite, l'échauguette était extérieure du côté de l'est. Elle constituait une tourelle de guet et de défense commandant l'entrée de la rampe qui ne se composait alors que des deuxième et troisième éléments actuels.

Ancien saillant au pied de L'échauguette.
— L'échauguette dominait au sud-est un ouvrage, un saillant probablement barlong, placé beaucoup plus bas ; on notera la déclivité du terrain à cet angle sud-est du château. De ce saillant on retrouve le talus, jadis extérieur, aujour-d'hui renfermé dans la salle basse du saillant 9 (plan 1) ; voici donc ici encore la base d'un ouvrage de la deuxième campagne masquée par l'addition de constructions d'une époque plus récente.

L'angle sud-est.
— Si l'on devine au front sud, de la ire enceinte, malgré les restaurations arabes, une ordonnance architecturale analogue à celle du front ouest, si nous avons constaté (Description, chap. il, p. 156) que la tour 8 avait le plan et les dispositions des tours de l'ouest, et faisait par conséquent partie de la deuxième campagne, nous voyons que l'angle sud-est de la première enceinte a un caractère tout différent. Or nous observons contre la joue est de cette tour 8, un décrochement. Il y a là un pan de mur indiquant que l'enceinte primitive ( 2e campagne) filait en retrait de l'enceinte actuelle en direction du saillant disparu dont nous venons de signaler le talus enfermé dans le saillant 9. Nous avons indiqué, par un pointillé rouge sur le plan 1, la direction supposée de cette partie de l'enceinte au temps de la deuxième campagne.

C'est encore à cette deuxième époque de grands travaux qu'on construisit :

1° Un escalier passant devant le portail ouest de la chapelle pour monter à l'ouvrage P et aux courtines de l'étage supérieur de la 2e enceinte ;

2° Qu'on construisit le porche au flanc sud de la chapelle et qu'on perça sous ce porche l'entrée de la chapelle ;

3° C'est peut-être alors aussi qu'on mit une bretèche au flanc nord-est de l'ouvrage P pour défendre l'accès de la poterne.

Nous laisserons de côté quant à présent la salle du Logis du Maître (vers 1230-1240) qui devrait chronologiquement s'intercaler ici ; nous parlerons aussi plus loin de la Grand'Salle et de la Galerie (vers 1250) ainsi que de la salle aux piliers construite sur la cour et que domina l'Esplanade. Ces constructions ne concernant pas la défense nous les examinerons en terminant.

DERNIERE EPOQUE FRANQUE.
Il nous reste à étudier la dernière époque de l'occupation franque où nous distinguerons plusieurs constructions d'aspects très différents sans pouvoir en déterminer exactement la succession chronologique.

A l'exception de l'ouvrage M qui se trouve entre les deux enceintes, tous les travaux de cette dernière campagne ont, au front est, été exécutés à la première enceinte. Ce front présente une architecture beaucoup moins belle que celle de l'ouest. Il est vrai que les ouvrages qui sont sur cette face de la forteresse durent subir de graves dégâts lors du siège de 1271, et que certaines murailles furent remontées par les Arabes, mais en dehors de ces réparations on observe des constructions de l'époque franque qui manifestent une œuvre tout à fait pauvre, et si elles présentent un aspect si misérable, c'est qu'elles furent exécutées à une époque de déchéance alors que les Etats francs étaient de plus en plus menacés par la puissance grandissante des Emirs musulmans et que l'Hôpital, privé de ressources, ne pourvoyait que par des travaux hâtifs à la mise en défense de ses forteresses.

Il nous faut montrer quelles raisons nous permettent de dire que ces ouvrages qui vont depuis le début de la courtine 8-9, tout près de la tour 8 jusqu'à la tour 13 incluse, occupant ainsi l'angle sud-est, tout le front est et l'extrémité nord de la première enceinte, sont postérieurs aux autres ou même sont des derniers temps de l'occupation du Crac par les Hospitaliers.

C'est d'abord l'inscription de Nicolas Lorgne, qui, contrairement à ce qu'on a pensé, ne concerne pas l'ouvrage M et n'a jamais quitté la face postérieure de la tour 13, laquelle constitue une barbacane avec la poterne que nous avons découverte entre les tours 12 et 13. Cette poterne menait en direction de la poterne de la seconde enceinte ouverte dans l'ouvrage P. Les flancs de cette tour 13 ont un bel appareil franc, elle était carrée et sa face a été arrondie au cours d'une restauration arabe.

Aucun texte ne nous signale Nicolas Lorgne comme ayant été châtelain du Crac, mais nous avons montré plus haut (chapitre II, Description) pour quelles raisons nous pensons qu'il gouverna cette forteresse entre 1255 et 1265 et c'est pendant son commandement qu'il aurait fait exécuter cette construction.

La galerie de mâchicoulis de l'ouvrage P.
— Nous nous demandons si ce n'est pas au moment où on construisait la barbacane de Nicolas Lorgne qu'on fit des remaniements à la partie haute de la face principale de l'ouvrage P ?
En effet, l'entrée de la première enceinte que défendait la barbacane était en relation avec l'entrée de la deuxième enceinte percée dans l'ouvrage P.

Nous avons vu que cette face principale de l'ouvrage P, au nord-ouest, fut primitivement défendue par un grand mâchicoulis dont le mur repose sur des piliers partant du talus et que, plus tard, on plaça en haut de ce front de l'ouvrage un second encorbellement formant galerie continue de 12 mâchicoulis communiquant avec la salle haute.

On verra plus loin que nous attribuons aux Arabes toutes les galeries de mâchicoulis qu'on voit à la première enceinte, ce système ne se voyant pas dans les forteresses franques et se trouvant au contraire dans des citadelles arabes du XIIIe siècle telles que celle de Damas.

La galerie de l'ouvrage P étant tout-à-fait de ce type on pourrait penser qu'elle appartient aux travaux de Beibars et de ses successeurs. Cependant une objection qu'on peut opposer à l'attribution de ce travail aux Arabes est que nous avons trouvé dans plusieurs embrasures de ces mâchicoulis ouvrant sur la salle haute de l'ouvrage P, plusieurs marques franques qui se retrouvent en d'autres parties de cet ouvrage. Il est vrai que cette objection n'est pas absolue puisqu'il peut s'agir de pierres remployées par les Arabes (6). D'autre part on remarquera que cette galerie n'occupe qu'une face de l'ouvrage, alors que les Arabes, plus habiles au front sud de la première enceinte, ont su faire tourner leurs mâchicoulis sur toute l'étendue des tours dont ils les ont couronnées.

Tout ce que nous pouvons dire c'est qu'il est possible que ce remaniement soit l'œuvre des Francs, mais s'il en est ainsi, il est fort probable qu'ils ont emprunté cette innovation d'une galerie de mâchicoulis à des modèles arabes.

Le saillant 11

Château Le Crac des Chevaliers
clef de voûte ornée d'un quadrilobe

— Un autre témoin d'une époque assez tardive est la salle basse du saillant 11 avec sa voûte d'ogives (munis d'une clef de voûte ornée d'un quadrilobe). C'est le seul ouvrage de défense du Crac pourvu d'une voûte de ce genre.

C'est peut-être seulement à l'époque de Nicolas Lorgne qu'on construisit le premier élément de la rampe. Nous avons vu plus haut que le deuxième élément de la rampe avec son échauguette commandant l'entrée avait été établi antérieurement, et que la paroi intérieure (côté ouest) du début de la rampe était munie d'un talus originairement extérieur. Lorsque plus tard, au cours de la troisième campagne, on fit le premier élément de la rampe, on construisit en même temps les salles qui le bordent à l'est en prenant jour sur la courtine et les saillants de ce front de la première enceinte.

L'ouvrage M.

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 18 bis - Dessin François Anus

— L'ouvrage M est placé au sud-est entre les deux enceintes. En élévation il se trouve en arrière et au-dessus du saillant 9 et au pied de la tour I. Ainsi ces trois constructions s'étagent l'une derrière l'autre.

L'ouvrage M a dû être construit après ce premier élément de la rampe puisqu'une des raisons de sa création dut être de prendre en enfilade ce premier élément.

Il est assurément d'une époque tardive puisqu'il a été construit sur l'angle du grand talus placé au pied de la tour I. C'est un ouvrage de défense admirablement conçu. Placé à l'angle sud-est entre les deux enceintes, il commande plusieurs faces : d'abord, il ferme le chemin du sud et l'assiégeant qui aurait franchi la première enceinte au sud était obligé de passer par la salle basse de cet ouvrage que défendait une herse pour arriver à la porte qui ferme le deuxième élément de la rampe. Vers le nord, placé au coude de la rampe, il prend en écharpe une partie du grand fossé. Vers l'est et vers le sud, il domine la courtine de la première enceinte. Vers le sud, sa haute archère permet de tirer à l'intérieur de la place sur l'assiégeant qui aurait franchi la porte à écusson de la tour 8.
On a beaucoup discuté pour savoir si l'ouvrage M était franc ou arabe.

De prime abord, il nous semble qu'il correspond à une nécessité bien comprise de la défense en cet endroit. Ses bossages sont tout- à-fait différents de ceux de la première époque du Crac, lesquels sont moins grands et ont un plus faible relief. Si, comme nous en sommes persuadés, cet ouvrage est franc, il faut constater qu'au Crac on fit d'abord de faibles bossages, puis de l'appareil uni, puis de grands bossages.

Or, il est curieux de constater qu'à Carcassonne des ouvrages du temps de Saint Louis, ont un appareil uni et ceux du temps de Philippe le Hardi sont à bossages (7). Les Croisés ont donc peut-être rapporté d'Orient en France ce système.

Remarquons encore que l'entrée de l'ouvrage M regardant le fossé possède une herse, système employé maintes fois au Crac et que ni Rey, ni Van Berchem n'ont rencontré dans les châteaux arabes du Moyen-Age (8).

Enfin, nous avons trouvé sur quelques bossages de cet ouvrage des marques qui semblent bien être franques (Marques de tacherons, Ovrage M).

Les courtines 8-9 et 11-12.

— Ces deux éléments de courtine sont incontestablement de l'époque franque ; nous avons trouvé dans le premier un nombre considérable de marques. Or, nous pensons que ces ouvrages ont été exécutés à une époque de pénurie et de hâte. Il fallait se défendre et les ressources étaient de plus en plus restreintes. On fit des restaurations nécessitées peut-être par un tremblement de terre ou des améliorations jugées utiles pour la défense par les ingénieurs, et l'on prit au roc même les matériaux qu'on cassa au marteau et qu'on noya dans du mortier. Mais la jolie tourelle qui domine l'angle sud-est de la courtine 8-9 montre qu'on savait parfaitement bien construire alors, et que c'est la pauvreté plus que l'ignorance qui fit élever ces constructions d'un aspect si misérable à côté des grands ouvrages bâtis en des temps plus heureux.

Enfin le tout dernier travail serait un remaniement de la face postérieure de la tour 8. Cette tour possède une entrée de la forteresse. Dès le début des constructions franques il dut y avoir une entrée du château au sud. Rappelons que dans la vieille enceinte (teinte noire) on voit les restes d'une entrée percée dans le front sud. Quant à l'entrée percée dans la première enceinte, nous ne saurions dire où elle se trouvait primitivement. Nous constatons seulement que dans le flanc est de la tour 8, se trouve une baie en arc brisé, aujourd'hui bouchée, qui constitue une entrée de la forteresse. La base de cette baie est à 8 mètres au-dessus du sol. Tout près de là, dans le fond du fossé, se trouve un élément de maçonnerie où devait s'appuyer le plan incliné qui permettait d'accéder à cette porte. Observons que la tour 8 construite sur le plan des tours du front ouest paraît avoir eu à l'origine trois archères percées dans sa salle basse. On a dû ouvrir cette baie à la place de l'archère de la joue est. Ce remaniement et l'inscription arabe au-dessus de la baie devraient faire penser qu'elle fut percée par les Arabes d'autant plus que nous constaterons que la tour 8 a été rhabillée par Beibars. Nous ne le croyons pas cependant, car la salle basse dans laquelle est percée cette baie s'ouvre vers l'intérieur par une grande porte défendue par une herse ; or il semble bien que c'est là un élément de défense spécialement pratiqué par les Francs. D'autre part, lorsqu'on est sorti de la salle sur le terre-plein entre les deux enceintes, on constate que la porte qui donne, de l'intérieur de la forteresse, accès dans la tour, est sommée d'un écusson analogue à celui de la Grand'Salle et qui ne peut être qu'une œuvre franque. Nous avons donc là une porte franque et son importance indique une entrée du château.

Cette face postérieure de la tour 8 a ce mauvais appareil que nous retrouvons extérieurement à la courtine 8-9 et à la courtine 11-12. Observons aussi que pour agrandir la tour, peut-être afin d'ajouter un passage de herse, cette muraille a été reculée et elle est venue boucher en son milieu (plan 2) la petite porte qui donnait accès au couloir de la courtine 8-9, preuve que cette courtine a été construite avant le remaniement fait à la face postérieure de la tour 8.

Deux documents nous font penser que c'est aux tout derniers temps de la possession des Hospitaliers qu'il faut attribuer ces travaux des courtines 8-9, 11-12 et de la face postérieure de la tour 8. C'est d'abord une lettre d'Hugues Revel, Grand-Maître de l'Hôpital, envoyée de Saint-Jean d'Acre en 1268 en France au Prieur de Saint-Gilles, où Revel se lamente sur la situation de la chrétienté en Terre-Sainte, pleine de périls et sur les dépenses considérables qu'il est obligé de faire au Crac et à Margat contre lesquels les Sarrasins s'acharnent (9). Il montre les territoires avoisinants peuplés jadis de 10.000 hommes que l'Hôpital faisait vivre, alors qu'il ne s'y trouve plus aujourd'hui que 300 chevaliers de l'Ordre.

Le second document est la lettre insolente adressée par Beibars à Hugues Revel, après la prise du Crac lui rappelant que, lui, le Grand- Maître de l'Ordre, avait fortifié ce château (10).

Ainsi, nous observons que, pendant les derniers temps de l'occupation du château par les Hospitaliers, le manque de ressources fut cause qu'on éleva alors des ouvrages moins bien construits que ceux de l'époque où l'Ordre était plus riche. On fit dans ces moments de pénurie des saillants carrés moins coûteux et d'une construction plus facile que les tours rondes. Outre le manque de ressources, l'Ordre devait aussi être privé de main-d'œuvre. Dans ces dernières années de la résistance on ne devait plus trouver d'architecte, ni de maçons ou de tailleurs de pierre expérimentés.

On fit donc au front est, remanié à une époque tardive, des saillants carrés, puis dans les tout derniers temps on ne prit même plus le soin de tailler les pierres. L'ouvrage M est le dernier ouvrage de défense d'une belle architecture exécuté avant la période de déchéance où la chrétienté harcelée par l'ennemi musulman vivait dans l'angoisse.

Embellissements

Embellissements et aménagements faits à l'intérieur du château au XIIIe siècle.
— Nous savons qu'en 1217, le Crac apparaissait dans son plus bel éclat ; André II de Hongrie était revenu dans l'admiration du zèle qu'apportaient les Hospitaliers à l'entretien de cette immense forteresse où selon Wilbrand d'Oldenbourg vivaient alors 2.000 combattants (11).

Vers 1230-1240 on transforma la salle haute de la tour K. Elle était défendue primitivement par sept archères. Mais la paix semblait régner alors dans les Etats Francs leur sécurité semblait assurée, l'Ordre de l'Hôpital était puissamment riche. Le Grand-Maître séjournait parfois au Crac (12). Dans le grand château on voulut établir une résidence plus accueillante, moins austère que cette salle de défense munie de ses archères qui ne devaient apporter qu'une faible lumière et de terribles courants d'air sur ce sommet, battu en hiver par un vent violent.

On boucha donc les archères et sur un flanc de la tour regardant l'est, on perça une large fenêtre qu'on orna d'un double cordon de fleurs sculptées. Nous avons décrit plus haut le décor charmant de cette salle voûtée d'ogives avec ses colonnettes, ses chapiteaux et sa frise décorative courant le long des murailles.

Quelques années après la décoration de ce « Logis du Maître » on s'occupe d'embellir la Grand'Salle, on la couvre de belles voûtes dont les ogives et les doubleaux retombent sur des culs de lampe ornés d'élégants rinceaux de feuillage. On construit le long de cette Grand'Salle une élégante galerie aux fenestrages délicatement sculptés qui rappellent les réseaux aux fins meneaux de nos cloîtres de France.

C'était l'époque où Saint Louis, malgré ses échecs d'Egypte, avait gardé tout son prestige tant auprès des Musulmans que de la chrétienté, l'époque de son séjour de Palestine (1250-1254) où il relevait les enceintes des villes du littoral et apportait à ses compatriotes de Terre-Sainte le réconfort de sa présence et de son autorité royale.

Peu après l'achèvement de la galerie on construisit la salle aux piliers, que domina l'esplanade. Cette esplanade occupa ainsi presque la moitié de la superficie de la cour au sud ; on sait qu'un saut-de-loup la séparait de la tour J.

En 1270 Saint Louis venait mourir à Tunis, et sa mort eut un retentissement considérable en Orient : en même temps qu'elle jetait l'effroi au cœur des populations franques du Levant, qui avaient toujours compté sur un nouveau secours de Saint Louis, elle donnait au contraire à leurs adversaires l'espoir du succès prochain, qui devait leur permettre de jeter à la mer les derniers défenseurs de la chrétienté. C'est par le Crac qu'ils commencèrent leurs attaques.

L'œUVRE DES ARABES

Il reste à examiner les travaux des Musulmans après la prise du Crac. Il nous faut voir d'abord quelle fut l'étendue des restaurations du vainqueur de 1271, Beibars, restaurations que signalent trois inscriptions à l'extérieur de la première enceinte. Ces inscriptions se trouvent à l'entrée de l'est (au-dessus de la porte du saillant 11) et aux tours 6 (13) et 8.

Rey (page 45) et Van Berchem (page 139 et suivantes), ont pensé que les dégâts faits au cours du siège de 1271 étaient peu importants et Van Berchem supposait qu'ils n'avaient guère atteint que le front est et non le front sud ; il estimait que la brèche faite pendant le siège et dont parle une des chroniques arabes, devait se retrouver à droite du saillant 11, mais nous avons reconnu que la courtine 11-12 de construction si mauvaise, était bien une œuvre franque de la dernière époque.

Les deux savants considéraient que les inscriptions de Beibars étaient trop vagues pour permettre de conclure que les ouvrages où elles se trouvaient étaient entièrement arabes ; ils observaient qu'elles parlaient d'une manière générale de la restauration de la forteresse et ne devaient pas concerner strictement les ouvrages où elles étaient gravées. Ils concluaient qu'aux ouvrages du front sud de la première enceinte, seul le couronnement avait dû être refait (14).

Un long examen du monument nous permettra d'apporter des conclusions différentes et de montrer que les dégâts causés par le siège de 1271 durent être considérables et nécessiter de la part de Beibars de grands travaux de restaurations, voire même de reconstruction.
Il paraît bien en effet que les mangonneaux de Beibars martelèrent fortement le front sud et le front est de la première enceinte.

On sait que le front sud était fort exposé ; l'ouvrage avancé triangulaire qui, comme l'a supposé Rey, n'avait sans doute que des défenses de bois dut être vite enlevé et malgré les fossés qui l'entouraient on dut transporter à cette place des machines de siège.

Sur le front est, le terrain s'incline par plans étagés et l'on n'y voit pas les pentes abruptes qui mettaient au nord et à l'ouest les murailles complètement à l'abri des projectiles de baliste. Il semble donc que l'artillerie musulmane put s'installer de ce côté et l'on sait qu'en outre les armées musulmanes avaient toujours un contingent de sapeurs parfaitement outillés. Il est d'ailleurs question de l'intervention de ceux-ci dans une des relations du siège.

Ces relations d'origine uniquement arabe, nous laisseront entrevoir que les destructions causées par le siège furent d'une certaine importance. Le monument lui-même nous apportera des indications plus précises.

Nous rappellerons d'abord les documents historiques ; Beibars paraît devant le Crac le 3 mars 1271 ; le lendemain, selon Ibn Shaddad, une brèche est faite dans la muraille, tandis que Nuwairi dit que les faubourgs sont pris. Ces faubourgs devaient être installés à l'est du Crac, là où se trouve encore un des villages et en arrière de celui-ci sur une éminence où l'on voit encore des ruines du moyen-âge et particulièrement les tombeaux de deux émirs et d'un palefrenier de Beibars tués pendant le siège (15).

Ibn Shaddad qui donne du siège le récit le plus exact, écrit : « le château possédait trois murs d'enceinte et trois hachuras (barbacanes) ». Du fait que le témoin oculaire dont s'inspira sans doute Ibn Shaddad vit trois murs d'enceinte, on peut inférer que l'attaque principale porta sur le front est, c'est-à-dire du côté de la rampe coudée, dont les murailles peuvent constituer comme trois remparts.

La bachura ou barbacane prise le 5 mars, que Sobernheim traduit par tour d'entrée, serait soit le saillant II, soit la barbacane 12-13. La 2e barbacane prise le 15 mars (la tour d'entrée de la 2e enceinte suivant l'interprétation de Sobernheim) pourrait être soit la porte à l'entrée du 2e élément de la rampe, soit l'ouvrage G, soit encore la poterne de l'ouvrage P.

Enfin, la 3e barbacane prise le 29 mars et pour l'attaque de laquelle on fit intervenir les sapeurs de Malik as Said, serait l'ensemble des défenses placées au débouché de la rampe sur la cour (ouvrage H).

Alors les soldats musulmans se précipitent dans la cour où un certain nombre de chevaliers se font tuer en combattant. Les derniers défenseurs se sont réfugiés dans les grandes tours du sud. On amène les mangonneaux dans la cour et on les dirige contre ces ouvrages. Puis c'est le 8 avril, la capitulation.

Ainsi les chroniques ne nous donnent que les résultats essentiels du siège et la progression des assiégeants, mais elles nous laissent entrevoir de furieux assauts et une résistance acharnée.
On pourra donc admettre que la première enceinte subit de graves dommages au cours du siège.

De plus, les chroniques arabes nous parlent de travaux de restauration entrepris par Beibars dès le lendemain pour ainsi dire de sa victoire ; il confia les travaux de restauration à deux personnages, sans doute des architectes, dont les noms nous ont été conservés : Izz al dîn Aibek al Afram et Izz al dîn Aibek al Shaikh.

Le sultan vint surveiller ces travaux à la fin de mai ou au début de juin, puis en octobre 1271 et il revint encore les inspecter en juillet 1272, et on nous le montre travaillant en personne avec ses émirs et creusant une partie du fossé (16).

Tout ceci prouve qu'il faut faire à Beibars une part assez importante dans l'étude monumentale du Crac. Nous chercherons donc quels éléments de ce vaste édifice doivent être reconnus comme étant son œuvre ou celle de ses successeurs immédiats en particulier Qélaoun qu'une inscription gravée au saillant 7 désigne comme ayant fait exécuter cet ouvrage.

Les Arabes ayant eu dans leurs forteresses des procédés de construction assez semblables à ceux qu'employaient les Francs, il est assez difficile de distinguer l'œuvre des uns et des autres. Nous croyons cependant y être parvenus surtout en constatant l'absence de certains détails particuliers aux Francs.

D'abord, les marques de tâcherons, non pas que celles-ci soient entièrement absentes des ouvrages arabes comme beaucoup le croyaient, mais elles sont très différentes des marques franques. On sait que Van Berchem a signalé des marques à la citadelle d'Alep et M. Sauvaget en a retrouvé également à la citadelle de Damas (17).

Au Crac de nombreuses marques sont gravées sur les pierres des ouvrages francs, tandis que la plupart des ouvrages que nous avons reconnus arabes ne portent que quelques marques ou même n'en portent aucune. L'extérieur du saillant 7, dû à Qélaoun, ne porte aucune marque. En suivant à la lorgnette pierre à pierre l'extérieur de la tour 6 due à Beibars, nous n'avons trouvé que cinq ou six marques. Sur d'autres ouvrages au contraire, que nous croyons restaurés par les Arabes, les marques pullulent ; ainsi au mur nord du saillant 10, à l'extérieur de la courtine 10-11 et du saillant 11.

Fig. 68

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 68

La difficulté pour distinguer les ouvrages arabes à l'aide des marques, vient de ce qu'ils ont remployé des pierres franques et comme celles-ci pour la plupart portaient des marques, on voit dans ces ouvrages soit uniquement des marques franques, soit des marques franques mêlées à des marques arabes. Ainsi nous avons cru longtemps que le saillant 7 avait des parties franques, car si à l'extérieur nous n'avons pas trouvé une seule marque, à l'intérieur nous avons vu quelques pierres — remployées — portant la marque à l'étendard (Fig. 68) qu'on trouve dans les ouvrages francs.

Fig. 59

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 59

Voici les principales marques arabes que nous avons trouvées au Crac : le deux premières ressemblent à des lettres de l'alphabet arabes, un « b » et un « > » : (Fig. 59)

Face arrondie de la tour 13 à l'extérieur et à l'intérieur sur les pierres d'une archère. Saillant G.

Fig. 59_B

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 59_B

Extérieur tour 6.
Salle de la tour 6.
Extérieur tour 12, face arrondie.

Couloir allant de la salle de la tour 6 à la salle de 60 mètres. Ce signe se rapproche d'un des signes relevés à Damas par M. Sauvaget (La citadelle de Damas, Syria, t. XI (1930), p. 71, fig. 7).
Ces marques ne se voient qu'en très petit nombre.

Voici au contraire une série de marques qui se comptent en très grand nombre au mur nord du saillant 10, à la courtine 10-11 et au saillant 11.

Fig. 60

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 60

Mur nord du saillant 10. Courtine 10-11 (plus de cinquante).
Saillant 11 et salle haute de ce saillant dans laquelle on voit aussi des marques franques.
Tour 12, extérieur de la face arrondie.
Courtine 10-11.
Face est du mur intérieur de la courtine 4-5.
Tour 12, extérieur de la face arrondie.
Courtine 10-11.

Fig. 61

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 61

Face arrondie de la tour 12, extérieur et intérieur.
Face est du mur intérieur de la courtine 4-5 (une marque).
Intérieur de la courtine 11-12 (2 marques).

La plupart de ces signes sont dessinés à l'aide d'un pointillé, probablement à cause de l'instrument dont se servait l'ouvrier.

Fig. 62

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 62


Enfin, on voit deux grandes marques à peu près semblables, l'une près de l'aqueduc sur le talus de la courtine 6-7, l'autre sur une pierre du parement de la tour 8.
Cette marque ressemble à un fer de lance.

L'appareil des constructions que nous croyons devoir attribuer à l'époque musulmane n'est pas aussi nettement déterminé que celui des ouvrages francs. Pour la taille, les Arabes n'ont pas employé la taille tantôt oblique, tantôt droite, obtenue par le marteau sans dents appelé aussi taillant droit, ni celle obtenue par le marteau à dents larges et très écartées.

Ils ont dû employer trois outils : le poinçon, le marteau à dents très fines et rapprochées qui donne de petites lignes très serrées, et le têtu qui ne donne qu'une taille très grossière.

L'appareil est d'assez grandes dimensions au saillant 7, construit par Qélaoun ; nous n'avons pu, malheureusement, y distinguer le procédé de taille. Mais dans plusieurs ouvrages que nous attribuons aux Arabes, il n'y eut que des restaurations, aussi l'appareil est de plus petite dimension que l'appareil franc, car les pierres taillées par les Francs ont été retaillées par les Arabes et leurs proportions ont ainsi sensiblement diminué. La chose se remarque nettement à la tour 13, où l'on peut comparer l'appareil franc et la reprise arabe. A certains ouvrages (saillant 11, ouvrage G), la taille arabe est très grossière et contraste avec la belle taille de pierres lisses de la grande époque franque (teinte rouge).

D'autres caractères nous font voir l'intervention des architectes arabes : ainsi, dans les ouvrages francs les archères de deux étages chevauchent presque toujours, c'est-à-dire qu'elles alternent, ce qui est meilleur pour la défense. Or, M. Sauvaget a remarqué qu'à la citadelle de Damas, les archères ne chevauchent pas, c'est-à-dire qu'elles sont directement les unes au-dessus des autres. Il en est de même au Crac à certains ouvrages qui n'ont pas le type normal des ouvrages francs ; ainsi au saillant 10 et à la courtine 10-11.

Remarquons en outre que la plupart des archères franques sont pourvues d'un étrier, là tout au moins où cet étrier est nécessaire à la défense, tandis que dans certaines parties de la forteresse elles n'en ont pas (18) et nous trouvons justement là des marques de tâcheron ou des ornements qui indiquent un travail arabe. Ainsi en est-il à la tour 6, tandis que les tours 1 à 5, assurément franques, ont des archères à étriers; ainsi en est-il aussi aux saillants 7, 9, 10, 11, construits ou restaurés par les Arabes. Aux tours 12 et 13, les faces latérales qui sont franques ont des archères à étriers, la face principale arrondie due à une réfection arabe a des archères sans étrier. Les constructeurs arabes du Crac pratiquaient si peu l'archère à étrier qu'à une archère de la salle basse de la tour 12, ils ont remployé une pierre franque à étrier, mais ont mis l'étrier renversé en haut de l'archère (19).

Nous trouverons aussi, à l'intérieur des ouvrages que nous attribuons à l'époque musulmane, certains détails d'ornements spécifiquement arabes, tels que le décor d'encadrement de certaines archères.

Enfin le couronnement des ouvrages du sud de la première enceinte et de quelques ouvrages de l'est de la première enceinte, très différent de ce qu'on voit dans le reste du château, avait déjà été observé par Rey ec Van Berchem comme devant indiquer une œuvre arabe et nous confirmerons leur opinion.

Ainsi les inscriptions attribuant aux sultans arabes d'importants travaux, les documents historiques, joints aux observations faites sur diverses parties du monument, nous ont amené à reconnaître que la part des architectes arabes était assez considérable. Nous voyons dans l'œuvre musulmane plusieurs campagnes, celle de Beibars (1271 à 1277) la plus importante, celle de Qélaoun (1279-1290) qui construisit le saillant 7 et transforma les courtines avoisinantes, enfin le travail de réfection exécuté par l'émir Badr al-Din, gouverneur de la forteresse, qui en 1301-1302 fit réparer à la suite d'une tempête la courtine flanquant au nord la tour K.

Nous allons énumérer les éléments de la forteresse où nous avons trouvé des réparations ou des constructions dues aux Arabes, nous reprendrons ensuite l'examen détaillé des principaux ouvrages et nous verrons pourquoi ces ouvrages doivent être l'œuvre des Arabes.

Nous commencerons par l'angle sud-ouest de la première enceinte :
1° Doublage du mur intérieur des courtines 4-5, 5-6.
2° Réfection aux bretèches de la courtine 4-5.
3° Travaux de la salle haute et du couronnement de la tour 5.
4° Construction de la tour 6.
5° Réfections à la courtine 6-8 et couronnement.
6° Construction du saillant 7.
7° Réfection du parement de la tour 8, réfection de la salle haute et couronnement.
8° Construction du saillant 9.
9° Construction des étages du saillant 10.
10° Parement de la courtine 10-11.
11° Parement du saillant 11, réfection à la salle haute du saillant 11.
12° Quelques réfections à l'intérieur de la courtine 11-12.
13° Face arrondie de la tour 12.
14° Réfection de la courtine 12-13 et de la poterne.
15° Face arrondie de la tour 13.
16° Restauration du saillant G et réfection aux dernières travées du deuxième élément de la rampe.
17° Voûte au premier coude de la rampe, entre l'ouvrage M et l'échauguette.
18° Salle au-dessus de la Grand'Salle.
19° Réfection de la courtine au nord de la tour K.
20° Deux étages voûtés entre la tour J et la tour K.
21° Etage supérieur de la courtine entre la tour I et la chapelle.

1. — Alors que sur tout le front ouest, depuis la courtine partant de la tour 13 jusqu'à la tour 4, on pénètre, directement du terre-plein entre les deux enceintes, par des baies en arc brisé, dans la salle des tours ou dans les niches des archères, on voit après la tour 4, qu'un mur ferme vers l'intérieur la courtine 4-5 et la tour 5. Un couloir est ménagé entre les anciennes baies et le mur qu'on a ajouté vers l'intérieur ; dans ce mur sont percés deux escaliers de quelques marches, menant vers l'étage supérieur où se trouve un couloir bordant les bretèches. Ces deux escaliers s'ouvrent à une petite hauteur du terre-plein par deux baies, l'une rectangulaire, l'autre en arc brisé, toutes deux encadrées d'ornements arabes.

Fig. 63

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 63

En outre nous avons observé sur des pierres toutes voisines de l'une de ces baies, quatre marques en pointillés (Fig. 63) que nous n'avons jamais rencontrées parmi les marques des ouvrages francs, tandis que nous les voyons sur le mur extérieur de la courtine 10-11 qui a dû être restauré par les Arabes. Ce doublage de la face intérieure de l'enceinte, va depuis la tour 4 jusqu'à la tour 6. Il est l'œuvre des Arabes qui peut-être avaient l'intention de renforcer ainsi tout le front ouest, à moins qu'ils n'aient voulu seulement fortifier davantage la partie de ce front la plus proche du front sud, qui était particulièrement vulnérable.

Fig. 61

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 61

2. — Ce mur intérieur constituait également un couloir à l'étage supérieur, l'étage des bretèches (Ou trouve sur une pierre à cet étage une marque (Fig. 61) ; qui doit être arabe), si bien que les Arabes ont fait là une transformation importante. Cependant ils n'ont pas refait complètement le parement extérieur de la courtine 4-5. On remarquera que les archères de cette courtine ont les étriers caractéristiques d'un travail franc. Mais les Arabes ont transformé et agrandi les bretèches préexistantes qui comme toutes celles de ce front reposaient primitivement sur trois corbeaux et qui ont maintenant cinq corbeaux. En outre, ils ont placé au-dessus du niveau des autres bretèches la première et la sixième bretèche pour les raccorder aux tours 4 et 5 ; nous avons expliqué plus haut ce remaniement.

3. — Le haut de la tour 5 a dû être refait par les Arabes ; il y a là une salle haute voûtée en coupole, couverte d'un crépi et encombrée de meubles, qui ne permettent pas de distinguer l'élément ancien ; elle doit être en partie l'œuvre de Beibars. Elle communiquait avec une galerie de mâchicoulis, dont une petite partie reste intacte. C'est ici, ou plus précisément à la sixième bretèche de la courtine 4-5, que commence cet encorbellement continu, perfectionnement des bretèches indépendantes, qui couronnera l'angle sud-ouest et tout le front sud jusqu'à la tour 8 inclusivement. C'est là assurément l'œuvre des Arabes, comme l'avaient pensé Rey et Van Berchem. Ce système des galeries de mâchicoulis qu'on voit ici, datant de l'époque de Beibars, apparaîtra aussi en France au XIIIe siècle, mais le système ne sera pas tout à fait le même.

Non seulement à l'angle sud-ouest, et au front sud, mais en plusieurs autres endroits du Crac où nous verrons la trace de réfections arabes importantes, nous trouverons les vestiges d'une galerie de mâchicoulis, marquée par une suite ininterrompue de corbeaux : ainsi au saillant 9, au flanc nord encore subsistant du saillant 10, à la face arrondie de la tour 12 et de la tour 13.

4. — La tour 6 doit être entièrement arabe. Sauf quelques marques franques qui se trouvent sur sa face postérieure et qui peuvent être des remplois, tout indique une œuvre différente de celle des Francs. L'ouvrage franc qui se trouvait en cette place, devait avoir le plan des tours 1 à 5 et 8 et être de moindres proportions que l'actuel. Peut-être était-il absolument identique à la tour 8 un peu, plus importante que les tours 1 à 5, puisqu'elle a 12 mètres 50 de diamètre, tandis que les autres n'en ont que 10. La tour 6 a 20 mètres de diamètre.

Il faut remarquer le talus arrondi de cette tour qui ne se retrouve au Crac qu'à la face arrondie de la tour 12 et de la tour 13 où il y a, sans aucun doute, réfection arabe.

L'appareil est de moyenne dimension. Nous n'avons trouvé sur le parement extérieur de cette tour que quatre marques, trois fois le signe (Fig. 64Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 64
) et une fois le signe (Fig. 67Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 67
). A l'intérieur dans le petit couloir qui réunit, par une porte percée à l'est, la salle de la tour avec la salle de 60 mètres, nous avons vu la marque arabe (Fig. 66Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 66
).

Outre l'inscription qu'on voit extérieurement à la partie haute de la tour, rappelant les restaurations de Beibars, on voit dans la salle, faisant le tour du pilier octogone une grande inscription arabe, portant également le nom de Beibars. Sur quatre archères qui défendent cette salle, trois ont leur niche ornée d'encadrements arabes (fig. 26Château Le Crac des Chevaliers
fig. 26
) et l'un de ces encadrements était formé d'une inscription qui a été malheureusement détruite ; il n'en reste plus qu'un vestige insignifiant. S'il n'y avait eu qu'un travail de réfection, les architectes arabes n'auraient pas fait graver l'inscription du pilier central et décorer les niches des archères. Enfin rappelons que les archères n'ont pas d'étrier.

5. — Le parement extérieur de la courtine 6-8 nous paraît avoir été en partie refait par les Arabes, et nous y voyons même deux séries de travaux.
Tout d'abord le couronnement a dû être refait par Beibars et quand Qelaoun construisit le saillant 7, ce saillant vint condamner la galerie de mâchicoulis. La chose s'observe au flanc ouest du saillant, où la moitié d'un corbeau de la courtine est prise dans les pierres du saillant.
Nous avons constaté à cette courtine (chapitre II), un décrochement dans la construction, marquant une reprise des travaux au cours de laquelle on dressa le haut talus qui vient atteindre presque la base des corbeaux des mâchicoulis.

6. — Le saillant 7 paraît être une œuvre exclusivement arabe due à Qelaoun. Il semble que, du temps des Francs, il n'y eut pas d'ouvrage en cet endroit. La courtine devait filer directement sur une étendue de 60 mètres, de la tour 6 à la tour 8, et elle était défendue en avant par l'ouvrage triangulaire. Nous avons remarqué qu'on trouve exactement la même disposition au Château-Gaillard (chapitre II).

Certains détails de la courtine montrent qu'il ne pouvait y avoir d'ouvrage en cet endroit : on voit percées dans le mur nord de la salle de 60 mètres plusieurs baies étroites, destinées à apporter de la lumière dans cette salle ; or deux de ces baies ont été condamnées par l'addition du saillant 7 (plan 2).

D'autre part, si l'on monte sur la terrasse au-dessus de la salle de 60 mètres et si l'on monte encore jusqu'au couloir bordant la salle du saillant 7, on trouve à ces deux niveaux une galerie de mâchicoulis et des archères bouchées (plans 3 et 4). C'est l'établissement du saillant 7 qui a fait supprimer ces défenses établies sur cette partie de la courtine par Beibars peu de temps auparavant.
Ainsi c'est Qelaoun qui fit construire entièrement le saillant 7.
L'inscription placée au front du saillant en attribue d'ailleurs la construction à Qelaoun. On a vu plus haut (chapitre I) que le gouverneur musulman du Crac avait dû faire ce nouvel ouvrage pour augmenter la puissance défensive de ce château avant d'aller faire le siège de Margat que les Hospitaliers tenaient encore.
Nous avons hésité longtemps à attribuer complètement l'érection de ce saillant à Qelaoun, car dans le petit escalier percé à sa base et qui descend au fond du fossé, on trouve une marque franque à l'étendard (Fig. 68Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 68
) et cette même marque se retrouve deux fois dans la salle du saillant. Or cette marque se voit à plusieurs exemplaires dans les ouvrages francs du Crac. Mais on peut admettre que ce sont ici des pierres remployées.

La salle de ce saillant a des voûtes d'arêtes qui retombent sur un gros pilier central. Ce système a été employé, il est vrai, par les Francs ; nous le voyons notamment au donjon de Saône et à Chastel Rouge (Qal'at Yahmour), mais il a été aussi pratiqué par les Arabes ; ainsi à la citadelle de Damas, une grosse tour carrée possède un pilier central. Les salles de cette tour de Damas ont d'ailleurs des dispositions analogues à celles de la salle du saillant 7 du Crac. Ainsi elles sont comme cette salle, divisées en huit travées voûtées d'arêtes (20). Les neuf archères de la salle du saillant 7 sont sans étrier.

fig. 28

Château Le Crac des Chevaliers
fig. 28

L'entrée du couloir qui borde cette salle au nord, et qui est en même temps le point de départ de l'escalier menant à la terrasse, est couverte d'une petite coupole à alvéoles d'un type essentiellement arabe (fig. 28).

fig. 27

Château Le Crac des Chevaliers
fig. 27

Si l'on se reporte au dessin de Rey (fig. 27), on voit que le haut du saillant 7, est comme une tour ouverte à la gorge ; la plateforme supérieure est bordée d'un couloir voûté, percé entre deux murs et ayant sur la face postérieure deux entrées. On trouve des dispositions analogues dans deux ouvrages de Kérak de Moab : au grand donjon et à l'ouvrage placé à l'extrémité de la ville vers le nord ; cet ouvrage porte le nom de tour de Beibars. On les trouve également à certaines tours de la citadelle de Damas (21).

7 — La tour 8 a dû subir quelques dégâts peu importants au cours du siège de 1271. Il semble que son parement extérieur ait été refait par les Arabes ; nous n'avons trouvé sur ses pierres qu'une seule marque (22).

fig. 29

Château Le Crac des Chevaliers
fig. 29

Nous rappelons qu'une inscription arabe y est gravée, rappelant les travaux de Beibars.
La salle haute de cette tour a été restaurée par les Arabes ; ses trois archères sont surmontées d'un ornement arabe (fig. 29).

8. — Nous attribuons aussi à la période musulmane le saillant 9. Son appareil est de moins grande dimension que l'appareil franc, et les pierres ont une taille plus grossière. Cette taille a dû être faite au poinçon qui ne donne pas les lignes plus ou moins fines formées par le taillant à dents. Nous n'avons trouvé aucune marque sur ces pierres.

fig. 30

Château Le Crac des Chevaliers
fig. 30

fig. 31

Château Le Crac des Chevaliers
fig. 31

Les archères de cet ouvrage n'ont pas d'étrier. Sa salle haute présente une disposition qu'on ne trouve pas dans les constructions franques ; la partie principale de la salle est flanquée de deux réduits latéraux (23). Certaines archères de ce saillant (fig. 30 et fig. 32) ont un type fréquent chez les Arabes ; on le retrouve à la citadelle de Damas (24).
On voit aussi une archère dont l'embrasure a une décoration extrêmement élégante de style musulman (fig. 31).

9. — Le talus du saillant 10, dont l'appareil est identique à celui des ouvrages francs de la belle époque, et qui est aussi plus beau et plus grand que celui du saillant 9, nous paraît devoir être attribué aux Francs.
Nous avons trouvé sur ses pierres quelques marques franques. (Fig. 69Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 69
)

Mais au-dessus du talus, ce saillant aujourd'hui en très mauvais état, a subi d'importantes restaurations de la part des Arabes. Son mur nord seul bien conservé, garde une suite de corbeaux, indiquant une galerie de mâchicoulis, les pierres de ce pan de mur sont couvertes de ces marques en pointillé que nous avons attribuées aux Arabes (25).

10. — Ces marques, nous allons les retrouver sur la courtine 10-11 et sur le saillant 11. Cette courtine 10-11 a subi des réparations de la part des Arabes. Les sapeurs de l'armée musulmane avaient dû la défoncer.

Cette courtine borde le départ de la rampe où l'on voit cinq archères qui s'élèvent du nord au sud, suivant la montée de la rampe. Or si de la rampe on examine l'intérieur de ces archères, on voit des tailles de pierre très différentes. Les unes ont cette taille à larges dents, que nous avons reconnue comme étant franque et l'on y voit des marques franques, les autres ont une taille plus grossière.

Les trois premières archères ont des étriers, les deux dernières n'en ont pas. Les cinq archères de l'étage supérieur ne chevauchent pas avec celles de la rampe. Il y a donc là une réfection arabe. D'autre part, le couronnement est formé de groupes de deux corbeaux, paraissant indiquer des bretèches franques. Il y a donc eu des réparations dans la partie basse, ou bien les Arabes ont repris tout le parement et se sont contentés de remonter les bretèches franques sans établir là une galerie de mâchicoulis.

11. — La même observation s'applique au saillant 11. Au-dessus de la porte d'entrée, on voit une inscription de Beibars, analogue à celles des tours 6 et 8. Le parement est fait d'un mauvais appareil de pierres, grossièrement taillées et dont les assises n'ont pas la belle régularité de celles des ouvrages francs. Les marques en pointillé abondent. Cependant on voit au couronnement les vestiges de bretèches franques. L'un des corbeaux porte une marque franque : (Fig. 70Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 70
).

La salle basse qui se trouve au départ de la rampe, est incontestablement franque ; les marques franques qu'on y voit et sa voûte d'ogives le prouvent. Mais la salle haute a été fortement restaurée par les Arabes ; on y voit plusieurs marques arabes en pointillé mêlées à des marques franques et au-dessus de l'archère percée au nord du saillant, on voit gravé en creux un ornement arabe, (Fig. 71Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 71
).

12. — Quelques réparations ont dû être faites à l'intérieur de la première enceinte, entre le saillant II et la tour 12. On trouve là quelques marques arabes mêlées à des marques franques.

fig. 22

Château Le Crac des Chevaliers
fig. 22

13. — La face arrondie de la tour 12 avec son talus arrondi qu'on retrouve à la tour 6 et à la tour 13, est due à une réfection arabe. Ses archères n'ont pas d'étrier, tandis que le parement extérieur de la courtine 11-12 qui n'a pas été retouché par les Arabes, possède des archères à étrier. A l'intérieur de la tour, on voit que les niches des archères ont des dispositions différentes des niches des archères franques et l'une d'elles est appareillée en forme de trilobé (fig. 22). Nous avons montré plus haut que ce décor pouvait être rapproché d'autres décors musulmans (chapitre II).

14. — La courtine 12-13 a dû être remontée par les Arabes : le linteau de la poterne a un décor arabe, les pierres ont une taille analogue à celles du saillant 7, qui est incontestablement arabe ; les archères sont sans étrier ; il est vrai qu'on trouve dans les bretèches (fig. 48Château Le Crac des Chevaliers
fig. 48
), des marques franques, mais elles peuvent se trouver sur des pierres remployées.

15. — Les observations faites pour la face arrondie de la tour 12, s'appliquent à la face arrondie de la tour 13. Nous lui trouvons le même talus arrondi. Dans la salle de cette tour, on trouve des marques franques, mais elles sont dans la partie franque de cette tour. Au contraire, dans la partie arrondie, œuvre des Arabes, on trouve trois marques assurément arabes (voir dessins des marques franques et arabes de la tour 13 à la fig. p. 247). Une des archères à l'est est surmontée d'un dessin en accolade arabe.

16. — L'ouvrage G, à la fin du deuxième élément de la rampe, a dû être remonté par les Arabes. Le petit escalier qui se trouve dans cet ouvrage au nord, a plusieurs marques franques ; mais le parement extérieur à l'est de l'ouvrage a des pierres d'une taille grossière, probablement exécutée au poinçon et cette taille rappelle celle des pierres du saillant 9. La salle de cet ouvrage a ces deux réduits latéraux, que nous avons vus dans la salle haute du saillant 9. Enfin dans le mur sud de cette salle, on voit une niche constituant sans doute une qibla et dans celle-ci se trouve la marque : (Fig. 72Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 72
).

Rappelons que les niches bordant les trois dernières travées du deuxième élément de la rampe sont crevées. On voit dans ces niches des marques franques aux pierres des assises basses, tandis que les pierres des voûtes sont sans marques, et sont taillées avec un marteau à dents fines. Dans ces pierres sont noyés des éléments de moulures, provenant très probablement des baies mutilées de la Galerie bordant la Grand'Salle.

17. — La voûte d'arêtes qui couvre l'emplacement du premier coude de la rampe et qui s'appuie sur le mur nord de l'ouvrage M, le talus de la tour I et l'échauguette, a dû être rajoutée par les Arabes.

18, 19, 20, 21. — Rappelons aussi quelques travaux arabes à l'intérieur de la forteresse, les vestiges d'une salle au-dessus de la Grand'Salle avec une porte, surmontée d'un linteau décoré d'ornements linéaires arabes, les salles de l'étage supérieur de la courtine de la 2e enceinte à l'est, la construction entre les tours J et K de salles dont les voûtes viennent d'une part condamner les fenêtres de la tour J et d'autre part s'appliquer contre les échauguettes de la tour K ; enfin la réparation de la courtine contre la face nord de la tour K, réparation exécutée par l'émir Badr al Din en 1301-1302 à la suite d'une tempête, comme l'indique une inscription.
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes — Campagnes de Construction

1. Pour prétendre que la plus ancienne partie franque ne date que des Hospitaliers, on pourra invoquer la présence de la chapelle. En effet, la chapelle doit avoir été prévue dans la construction primitive : sa bonne orientation, les pans coupés de son chevet qu'on retrouve dans d'autres édifices religieux alors que tous les autres ouvrages du plan primitif devaient être carrés, sont des preuves que cet édifice avait bien dès le début sa destination religieuse. Mais la présence d'une chapelle n'implique pas nécessairement celle d'un ordre religieux, puisque plusieurs châteaux qui n'ont jamais été entre les mains des Hospitaliers ou des Templiers, tels que Kérak et Ou'aira avaient une chapelle. La chapelle du Crac est, il est vrai, de grandes dimensions et ces proportions convenaient mieux à un ordre religieux, mais il semble qu'elle fut agrandie après le tremblement de terre de 1170.
2. Nous rappelons l'observation que nous avons faite (*) au sujet de la fenêtre condamnée lors de la construction de la salle aux piliers dans la partie sud de la salle de 120 mètres : les pierres plates qu'on voit sur l'extrados de l'arc sont un usage abandonné en France dans les premières années du XIIe siècle. Nous sommes donc bien vraisemblablement en présence d'une construction élevée au début de l'occupation des Francs au Crac.
* - Son linteau formé de deux pierres appliquées l'une contre l'autre a des feuillures semblables à celles qu'on voit à d'autres fenêtres du Crac, notamment aux deux fenêtres de la salle haute de la tour J ; la fenêtre était divisée par un meneau aujourd'hui détruit. Dans chacune des deux pierres supérieures du tableau sont fixés trois goujons de fer.
3. Voyez ci-dessus, Meurtrières.
4. Voyez ce texte plus haut, chapitre I (Historique).
5. On remarquera aussi que les talus creux, traversés par un couloir avec issues vers l'intérieur de la place, s'expliquent mieux à une seconde enceinte qu'à une enceinte extérieure, surtout dans un pays où les armées ennemies étaient pourvues de mineurs expérimentés.
6. Ajoutons que Rey (page 57), Van Berchem (page 154, n. 3) et Enlart, croyaient à un remaniement de la partie haute de l'ouvrage P, dû aux Arabes, mais ils ne semblent pas avoir pénétré dans la salle haute, et remarqué que les 12 baies constituaient une véritable galerie de mâchicoulis. Il est vrai que le mur mince qui soutient cette galerie de mâchicoulis semble bien être, avec son petit appareil de pierres longues, si différent de ce que faisaient les Francs, une reprise arabe. Mais ceci n'empêcherait pas de penser que cette galerie de mâchicoulis peut être franque. On a pu faire une reprise en sous-œuvre.
7. J. Poux, La cité de Carcassonne ; L'épanouissement (1931), t. I, p. 172 et t. II, p. 30-23.
8. C'était là pour Rey un critérium. Cf. Van Berchem, p. 150, n. 5.
9. ...« tota marchia et fronteria Sarracenorum conversa est super castra nostra Cratum et Margatum... ubi expensas nimias facere nos oportet » (chapitre, Historique: « Raphaniam, olim sedem episcopalem sed mine desolatam et a Christianis derelictam... » Rôhricht, Regesta regni Hierosolymitani, p. 347. — Potthast, n° 18.629).
10. Voir ci-dessus, chapitre I : Le Crac aux mains des Musulmans.
11. Voir chapitre I, La Cinquième Croisade.
12. Un acte du 11 janvier 1215 est signé par le Grand-Maître Garin de Montaigu « in Castro Crati. » Delaville le Roulx, Cartidaire des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, t. II, p. 169, n° 1432.
13. L'inscription de la tour 6, porte aussi le nom du fils de Beibars, Al Malik as-Sa'id Nâsir ad-din, qui prit une part active au siège.
14. Van Berchem qui discute longuement dans son étude du Crac la question des galeries de mâchicoulis et des bretèches qui couronnent les murailles du Crac, se garde de décider si ces éléments de défense qui ne se répandent qu'assez tard en France, sont dus aux architectes francs ou aux Arabes. Il donne cependant des arguments permettant de considérer que ces oeuvres doivent être attribuées aux Arabes. Nous reviendrons sur cette question ; nous verrons qu'il faut distinguer : les bretèches sont pour la plupart franques, et les Francs les utilisèrent en Syrie dès le début de leur occupation. Les galeries de mâchicoulis sont, au contraire, dues aux Arabes.
15. D'après Rey, Architecture militaire, p. 41, mais Sobernheim, dans sa nomenclature des inscriptions arabes du Crac et de son voisinage (Matériaux..., p. 14 et suivantes), ne fait pas mention des deux émirs ; quant au personnage appelé par Rey le palefrenier Scheik Osman, il s'agit probablement d'une mauvaise lecture de l'inscription reproduite par Sobernheim sous le n° 9, p. 25 (Communication de M. Wiet).
16. Le fossé en question est évidemment celui qui passe en avant du front sud de la première enceinte.
17. Voyez ci-dessus, chapitre III, Les Voûtes.
18. Voir plus haut, chapitre III, archères.
19. Nous ne voulons pas dire cependant que les Arabes n'ont jamais employé l'archère à étrier. Ainsi au château de Tripoli, on voit des archères à très large étrier qui doivent bien être l'œuvre des Arabes, mais semblent de plus basse époque.
20. Voir J. Sauvaget, la Citadelle de Damas, dans Syria, tome XI, 1930, p. 73-74, fig. 10 et 11, tour A du plan de la citadelle, planche XXXIX, p. 240. Cette tour date de 1209.
21. Voir J. Sauvaget, ibid., p. 68 et fig. 3, et p. 72 et fig. 10.
22. Voir ci-dessus le dessin de cette marque.
23. Nous retrouvons ces réduits latéraux à l'ouvrage G que nous croyons reconstruit par les Arabes. On les voit aussi à un ouvrage du château de Saône que nous avons attribué aux Arabes.
24. Sauvaget, article cité, p. 65, fig. 2 a.
25. Voir ces marques, plus hauts.

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Chapitre V

Les constructions sans but défensif existant dans les forteresses

Dans le choix de l'emplacement d'une forteresse n'intervenait pas seulement la question stratégique. On cherchait pour les grandes forteresses un lieu dont le voisinage fût fertile et pût fournir des ressources abondantes et variées. Les chroniqueurs et les voyageurs parlent maintes fois des terrains de culture qui environnaient les châteaux et servaient aux garnisons ; ils s'étendent parfois sur la description du territoire avoisinant, sur la beauté du paysage, sur les amples moissons, les riches pâturages où paissaient de nombreux troupeaux, les plantations d'arbres fruitiers et de légumes qui assuraient à la troupe une large subsistance (1). Il fallait aussi qu'il y eût de l'eau en abondance tant à l'intérieur de la place que dans sa proximité immédiate.

A lire les chroniqueurs on croit retrouver les préceptes énumérés au temps de Justinien par l'auteur anonyme du Traité de la Tactique pour le choix de l'emplacement d'une forteresse et ses recommandations pour qu'on s'assure un approvisionnement facile de tout ce qui est indispensable à la vie (2).

Ces règles évidemment s'imposent d'elles-mêmes, mais il ne serait pas surprenant que les ingénieurs des Croisés aient consulté des Traités analogues.

Bâtiments d'exploitation.

Pour vivre commodément dans leurs forteresses et pour supporter éventuellement de longs sièges, les Croisés avaient aménagé dans leurs enceintes tout ce qui était nécessaire aux besoins quotidiens de l'existence.

On voyait de grandes écuries non seulement pour la cavalerie de guerre, mais aussi pour le bétail sur pied qu'on entretenait. Des granges recevaient la moisson, de vastes magasins contenaient d'importantes réserves de vivres, des celliers conservaient l'huile et le vin et des provisions abondantes de grains étaient renfermées dans des silos.

On voyait dans ces châteaux des pressoirs, des fours (3), des moulins de différentes sortes (4) : moulins à vent, à bras et mus par des animaux. Au Crac des Chevaliers un moulin à vent se dressait sur une tour de la première enceinte. Dans le voisinage on voyait des moulins à eau ; un certain nombre étaient destinés à broyer les cannes à sucre dont les Francs faisaient une grande consommation.

L'approvisionnement de l'eau

Dans ces régions où parfois plusieurs mois consécutifs se passent sans pluie, la question de l'eau fut toujours un grand sujet de préoccupation pour les Francs. Dans les récits de leurs expéditions ils règlent leurs étapes sur les points d'eau qui sont repérés dans leurs itinéraires. Avant eux, dans ce même pays, les Romains et les Byzantins avaient eu le même souci. Dans ses explorations en avion, le R. P. Poidebard a constaté que sur tout le limes romain, depuis Damas jusqu'au Tigre, on trouve un poste muni d'eau (puits ou citerne) environ tous les trente milles, distance convenable pour la résistance à la soif des chameaux et des chevaux.

Outre les puits on rencontre de grands réservoirs maçonnés rectangulaires qui servaient à baigner et à abreuver les troupes et leurs montures et aussi à arroser les plantations. Il semble que de tout temps les habitants de ces régions ont eu le souci de recueillir l'eau dans de vastes bassins pendant la saison des pluies.

On appelle en arabe ces bassins des birké dont on a fait en latin berquilia ou braquilia (5), en français berchile, termes qui se rencontrent souvent dans les documents de l'époque des Croisades.

Les Francs utilisèrent certains de ces réservoirs qui furent établis bien avant eux : ainsi au sud de la Palestine le réservoir de Carmel près duquel campa, en 1173, le roi Amaury (5), en campagne contre Saladin qui menaçait Kérak. Dans leurs forteresses, les Croisés apportèrent le plus grand soin à recueillir les eaux de pluie. Sur les terrasses de leurs tours l'écoulement de l'eau était préparé, des chéneaux, des canalisations de poterie (6) amenaient l'eau dans des citernes. Ces citernes étaient parfois très vastes et voûtées en berceau comme à Subeibe et à Saône ; dans ce dernier château on voit deux citernes voûtées dont l'une a 36 mètres de long et 16 mètres de haut (7). Le donjon, ouvrage destiné à la résistance suprême, était en général pourvu d'une citerne, ainsi les donjons de Giblet et de Safitha. Les tours isolées telles que Toklé, les ouvrages maritimes tels que le château de mer de Sagette et la tour de Maraclée avaient naturellement leur citerne.

Parfois un puits se trouvait à l'intérieur du château. Ainsi, en déblayant le Crac, nous avons retrouvé un puits profond. Il en était de même à Chastel-Pèlerin. Le R. P. Savignac vient de retrouver dans l'enceinte du château de Montréal (Transjordanie) un profond souterrain conduisant par un escalier tournant muni de 365 marches à deux piscines, creusées dans le roc, alimentées par une source abondante (8).

A côté de ces puits, de ces citernes qui fournissaient de l'eau potable à la garnison, se trouvaient les vastes berquils à ciel ouvert qui permettaient aux occupants de se baigner et aussi de baigner et d'abreuver leurs animaux. On voit au Crac des Chevaliers au front sud, entre les deux enceintes, un immense berquil maçonné constamment rempli d'eau ; il a 72 mètres de long sur 8 à 16 mètres de large. Outre son usage normal il constituait un excellent élément de défense pour ce front de la seconde enceinte.

Mais en général, ce berquil se trouve en dehors de la forteresse. Il aurait occupé à l'intérieur trop de place et les Francs cherchaient avec raison à réduire le plus possible la superficie de leur enceinte. Ce réservoir carré ou rectangulaire se trouve parfois contigu aux murailles et au pied d'un ouvrage important ; il récoltait l'eau de pluie tombant sur sa terrasse. C'est ce qu'on voit à Akkar (10), à Beaufort, à Kérak de Moab.

Dans d'autres châteaux le berquil se voit à quelques mètres de l'enceinte : ainsi à Margat et à Subeibe. Au Toron (Tibnin), on voit au pied du château un vaste bassin naturel toujours rempli d'eau.

Certains de ces berquils servaient aussi à irriguer des jardins potagers ; le texte décrivant la construction de Saphet nous l'apprend (11). Dans ses recherches sur les constructions militaires des Romains entre Damas et Palmyre, le R. P. Poidebard a retrouvé, à côté de certains castella, des enceintes de culture, aménagées pour être irriguées pendant la saison des pluies ; l'eau ainsi renfermée était évacuée au moyen de vannes, lorsque la terre saturée pouvait fournir une production intensive ; ainsi en est-il à Qasr el Heir (époque romaine et byzantine) entre Qaryatein et Palmyre (12).

Nous avons retrouvé à l'intérieur de la ville de Kérak de Moab deux enceintes formées de petits murs en contrebas du terrain avoisinant et qui paraissent avoir eu anciennement la même destination ; les indigènes les utilisent encore pour y faire pousser des légumes (13).

Les Croisés construisirent aussi des aqueducs pour amener dans leurs châteaux l'eau d'une éminence voisine. Ainsi on voit à l'extérieur du Crac des Chevaliers un aqueduc qui contribue à alimenter d'eau le grand berquil du sud (PI. XXXIV) ; à Baghras, un aqueduc, haut de 18 mètres, amenait à l'intérieur du château les eaux de la montagne du côté de l'ouest.

Nous citerons un dernier détail curieux sur les approvisionnements d'eau dans les châteaux francs : au château de Saône, un grand fossé que les Croisés ont taillé dans le roc isole la forteresse qui se dresse sur un éperon. Les cavaliers arrivant à proximité du château par ce grand couloir pouvaient y attacher leurs chevaux qui y trouvaient l'ombre et la fraîcheur. Dans la muraille rocheuse sont creusées à la hauteur du poitrail des chevaux des cavités en forme d'auge et on voit descendant le long de la paroi pour aboutir à ces cavités de longues rainures qui devaient y amener l'eau suintant du rocher (14).

Grâce à toutes les précautions prises pour assurer leur subsistance certains châteaux de Terre-Sainte purent supporter un siège fort long. Ainsi Beaufort résista toute une année (15). Kérak et Montréal soutinrent des sièges plus longs encore (16).

Logements, grand-salle, chapelle, mesures d'hygiènes

Nous avons signalé dans les châteaux des grandes villes du littoral, des appartements somptueux. On ne devait pas en trouver de semblables dans les châteaux de frontière en contact fréquent avec les armées musulmanes et pour la plupart occupés par des Ordres religieux qui menaient une vie grave et recueillie. Mais l'appartement du châtelain pouvait cependant être orné avec une certaine recherche : ainsi au Crac des Chevaliers, dans la tour au haut de laquelle devait flotter l'étendard de l'Hôpital, se trouve le « Logis du Maître » avec son entrée particulière. On y voit une salle ronde ornée d'élégantes sculptures ; une grande baie en arc brisé, percée dans une joue de la tour et encadrée d'une frise de petites fleurs éclaire largement cette pièce (PI. XCVI). A Margat on voit aussi une belle salle ornée de chapiteaux de marbre finement sculptés ; de sa fenêtre qui ouvre sur la mer on jouit d'une vue incomparable.

Dans d'autres parties de ces châteaux, surtout aux tympans des fenêtres et des portes, des fleurons, des rinceaux de feuillage viennent égayer l'austérité de cette sévère architecture guerrière.

Mesures d'hygiène

Certaines précautions d'hygiène et de propreté étaient prises dans ces châteaux ; le logis du Crac dont nous venons de parler avait ses privés, et nous avons retrouvé, dans un endroit retiré à l'extrémité d'une salle basse, douze latrines destinées à la garnison ; un égout passait sous ces latrines.

Grand'Salle

Nous avons déjà signalé la Grand'Salle de la Maison de l'Hôpital à Saint-Jean d'Acre. Comme nos châteaux féodaux, comme Coucy avec sa salle des Preux et sa salle des Preuses, comme Pierrefonds, Montargis, Castelnau-de-Bretenoux, les Châteaux de Terre-Sainte avaient leur Grand'Salle, lieu destiné aux fêtes, aux banquets, parfois aux conseils de guerre.

La Grand'Salle du château des Templiers à Tortose (XIIIe siècle) avait une ampleur magnifique. Elle était divisée en deux nefs par une épine de colonnes et se composait de six travées voûtées d'ogives ; appuyée au nord contre le rempart de la deuxième enceinte, elle était éclairée au sud par deux rangées de fenêtres. Elle mesurait 44 mètres de long sur 15 de large (17).

La Grand'Salle du Crac des Chevaliers (vers 1260), moins considérable, est intacte (PL CXB et C et CXI). Elle a les dispositions d'une salle capitulaire d'un monastère cistercien avec ses portes et ses baies ouvrant largement sur une galerie.

Cette galerie, où les chevaliers se tenaient à l'abri du soleil pendant les heures chaudes de la journée, ouvrait de l'autre côté sur la cour du château par des portes et des baies analogues à celles des galeries de nos cloîtres ; ces baies étaient ornées d'un élégant fenestrage de pierre finement sculptée (PL L et LIV).

On trouve aussi des vestiges d'une Grand'Salle voûtée d'ogives à Margat (Hospitaliers), à Chastel-Blanc (Templiers), à Chastel-Pèlerin (Templiers). De la salle de Chastel-Pèlerin il ne reste qu'un pan de mur avec des nervures d'ogives reposant sur des consoles ornées de têtes colossales (18) rappelant les belles figures de la cathédrale et de

Chapelle

Les châteaux conservés par les barons n'avaient que des chapelles de petite dimension. A Saône, on trouve dans la basse-cour une toute petite chapelle byzantine (20); il ne semble pas que les seigneurs de Saône en aient construit d'autre. La chapelle de Kérak de Moab est en partie conservée. M. de Saulcy avait signalé au milieu du siècle dernier qu'elle avait dû être couverte de fresques dont il avâit retrouvé des vestiges (21). Nous en avons vu la trace très effacée.

Il reste peu de chose de la chapelle du château des comtes de Tripoli (22) : le château de Subeibe semble aussi avoir eu une chapelle.

Les chapelles des châteaux des Templiers et des Hospitaliers étaient plus importantes ; trois d'entre elles sont parfaitement conservées. Ce sont celles du Crac des Chevaliers (23), de Margat (24), et de Chastel-Blanc (Safitha) (25), toutes trois de style roman et construites, les deux premières, à la fin du XIIe siècle, la troisième à la même époque ou peut-être dans les premières années du XIIIe siècle. Cette dernière est particulièrement intéressante : c'est une église fortifiée qui constitue la salle basse du donjon rectangulaire de Chastel-Blanc. Cette salle basse est éclairée par des archères. Au-dessous, s'ouvre une citerne creusée dans le roc. La salle haute est partagée en deux nefs par une épine de piliers et défendue par douze archères. La terrasse supérieure est crénelée. Ce type d'église-donjon se retrouve dans le Midi de la France à la même époque (26).

Le château des Templiers à Tortose avait aussi sa chapelle (27). Chastel-Pèlerin qui appartenait au même Ordre avait une fort belle église de plan décagone dont malheureusement il ne reste plus que les fondations (28).

Ces chapelles des Ordres militaires pouvaient être peintes, comme l'église construite par les Hospitaliers près de Jérusalem à Qariet el Enab (aujourd'hui Abou Gosh). Ces peintures du XIIe siècle de style byzantin avec inscriptions latines dont il reste encore des vestiges importants, couvraient les trois absides et une partie du reste de l'église (29).

Mais, en général, les chapelles des forteresses devaient être ornées d'une décoration essentiellement militaire : c'est saint Bernard qui nous l'apprend en décrivant l'église des Templiers à Jérusalem (30). On sait comment le fondateur de Citeaux s'élevait contre le luxe exagéré et inutile de certaines églises monastiques de France ; aussi prend-il comme exemple les églises des Templiers dont il vante l'ornementation sobre, uniquement obtenue à l'aide de lances, d'écus, et de harnais de guerre. Lorsque Joinville vint chercher au Crac des Chevaliers l'écu de son oncle Geoffroy de Joinville mort dans ce château vers 1203, c'est évidemment dans la chapelle qu'était suspendue cette arme du glorieux Croisé (31).

Il faut donc nous représenter ces églises des Croisés avec leurs murs couverts d'étendards, de panoplies et de trophées de victoires.

Les prisons

Les Francs comme les Musulmans devaient avoir constamment des captifs dans leurs forteresses ; ils les gardaient longtemps pour tirer de fortes rançons des seigneurs prisonniers. Ils devaient employer les autres comme manœuvres. Les traitements que subissaient ces prisonniers devaient varier beaucoup selon le rang social qu'ils occupaient. Certains princes francs gardèrent un excellent souvenir de leur captivité ; ils restaient après leur libération en relations amicales avec les émirs qui les avaient retenus prisonniers. Saladin captif dans sa jeunesse à Kérak faisait jouer la petite princesse franque d'Outre-Jourdain et l'ayant retrouvée longtemps après, il lui témoigna les plus grands égards.

Les prisons se trouvaient parfois dans des salles souterraines et obscures et donnant sur un fossé extérieur. Telle était la prison de Saône (32) où l'on accède par une anfractuosité percée dans la muraille rocheuse du fossé à 6 mètres environ du fond de ce fossé.

Ousama signale aussi une prison souterraine dans un château franc de Palestine à Beit Djibrin (le Bethgibelin des Croisés) (33). Enfin Wilbrand d'Oldenbourg parle des prisonniers qu'il vit dans les fossés du château de Barut (34).

Les communications entre forteresses : Signaux à feu ; Pigeons voyageurs

La plupart des châteaux se trouvaient sur des points culminants d'où l'on embrassait un vaste horizon. Du Crac des Chevaliers on aperçoit Chastel-Blanc et la montagne où se dresse Akkar apparaît dans le lointain. De Subeibe on voit la crête où s'élève Beaufort.

De grands feux allumés la nuit au sommet d'une tour pouvaient permettre de faire des signaux à grande distance. C'est ainsi qu'en 1183 la forteresse de Kérak, qui se trouve par delà la Mer Morte à 80 kilomètres à vol d'oiseau de Jérusalem, put avertir qu'elle était assiégée et fut avisée par un feu allumé à la citadelle de la Ville-Sainte en haut de la Tour de David que le roi lui envoyait une armée de secours (35).

Les Arabes faisaient de même : quand, en 1164, Nour ed-din eut enlevé Harrenc aux Francs, il fit allumer deux signaux à feu qui brûlaient toute la nuit pour guider les prisonniers musulmans évadés des territoires des Francs (36).

Les armées franques empruntèrent aux armées arabes l'emploi des pigeons voyageurs pour envoyer des messages à une place investie. Wilbrand. d'Oldenbourg (37) rapporte qu'en 1109 Tripoli étant investie par les Francs, les assiégés avaient demandé le secours du sultan ; celui-ci ayant équipé une grande armée leur envoya un pigeon porteur d'une lettre les engageant à tenir bon. Les Francs s'en emparèrent et remplacèrent cette lettre par une autre, soi-disant du sultan, qui ne leur laissait pas d'espoir. Les Musulmans ouvrirent alors leurs portes. A la prise d'Edesse, en 1144, l'avant-garde de Zengui s'étant rendu compte que la ville offrait peu de résistance, lui envoya des pigeons pour presser son arrivée (38). Ibn al Athir (39) nous apprend qu'en 1171 Nour ed-din installa dans toutes ses villes entre Damas et le Caire des postes aux pigeons pour être renseigné rapidement sur les mouvements des troupes franques. En 1190, les Musulmans assiégés dans Acre par les armées chrétiennes communiquaient avec leurs compatriotes par des pigeons (40). Dans cette même ville reprise par les Croisés se trouvait un édifice appelé le « Colombier de l'Hôpital » où il est bien vraisemblable que les Hospitaliers faisaient élever des pigeons voyageurs.

Pendant que Beibars assiégeait, en 1271, le château de Montfort, il tua d'une flèche un pigeon qui portait une lettre envoyée par un espion franc aux assiégés (41).

Conclusion du chapitre V

Nous avons essayé d'exposer les conditions de la vie des Francs dans leurs châteaux et ce qui avait motivé leur construction, tout le soin apporté à leur entretien.

Un récit particulièrement vivant nous présente tout cela avec la précision que peut donner un chroniqueur contemporain, témoin des faits qu'il rapporte. Il nous fait assister au choix de l'emplacement d'un château, à l'élaboration du projet de sa construction, à sa réalisation ; il nous montre toute l'activité qui gravitait autour d'une de ces vastes forteresses des Croisés. Nul texte ne nous fait mieux comprendre l'importance que pouvait avoir un château-fort pour assurer la sécurité de la grande colonie franque de Terre-Sainte.

C'est le récit de la reconstruction sur un sommet de la Galilée du château de Saphet (42), entreprise réalisée sur les instances d'un pèlerin du XIIIe siècle, Benoit d'Alignan, évêque de Marseille (43). Ce château avait été construit par le roi Foulques d'Anjou entre 1138 et 1140 et détruit par les Musulmans en 1220.

Nous sommes en 1240. Benoît d'Alignan arrivé en Terre-Sainte s'était rendu compte de l'extrême importance de reconstruire le château de Saphet « pour fermer les portes de Damas. » L'entreprise était très coûteuse, mais l'évêque de Marseille ne se découragea pas. Il alla trouver à Saint-Jean d'Acre le grand-maître du Temple, Armand de Périgord, et lui déclara qu'il fallait à tout prix entreprendre de construire un nouveau château à Saphet, qu'il avait parcouru la région lui-même, et que les craintes éprouvées par les Musulmans qui avaient eu vent de ce projet étaient significatives. Le grand-maître, malade, répondit qu'il n'avait pas d'argent. « Restez dans votre lit, lui dit alors Benoît d'Alignan, mais dites à vos frères que vous désirez que la construction soit faite, et j'ai la certitude que vous agirez plus de votre lit que toute une armée. »
Le grand-maître réunit alors le Conseil, et l'évêque plaida sa cause et termina par ces paroles : « Je n'ai pas d'argent à vous offrir pour cette œuvre, mais je vous offre ma personne. Je prêcherai aux pèlerins et je les entraînerai avec moi à la construction du château. »
Le grand-maître lui dit alors en riant : « Vous avez dans le cœur assez de ressources pour réussir cette entreprise. »
A quoi Benoît d'Alignan répondit : « Ayez-en autant dans le vôtre et que Dieu soit avec vous. »

L'opération décidée, ce fut une grande joie dans la Maison du Temple, dans la ville d'Acre et parmi les populations de Terre-Sainte. Et aussitôt une troupe de chevaliers, de sergents et d'archers fut levée pour protéger les travailleurs, de nombreuses bêtes de somme furent amenées pour transporter les armes, les outils, les matériaux et les vivres ; l'on réunit l'argent nécessaire aux travaux et les greniers et les celliers s'ouvrirent pour fournir les vivres destinés à ceux qui participeraient à cette grande entreprise.

Lorsque les ouvriers se trouvèrent à pied d'œuvre, l'évêque fit solennellement la cérémonie de la pose de la première pierre et sur cette pierre il plaça une coupe d'argent dorée pleine de pièces de monnaie destinées aux frais de la construction. Cette cérémonie eut lieu le 11 décembre 1240.

Vingt ans après, Benoît d'Alignan, qui était retourné à Marseille, revint en Terre-Sainte et se rendit à Saphet. Et il contempla avec admiration la magnifique forteresse qu'avaient élevée les Templiers. Ce château se dresse entre Acre et Damas, au milieu de la Galilée, sur un sommet environné de collines et bordé de pentes abruptes qui le rendent à peu près inexpugnable. Du côté de Damas, il a pour ainsi dire pour fossé le Jourdain et le lac de Tibériade.

A côté de ces défenses naturelles, il y en a d'autres dues au génie des hommes. Les fossés qui environnent la forteresse ont sept cannes (44) de profondeur et six cannes de large. Les murs ont vingt cannes de haut (45), dix de large (46) et trois cent soixante-quinze cannes de tour (46). Elle est pourvue d'ouvrages avancés et de souterrains voûtés où les servants à l'abri peuvent manœuvrer de grandes balistes.

Ses tours crénelées sont au nombre de sept ; elles ont douze cannes de haut, dix de large et deux cannes d'épaisseur à leur sommet.

L'ouvrage est puissamment défendu par de nombreuses machines de guerre de types différents et par une importante garnison ; il est largement approvisionné de tout ce qui est nécessaire à une place de guerre.

Les frais de la construction furent considérables : si l'on veut relever les dépenses que fit à ce sujet l'Ordre du Temple on constate que pour le début de l'entreprise, il consacra à l'œuvre, dans le cours de deux ans et demi, onze cent mille besans sarrazinois (47), sans compter les propres revenus du château et les offrandes qui furent faites ; chacune des années suivantes le Temple dépensa environ quarante mille besans sarrazinois. Dans les frais de chaque jour, il faut compter la nourriture de plus de 1.700 personnes, et de 2.200 en temps de guerre. Pour la garde normale du château, il est nécessaire d'avoir cinquante chevaliers, trente frères servants et cinquante Turcoples avec leurs chevaux et leurs armes, trois cents servants de balistes, huit cent vingt hommes pour les travaux d'entretien de la forteresse et autres offices, et quatre cents esclaves.

Le climat de la contrée où se trouve Saphet est salubre et la température y est clémente. La terre y est d'une grande fertilité, le château est entouré de champs de vignes, de vergers remplis de figuiers, de grenadiers, d'amandiers et d'oliviers. Dieu a donné à ce lieu sa bénédiction en lui apportant la rosée du ciel et la fécondité du sol, le froment, le vin, l'huile, les légumes et les fruits en abondance. On y recueille le lait et le miel, et de beaux pâturages permettent d'engraisser d'importants troupeaux. Des forêts, des arbres nombreux procurent le bois suffisant pour alimenter les fours à chaux et pour faire la cuisine ; d'excellentes carrières toutes voisines sont fort utiles aux travaux de construction, des ruisseaux coulent alentour et de grands bassins ont été créés pour baigner les animaux et irriguer les plantations ; ces bassins se voient non seulement hors du château, mais aussi à l'intérieur même de son enceinte.

Il s'y trouve des sources et plusieurs vastes citernes. Hors du château sont installés douze moulins à eau, et à l'intérieur il y a plusieurs moulins à vent et d'autres mus par des animaux. On y compte aussi plusieurs fours.

Un des plus grands avantages du château de Saphet vient de ce qu'un petit nombre d'hommes suffit pour le défendre, qu'il peut abriter une grande multitude à l'intérieur de ses remparts, et qu'il faut un nombre considérable de troupes pour l'assiéger.

Tout le territoire musulman entre le Jourdain et Damas est aujourd'hui abandonné et inculte par suite de la crainte qu'inspire aux Sarrasins le voisinage de cette forteresse.

Sous le château qui la protège une grande ville s'est installée avec un marché et plus de 260 casaux sont exploités dans les environs et dix mille hommes y travaillent paisiblement.

Grâce à Saphet les chemins de la Galilée ne sont plus attaqués et les pèlerins peuvent sans danger visiter les Lieux-Saints tels que Capharnaüm, Bethsaïde, Magdala, Nazareth, le Mont-Thabor et Cana de Galilée.

Ainsi ce texte résume admirablement toutes les raisons qui ont décidé les Francs à élever ces grandes forteresses. Les chevaliers sont là qui défendent l'entrée du territoire ; dans la plaine, protégés par le puissant château fort, les paysans et les pasteurs peuvent, à loisir, cultiver leurs champs et faire paître leurs troupeaux. Enfin le but initial des Croisades est ici réalisé : les Lieux-Saints se trouvent protégés et les routes de pèlerinages sont sûres.
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes — conditions de l'existence dans les châteaux-forts

1. Wilbrand d'Oldenbourg, décrivant Margat, signale que les champs échelonnés sur les pentes de l'éminence qu'il domine fournissaient à eux seuls chaque année cinq cents chariots de gerbes (J.-C.-M. Laurent, Peregrinatores...., p. 170).
2. Traité de la Tactique, éditions Köchly et Rüstow, Griechische-Kriegsschiftsteller, t. II, 2 Abt., Leipzig, 1865. Voyez Ch. Diehl, l'Afrique byzantine, 1896, p. 148.
3. Nous avons retrouvé un grand four au Crac des Chevaliers, un four également à Kérak de Moab et deux à Margat. (Sur le four du Crac, voyez plus loin).
4. Dans une salle de Saône nous avons retrouvé plusieurs meules de moulins.
5. Voyez Clermont-Gamneau, Les Berquilia des Croisés et la Birké arabe dans Etudes d'archéologie orientale, tome II (Biblotèque de l'Ecoles des Hautes-Etudes, fascicule 113, 1897, pages 111-118) ; et Les Berquils ou réservoirs des Croisés, dans Recueil d'archéologie orientale, tome III (1885), pages 141-142.
— Paul Deschamps, L'architecture militaire des Croisés en Syrie. L'approvisionnement de l'eau, dans Revue de l'art, tome LXII, décembre 1932, page 163 et suivantes. Phots.
6. Guillaume de Tyr, I. XX, c. 28... « Hunc ergo locum [Carmelum] sibi prudenter delegit, propter aquarum commoditatem : erat enim ibi vetus et ingentis magnitudinis piscina quae ad usum universi exercitus aquarum ministrabat copias. »
— Voyez F.-M. Abel, Une croisière autour de la Mer Morte, page 102 et figure 25, Photo.
7. Ces canalisations de poterie se voient encore au Crac des Chevaliers où l'on compte neuf citernes.
8. Photos dans R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, ouvrage cité, planche 126 ; et Gazette des Beaux-Arts, article cité, décembre 1930, page 354, figure 21.
9. Revue biblique, 1932, Ier octobre, p. 597.
10. R Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, ouvrage cité, planche 147. La tour principale d'Akkar est assise sur le rocher où l'on voit une rainure qui contenait les tuyaux de poterie amenant l'eau dans le berquil.
11. « Magna braquilia ad aquanda animalia et ad plantaria irriganda non solum extra castrum, sed etiam infra. »
12. R. P. Poidebard, La trace de Rome dans le désert de Syrie. Le Limes de Trajan à la conquête arabe. - Paris, Geuthner, 1934, page 187 et suivantes
13. Revue de l'Arts, article cité, photos page 170.
14. Gazette des Beaux-Arts, article cité, décembre 1930, photos page 361.
15. Röhricht, G. K. J., p. 485-487.
16. L'estoire de Eracles, XXIII, c. 54 ; XXIV, c. 2 ; Historiens occidentaux des Croisades, II, p. 81 et 104.
— Voyez Röhricht, G. K. J., p. 483.
17. Enlart, Les Monuments des Croisés..., II, p. 427 à 430 et Album, planches 175-183, relevé de R. Jusserand.
18. Enlart, II, p. 96 et Album, planches 27 et 29.
19. Figure dans Louise Pillion, Les sculpteurs français du XIIIe siècle, Paris, Plon, 1911, planche XXIV.
20. Gazette des Beaux-Arts, article cité, décembre 1930, photo page 329.
21. Enlart, II, pp. 314-315.
22. Ibid., p. 432.
23. Ibid., p. 97 et suiv.
24. Ibid., pp. 442-443.
— R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie antique et médiévale illustrations, Plan 154 (portail de la Chapelle).
25. Ibidem, pages 90-93.
26. Enlart, ibidem, p. 92-93 et Raymond Rey, Les vieilles églises fortifiées du Midi de la France, 1926, page 105-110 et 166, et pl. VI à VIII.
27. Ibidem, p. 427.
28. Ibidem, pages 93-96.
29. Enlart, II, 323-324.
30. « Est vero Templum Jerosolymis, in qua pariter habitant [Milites Christi] antiquo et famosissimo illi Salomonis impar quidem structura, sed non inferius gloria... Ornatur tamen hujus quoque facies Templi, sed armis, non gemmis ; et pro antiquis coronis aureis, circum pendentibus clypeis paries operitur, pro candelabris, thuribulis atque urceolis domus undique frenis, sellis ac lanceis communitur... » S. Bernard : De laude novae militiae ad milites Tentpli... c. v, éditions 1690, tome I, col. 548 (voyez aussi éditions Gaume, t. II (1839), col. 1261 ; Migne, Patrol. lat., t. CLXXXII, col. 927).
— Victor Mortet et Paul Deschamps, Recueil de textes relatifs à l'histoire de l'architecture..., XIIe et XIIIe siècles, tome II, 1929, n° XI, p. 42.
— Sur le traité De Laude novae militiae, voyez l'abbé Vacandard, Vie de St-Bernard, t. I, 1895, chapitre VIII : Bernard et les Templiers, page 245 et suivantes.
— Citons aussi ce passage du chroniqueur Mathieu de Paris relatant un banquet qui eut lieu au Temple de Paris en 1254, offert par Henri III, roi d'Angleterre : « Epulabantur autem in majori regia Templi ubi videlicet pendent clipei quotquot possunt circumquaque in quatuor parietibus, secundum consuetudinem ultramarinam, inter quos apparuit clipeus Ricardi regis Anglie. » (Mathieu de Paris, Chronica majora, éditions Luard, V, p. 480.) Il ne s'agit pas ici, il est vrai, de l'église, mais sans doute d'une grand'salle du Palais du Temple.
31. Voyez plus loin, chapitre premier, page 125 et 139.
32. Cf. Paul Deschamps, le Château de Saône, dans Gazette des Beaux-Arts, décembre 1930, Pages 363-364.
33. H. Derenbourg, Anthologie de textes arabes inédits, par Ousama et sur Ousama (1893).
G. Schlumberger, Récits de Byzance et des Croisades, 2e série, 1922, p. 115.
34. Wilbrand d'Oldenbourg, édit. J. C. M. Laurent, Leipzig, 1864, p. 166 : « Ex ima enim parte munitur mari et alte rupis precipicio, ex alia autem parte ambitur quadam fossa murata et adeo profunda, ut in ea plures captivos tanquam in alto carcere videremus detrusos. »
35. Ernoul, éditions Mas-Latrie (Paris, 1871), chapitre IX, pages 104-105 [a. 1183, fin novembre]. « .....Encore... li princes Renaut... faisoit il cascune nuit faire fu desour une des tours du castiel, pour che que on le conneutst en Jherusalem, et pour haster le secours... Et ore est coustume en le tierre d'Outremer que quant il sevent que Sarrasins doivent entrer en le tiere d'aucune part, cil qui premiers le set, si fait fu. Et quant li autre viles le voient, si fait cascuns fu ; dont voit on les fus par toute la tiere ; dont sevent il bien que Sarrasins doivent entrer en le tiere, si se garnist cascuns. Quiant li rois de Jherusalem oï le mesage qui fu venus del Crac, si manda par toute le tiere as barons et as chevaliers et as serjans qu'il venissent à lui... Le nuit devant che il venissent en Jherusalem pour aler secourre le Crac, fist li roi faire grant fu sour le tour Davi, pour che que il le veissent au Crac et sevissent qu'il avoient secours. »
36. Van Berchem, Voyage, p. 234 et n. 1.
37. Edit. J.-C.-M. Laurent, p. 168.
38. J.-B. Chabot, Un épisode de l'histoire des Croisades, dans Mélanges offerts à M. G. Schlumberger, I, 1924, p. 172.
39. Historiens orientaux des Croisades, II, 289.
Schlumberger, Campagnes du roi Amaury 1er, P. 305-306.
40. Abû-Chamah, Le livre des deux jardins, Historiens orientaux des Croisades, IV, 441.
41. Ibn Furat, dans Michaud, Bibliothèque des Croisades, t. IV, par Reinaud, p. 527. Cf. Röhricht, G. K. J., p. 959.
— Voir aussi Röhricht, Etudes sur les derniers temps du royaume de Jérusalem, dans Archives de l'Orient latin, tome II (1884), page 401.
La Chanson de Jérusalem, œuvre de la fin du XIIe siècle (Bibliotèque Nationale, ms. fr. 12.558, f° 152 verso et 153), contient un curieux passage au sujet des pigeons voyageurs :
Lors du siège de Jérusalem par les Crioisés en 1099, le « roi Cornumarant », chef des Musulmans assiégés, emploie sur les conseils de son oncle Lucabel des pigeons pour communiquer avec les Musulmans de Damas :
« Faites faire vos briés et vos cartres escrire
Bien avons .C. colons tos afaitiés a tire
Les briés lor penderons as cols as fils de sire
Si mandons a Damas c'on nos amaint l'empire
A Sur a Tabarie...
Cascuns de nos colons ait la teste plumee
çou est senefiance la vile est apressee
A cascun colon soit li cartre al col noee
Et par devant la gorge en la plume botee
Que François n'esperçoivent la pute gent dervee
Pus les lairons voler tos d'une randonnée
Cascuns ira tel liu et fera arestee
Par coi ceste parole sera avant contee
Et, si sort ens escrit se la carte est trovee
C'on reface autre faire en plume envelopee
Li colons le raport en vol de randonee... »

Les chevaliers regardent les pigeons s'envoler, et un Turc qu'ils ont converti, Garsiiens, leur dit :
« Garsiiens s'escria, franc chevalier vallant
Ce sont la li mesage a la gent mescreant.
Cascuns de ces coulons a brief au col pendant. »

Les chevaliers Croisés les tuent tous, sauf trois que Godefroy et Robert de Flandre atteignent à l'aide de leurs faucons.
Ce texte intéressant nous a été signalé par Mme Pierre Verlet, Archiviste-Paléographe; nous l'en remercions vivement.
Voyez aussi sur l'emploi des pigeons par les Musulmans, Anouar Hatem, Les Poèmes épiques des Croisades, Paris, Geuthner, 1932, p. 264 et p. 359-360.
42. Bibliotheque Nationale, ms. lat. 5510, fol. 93 à 98 v°. (Ms. du XIVe siècle). [Benedicti, episc. Massiliensis] De constructions castri Saphet, publications par Baluze, Miscellanea, t. VI, Paris, 1713, 8°, pp. 360-367 ; et Lucques 1761, in-fol., t. I, p. 228. Publié en partie par Victor Mortet et Paul Deschamps, Recueil de textes relatifs à l'Histoire de l'architecture... XIIe-XIIIe siècles, tome II, Paris, A. Picard, 1929, n° CXXIV, p. 261-264. Cette relation est attribuée avec beaucoup de vraisemblance à Benoît d'Alignan lui-même qui a pu écrire sous une forme impersonnelle les souvenirs de ses voyages en Terre-Sainte.
Cf. Hist. litt. de la France, t. XXI, 1838, p. 84-91.
— Sur Saphet, voir Guérin, Description... de la Palestine, 3e partie, Galilée, t. II, Paris 1880, p. 419-426.
43. Benoît d'Alignan fut évêque de Marseille de 1229 à 1267.
44. La canne est une mesure de longueur équivalant à la toise ; c'est une mesure provençale équivalant à près de 2 mètres (1 m. 956).
45. Ceci ferait près de 40 mètres. Il doit y avoir là une erreur de copiste, car nous voyons plus loin que les tours, qui sont toujours plus hautes que les murailles, n'avaient que 24 mètres environ de hauteur.
45. Il ne s'agit pas là, bien entendu, de l'épaisseur des murailles. On peut supposer que le chroniqueur a interverti les chiffres : il faudrait donc lire dix cannes de haut, et vingt de large, c'est-à-dire l'étendue d'une courtine entre deux tours.
46. Ceci représente une superficie d'environ 4 hectares, sensiblement supérieure à celle du Crac des Chevaliers.
47. Les besans dits « Sarrazinois », frappés par l'atelier monétaire d'Acre, représentaient une valeur intrinsèque de 8 francs 50 à 8 francs 80 ; la dépense indiquée ici aurait donc atteint environ 9 millions et demi de francs (au cours de 1930).


Chapitre VI

L'historique du Crac des Chevaliers

Le Crac des Chevaliers (aujourd'hui Qal'at el Hosn) domine un des principaux passages qui d'est en ouest coupent les chaînes montagneuses bordant le grand fossé syrien, et mettent la vallée de l'Oronte en communication avec le littoral.
Situe à 35 kilomètres de la mer à vol d'oiseau, il se dresse à environ 650 mètres d'altitude (1) sur un sommet presque entièrement isolé formant le dernier ressaut méridional du Djebel Ansarieh. Au nord, l'étroite vallée des Chrétiens (ouadi Nasrié), le sépare de l'ensemble de ce massif montagneux. La plaine verdoyante de la Boquée (Bouqueia) s'étend à l'est et au sud-est. Droit au sud du Crac, à 25 kilomètres de distance, les contreforts neigeux du Djebel Akkar qui forment l'extrémité septentrionale de la chaîne du Liban, apparaissent au-delà de la Plaine d'Akkar. Celle-ci faisant là sa jonction avec la Boquée va s'éployer en éventail vers la mer depuis Archas (Arqa) jusqu'à Tortose.

Cette large voie ouverte dans le système montagneux de la Syrie constitue la fameuse « Trouée de Homs » où coule le Nahr el Kébir (l'Eleuthère) qui, descendant du nord au sud à travers la Boquée tourne brusquement vers l'ouest à la hauteur de Tell Kalakh.

Le Crac se trouvait presque à l'extrémité orientale du comté de Tripoli, et la frontière entre les états chrétiens et les états musulmans étant toujours mal délimitée, il formait une position avancée qui menaçait constamment les communications en pays musulmans. D'autre part, il surveillait les routes allant de Hama et de Homs aux grandes villes chrétiennes de Tortose (Tartous) et de Triple (Tripoli) au bord de la mer (2).

La route allant de Hama à Tripoli se dirigeait d'abord vers le château de Montferrand (Qal'at Barin) voisin de la cité antique de Rafanée ; puis, passant près de la montagne du Crac, gagnait au sud Tell Kalakh, village que domine le Crac et où passe aujourd'hui le chemin de fer clé Tripoli à Homs ; de là elle atteignait Archas non loin de la mer. La route de Homs longeait le lac de Homs à l'est et de là gagnait également Tell Kalakh et Archas. Une autre route venant de Hama par Montferrand passait au nord du Crac pour gagner Tortose ; elle était gardée par deux forteresses : Chastel Blanc (Safitha) (3) et Chastel Rouge (Qal'at Yahmour) (4).

Ainsi le Crac commandait un important réseau de routes qui mettaient en relations avec le littoral méditerranéen non seulement les populations de la vallée de l'Oronte, mais aussi, au-delà du désert de Palmyre, celles de l'Euphrate.

Tout un système de défense était constitué dans la région voisine du Crac pour interdire aux armées musulmanes l'accès vers les villes du bord de la mer. Des fortins et des postes d'observation se dressaient autour du Crac et, en arrière dans la plaine côtière. C'était au nord du Crac le petit château des Fontaines (5) puis au nord-est les châteaux de Montferrand et de Touban (6), postes extrêmes des Croisés dans le Comté de Tripoli, dominant au-delà du massif du Djebel Ansarieh et de la Boquée, face à Hama et à Homs, la vallée de l'Oronte ; au sud-est du Crac la tour d'Anaz dont il reste les fondations ; au sud du Crac, Bordj Zara (7) , Tell Kalakh, Felicium (Qal'at el Feliz) (8) sur le Nahr el Kébir, et plus loin, de l'autre côté de la plaine, le château d'Akkar (9) d'où l'on aperçoit le Crac et avec lequel on pouvait communiquer par des feux ; ce château commande un défilé et se dresse à pic complètement entouré par les eaux de deux torrents rapides qui viennent se réunir à sa base. En arrière du Crac s'élevaient des tours (10) Bordj Maksour, Tell Khalife, Bordj Arab (11). Bordj Mouhash (12); enfin du sud au nord une ligne de défense gardait les abords de la côte, en avant de Tortose ; c'étaient le château d'Arima ('Areimé) (13) occupé par les Templiers, qui dominait sur une petite éminence le Nahr Abrash, Chastel Rouge (Qal'at Yahmour) et en avant de ce château la tour de Bordj Miar (14), enfin le puissant Chastel Blanc (Safitha), l'une des principales forteresses de l'Ordre du Temple et, au nord de celle-ci, la tour de Toklé (15).

Le Crac n'occupe pas le point culminant de l'éminence (Djebel Halil) sur laquelle il se dresse ; cette éminence s'élève encore quelque peu et se prolonge vers le sud (16) sur une distance de 300 mètres environ avant de descendre par des mamelons étages jusqu'à la plaine.

Du haut des tours méridionales de la seconde enceinte qui dominent toute la place on peut faire un tour d'horizon : sur le front est où se trouve la principale entrée du château on voit au premier plan, au pied de la forteresse, un groupe de trois villages très rapprochés, Haret Turkman, Haret Hosn et Haret Seraya (17), près desquels passe la piste, qui par des lacets sur une distance de dix-huit kilomètres, monte au Crac. Au nord-est et au nord l'horizon est barré par les sommets du Djebel Helou faisant partie de la chaîne des Monts Ansarieh ; à l'est et au sud-est s'étend la plaine de la Boquée qui a environ dix kilomètres sur cinq et qui est abondamment arrosée par le Nahr el Kebir et ses affluents. On aperçoit à l'Orient la nappe bleue du lac de Homs et une partie du cours de l'Oronte. Droit au sud, au-delà de la plaine, les cimes du Djebel Akkar et plus loin celles de l'Anti-Liban se profilent sur le ciel.

Tandis que l'éminence où se dresse le Crac se prolonge au sud-ouest en une étroite croupe, un précipice de près de 300 mètres borde son front ouest ; en bas vers le nord-ouest se dresse le couvent de Saint-Georges, dans la vallée des Chrétiens où jaillit la Source Sabbatique (18) qui donne naissance au Nahr es Sabté, et près de là se trouvent les carrières (19) où les architectes des Croisés vinrent extraire la pierre destinée à la construction du château.

Au-delà de la vallée on aperçoit sur une éminence le Chastel Blanc (Safitha) et dans le lointain la plaine côtière et la Méditerranée.

Le château dominait une contrée d'une extraordinaire fertilité qui devait procurer des ressources de toute nature à la garnison. Les Hospitaliers qui s'y installèrent en 1142 avaient de très nombreux casaux (métairies) dans le voisinage, tant dans la plaine de la Boquée que dans la plaine d'Akkar dont ils possédaient la partie orientale en particulier la riche « terre au Calife » arrosée par le Nahr el Khalife, affluent de droite du Nahr el Kébir (20).

Les historiens des Croisades s'extasient sur la richesse des terres de culture et des pâturages de ces plaines aujourd'hui encore si prospères. Les premiers Croisés y arrivant trouvèrent là des vivres en abondance et les chroniques conservent le souvenir de la joie qu'ils en éprouvèrent (21). Guillaume de Tyr racontant l'incursion de Saladin aux environs du Crac en 1180 déplore les ravages qu'il y fit, brûlant et saccageant les magnifiques récoltes (22). Un voyageur du XIIIe siècle, Burchard de Mont Sion, parle des plantations de figuiers et d'oliviers qu'on y voit, des prairies arrosées par d'innombrables ruisseaux et des tentes qui se pressent dans la plaine pour abriter les nomades gardant leurs bestiaux ; ce qui le frappe le plus en passant là, ce sont les immenses troupeaux de chameaux qu'il y rencontre, « au nombre de plusieurs milliers » dit-il (23). Et c'est sans doute parce qu'on y pratiquait l'élevage des chameaux qu'Albert d'Aix au début du XIIe siècle désigne la Boquée sous le nom de « vallée des chameaux » (24).

Posté en sentinelle avancée à la frontière du comté de Tripoli, commandant une des plus larges voies de communication entre les contrées de l'intérieur et le littoral, le Crac occupait une position stratégique de la première importance pour la défense des états chrétiens et c'est pourquoi les Hospitaliers à qui le comte de Tripoli en confia la garde en 1142 s'attachèrent à en faire une place de guerre formidable. Un texte latin appelle cette forteresse la clef de la terre chrétienne (25). Dans une bulle exemptant de dîmes, pour le Crac, l'Ordre de l'Hôpital qui en avait la garde, le pape Alexandre IV déclare que ce château se trouve pour ainsi dire au milieu de la nation sarrasine (26). Les Arabes redoutaient cette forteresse entre toutes et un de leurs chroniqueurs compare le Gouverneur du Crac à « un os enfoncé dans le gosier des Musulmans » (27).

Le château repoussa maints assauts et maintes fois l'ennemi vint camper dans son voisinage et faire des incursions dans la Boquée (1115, 1163, 1167, 1180, 1188, 1205-1206,1207-1208, 1218, 1238-1239, 1252, 1267, 1270, 1271). Maintes fois aussi il servit de lieu de refuge aux Croisés en campagne ou de lieu de concentration aux contingents des princes chrétiens qui tentaient de s'emparer de Homs ou d'exécuter un raid en territoire ennemi. Ainsi le Crac fut le point de départ de plusieurs expéditions contre les émirs musulmans (1163, 1170, 1174-1175, 1203, 1204, 1205, 1207, 1208, 1229, 1230, 1233).

Wilbrand d'Oldenbourg, voyageur allemand qui parcourut la Syrie vers 1212, nous apprend que la garnison se composait de 2.000 combattants (28).

Il fallait que cette place eût de puissantes fortifications, et nous verrons que les Hospitaliers qui devaient la garder pendant cent trente ans et ne la rendre qu'en 1271, sous les coups du sultan Beibars, y élevèrent des ouvrages de défense considérables qui font de ce château le témoin le plus remarquable de l'œuvre des architectes militaires français du XIIe et du XIIIe siècle.

Des tremblements de terre ébranlèrent à plusieurs reprises la Syrie à cette époque et les chroniques parlent de forteresses franques en partie démolies par ces séismes. Ceux de 1157, 1170, 1201 et 1202 furent particulièrement graves et le Crac est mentionné parmi les monuments éprouvés par les secousses (29).

Les ruines que causaient ces tremblements de terre obligèrent les Francs à de nouveaux travaux de construction ; en outre, les armées franques et arabes fréquemment en présence et assiégeant constamment des châteaux-forts acquirent rapidement une grande expérience dans l'attaque des forteresses. Aussi voit-on au cours du XIIe et du XIIIe siècle les ingénieurs militaires faire de grands progrès dans la poliorcétique et dans l'art de la fortification. Ces progrès, on pourrait les constater en examinant uniquement le Crac, tant on y fit de travaux et tant on se préoccupa de renouveler et d'améliorer les ouvrages défensifs de ce château où il semble que le chantier de construction fut presque continuellement en activité.

L'Ordre de l'Hôpital pour maintenir en bon état sa principale place d'armes y consacra des sommes considérables. Plusieurs chartes nous montrent qu'il reçut pour l'aider dans ces dépenses d'importants privilèges, des exemptions de dîmes et des donations, tant des comtes de Tripoli et des princes d'Antioche que des papes et des princes étrangers venus en Terre-Sainte, tels que les rois Wladislas de Bohême et André II de Hongrie (30).

Nous allons suivre chronologiquement les documents qui signalent le Crac, les chroniques franques et arabes qui relatent les événements auxquels la forteresse participa. Parmi ces textes les uns nous apportent des récits détaillés, d'autres de simples allusions, mais tous ces éléments réunis contribueront à expliquer le rôle si important joué par le Crac des Chevaliers comme gardien de la terre chrétienne.

Avant les Croisades, il se trouvait, sur la position où se dressera plus tard le Crac, un château qui s'appelait Hosn es-Safh, le « château de la Pente » (31). En 1031, un émir de Homs (32) y installa une colonie militaire de Curdes (33), chargés de surveiller la route de Tripoli. Du nom de ceux qui l'occupaient, ce poste prit le nom de Hosn el Akrad, le « château des Curdes », que lui conservent les chroniqueurs arabes pendant tout le temps de son occupation par les Croisés.

C'est, semble-t-il, du terme Akrad que les Francs appelèrent ce château le Crat qui est l'orthographe la plus ancienne qu'on trouve dans les documents latins ou français. Plus tard on écrivit le Crac par analogie sans doute avec le grand château que les Francs avaient construit à l'est de la mer Morte, et qu'ils appelaient le Crac. Ce château se trouve à une extrémité de l'antique cité de Kérak ou Karak en pays de Moab. Or, le terme Karak dérive d'un mot syriaque Kark(â) qui veut dire forteresse. C'est sous l'influence de ce mot que les chroniqueurs transformèrent Crat en Crac. Les chroniques du moyen âge appellent parfois ce château « le Crac de l'Ospital. » L'expression « Crac des Chevaliers » qui est généralement adoptée aujourd'hui n'a été employée que par les historiens de nos jours.

D'accord avec Van Berchem (34) nous croyons qu'il ne reste rien des constructions du Crac qui soit antérieur à l'occupation des Francs. Tout au plus, utilisèrent-ils d'anciennes fondations.

Le Crac au début des Croisades

Au cours de la première Croisade, Raymond de Saint-Gilles s'empara de ce château et y résida quelques jours. Après la prise définitive d'Antioche, les princes croisés avaient décidé de remettre à l'automne, à cause de la chaleur, leur expédition vers Jérusalem. Le long siège de plusieurs villes, Al Bara, prise à la fin de septembre 1098, puis Marra (La Marre, Ma'arrat-en-No'man) prise le 11 décembre, des conflits entre Raymond de Saint-Gilles et Bohémond de Tarente retardèrent jusqu'en avril 1099 la marche sur Jérusalem.

Raymond de Saint-Gilles quitta Marra avec son armée le 13 janvier 1099 et arriva à Cafertab avec Tancrède ; Robert de Normandie vint les rejoindre. De là les Croisés gagnèrent Scheïzar, puis en passant probablement par Masyaf, arrivèrent à Rafanée, ville magnifique, dit l'auteur des Gesta Francorum, remplie de ressources, que les habitants avaient abandonnée. Ils s'y reposèrent trois jours puis se remirent en marche, franchirent une haute montagne et arrivèrent, probablement le 27 janvier, dans la riche vallée de la Boquée où se trouvaient des vivres en abondance (1).

Dans le voisinage, ils se heurtèrent à une grande troupe de Sarrasins qu'il leur fallut combattre près d'un château situé sur la pente d'une éminence très élevée, et où les ennemis se réfugièrent après avoir combattu quelque temps sur le sommet dominant le château.

Ce château était le château des Curdes (2). Raymond de Saint-Gilles faillit être tué dans ce combat. Le chroniqueur Raymond d'Aiguilhe (3) nous le montre surpris dans un étroit défilé où un seul cheval pouvait passer de front ; le comte de Toulouse se trouva un instant séparé des siens et le chroniqueur ajoute que ce fut là sans doute la circonstance où, de toute sa vie, ce grand batailleur se trouva le plus en danger (4). Les Francs attaquant le château allaient s'en emparer quand les défenseurs poussèrent au dehors un nombreux troupeau de bêtes dont les assaillants s'empressèrent de s'emparer pour le conduire dans leur carnp qu'ils avaient établi à dix milles de là.

Le lendemain au petit jour, probablement le 29 janvier, ils plièrent leurs tentes et partirent à l'attaque du Crac, mais ils le trouvèrent abandonné, ses défenseurs ayant fui pendant la nuit. Ils l'occupèrent donc et ils y trouvèrent en abondance du blé, du vin, de la farine, de l'huile et d'autres provisions. Dans ce château les Croisés célébrèrent en grande solennité la fête de la Purification de la Vierge le 2 février et ils y séjournèrent jusque vers le 11 février.

La prise de ce château semble avoir rempli d'effroi les populations musulmanes de la contrée, car on le considérait, dit le chroniqueur, comme imprenable. Aussi pendant son séjour Raymond reçut-il les envoyés des émirs de Homs et de Tripoli qui lui offrirent des présents, des chevaux, des mules et de l'or en lui demandant son alliance (5).

L'armée de Raymond quitta le Crac pour aller faire le siège d'Archas (Arqa) où elle arriva sans doute le 14 février ; tandis qu'une partie de l'armée avait franchi le Nahr el Kébir pour investir cette ville fortifiée, une autre partie restait en deçà du fleuve pour assurer le ravitaillement grâce aux approvisionnements qu'on avait trouvés à Rafanée et au Crac (6).

Les Croisés n'avaient fait que passer au Crac, ils ne cherchèrent pas à conserver cette conquête. Il fallait avant tout s'emparer de Jérusalem.

Trois ans plus tard, Raymond de Saint-Gilles retournait en ce lieu où il avait failli perdre la vie. Après avoir enlevé d'assaut Tortose (21 avril 1102) avec l'aide du comte de Poitiers et de la flotte génoise, il alla assiéger le château des Curdes que les Infidèles avaient réoccupé. Il était sur le point de s'en emparer quand, ayant appris que l'émir de Homs, Djenah ed Dauleh qui s'était mis en route pour le combattre, venait d'être assassiné par un Ismaélien (12 mai 1102), Raymond s'éloigna du château des Curdes pour aller tenter de prendre Homs. Ce siège ne nous est connu que par les chroniqueurs arabes (7).
C'est aussi grâce à une chronique arabe qu'on peut fixer la date de l'occupation définitive du Crac par les Francs.

En 1110 les Francs parcourant la région et voulant s'emparer de Rafanée se trouvèrent en présence de Togtékin, atabek de Damas. Des pourparlers s'engagèrent et aboutirent à cette convention que les Musulmans abandonneraient aux Francs le tiers des récoltes de la Boquée ainsi que les châteaux de Moneïtira (Le Moinestre) et d'Akkar ; en revanche les Francs ne devaient rien tenter contre le château des Curdes, cette place s'engageant à leur payer un tribut (8). Peu après, vers la fin de l'année 503 de l'hégire, c'est-à-dire vers juin 1110, Tancrède venant d'Antioche alla assiéger le château des Curdes et s'en empara facilement. Il y mit une garnison franque, puis rentra à Antioche (9).

Au début de l'année 1112 Bertrand, comte de Tripoli, fils de Raymond de Saint-Gilles, mourait et Tancrède prenait sous sa tutelle son fils Pons et lui abandonnait plusieurs de ses conquêtes dont le Crac (10). A la fin de la même année Tancrède mourait et Pons épousait peu après sa veuve Cécile, fille du roi de France Philippe Ier.
En 1115 l'armée du sultan d'Alep, Alp-Arslan, assiégea le Crac sans succès (11).

Le silence se fait alors sur le Crac pendant plusieurs années. Une charte nous apprend qu'en 1128, Pons, comte de Tripoli, fait don à l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem de deux maisons et d'une vigne, sises au Crac (12). Il s'agit là sans doute de dépendances immédiates de la forteresse.

Les Hospitaliers au Crac

En 1142, par un acte solennel, Raymond 1er, comte de Tripoli, fils de Pons, fait don du Crac à l'Ordre de l'Hôpital.
En présence de nombreux témoins de marque, les évêques de Tripoli et de Tortose et les principaux seigneurs de son comté, le comte Raymond, par une donation, approuvée par sa mère, sa femme Hodierne, son fils et son frère, cédait à l'Hôpital de Jérusalem (1) en lui abandonnant la totalité de ses droits : Rafanée, Montferrand, Mardabech (2), la pêcherie de la Chamele (3), depuis Chades jusqu'à la Resclause (4) ; le Crac et le château de la Boquée (5), enfin les châteaux de Felicium et de Lacum (6) et toutes leurs dépendances. Il faisait le don du Crac et du château de la Boquée avec l'agrément de Guillaume du Crac (Willelmus de Crato) (7), sans doute son vassal, qu'il dédommageait ; quant aux châteaux de Felicium et de Lacum il les avait acquis moyennant mille besants de Gilbert de Puy-Laurent.

Enfin le comte exemptait de toutes redevances dans ses états les hommes dépendant de l'Hôpital et les « Syriens du Crac » (8), et leur accordait la faculté d'acheter et de vendre librement dans l'étendue de ses domaines.

Nous trouvons là un témoignage de la politique habile suivie par les seigneurs francs vis-à-vis des indigènes. Les Syriens chrétiens ayant reçu du comte de Tripoli des privilèges et des garanties pouvaient vivre en paix aux alentours du Crac, dont ils devaient être les premiers à apprécier la protection. Les Hospitaliers, d'autre part, avaient tout avantage à garder dans leur voisinage des villageois qui cultiveraient avoir été peu considérable se voyaient encore il y a peu d'années dans la plaine. » Cette assertion provient sans doute d'un renseignement verbal fort vague recueilli par Rey quand il était au Crac. Il s'agit ici d'un château de plaine disparu ou peut-être d'un des nombreux fortins que nous avons cités autour du Crac. Rôhrichi propose de l'identifier avec Bordj Màfcsour. (Zeitschr. des deutsch. Palàst. Vereins, X, 1887, p. 259).
leurs terres et leur assureraient la main-d'oeuvre nombreuse dont ils avaient besoin pour leurs travaux de construction.

Cette politique intelligente des Hospitaliers, nous en voyons d'autres exemples dans la façon adroite avec laquelle ils savaient intéresser au sort de leur château les princes étrangers. C'est ainsi que Raymond du Puy, qui fut grand-maître de l'Hôpital jusque vers 1160, ayant appris que le roi de Bohême Wladislas II, qui s'était croisé en 1147, se décidait à partir pour Jérusalem, lui avait fait porter par un des frères de l'Ordre les clefs du château du Crac « in confinio paganoriim situm », en lui offrant d'y séjourner tant qu'il lui plairait. En reconnaissance de ce geste, le roi avait comblé de générosités l'Ordre de l'Hôpital (9). Nous verrons plus loin qu'André de Hongrie fit également des largesses à l'Ordre en souvenir de l'accueil qu'il avait reçu au Crac.

En 1157 (août-septembre), un tremblement de terre (10) bouleversa la Syrie ; Antioche, Tripoli, le Crac, Homs, Hama, Sheïzar en subirent les atteintes. « II était si violent, dit Aboul Féda que des remparts et des châteaux furent renversés (11). »

Sièges du Crac par Nour ed-din

Depuis le siège du sultan d'Alep en 1115, nous n'avons pas de mention que le Crac ait été attaqué. Mais les Francs allaient avoir au milieu du siècle à lutter contre un ennemi redoutable, le sultan Nour ed-din. Ils lui infligèrent une sanglante défaite dans un combat célèbre appelé la bataille de la Boquée qui eut lieu en 1163. Les historiens arabes le relatent avec maints détails (1) : Nour ed-din ayant rassemblé ses troupes entra dans le territoire des Francs et vint camper dans la plaine de la Boquée avec l'intention d'assiéger le Crac, puis de marcher ensuite sur Tripoli dont il voulait s'emparer. Un jour que sur l'heure de midi l'armée musulmane dormait sous les tentes, ses gardes avancées virent tout à coup surgir les croix des Francs (2) de derrière la montagne que domine le Crac. Les croisés avaient en effet décidé de fondre à l'improviste au milieu du jour sur les ennemis alors que ceux-ci seraient sans défense. La confusion se mit dans le camp des Musulmans, les Francs bousculant les avant-postes, pénétrant jusqu'au coeur du camp, massacrant un grand nombre d'ennemis et faisant des prisonniers, tandis que certains se jetaient sur leurs armes et montaient à cheval. Nour ed-din surpris, sortit presque nu de sa tente par la porte de derrière et sauta sur un cheval sans s'apercevoir que l'animal avait encore le pied attaché au piquet. Un Curde, déjà en selle, se jeta à bas de sa monture pour couper l'entrave et fut tué. Nour ed-din s'enfuit et les Francs le poursuivirent sur une distance de quatre parasanges, c'est-à-dire d'environ cinq lieues. Enfin, il s'arrêta au bord du lac de H omis où il réunit les débris de son armée.

Le plus acharné à sa poursuite, selon Ibn al Athir et Kamal ad-din, fut le Grec Doukas qui avait débarqué sur la côte de Syrie à la tête d'une nombreuse troupe de Grecs. A la suite de cette victoire les Francs projetèrent de marcher contre Homs, mais ayant appris que Nour ed-din avait reformé avec rapidité son armée, ils y renoncèrent et retournèrent dans leur pays après avoir laissé au Crac un corps de troupes pour renforcer la garnison au cas d'une nouvelle attaque.

Le « Grec Doukas », dont il s'agit dans les chroniques arabes était Constantin Coloman (3), un jeune prince hongrois qui était le fils de Boritz, prétendant malheureux au trône de Hongrie, et qui, se trouvant exilé de sa patrie avait pris du service dans les armées byzantines. Par sa mère, il était allié à la famille impériale des Comnène. Il commandait comme duc de Cilicie les troupes grecques qui défendaient la frontière de l'Empire quand il vint combattre dans les rangs des Francs.
Selon Abu Chama cette victoire aurait été remportée par les Hospitaliers du Crac sortant à l'improviste de la forteresse.

Guillaume de Tyr (4) au contraire ne fait pas mention de la garnison du château et attribue la victoire à une troupe venue d'Antioche que commandaient Geoffroy Martel frère de Guillaume Taillefer, comte d'Angoulême, Hugues le Brun, sire de Lusignan, et deux anglais Gilbert de Lacy, précepteur de l'ordre du Temple et Robert Mansel qui était à la tête d'un corps gallois.

Peu après, Nour ed-din prenait une éclatante revanche : le 10 août 1164, il écrasait les Chrétiens à la bataille d'Imma où furent en même temps faits prisonniers le comte Raymond II de Tripoli, le prince d'Antioche Bohémond III, Joscelin III d'Edesse ainsi que deux des héros de la bataille de la Boquée, Hugues de Lusignan et Constantin Coloman. En 1166 ou 1167 Nour er-din revenait dans les parages du Crac (5), dévastait la région et s'emparait des forteresses voisines de Chastel Blanc et d'Arima. On peut même penser qu'il assiégea alors la grande forteresse de l'Hôpital et c'est peut-être à ce siège qu'il faut attribuer l'épisode suivant, rapporté sans date par Ibn Furat qui reproduit Ibn Moncad, et d'après lequel Nour ed-din aurait tenté de s'emparer du château en soudoyant un Turcoman, c'est-à-dire un de ces indigènes musulmans que les princes francs et les grands Ordres militaires entretenaient en grand nombre à leur solde, et qui sous le nom de Turcoples formaient la cavalerie légère de leurs armées (6).

« Nour ed-din, dit la chronique, avait convenu avec un des Turcomans, au service des Francs d'Hosn el Akrad, que lorsqu'il se présenterait devant le château, ce Turcoman y monterait avec ses compagnons et ils planteraient l'étendard de Nour ed-din sur le château et l'acclameraient. Le Turcoman avait des enfants et un frère ; les Francs avaient confiance en lui. Le signal convenu entre lui et Nour ed-din était qu'il se tiendrait sur le bachourieh (ouvrage avancé). Nour ed-din n'avait instruit personne de cet accord. Ses troupes s'avancèrent, virent le Turcoman et le tuèrent : sa mort occupa sa famille et le complot échoua ainsi (7). »

Vers le même temps, le châtelain du Crac trouva la mort dans une rencontre qui eut lieu le 4 juillet 1170, à Lebona près de Baalbeck, entre quelques centaines de cavaliers francs et arabes. Après un combat acharné où il y eut beaucoup de morts de part et d'autre, le champ de bataille resta aux Musulmans qui coupèrent les têtes des morts et les portèrent à Nour ed-din. « On y reconnut celle du chef des Hospitaliers, seigneur du château des Curdes. Les Francs l'estimaient beaucoup pour sa bravoure et pour sa piété... et parce qu'il était comme un os placé en travers du gosier des Musulmans (8). »

En 1170, un nouveau tremblement de terre qui commença le 29 juin et dura 25 jours, selon Abul-Faradj (9), plus fort encore semble-t-il que celui de 1157, bouleversa la Syrie et particulièrement la région du Crac. « Plusieurs forteresses des Francs, nous dit Abû-Chama, dans le voisinage de Barin (Montferrand), telles que Hosn el Akrad (le Crac), Safitha (Chastel Blanc), El Oraîmah (Arima), Arqa, étaient par suite des tremblements de terre comme plongées dans un océan de ruines. Mais la plus éprouvée fut Hosn el Akrad : pas une seule de ses murailles n'était restée debout ; l'étendue de ce désastre faisait oublier tous les autres et le malheur de cette ville avait envahi les coeurs. De toutes les parties de la Syrie on annonçait les terribles ravages des tremblements de terre. Une seule chose calmait un peu la terreur : c'est que le fléau avait surtout frappé et accablé les infidèles (c'est-à-dire les chrétiens) sous ses coups les plus douloureux et qu'il les avait justement atteints à la tête. En effet, ce fut dans un de leurs jours de fête, quand ils étaient réunis dans leurs églises, qu'ils devinrent la proie du trépas : leurs yeux immobiles d'épouvanté virent les voûtes s'écrouler sur leurs têtes et le châtiment les atteignit là où ils étaient loin de le craindre (10). »
D'autres tremblements de terre qui causèrent des dégâts au Crac eurent encore lieu en 1201 et 1202 (11).

En l'an 570 de l'hégire (1174-1175) les Francs et les Alépins, qui étaient alors leurs alliés, allèrent attaquer Homs, mais ils échouèrent dans leur tentative et durent se replier sur le Crac (12).

Enfin, Saladin entre en scène et dans les vigoureuses campagnes qu'il mène contre les Etats francs nous le voyons plusieurs fois apparaître près du Crac. Ennemi acharné des Chrétiens, il rêvait de les chasser d'Orient ; il fallait pour cela réunir sous sa seule autorité les deux parties du monde musulman, l'Egypte et la Syrie, et il y parvint. Il commença par s'emparer du pouvoir en Egypte, puis profitant, en 1174, de la mort du sultan Nour ed-din et des querelles que sa succession provoqua, il gagna la Syrie, s'empara de Damas et conquit la Mésopotamie. Quelques années plus tard il devait prendre Alep (1183) et clore ainsi le cercle que ses territoires formaient autour des Etats chrétiens. Ayant ainsi affermi son autorité en Syrie, il allait pouvoir attaquer les princes latins qui commençaient à s'inquiéter en voyant grandir chaque jour sa puissance.

Saladin en Syrie

De 1177 à 1180 ce sont des combats incessants entre les troupes de Saladin et celles du roi de Jérusalem où le sort des armes donne l'avantage tantôt aux unes, tantôt aux autres. En 1180, Guillaume de Tyr nous montre Saladin parcourant avec son armée le comté de Tripoli sans qu'aucune troupe franque n'osât se mesurer contre lui. Tandis que le comte s'enfermait dans Archas, les Templiers restaient dans leurs châteaux et les Hospitaliers se réfugiaient au Crac, estimant que le mieux qu'ils pussent faire était de lui résister derrière leurs murailles, s'il venait à les attaquer. Et du haut de leurs tours ils voyaient les cavaliers de Saladin incendiant les moissons et pillant les villages sans qu'ils pussent tenter de les secourir (1).

Sept ans plus tard l'armée du roi de Jérusalem était anéantie à la sanglante bataille de Hattin (4 juillet 1187) près de Tibériade ; Jérusalem et presque toutes les grandes places de Palestine tombaient bientôt au pouvoir de Saladin. L'année suivante le sultan poursuivant sa conquête allait envahir le comté de Tripoli et la principauté d'Antioche. Venant de Damas il alla camper le 30 mai 1188 sur une colline en face du Crac (2), il passa là tout un mois, faisant venir des troupes en ce lieu et en envoyant d'autres avec son fils pour se garder du côté d'Antioche. Il monta une fois jusqu'au Crac et le tint bloqué tout un jour pour en examiner les approches. Mais s'étant rendu compte qu'il était puissamment défendu, il renonça à en faire le siège. Saladin n'osa pas davantage attaquer Margat que les Hospitaliers tenaient solidement et il échoua devant le donjon de Tortose où les chevaliers du Temple lui opposèrent une vigoureuse résistance.

La troisième et la quatrième Croisade

La troisième Croisade rendit aux Chrétiens Saint-Jean d'Acre et plusieurs places de Palestine ; Saladin mourut en 1193 et la guerre civile recommençant entre les princes musulmans, les Francs reprirent Saïda et Beyrouth en 1197. Au début du XIIIe siècle les Etats latins d'Orient jouissaient d'une paix relative et leur situation semblait assurée pour longtemps. Ceci n'empêchait pas que des combats eussent lieu fréquemment aux frontières, surtout lorsque le frère de Saladin, Malek el Adel Aboubakr eut enlevé le pouvoir à ses neveux.

Nous savons par Maqrizi qu'en 1203 les Francs de Tripoli, du Crac et d'autres villes se mirent en campagne pour tenter un coup de main contre Hama. Un petit-fils de Saladin, Malek el Mansour, marcha contre eux avec des renforts commandés par les émirs de Baalbeck et de Homs que lui avait envoyés son oncle Aboubakr. Il les attaqua le troisième jour du mois de ramadhan, les mit en déroute, leur fit des prisonniers et s'empara d'un important butin (16 mai 1203) (1).

Quelques jours après, une autre expédition composée de chevaliers de l'Hôpital partait du Crac et de Margat pour faire un raid du côté de Montferrand. El Mansour marcha aussitôt contre eux, leur tua beaucoup de monde et leur fit de nombreux prisonniers. Ce combat, selon Djamal ad-din, eut lieu le vingt-et-unième jour du mois de ramadhan (3 juin 1203) ; ce chroniqueur ajoute que les Hospitaliers étaient au nombre de 400 cavaliers et 1400 fantassins sans compter les Turcoples ; ils avaient en outre avec eux des arbalétriers. Le chef des Turcoples fut tué ainsi qu'un comte ; les Hospitaliers perdirent un grand nombre de frères. Les captifs furent conduits à Hama (2).

On sait comment la quatrième Croisade fut détournée de son but : les Vénitiens entraînèrent au siège de Zara en Dalmatie (nov. 1202) la majorité des Croisés, puis ceux-ci, à la suite d'intrigues politiques, allèrent assiéger Constantinople, ce qui amena la constitution de l'Empire latin de Constantinople (mai 1204).

Cependant un certain nombre de Croisés avaient débarqué à Saint-Jean d'Acre dès 1202 ; d'autres parmi ceux qui s'étaient réunis à Venise, avaient refusé de s'embarquer pour Zara ou d'aller attaquer Constantinople et frétant des navires avaient abordé en Terre-Sainte. Certains se mirent à la solde du prince d'Antioche, Bohémond IV, en guerre avec le roi d'Arménie, d'autres firent des incursions en territoire musulman.

L'un de ces groupes de Croisés qui ne voulaient pas trahir leur voeu était composé de chevaliers champenois sous les ordres de Renaud de Dampierre et ayant traversé l'Italie par Plaisance et les Fouilles, s'était embarqué pour la Terre-Sainte. Parmi eux se trouvait sans doute Geoffroy V de Joinville (3) qui devait mourir au Crac des Chevaliers en 1203 ou au début de 1204. Ce personnage, oncle de Jean de Joinville, le sénéchal de Saint Louis, fut considéré par ses contemporains comme un véritable preux, comme le type accompli du Croisé, épris d'idéal et possédant les plus belles vertus chevaleresques. Ses prouesses sur les champs de bataille « deçà mer et delà » l'avaient fait remarquer de Richard Coeur de Lion au service duquel il fut sans doute quelque temps et celui-ci, qui s'y connaissait en bravoure, lui fit l'insigne honneur de l'autoriser à partir ses armes de Joinville de celles d'Angleterre.

Geoffroy V avait déjà pris part au début de la troisième Croisade avec son père Geoffroy IV qui mourut pendant le siège de Saint-Jean d'Acre en août 1190 et il était de retour en Champagne dès avant la fin de cette année. Au tournoi d'Ecry-sur-Aisne, le 28 novembre 1199, il s'était croisé à nouveau et on le voit en 1201 faire des donations à des établissements religieux avant de partir. (4).

Il est bien probable qu'il prit part aux expéditions parties du Crac en i 203, car c'est là qu'il mourut, peut-être des suites d'une blessure (5). Cinquante ans plus tard, son neveu Jean de Joinville, qui ne quitta pas Saint Louis pendant les quatre ans qu'il passa en Terre-Sainte (1250-1254), après la Croisade d'Egypte, rapporta l'écu de Geoffroy V, parti aux armes de Joinville et d'Angleterre, qui était suspendu au mur de la chapelle du Crac sous les dalles de laquelle reposait le corps du preux chevalier.

Ce pèlerinage au Crac se place sans doute un peu avant le retour de Jean de Joinville en France, lors de son pèlerinage à Notre-Dame de Tortose. Il rapporta en France cette insigne relique de famille et la suspendit dans l'église de la collégiale Saint-Laurent de Joinville ; l'écu de Geoffroy s'y voyait encore en 1544, date à laquelle il fut emporté par les lansquenets de Charles-Quint (6).

L'activité des Hospitaliers du Crac au début du XIIIe siècle

De nouvelles expéditions ont lieu dans les années qui suivent, soit de la part des Francs partant du Crac, soit de la part des Musulmans venant attaquer cette forteresse.

Maqrizi raconte qu'en l'an 601 de l'hégire (1) (août 1204 à août 1205), les chevaliers de l'Hôpital firent une incursion contre Hama, en très grand nombre, et mirent le pays à feu et à sang ; un peu plus tard eut lieu une expédition contre Homs (2). Djamal ad-din nous apprend que l'année suivante (1205-1206) le prince de Homs, Malek al Modjahid, fit une expédition contre les Francs, poussa jusqu'à la citadelle des Curdes et fit un butin considérable. En 1207, probablement en juin, le frère de Saladin, Malek el Adel Aboubakr, vint à la tête de 10.000 cavaliers camper près du lac de Homs pour aller faire le siège de Tripoli. Il alla auparavant attaquer le Crac, mais échoua dans son entreprise et ne put s'emparer que du fort d'Anaz situé à deux kilomètres du Crac. Il fit prisonnière la garnison qui se composait d'environ 500 hommes ; il y trouva une assez grande quantité d'armes et de munitions qu'on y avait réunies (3).

A la même époque les incursions des Francs se multiplièrent en territoire musulman (4). Ceux de Tripoli et du Crac vinrent assiéger la ville de Homs. Le sultan de la principauté de Homs, Asad ed din Chircouh, incapable de leur résister, demanda secours à celui d'Alep, Addhahir Ghazy, et celui-ci obligea les Francs à se retirer (1207-1208) (5).

L'évêque Jacques de Vitry parcourant la Syrie en 1217 s'arrêta à Tripoli au début de cette année ; il vante la richesse du territoire environnant où l'on faisait, dit-il, deux récoltes de vin par an. Il se rendit au Crac et à Safitha et de là à Tortose. Pour parcourir cette région où les routes n'étaient pas sûres du fait du voisinage des Assassins, il faisait partir des pigeons avec des lettres sous les ailes pour qu'on envoyât des hommes armés à sa rencontre (6).

La cinquième Croisade

Au cours de la cinquième Croisade commandée par André II de Hongrie et le roi de Jérusalem, Jean de Brienne, ce dernier décida d'attaquer les Musulmans en Egypte et la flotte des Croisés débarqua en mai 1218 sur la rive droite du Nil en face de Damiette, et investit au début de juin cette ville puissamment fortifiée. Pour les détourner de ce siège, l'armée d'Alep commandée par El Achref, envahit le comté de Tripoli et vint camper devant Safitha et le Crac (1).

L'un des chefs de cette Croisade, le roi André II de Hongrie combla de générosités l'Ordre des Hospitaliers ; pendant sa campagne il avait admiré le zèle des chevaliers, la belle tenue militaire de leurs troupes, la majesté de leurs forteresses, et pour les aider dans les dépenses que nécessitaient leurs constructions et l'entretien de leurs garnisons il leur fit don à plusieurs reprises de terres et de revenus à prendre sur ses domaines de Hongrie (2).

Accueilli à son arrivée en Chypre à la fin de l'été 1217 par le grand maître Garin de Montaigu qui, sur l'ordre du pape Innocent III, était allé au-devant de lui, il avait débarqué avec lui en Syrie, et avait pris part avec les Hospitaliers à une chevauchée au-delà du Jourdain. Découragé par des échecs devant le château du Mont Thabor et devant Saïda, il avait repris le chemin de ses Etats en janvier 1218. Mais sur la route du retour il s'était arrêté dans les deux grands châteaux des Hospitaliers, le Crac et Margat. Le châtelain du Crac, Raymond de Pignans, l'avait reçu avec des honneurs royaux ; en reconnaissance de cet accueil et pour contribuer à la défense de ce château qu'il appelait « la clef de la terre chrétienne » (3), il avait donné au châtelain et aux frères de l'Ordre résidant au Crac cent marcs de rente annuelle sur les salines de Szalacs en Hongrie, dont soixante pour le châtelain et quarante pour les frères (4).

Il semble, d'après les termes de cette donation, que le Crac était alors à l'apogée de sa gloire, que ses principaux ouvrages de défense, déjà terminés peut-être, dressaient leur masse imposante au-dessus de la Boquée, qu'enfin il présentait dans son ensemble l'aspect majestueux que les siècles nous ont conservé.

La sixième Croisade

L'empereur Frédéric II, arrivé en Palestine en septembre 1228, avait obtenu de Malek el Kamel par le traité de Jaffa (18 février 1229) que le sultan lui rendrait Jérusalem, Bethléem et Nazareth ainsi que quelques places de Palestine (1). Une trêve de dix ans avait été également conclue entre Chrétiens et Musulmans ; la principauté d'Antioche et le comté de Tripoli, les forteresses défendues par l'Hôpital et le Temple en étaient exclus et Frédéric II s'engageait à ne point les secourir. Ce traité n'apportait que des garanties illusoires ; le Patriarche de Jérusalem au nom du clergé de Terre-Sainte et les grands maîtres du Temple et de l'Hôpital avaient refusé de le reconnaître. Le pape Grégoire IX qui avait excommunié Frédéric II l'année précédente écrivit au roi de France le 18 juin 1229 (2) pour protester contre l'exclusion de la trêve des grandes places de Syrie, ce qui les exposait à de nouvelles attaques de la part des Infidèles.

Le Crac, centre d'opérations

Il semble que les Francs prirent l'offensive (1) ; à l'automne de cette même année 1229, ils allaient piller les environs de Montferrand et ils rapportaient de cette expédition un butin considérable (2). Puis l'émir de Hama, Malek el Mozaffer ayant refusé de payer aux Hospitaliers le tribut auquel il s'était engagé envers eux, ceux-ci partirent du Crac et d'autres lieux de la région avec un corps de Templiers, semble-t-il, pour s'emparer de Hama. Leur armée se composait de 500 cavaliers et de 2.700 fantassins. Le sultan de Hama leur barra la route et les deux armées se rencontrèrent à Afyoun entre Barin (Montferrand) et Hama (août 1230). Les Francs furent vaincus et laissèrent de nombreux prisonniers aux mains de l'ennemi (3).

Trois ans plus tard, voulant racheter cette défaite et obtenir de l'émir de Hama ce tribut qu'il s'obstinait à ne pas acquitter, les Hospitaliers firent une incursion sur son territoire. Le Crac fut le lieu de concentration de différents contingents venus du royaume de Jérusalem, de la principauté d'Antioche, des garnisons du Temple et même de Chypre. L'armée campa dans la plaine au pied du château.

Le grand maître de l'Ordre du Temple, Armand de Périgord, était venu avec ses troupes ; Jean d'Ibelin, sire de Barut, accompagné de Gautier de Brienne, beau-frère du roi Henri de Chypre, avait amené cent chevaliers de Chypre ; quatre-vingts chevaliers du royaume de Jérusalem étaient venus sous le commandement de Pierre d'Avalon ; Henri, frère du prince Bohémond V d'Antioche, amena avec lui trente chevaliers de la Principauté. Enfin, le contingent de l'Hôpital, commandé par son grand maître Guérin, se composait de cent chevaliers, quatre cents sergents à cheval et quinze cents fantassins.

L'expédition ne dura que huit jours ; les Francs marchèrent toute la première nuit et arrivèrent à l'aube à Montferrand, de là, ils allèrent piller Mariamin, revinrent à Montferrand, gagnèrent la Somaquié, puis retournèrent dans la Boquée, ayant ravagé le pays sans être inquiétés (4). A la suite de cette campagne qui paraît avoir eu lieu en octobre 1233, le prince de Hama, sur le conseil de ses oncles Malek el Kamel et Malek el Achref, sultans d'Egypte et de Damas, se décida à payer le tribut aux Hospitaliers. Mais cinq ans plus tard, en 1238-1239, il s'empara de Montferrand dont les Francs se servaient de base pour parcourir le territoire de Hama et ruina la citadelle (5).

La décadence du Crac

Au début de l'année 1252, une armée de 10.000 Turcomans, à la solde du prince d'Alep, venant de Sheïzar envahit la région entre le Crac et Tripoli et incendia de nombreux casaux, massacra une partie des habitants et rentra à Sheïzar avec de nombreux prisonniers (1).

Nous arrivons maintenant à la période de décadence des Etats latins et les quelques textes du troisième quart du XIIIe siècle qui concernent le Crac nous apportent un écho de la situation difficile où se débattent les Chrétiens du Levant. Saint Louis a quitté la Terre-Sainte en 1254 après avoir relevé les enceintes de quelques places du littoral, mais en laissant les principautés franques dans un état précaire. Cependant les Hospitaliers font encore des efforts pour maintenir des garnisons dans leurs châteaux et pour les fortifier davantage. Nous trouverons au Crac des traces des travaux de construction faits à cette époque. A la demande qu'ils adressent au pape Alexandre IV pour obtenir des exemptions de dîmes en faveur du Crac et de ses dépendances., celui-ci répond favorablement (8 avril 1255) et fait valoir les grandes dépenses que l'Ordre assume pour fortifier ce château, et y conserver de façon permanente 60 chevaliers afin de tenir tête aux Sarrasins au milieu desquels la forteresse se dresse et de protéger ainsi la patrie chrétienne (2).

Les Francs allaient bientôt se trouver en présence d'un adversaire aussi redoutable que Nour ed-din et Saladin. C'était Beibars, c'est-à-dire « la Panthère » qu'on appelait aussi Bendokdar, c'est-à-dire « l'Arbalétrier ». Il apparaît en Syrie en 1260. Rien de plus extraordinaire que la fortune de ce sultan d'origine mongole qui avait été esclave à Damas, puis vendu en Egypte à un mamelouk. Une série de coups d'audace aidés par sa taille gigantesque et sa force physique l'avaient fait s'élever aux plus hauts rangs. Envoyé en Syrie par le sultan d'Egypte, Kotouz, pour combattre les Mongols, il avait vaincu leur général Kitboga, puis il avait fait assassiner Kotouz, son maître, et s'était fait proclamer à sa place (octobre 1260). Dès que l'Egypte fut en son pouvoir, Beibars s'attaqua aux Etats chrétiens. En 1261, il ravage le territoire de la principauté d'Antioche et chaque année voit une nouvelle incursion de ses troupes en territoire latin. Et une à une les places franques tombent sous ses coups. En 1263, en haine de la-chrétienté, il fait démolir complètement l'un de ses sanctuaires les plus vénérés, la Basilique de Nazareth. En 1265, il prend Césarée et Arsur, en 1266 le château de Saphet, en 1268 Jaffa et, peu de temps après, il apparaît subitement devant Antioche dont il s'empare après une courte résistance (19 mai 1268).

Durant ces années où les désastres succédaient aux désastres les populations chrétiennes vivaient dans une constante angoisse. Elles désertaient les cités et les villages de l'intérieur pour se réfugier dans les villes du littoral. Dès 1263, le pape Urbain IV écrit que la ville de Rafanée., jadis siège épiscopal dans le voisinage du Crac, était vide de chrétiens (3). En mai 1267, Beibars avait ravagé la région du Crac et de Tripoli et capturé sept cents hommes et mille femmes et enfants dans trois places fortes et seize bordj (fortins) (4).

Combien alors est émouvante la lettre écrite de Saint-Jean d'Acre quelques jours après la prise d'Antioche, par Hugues Revel, grand maître des Hospitaliers et adressée à Frère Faraud de Barras, prieur de Saint-Gilles (5). Il lui expose la détresse des Hospitaliers en Terre-Saints : depuis huit ans, l'Ordre ne touche plus aucun revenu dans le royaume de Jérusalem ; ce qu'il possédait dans le voisinage Saint-Jean d'Acre est aux mains des Infidèles. Les Chrétiens conservent encore Chastel-Pèlerin, Tyr et Saïda, mais ils ne peuvent tirer aucune ressource du territoire avoisinant. Si Beyrouth jouit d'une trêve, le rapport de son domaine est bien peu de chose ; il a fallu faire face à des dépenses considérables pour mettre Antioche et Saint-Jean d'Acre en état de défense. Hors du littoral la Chrétienté n'a plus que le Crac et Margat qui assurent la protection de la côte, mais qui sont menacés sans cesse par l'ennemi. L'Ordre doit faire de grands sacrifices et consacrer des sommes énormes à l'entretien de ces forteresses. Ces lieux où l'Hôpital faisait vivre plus de dix mille hommes sont maintenant désertés et il n'y reste plus que trois cents frères de l'Ordre (6).

En 1269, les Musulmans battaient les chrétiens aux environs d'Acre, puis Beibars à la fin de décembre faisait, sans succès il est vrai, deux tentatives contre Margat. Le mois suivant (28 janvier 1270), il paraissait devant le Crac, repoussait une sortie de la garnison (7) puis allait dévaster les environs. Il revenait ensuite au Caire, inquiet des nouvelles d'Occident : la deuxième Croisade de Saint Louis allait commencer. Mais la flotte, au lieu d'aller en Egypte, se dirigea sur Tunis où le roi mourait le 25 août.

La mort du saint roi eut un retentissement considérable en Orient. Depuis longtemps la Chrétienté de Terre-Sainte ne recevait plus de renforts d'Occident. Plusieurs tentatives de Croisades avaient échoué, La Croisade de Saint Louis était l'espoir suprême des populations franques de Palestine et de Syrie qui sentaient l'étau des Infidèles se resserrer chaque jour.

Beibars craignant que la mort du roi ne fît rebondir l'expédition vers la Palestine prit la précaution d'aller détruire Ascalon et de rendre son port inabordable (25 septembre 1270), (8).

Siège et prise du Crac par Beibars en 1271

Puis apprenant que la Croisade prenait fin il sortit du Caire le 24 janvier 1271 et se mit en marche contre le Crac. Si l'on combine les dates un peu différentes données par les chroniqueurs arabes sur l'itinéraire de Beibars et sur les épisodes du siège en suivant surtout pour ceux-ci les renseignements recueillis presque immédiatement par Ibn Shaddad (1), il semble qu'on doive s'arrêter aux dates suivantes: Il part du Caire le 24 janvier (2) avec son fils Malik as Saïd (Baraka-Khan) et arrive à Damas le 20 février (3), il ravage le territoire de Tripoli., s'empare rapidement de Safitha (Chastel-Blanc) et des fortins défendant les abords du Crac ; il apparaît devant la forteresse le 3 mars (4), dès le lendemain 4 mars, on attaque et une brèche est faite dans l'enceinte, selon Ibn Shaddad, tandis que selon Nuwairi les faubourgs sont pris ; le même jour arrive le prince de Homs, Malek el Mansur Mohammad, et Beibars va à sa rencontre ; ensuite arrivent le prince de Sahyoun, Seif al din, et le grand maître des Assassins Nadjm al din. Le jour suivant, 5 mars, la tour d'entrée est prise (d'après Ibn Shaddad).

A partir de ce moment le siège subit un temps d'arrêt, soit à cause des pluies (Ibn Shaddad), soit à cause du transport et du montage des mangonneaux (Nuwairi).

Le siège était dirigé par le fils du sultan (d'après Ibn al Athir) (5). Le 15 mars (premier jour de shaban), la tour d'entrée de la deuxième enceinte, fut forcée et le 29 mars (quinzième jour de shaban), on prit la troisième tour qui défendait l'entrée du château même, avec F aide des sapeurs de Malik as Saïd (6).

Le grand trésorier du sultan, son lieutenant en Egypte, Badr al din Bilbak, avait dirigé l'assaut. Alors le chemin fut ouvert. Les soldats s'élancèrent dans la cour du château, tuèrent les chevaliers qui s'y trouvaient, firent prisonniers les montagnards qui avaient aidé à la défense et ne laissèrent libres que les villageois. La plupart des chevaliers s'étaient réfugiés dans la « qulla » (qui signifie cime ou tour et qui a ici Je sens de donjon), c'est-à-dire qu'ils se réfugièrent dans les grandes tours du sud de la deuxième enceinte (7). Pour la prendre le sultan fit transporter les mangonneaux dans la cour et on les dirigea contre le donjon, forçant ainsi les chevaliers à se rendre. Ils obtinrent de se retirer sous sauvegarde à Tripoli. Le donjon fut rendu le 8 avril (25 shaban).

Nuwairi et Ibn Furat ajoutent sur les derniers moments de la résistance des Hospitaliers ce détail curieux : Le sultan fit adresser aux défenseurs du donjon une lettre qu'il avait fait écrire au nom du commandant des Francs à Tripoli, message qui leur enjoignait de se rendre. Ceux-ci demandèrent alors à capituler.
Ainsi, selon Ibn Shaddad, le siège aurait duré depuis le 3 mars jusqu'au 8 avril (8).

Les chroniques arabes nous font entrevoir que les Chevaliers de l'Hôpital se défendirent avec acharnement. Assurément la puissante forteresse avait des ouvrages formidables qui lui auraient permis de résister plus longtemps, — elle avait déjà supporté bien d'autres sièges — si la garnison avait été en nombre suffisant. Bien que nous ne sachions pas quel était le nombre des soldats de Beibars, il semble que son armée était très nombreuse, d'autant plus que les troupes qu'il avait amenées s'étaient grossies des contingents de Hama, de Sahyoun et des Assassins. Les défenseurs du Crac n'étaient en face de l'armée musulmane qu'une poignée de combattants. La lettre d'Hugues Revel de 1268 nous laisse entendre que la garnison du Crac qui, selon Wilbrand d'Oldenbourg, se composait de 2.000 combattants au début du XIIIe siècle, était bien loin d'atteindre ce chiffre. On se souvient qu'il parle de 300 frères de l'Ordre (9) pour les deux garnisons du Crac et de Margat et qu'il montre la région déserte et privée d'hommes. Les Turcoples, s'il s'en trouvait encore, devaient être en bien petit nombre. Et il n'est question que de montagnards réfugiés dans l'enceinte qui avaient participé à la défense. Cependant la petite garnison avait résisté pied à pied défendant chaque ouvrage avec opiniâtreté. On voit des chevaliers se faisant tuer dans la cour quand l'entrée en est forcée. Et les survivants veulent encore tenir dans le donjon.

La ruse d'après laquelle Beibars écrivit un faux et fit croire aux assiégés qu'on les engageait de Tripoli à capituler, bien qu'elle ne soit pas rapportée par Ibn Shaddad, doit être un épisode d'autant plus authentique que cet acte n'est pas à l'honneur du sultan. Il est très possible que Beibars, voyant que la résistance pouvait être longue de la part des défenseurs enfermés dans ces puissants ouvrages où ils avaient pu réunir des provisions, ait employé ce procédé. Les chroniques ne nous disent pas qu'il bombarda ces ouvrages et, en effet, on constate qu'aucun boulet n'atteignit de l'intérieur les grosses tours du sud. En outre, si les assiégés avaient eux-mêmes, comme c'est probable, des perrières dans le donjon, ils auraient pu faire éprouver de grosses pertes aux Musulmans qui ne pouvaient attaquer que par la cour, c'est-à-dire sous le tir des Hospitaliers.
Enfin, on voit dans le récit d'autres sièges que l'assiégeant s'efforçait autant que possible d'épargner les ouvrages d'une forteresse dont il allait -s'emparer pour éviter de les reconstruire. Beibars, avant d'ordonner le bombardement suprême, essaya donc d'un subterfuge qui réussit.

La prise de ce château devant lequel les armées musulmanes avaient tant de fois échoué fut pour Beibars un succès considérable. Le vainqueur écrivit au grand maître des Hospitaliers une lettre insolente où il laisse voir la joie que lui causait son triomphe : « Cette lettre est adressée au premier des Frères ; que Dieu le place au nombre de ceux qui ne s'opposent pas à la Destinée !......Nous t'informons que Dieu nous a rendu facile la conquête de Hisn al Akrad, cette place que tu avais construite et fortifiée... tu en avais confié la garde à tes frères... En les y laissant tu les as perdus, comme ils ont perdu cette place et t'ont perdu toi-même... » (10).

Le Crac aux mains des Musulmans

Maître du Crac, Beibars transforma sa chapelle en mosquée et y institua la prière publique. Il nomma gouverneur de la forteresse Sârim al din Qaimaz (1), et confia les travaux de restauration du château à Izz al din Aibak al Afram et Izz al din Aibak al Shaikh. Puis le sultan continuant ses victoires allait s'emparer d'Akkar en face du Crac, au sud, de l'autre côté de la Boquée. Mais dès le mois de schoual 669 (mai-juin 1271) il venait surveiller les travaux de construction (2). Au mois de rabi Ier 670 (octobre 1271) (3), il revenait les inspecter; enfin il retournait au Crac le 2ie jour du mois de djulidja de la même année (19 juillet 1272). « II inspecta les travaux de construction et enjoignit à tous les émirs qui l'accompagnaient de transporter à l'intérieur de la place les pierres destinées aux machines de guerre. Lui-même travaillait avec eux. Ensuite, il descendit de la citadelle, et s'occupa en personne à réparer et creuser une partie du fossé... (4). »

Ces détails sur les travaux de restauration du Crac ordonnés par Beibars nous montrent que les dégâts faits par les machines de guerre et par les sapeurs pendant le siège avaient dû être importants. Nous verrons qu'ils portaient surtout sur les fronts Sud et Est de la première enceinte.

Des inscriptions contenant le nom de Beibars et la date du 8 avril 1271 où fut pris le château et où le sultan ordonna les restaurations sont gravées sur des ouvrages de ces deux fronts. Nous verrons dans l'étude des campagnes de construction que les indications fournies par les documents écrits sont confirmées par l'examen direct du monument et que les réfections de Beibars eurent une certaine importance.
D'autres travaux furent exécutés encore sous les successeurs de Beibars.

Le Crac aux mains des Musulmans devint le chef-lieu de la « Province royale des conquêtes heureuses », c'est-à-dire de la Province formée des territoires repris aux Francs par Beibars et Qelaoun, et cette citadelle servit de base d'opération pour attaquer les Francs. C'est du temps du sultan Qelaoun que fut renouvelé, sinon entièrement construit, le puissant ouvrage carré situé au milieu du front Sud de la première enceinte, qui porte sur son inscription la date de 684 (1285). Le gouverneur du Crac était alors Balabân al Tabbakhi. Il occupait déjà cette place en 1281 et c'est du Crac qu'il dirigea alors une attaque contre les Hospitaliers de Margat. On sait que cette forteresse tomba aux mains de Qelaoun après un siège vigoureux en 1285. C'est sans doute en prévision de la lutte avec les Hospitaliers de Margat qui étaient encore redoutables que le gouverneur amplifia les défenses du Crac (5).

En 1301-1302 sous le règne du fils de Qelaoun, le sultan al Malik al Nasir Mohammad, le gouverneur du Crac était l'émir Badr al-din Bilik al Sadidi. Celui-ci fit réparer un pan de la courtine de la deuxième enceinte à l'ouest démoli par une tempête. A cette époque il n'était plus question de nouvelles fortifications à dresser contre les Croisés. Ceux-ci avaient évacué la Terre-Sainte. Après Margat, Tripoli succombait en 1289.

Saint-Jean d'Acre, la grande ville chrétienne, la capitale du royaume de Jérusalem depuis un siècle, était enlevée après la plus héroïque des résistances, des combats de rues et de farouches corps à corps (5 avril-28 mai 1291), Tyr (18 mai), puis Sidon, puis Beyrouth (21 juin), puis Caïffa (30 juillet), enfin Chastel-Pèlerin, Giblet, Tortose étaient prises ou évacuées dans les mois suivants. Au mois d'août 1291, il ne restait plus rien des Etats francs qui avaient occupé pendant près de deux siècles le littoral oriental de la Méditerranée.

Dignitaires de l'Ordre de l'Hôpital au Crac des Chevaliers (1)

Châtelains.
N... tué à la bataille de Lebona le 4 juillet 1170.
Jean de Anio, août 1180.
Armand, 1184-avril 1185.
Pierre de Vallis, 1er février 1186.
Pierre de Mirmande, janvier 1193 - 6 septembre 1199 (Grand Précepteur en 1202).
Geoffroy [le Rat], décembre 1204 (Précepteur d'Antioche en 1198-1199 ; Grand Maître en 1206-1207).
Raymond de Pignans [12-18 janvier] 1218.
Arnaud de Montbrun, 18 novembre 1241 (Maréchal de l'Ordre 1232-1233).
Hugues Revel, 31 mai 1243 (Grand Précepteur de 1250 ou 1253 à 1257; Grand Maître de 1258-1277).
Jean de Bubie, 7 août 1248 (châtelain de Margat en 1254).
Aymar de la Roche, 1er mars 1254-22 septembre 1254.
Nicolas Lorgne, vers 1255-1266 (?) (Châtelain de Margat vers 1250-1254. Maréchal de l'Ordre entre 1266-69 et 1271. Grand Précepteur en 1271. Maréchal de l'Ordre en 1273. Commandeur de Tripoli entre 1275 et 1277. Grand Maître de 1278 à 1284).

Commandeurs.
N..., 15 juin 1270.
Bernard de Porte Clare. Après le 11 mai 1275 et avant le 3 août 1277.

Prieurs.
Arnaud d'Arène, 30 août 1247.
Giraud, 14 février 1248 (1).
N..., 30 septembre 1263-26 octobre 1267.
En 1163 un Prieur conventuel de l'Ordre porte le nom de Pierre du Crac (2).
1. Delaville le Roulx, Les Hospitaliers en Terre-Sainte et à Chypre (1904). Liste des dignitaires..., p. 407 et ss. et spécialement p. 432.
2 « Frère Giraud, prior dou Crac » apparaît comme témoin dans un acte de fondation de messe par Hugues de Giblet à la maison de l'Hôpital de Tripoli (Cf. Fer-nand Benoit, Les Porcellet de Syrie, dans Comptes rendus et mémoires du Congrès de Marseille (Institut Historique de Provence), 1928, p. 33 et ss.).
3. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, n° 309 et 312.

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Conclusion

Nous venons de retracer les annales du Crac des Chevaliers. Il entre dans l'Histoire avec la première Croisade au cours d'une chevauchée de Raymond de Saint-Gilles. L'Ordre de l'Hôpital s'y installe au milieu du XIIe siècle, apporte pendant cent trente ans sans répit tous ses soins à le maintenir en bon état de défense, y entretient une nombreuse garnison et en fait une place de guerre formidable. Comme une sentinelle avancée surveillant l'une des principales voies d'accès des Etats musulmans vers les Etats chrétiens, la garnison du Crac tint pendant de longues années fièrement son poste de gardienne de la terre chrétienne. Mais elle avait un autre rôle : celui de fournir des combattants chaque fois qu'une armée franque partait en expédition contre les Musulmans. On sait les immenses services rendus par les Ordres de l'Hôpital et du Temple aux Etats latins. Au premier appel du roi de Jérusalem, du comte de Tripoli ou du prince d'Antioche, les chevaliers de ces Ordres venaient grossir la troupe des vassaux réunis par leur suzerain. Dans les récits de toutes les batailles, qu'elles aient lieu au-delà du Jourdain et de l'Oronte, voire même sur les rives lointaines de l'Euphrate ou sur la terre chrétienne dont il fallait défendre le sol, on compte parmi les morts des chevaliers du Temple ou de l'Hôpital. Il est naturel de penser qu'à presque tous ces combats avait pris part un contingent du Crac, comme en cette bataille de Lebona où Nour ed-din vit avec joie la tête coupée du gouverneur du Crac que les Musulmans redoutaient particulièrement.
Les noms de quelques-uns des gouverneurs (châtelains) du Crac sont parvenus jusqu'à nous ; la majorité porte des noms incontestablement français : Pierre de Mirmande, Geoffroy le Rat, Raymond de Pignans, Arnaud de Montbrun, Hugues Revel, Aymar de la Roche, Nicolas Lorgne ; pour les autres on peut hésiter.

Les documents d'archives nous apportent d'autres souvenirs français tels que celui de Geoffroy de Joinville, dont les restes reposent encore sans doute sous les dalles de la chapelle du Crac des Chevaliers.

Ces souvenirs se précisent lorsqu'en visitant le monument, on y rencontre des inscriptions écrites en français du XIIIe siècle. La chapelle qu'on voit à l'intérieur de la forteresse a le style roman du XIIe siècle de nos églises de campagne de Provence et de Bourgogne.

Cette chapelle aujourd'hui transformée en mosquée d'un misérable village, cette chapelle aux murs lépreux, il faut se l'imaginer à la fin du XIIe et au XIIIe siècles, toute décorée d'emblèmes militaires, d'étendards et de trophées de victoire. Saint Bernard nous décrit (2) avec enthousiasme le noble aspect que présentait l'intérieur de l'église des Templiers à Jérusalem avec le grand pavois de guerre que formaient les épées, les lances, les harnais suspendus aux murailles. Il est bien vraisemblable qu'il en était de même dans les chapelles de forteresses des Hospitaliers et qu'on y voyait aussi les armures et les grands écus des chevaliers morts en combattant, tels que celui de Geoffroy de Joinville.

En avant du portail de cette chapelle, une fouille nous a fait trouver, les pieds sous le seuil, six squelettes de ces chrétiens qui au temps des Croisades tinrent garnison au Crac des Chevaliers. Nous n'avons trouvé sur ces corps que des boucles de ceinturon. Etaient-ce là des chevaliers de l'Ordre, ou seulement des sergents d'armes ? Nous ne saurions le dire. Mais la régularité avec laquelle ces corps étaient alignés, à même la terre semble-t-il, fait penser qu'ils furent enterrés en même temps, à la suite d'un combat, vêtus peut-être d'une robe monacale, car il ne faut pas oublier que ces chevaliers, ces soldats étaient en même temps des religieux.
1. Sobernheim, n° 8 des inscriptions du Crac.
« Au nom d'Allah... cette tour d'heureux augure a été renouvelée sous le règne de notre maître le grand sultan, le seigneur savant, juste, secouru (par Allah), le combattant, le guerrier qui est prêt au combat, le défenseur des frontières, le victorieux, al-Malik al Mansur Saif al-dunyâ wa-l-din Qalâûn al-Sâlihi, l'associé du prince des croyants, qu'Allah fasse durer ses jours et donne la victoire à ses aides. Sa construction a eu lieu l'année 684 (1285). » Sobernheim, ouvr. cit., p. 23, n° 7 des Inscriptions du Crac. (Phot. de cette inscription dans Van Berchem, Voyage, pl. XIV, en bas).

2. Ce texte date de 1136 environ : « ...Ornatur tamen hujus quoque facies templi sed armis, non gemmis ; et pro antiquis coronis aureis, circum pendentibus clypeis paries operitur, pro candielabris, thuribulis atque urceolis, domus undique frenis, sellis atque lanceis communitur... » S. Bernardi De laude novae militiae ad milites Templi, chapitre V, éditions 1690, t. I, col. 548. Voyez aussi V. Mortet et P. Deschamps, Recueil des textes relatifs à l'histoire de l'Architecture... en France, t. II, 1929, p. 42, n° XI.

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes — L'historique du Crac des Chevaliers

1 Le sommet de la tour nord-est de la première enceinte (tour 12 du plan) est à 667 mètres ; le sommet de la tour centrale du front sud de la 2e enceinte (tour J du plan), la plus élevée, est à 694 m 20. (Renseignements fournis par le Lieutenant de Brommer, de la première Brigade Topographique du Levant).
2. Ces voies remontaient à une haute antiquité : dans ce pays où tant de civilisations s'affrontèrent, bien des armées suivirent les mêmes routes. M. Dussaud suppose que le site du Crac est très ancien et que l'antique ville de Shabtouna occupait son emplacement. Il est question de Shabtouna dans les textes égyptiens relatant la fameuse bataille de Qadesh entre les Hittites et Ramsès II (vers 1295 av. J.-C.). Tout près de là jaillit la Source Sabbatique, ainsi appelée par l'historien Josèphe (de bello jud. VII, 5) parce qu'elle ne jaillit que tous les sept jours. Elle a donné son nom au Nahr es Sabté dont il faut rapprocher le nom de celui de Shabtouna. L'armée égyptienne campa au sud de Shabtouna tandis que Ramsès se dirigeait avec une avant-garde vers Qadesh située au sud du lac de Homs (Dussaud, Topographie..., p. 93 -et n. 2 et pp. 105-106). Plus tard Titus venant de Beyrouth et remontant vers le nord passa au pied de l'éminence où se dresse le Crac et visita la Source Sabbatique. On verra plus loin que, lors de la première Croisade, l'armée de Raymond de Saint-Gilles descendant du nord occupa Rafanée, puis s'empara du Crac avant d'aller assiéger Archas.
3. R. Dussaud, Topographie, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie antique et médiévale illustration, Pl. 148.
4. Ibidem, Pl. 150 A.
5. Dussaud, Topographie, p. 96.
6. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, p. 397 et 406-407. — Dussaud, Topographie, p. 100-101.
7. Dussaud, Topographie, p. 93 et n. 7.
8. Ibid., p. 95 et n. 2.
9. Dussaud, Deschamps, Seyrig, La Syrie antique et médiévale illustration, pl. 146 et 147.
10. Dussaud, Topographie, p. 119.
11. Renan, Mission, p. 126.
12. Renan, ibidem — Sur Bordj Maksour et Bordj Mouhash, voir P. Lammens, dans Musée Belge, t. IV (1900), pp. 283-284. Ce dernier déclare que Bordj Mouhash est certainement d'origine franque.
13. PL XVII B.
14. Van Berchem, Voyage, p. 97, signale cette tour en ruine sur une colline au sud-est de Chastel Rouge.
15. Rey, Architecture militaire, p. 101-102.
16. Le point culminant au sud-ouest, où se trouve un cimetière, atteint 692 m. 20. On a signalé ci-dessus que le sommet de l'ouvrage le plus élevé de la forteresse atteignait 694 m. 20.
17. Ces villages apparaissent sur la photo d'avion verticale (PL XXII). Il y avait là au moyen-âge un bourg assez important muni d'une enceinte avec deux portes flanquées de tours. La grande mosquée du village Haret Seraya est construite sur l'emplacement d'une église. C'est bien sans doute Notre-Dame du Bourg dont il est fait mention à côté de la chapelle du château dans un document daté du 30 août 1247 : « Inventaire des vases sacrés et ornements qui étaient dans l'église du château de Crat et dans celle de Nostre-Dame du Bourg, fait par frère Arnaut d'Arène, prieur de l'église de Crat, du 3 des calendes de septembre 1247. » (Analyse : Archives des Bouches-du-Rhône, Malte, H, inventaire, des chartes de Syrie, n° 267 (XVIIIe s.). — Cité par Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, tome II, p. 662, n° 2456. — Voir sur cet édifice Van Berchem, Voyage, p. 163. Les inscriptions arabes qui y sont conservées ont été publiées par Sobernheim dans la public, dirigée par Max Van Berchem, Matériaux pour un « Corpus inscriptionum arabicarum », 2e partie, Syrie du Nord, p. 21 à 36 (Mémoires de l'Institut français d'archéologie orientale, tome XXV, Le Caire, 1909).
18. Fewwaret ed-Deir, les indigènes l'appellent aujourd'hui Aïn el Fouar. Au fait signalé par l'historien Josèphe et rapporté plus haut, il faut ajouter le témoignage de l'auteur arabe Qalqachandi qui écrivait au début du XVe siècle et qui raconte aussi que la Source Sabbatique ne coule que toutes les semaines. Cf, Gaudefroy-Demombynes : La Syrie à l'époque des Mamlouks, Paris, 1923, p. 3. — Le Lieutenant de Brommer nous signale que les jaillissements intermittents de la source ne se produisent pas de façon aussi régulière. Un mois se passe parfois sans qu'elle bouillonne.
19. Tout le massif depuis Tell Kalakh jusqu'au Crac est basaltique ; le calcaire n'apparaît que dans une zone au nord de cette région où se trouvent plusieurs carrières. La pierre calcaire qui servit à édifier presque tous les ouvrages du château (sauf quelques parties construites en basalte) viendrait d'une grotte située, sur le flanc d'une éminence, le Djebel Knouta, à 2 km. 500 ouest du château, face au couvent Saint-Georges. Cette grotte nommée Marara Derra, communiquait autrefois par une route avec la forteresse et comme elle était assez élevée (environ 450 m.) le transport était facile (Renseignements du Lieutenant de Brommer ; voyez, aussi sur la géologie de la région G. E. Post, dans Palest. Explor. Fund, Quart. Stat., 1893, p. 36-43).
20. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, n° 558, p. 378-379 et n° 754, p. 479-480 ; actes de 1179 et de 1185. — Dussaud, Topographie, p. 94.
21. Hagenmeyer, Chronologie de la première Croisade, n° 345.
22. Guillaume de Tyr, XXII, c. 2 ; Historiens Occidentaux des Croisades, I, 1064.
23. Editions J.-C.-M. Laurent, Peregrinatores..., p. 29. — Marino Sanuto, Liber secr. fid. crucis, L. III, pars 14, éditions Bongars, Gesta Dei per Francos, II, p. 245 (d'après Burchard). Il est vrai que le voyage de Burchard n'eut lieu que vers 1283, donc une douzaine d'années après la prise du Crac par les Musulmans. Mais il est certain que la région devait être aussi bien exploitée du temps des Hospitaliers sauf dans les derniers temps de leur occupation. Une lettre du grand maître de l'Hôpital en 1268 parle de la prospérité d'antan des territoires de l'Ordre aux environs des deux châteaux du Crac et de Margat qui à eux seuls faisaient vivre plus de dix mille personnes.
24. Historiens Occidentaux des Croisades, IV, 451 « in vallem quae dicitur Camelorum ». Cf. Dussaud, Topographie, p. 92 et n. 3.
25. Voir plus loin, p. 127, n. 2.
26. « Castrum ipsum, positum quasi in medio nationis perverse et Sarracenis infestum. » (8 avril 1255), publié dans J. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, p. 777-778, n° 2727.
27. Historiens Orientaux des Croisades, II B, 263.
28. Wilbrand d'Oldenbourg, édition Laurent, Peregrinatores..., p. 169 : « Et reliquimus ad dexteram Crac, quod est castrum Hospitalariorum maximum et fortissimum, Sarracenis summe damnosum. Quod dictu mirabile est, tempore pacis a duobus milibus pugnatorum solet custodiri. »
29. Historiens orientaux des Croisades, I, 31, 79, 503 ; II, 90 ; IV, 154. Sur le tremblement de terre de 1202, cf. Robert Abolanz, Chronologie, dans Recueil des Historiens de la France, XVIII, p. 263.
30. Voyez Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, nos 82, 144, 160, 405 ; II, n° 1173, 1602, 1616, 2727; III, n° 3198, 3278, 3282, 3307, 3571.
31. D'après Ibn Shaddad Halabi qui cite Ibn Abî Tayy. Cf. Van Berchem, Notes sur les Croisades, dans Journal Asiatique, 1902, t. XIX, pp. 446-448, et Sobernheim, « Matériaux pour un corpus inscriptionum arabicarum », 2e partie, Syrie du Nord, p. 14 et suivantes. Nous avons signalé plus haut que le Crac ne se trouve pas au point culminant de la montagne sur laquelle il se dresse. Au début des Croisades, l'aspect de cette construction sur une pente devait être plus frappant encore qu'aujourd'hui, les Croisés ayant dû plus tard agrandir leur enceinte et l'étendre vers le sud c'est-à-dire du côté du sommet.
32. Le prince mirdaside de Homs, Shibl al-daula Nasr (420-429=1029-1037).
33. D'après Yakut, cité par Van Berchem, article cité, p. 447, il n'y eut là d'abord qu'une tour, puis les Curdes en auraient fait une forteresse importante.
34. Voyage, p. 160.


Notes — Le Crac au début des Croisades

1. Les chroniqueurs l'appellent la vallée de Sem ou Dessem ; à rapprocher sans-doute de Sin que M. Dussaud signale comme une ville importante de l'Antiquité et qu'il situe à Shein, village voisin d'Arqa (Topographie, p. 88). Cf. Hagenmeyer, Chronologie de la première Croisade, dans Revue de l'Orient Latin, t. VII, 1909, n° 339, 345, 351, 369 ; Bréhier, Historien anonyme de la première Croisade, 1924, p. 182-183.
2. L'identification a été faite par Hagenmeyer, dans son édition des Gesta (Anonymi Gesta Francorum, Heidelberg, 1890), pp. 420-421 et dans sa Chronologie, n° 346.
3. Historiens Occidentaux des Croisades, III, 2746.
4. Cet étroit défilé décrit par Raymond d'Aiguilhe doit se trouver au sud-est du Crac dans la direction de la tour d'Anaz. Pour se rendre à celle-ci en venant du Crac on suit en effet un étroit couloir dominé de tous côtés par des escarpements.
5. Sur la prise de ce château, cf. Hagenmeyer, Chronologie, n° 346, 347, 348, 350. Les détails les plus étendus se trouvent dans les Gesta Francorum (éditions Hagenmeyer, p. 156 ; éditions Bréhier, Historien anonyme de la première Croisade, 1924, pp. 182-185) et dans Raymond d'Aiguilhe, Historiens Occidentaux des Croisades, III, 274 B. Les autres chroniqueurs qui y font allusion sont Tudebode (Historiens Occidentaux des Croisades, III, 97). — Hist. b. sacri, c. 96 (ibid., 210). — Robert le Moine (ibid., 853 AB. — Baudri de Dol (ibid., IV, 91 BC). — Guibert de Nogent (ibid., 215 F). — Orderic Vital, Histoires ecclésiastiques (éditions le Prévost III, 586). — Anonyme rhénan, Historia Gotfridi (Historiens Occidentaux des Croisades, V, 490 EF).
6. Raoul de Caen, Gesta Tancredi, c. 105 ; Historiens Occidentaux des Croisades, III, 680 et note b.
7. Aboul Féda, Historiens orientaux des Croisades, I, 6-7. Ibn-Furat, trad. Jourdain (Bibliothèque Nationale manuscrits arabes 1596, p. 70). — Ibn al Athir, Historiens orientaux des Croisades, I, 213.
8. Cf. Rôhricht, G. K. J., p. 84.
9. Mirât az Zaman, Historiens orientaux des Croisades, III, 537 et 539. — Ibn-Furat, traduction Jourdain, Bibliothèque Nationale manuscrits arabes, 1596, p. 70. — Ibn al Qalanisi, éditions Gibb, p. 99. — Cf. Rôhricht, G. K. J., p. 84, n. 4. — Voyez aussi H. Derenbourg, Les Croisades d'après Yakout, dans Centenaire de l'Ecole des Langues orientales vivantes, Paris, 1895, p. 76 (traduction du texte de Yakout, concernant le Crac).
10. Ibn al Qalanisi, éditions Gibb, p. 127.
11. Kamal ad-din, Histoire d'Alep ; Historiens orientaux des Croisades, III, 609.
12. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, p. 77, n° 82.


Notes — Les Hospitaliers au Crac

1. « Ego Raimundus, comes Tripoli., dedi... domui sancti Hospitalis Jherusalem Raphaniam et Montera Ferrandum... et Mardabech... et quicquid habeo... juris vel dominii in piscaria Chamele a Chades usque ad Resclausam... Cratum et castellum Bochee... et Felitum et Lacum (correction Felicium et Lacum). » Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, pp. 116-117, n° 144. Cette donation de 1142 fut confirmée par Raymond en 1145. Cf. DelaVille le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, p. 130, n° 160. En 1170, Bohémond III, prince d'Antioche, la confirma à nouveau pendant la longue captivité de Raymond II de Tripoli que Nour ed-din avait fait prisonnier à la bataille d'Imma le 10 août 1164. Cf. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, p. 287.
2. Lieu à identifier. Cf. Dussaud, Topographie, p. 100, n° 1.
3. La Chamele est le nom que les Francs donnaient à Homs.
4. On identifie Chades avec Qadesh, aujourd'hui Tell Nebi Mend entre deux bras de l'Oronte, à une petite distance au sud du lac de Homs. Cf. Dussaud, Topographie, p. 107. Quant à la Resclause M. Dussaud écrit : « Le lac (de Homs) est défini ainsi d'une extrémité à l'autre, car la Resclause n'est autre que le barrage au nord-est du lac. » Voyez aussi Dussaud, La digue du Lac de Homs... dans Monuments Piot, t. XXV, 1922.
5. Rey, Architecture militaire, p. 266, n. 2, écrit : « Les ruines de ce château qui paraît
6. M. Dussaud a identifié Felicium avec Qal'at el Felis (Revue archéologique, 1897, I, p. 308-309 et Topographie, p. 95 et n. 2), situé sur le Nahr el Kebir au sud de Tell Kalakh. Pour Lacum il propose le site Akoun qui nous paraît bien éloigné dans le sud et se trouve dans la montagne à l'est d'Akkar. Ne s'agirait-il pas plutôt, mais nous ne proposons ceci qu'avec une extrême réserve, de (Tell) Kalakh, mot que les Francs auraient latinisé dans le texte en question en gardant seulement la dernière syllabe ? Dans les transformations qu'ils firent subir aux noms du pays, les Francs ont souvent procédé ainsi par aphérèse : ils ont fait d'Abou-Senan, Busenen ; d'Abou-Kobeis, Boche-beis, de Dabouriyé, Burie ou Bures. On remarquera que l'établissement d'un fortin à Tell-Kalakh s'imposait. Ce village se trouve au sud, au pied de la montagne où se dresse le Crac. Placé sur une petite éminence, il domine la plaine et pouvait surveiller immédiatement la route de la mer.
7. Il est aussi fait mention du consentement d'Adelaïs et de Bertrand Hugon, femme et fils de Guillaume du Crac.
8. Ces exemptions furent confirmées par les successeurs de Raymond I, notamment en 1203 par Bohémond IV d'Antioche qui avait réuni le Comté de Tripoli à la Principauté d'Antioche (25 février 1203. — Cf. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, p. 22, n° 1173).
9. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, I, p. 281, n° 405 (acte daté de 1169).
10. Les chroniqueurs, arabes pour la plupart, qui en parlent sont cités par Van Berchem, Voyage en Syrie, p. 161, n. 2. — Michel le Syrien, Chronique Syriaque, éditions Chabot, 1900, t. III, p. 316.
11. Aboul Féda, Historiens orientaux des Croisades, I, p. 31. — Ibn al-Athir, ibid, p. 503.

Notes — Sièges du Crac par Nour ed-din

1. Aboul Féda, Historiens orientaux des Croisades, I, p. 33. — Ibn al-Ath'ir, ib., p. 530, et t. II, 2e partie, pp. 208-209. — Kamal ad-din, Histoire d'Alep, Revue de l'Orient latin, t. III, 1895, p. 534-535 — Ibn Furat, traduction Jourdain, Bibliothèque Nationale manuscrits arabes 1596, p. 70 et suivantes Selon Abû-Chama, Historiens orientaux des Croisades, IV, 109 et 125, cette bataille n'aurait eu lieu qu'au printemps 1164.
2. Il s'agit vraisemblablement d'étendards ou de gonfanons ornés d'une croix.
3 Voyez sur ce personnage, G. Schlumberger, Récits de Byzance et des Croisades, 2e série, Paris, 1922, pp. 123-129.
4 Guillaume de Tyr, I. XIX, c. 8 ; Historiens Occidentaux des Croisades, I, 894-895.
5. Ibn al Athir, Kamel Altewaryk ; Historiens orientaux des Croisades, I, p. 551 (année 552 de l'Hégire = 28 oct. 1166 au 17 oct. 1167).
6. Dans l'ordre de l'Hôpital le chef des Turcoples était un chevalier de l'Ordre portant le nom de Turcoplier.
7. Ibn Furat, traduction Jourdain, Bibliothèque Nationale manuscrits arabes, 1596, p. 70 et suivantes.
8. Ibn al Athir, Historiens orientaux des Croisades, II B, 263.
9. Abul Faradj, Chronicon Syriacum, Leipzig, 1789, tome I, 4-371.
10. Abû-Chama, Historiens orientaux des Croisades, IV, 154. Nous verrons plus loin (Campagnes de constructions, p. 277-278), la part d'exagération qu'il faut faire à ce récit, et ce qu'on peut tirer de ce texte pour l'histoire de la construction du Crac.
11. Les chroniques arabes qui signalent ces tremblements de terre sont citées par Van Berchem, Voyage, p. 162, n° 1. — Voir aussi Robert Abolanz, Chronologie, dans Recueil des Historiens de la France, t. XVIII, p. 265. — Autres références, Rôhricht, G. K. J., p. 348 et n. 3.
12. Abu-Chama, Historiens orientaux des Croisades, IV, 169.


Notes — Saladin en Syrie

1. Guillaume de Tyr, XXII, c. n ; Historiens Occidentaux des Croisades, I, 1064.
2. Beha ed-din, Historiens orientaux des Croisades, III, p. 106-107. — Abû-Chama, Historiens orientaux des Croisades, IV, p. 349. Kamal ad din, Histoire d'Alep, dans Revue de l'Orient latin, t. IV, 1896, p. 185.


Notes — La troisième et la quatrième Croisade

1. Maqrizi, Hist. d'Egypte, traduction Blochet, dans Revue de l'Orient latin, IX, pp. 126-128. Djamal ad-din ajoute que les pertes des Francs furent considérables et qu'une partie des prisonniers furent conduits à Hama ; leur entrée produisit une joie immense dans la population de cette ville (ibid., p. 126, n. 4).
2. Ibid., p. 128 et n. 1.
3. Sur Geoffroy de Joinville, voir H. François Delaborde, Jean de Joinville et les seigneurs de Joinville, suivi d'un catalogue de leurs actes, Paris, 1894, pp. 37-46.
4. Delaborde, ibid., Catalogue, n° 117 à 120. Dans deux de ces actes (n° 118-119) Geoffroy annonce son intention de se rendre à la Croisade : « ...ad sepulcrum Domini et loca sancta proficisci desiderans... ». — « ...Jherosolimitarum iter arripiens... »
5. Nous le savons par deux actes, datés de 1204, de son frère Simon de Joinville donnant à la collégiale Saint-Laurent de Joinville et au prieuré de Saint-Jacques des rentes à charge de célébrer chaque année son anniversaire et celui de son frère Geoffroy mort au Crac. (Delaborde, ibid., Catalogue n° 127 et 128, l'un de ces textes porte apud Crac et l'autre apud Chrac).
6. « Le bouclier susdit fut emporté avec plusieurs autres choses précieuses de ladite église par la gendarmerye de l'empereur Charles cinquiesme, qui y mirent le feu et pillèrent ladite église à la levée du siège de Saint-Dizier, l'an mil cinq cent quarante-quatre » (Bibl. Nat. ms. français, n° 11559, - 152 r° )- Cf. Delaborde, ouvrage cité, p. 45 et 122. Voir aussi l'épitaphe de Clairvaux rédigée par Jean de Joinville, publiée par Natalis de Wailly à la suite de son édition de l'Histoire de Saint-Louis par Jean, sire de Joinville..., Paris, 1868, pp. 546-547. (Société de l'Histoire de France).


Notes — L'activité des Hospitaliers du Crac

1. Maqrizi, Histoire d'Egypte, traduction Blochet, Revue de l'Orient Latin, tome IX, p. 134-135.
2. Ibid., p. 136, n. 1.
3. Ibid., (année 603 de l'hégire), p. 137. — Aboul Féda, Historiens orientaux des Croisades, I, 83.
4. An. 603 de l'hégire (août 1206-07), juillet 1207. Maqrizi, Revue de l'Orient Latin, t. IX, p. 137.
>5. An 604 de l'hégire (28 juillet 1207 à 15 juillet 1208). Cf. Ibn al Athir, Historiens orientaux des Croisades, II A, 105 et Aboû'l Mahasin, cité par Blochet dans Revue de l'Orient Latin, t. V, p. 44, n. 2.
6. Jacques de Vitry, Lettres, éditions Rôhricht, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, t. XIV, 1894, lettre II, p. 115.


Notes — La cinquième Croisade

1. Abû-Chama, Historiens orientaux des Croisades, V, 166.
2. Donation de décembre 1217, Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, t. II, n° 1590. — Cf. Delaville le Roulx, Les Hospitaliers en Terre-Sainte et à Chypre, Paris, 1904, pp. 142-143.
3. 1218 (12-18 janvier) : « Vidimus castellum Crati magno labore et sumptu, tanquam terre clavem christiane, retineri... » Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, pp. 238-239, n° 1602.
4. Cette donation fut confirmée par le pape Honorais III le 27 juin 1218. — Cf. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, n° 1616. Voir aussi la donation de janvier 1218 faite par André II en faveur du château de Margat, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, n° 1603.


Notes — La sixième Croisade

1. Rôhricht, G. K. J., p. 783 et « a
2. Potthast, n° 8.430.


Notes — Le Crac, centre d'opérations

1. D'après une lettre d'un Croisé datée d'Acre le 20 avril 1229 (Annales de Waverlia, éditions Luard, Annales monastici, t. II, 1865, p. 306 ; Coll. du Maître des Rôles), on a pensé que Malek el Kamel avait assiégé le Crac à ce moment. Mais il s'agit du Crac (Kérak de Moab) et de rivalités entre princes musulmans.
2. Ibn al-Athir, Historiens orientaux des Croisades, IIB, 80.
3. Bedr ed din el Aini, Le Collier de Perles, Historiens orientaux des Croisades, II a, p. 194.
4. 1233 : « ...en celui tens avint que li sodans de Haman ne vost paer à l'Ospital de Saint-Jean une paye que il avoit usé a rendre au Crac... Dont li Hospitaux assembla gent por guerroier le sodan de Haman, et fu en cele assemblée li maistres dou Temple frère Hermant de Pieregort et tout son covent, et i furent des gjens de Chypre C chevaliers, et fu lor cheveteine Johan d'Ibelin … et fu o lui Gautier li cuens de Briene ... et si y ot des gens dou roiaume de Jérusalem LXXX chevaliers, si en fu cheveteine Pierre d'Avalon ... et si i fu Henri li frère dou prince, a tout XXX chevaliers … Toute cele gent ot assemblée frère Gerin li maistre de l'Ospital de Saint-Johan qui y avait tout son covent et tout son poeir, et bien avoit en cel ost C chevaliers, IIIIC sergens à cheval et mil et cinc cens sergens a pie et plus ... » Suit le récit de l'attaque de Montferrand. (Estoire d'Eracles, Historiens occidentaux des Croisades, II, 403 et suivantes). — Aboul Faradj, Chronicon Syriacum, p. 506, qui place cet événement par erreur en 1230. — Cf. Dussaud, Topographie, p. 100. — Delaville le Roulx, Les Hospitaliers en Terre-Sainte et à Chypre, pp. 171-172.
5. Maqrizi, Histoire d'Egypte, traduction Blochet, dans Revue de l'Orient Latin, t. X, p. 304. Cf. pp. 252 et 265. — Dussaud, Topographie, p. 99, n. 4.


Notes — La décadence du Crac

1. 1252, 6 mai. — Lettre de Joseph de Cancy, trésorier de l'Hôpital à Acre, à Gautier de Saint-Martin, publié par Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, pp. 726-728, n° 2605.
2. « Nobis exponere curavistis quod vos...ut possetis patriam et vos ipsos a paganorum incursibus defendere... castrum quoddam... quod Cracum dicitur, contra Sarracenorum impetus, non sine magnis laboribus et periculis innumeris ac maximis expensarum oneribus, ante inimicorum facies custoditis. Verum quia castrum ipsum, posituni quasi in medio nationis perverse et Sarracenis infestum, ad sui munitionem et custodiam magnos sumptus exigit et requirit, vos, cupientes illud protectionis clippeo sic munire quod ab impugnantium persecutionibus valeat esse tutum, sexaginta equites ibidem continues habere proponitis, per quorum industriam ... diligenter custodiri valeat... » Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, II, pp. 797-798, n° 2727. — Potthast, n° 15.781. C'est peut-être à cette époque que Nicolas Lorgne construisit au Crac une barbacane, ainsi qu'en fait mention une inscription française conservée au Crac.
3. « Raphaniam, olim sedem episcopalem sed mine desolatam et a Christianis derelictam... » Rôhricht, Regesta regni Hierosolymitani, p. 347. — Potthast, n° 18.629.
4. Abû-Chama, Historiens orientaux des Croisades, V, p. 205.
5. Saint-Gilles (Gard). Ce fut le premier prieuré constitué en Occident par l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem.
6. Delaville le Roulx, Cartulaire général des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, IV, p. 292, n° 3.308. Cette lettre fut écrite à Acre en 1268 « in quindena Pentecostes ». La Pentecôte était à la date du 27 mai.
7. Maqrizi (Histoire des sultans mamlouks, traduction de Quatremère, I b, pp. 78 et 80) rapporte que dans cette rencontre Beibars emmena avec lui seulement quarante cavaliers et que pour témoigner son mépris des Francs, il se serait écrié : « Laissez les Francs faire une sortie. Nous ne sommes que 40 cavaliers qui ont pour toute armure des vestes blanches. »
8. Delaville le Roulx, Les Hospitaliers en Terre-Sainte et à Chypre, pp. 222-223.


Notes — Siège et prise du Crac par Beibars en 1271

1. Nous avons beaucoup emprunté à l'excellente analyse des chroniques d'Ibn Shaddad Halabi et de Nuwairi donnée par Sobernheim (Matériaux pour un Corpus inscriptionum arabicarum, 2e partie, Syrie du Nord, 2e partie (1909), p. 14 et suivantes). Ibn Shaddad est l'auteur qui mérite le plus de crédit, car il arriva au camp de Beibars à Akkar trois semaines après la prise du Crac et put recueillir des informations toutes fraîches. Nuwairi et Ibn Furat écrivent un demi-siècle plus tard. Maqrizi (Histoire des sultans mamlouks, traduction de Quatremère, Ib., p. 85) et Ibn al Athir (Historiens orientaux des Croisades, IIa, p. 238) donnent aussi quelques renseignements. M. Wiet a bien voulu traduire à nouveau pour nous les textes d'Ibn Shaddad et de Nuwairi et préciser certains passages. Nous donnons ci-dessous sa traduction d'Ibn Shaddad d'après le texte arabe publié par Sobernheim (ouvrage cité, p. 19) : « II campa, — que Dieu le soutienne de son secours ! — face à Hisn al-Akrad le mardi 19 radjab et fit dresser ses mangonneaux contre ses murailles. Or le château possédait trois murs d'enceinte et trois barbacanes. Il poursuivit le siège sans interruption jusqu'à destruction des remparts, à la date du 24 du même mois. Une des barbacanes fut enlevée le 21 (le manuscrit porte 25, mais Sobernheim, p. 16, n. 3 constate qu'il s'agit d'une erreur de copiste), puis les opérations furent retardées du fait de pluies ininterrompues, et la seconde barbacane, dite Haddadiya (relative au forgeron), fut prise le samedi 7 sha'ban ; [la troisième] fut enlevée le dimanche 15 sha'ban par les sapeurs de Malik Sa'id (Baraka-Khan), sous le commandement du prince des émirs, Badr al-din Bilbak Khazindar. Puis les troupes pénétrèrent de vive force dans le château, massacrèrent les Hospitaliers, réduisirent en captivité les montagnards, mais laissèrent en liberté les villageois pour assurer le maintien des cultures dans la contrée. Les défenseurs du donjon, ayant eu connaissance du sort des indigènes, demandèrent l'aman et l'obtinrent. Notre maître le sultan en prit possession le lundi 25 sha'ban et fit diriger la garnison sur Tripoli, que Dieu lui en facilite la conquête ! Puis le sultan partit, après avoir chargé l'émir 'Izz al-din Aibak Afram de restaurer les murailles et avoir installé un commandant dans le château. »
2. Dixième jour de djomada second de l'an 669 de l'Hégire (Maqrizi).
3. Huitième jour de redjeb (Maqrizi).
4. Dix-neuvième jour de redjeb (Ibn Shaddad).
5. Historiens orientaux des Croisades, II, p. 238.
6. Ibn Shaddad. — Ibn Furât (traduction Jourdain, Bibliothèque Nationale, manuscrits arabes 1596, p. 71) écrit : « Le 7 de shaban (21 mars) la bachoura fut prise de vive force. On fit une place pour le sultan de laquelle il lançait des flèches. Il distribua de l'argent et des robes d'honneur. Le 16 de shaban (30 mars), une des tours fut rompue, les Musulmans firent une attaque, montèrent au château et s'en emparèrent. » (Cf. Rey, Architecture Militaires des Croisés, p. 66).
7. Cf. l'interprétation très judicieuse de Van Berchem, Voyage, p. 142, en note.
8. Voyez pour les dates un peu différentes de celles d'Ibn Shaddad fournies par les autres chroniques arabes, Delaville le Roulx, Les Hospitaliers en Terre-Sainte et à Chypre, p. 223 et n. 2.
Les chroniques chrétiennes très brèves sur la chute du Crac, font commencer le siège le 18 février. Cf. Gestes des Chiprois, éditions G. Raynaud, Genève 1887, p. 199 et Historiens des Croisades, Documents Arméniens, II, p. 777 : « En l'an de M et CC et LXXI de l'incarnation du Christ, a XVIII jours du mois de février, Bendocdar, soudan de Babiloine, asega le chasteau dou Crac, quy fu de l'Ospitau de saint Johan de Jérusalem, et le prist a fiance a VIII jors d'avril, sauve lor vies. »
Voir aussi l'Estoire de Brades, XXXIV, 14 ; Historiens occidentaux des Croisades, II, 460. Marino Sanuto, Liber secr. fid. crucis, éditions Bongars, Gesta Dei per Francos, II, p. 224. Annales de Terre-Sainte, dans Archives de l'Orient Latin, t. II, 2e part., p. 454. Chroinica minor Erphordensis (Mon. Germ., Script., t. XXIV, p. 209). Jean d'Ypres (Martène, Ches. anecdot. III, 750). (Ce dernier confond le Crac avec Kériak de Moab). Chronique d'Amadi et de Strambaldi, éditions Mas-Latrie, Doc., inéd., t. I, p. 212.
9. Par-là, il faut entendre non pas uniquement des chevaliers, mais avec les chevaliers des frères sergents d'armes qui occupaient un rang inférieur dans l'Ordre.
10. Bedr ed din al Aini, Collier de perles, Historiens orientaux des Croisades, p. 237-239. — Reinaud, dans Michaud, Bibliothèque des Croisades, t. IV, pp. 525-526. Voir au sujet de ce texte Rôhricht, Etudes sur les derniers temps du royaume de Jérusalem ; les combats du sultan Bibars... dans Archives de l'Orient Latin, IIa, p. 398.


Notes — Le Crac aux mains des Musulmans

1. Maqrizi, Histoire des sultans mamlouks, traduction Quatremère, t. Ib, pp. 84-85, écrit : « L'émir Sarem ed Din Qafferi fut laissé dans le château avec le titre de naïb (gouverneur) et reçut l'ordre de rebâtir ce qui avait été ruiné. » Ce personnage, qui paraît avoir été auparavant gouverneur du château de Chaqif (le Beaufort des Croisés), mourut en mai 1275 et fut enterré dans la grande mosquée du village Haret Seraya au pied du Crac. Voir le texte de son épitaphe dans Van Berchem, Inscriptions arabes de Syrie, tiré à part, p. 68-69, et Sobernheim, ouvrage cité, p. 18 et p. 25-26, n° 10 des inscriptions du Crac.
2. Maqrizi, Histoire des sultans mamlouks, p. 87.
3. Bedr ed din al Aini, Historiens orientaux des Croisades, II a, 245. — Maqrizi, Histoire des sultans mamlouks, p. 100.
4. Maqrizi, Histoire des sultans mamlouks, t. I b, p. 103. Sur les travaux de restauration ordonnés au Crac par Beibars, voir les textes arabes indiqués par Van Berchem, Voyage... p. 139, n° 2.
5. Cf. Sobernheim, ouvrage cité, p. 14 et suivantes et n° 7 des inscriptions du Crac.

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Chapitre VII

DESCRIPTION

Le château qui possède deux enceintes concentriques, dont la seconde plus élevée domine tous les ouvrages de la première, affecte en plan la forme d'un trapèze dont le petit côté serait celui du nord (1).

Le Crac se dresse (2), au nord, à l'est et à l'ouest, au-dessus d'escarpements, il n'en est pas de même au sud où la montagne se prolonge sur une étendue de 300 mètres environ et continue même à s'élever jusqu'à atteindre presque le niveau des parties hautes des ouvrages de la seconde enceinte, puis redescend ensuite en pente douce vers la Boquée.

Si les Croisés n'ont pas établi leur forteresse sur le point le plus élevé de la montagne, c'est parce que, de ce point, ils n'auraient pu voir et commander tout le voisinage. Il en fut toujours ainsi puisque le château qui précéda le château des Croisés s'appelait le « Château de la Pente » : Hosn es-Safh. D'ailleurs les Francs remédièrent à l'inconvénient que présentait la disposition du sol par différents moyens : le front sud étant privé de défense naturelle, c'est là qu'ils élevèrent les ouvrages les plus importants tant à la première enceinte qu'à la seconde. Les trois grandes tours de la seconde enceinte dominent le sommet de la montagne ainsi que l'ensemble de la forteresse. Ce sommet de la montagne (3), les Francs l'ont isolé du front sud de la première enceinte par un fossé creusé dans le roc et ils l'ont défendu par deux autres fossés partant presque des extrémités du premier et se réunissant à la pointe sud. Ainsi fut constitué entre ces trois fossés un ouvrage avancé triangulaire qui devait, comme l'a supposé Rey, avoir des défenses de bois (Fig. 18).

Fig. 18 - Crac des Chevaliers

Crac des Chevaliers
Fig. 18 - Crac des Chevaliers
Fig. 18 - Crac des Chevaliers. Plan schématique (les numéros 1, 2, 3, 4 indiquent les entrées du Crac
Les lettres a, b, c, indiquent : a, le premier coude de la Rampe ; b, le troisième coude; c, la sortie de la Rampe).

On avait ainsi des dispositions sensiblement identiques à celles qu'on voit au Château-Gaillard (Les Andelys) construit par Richard Cœur-de-Lion en 1197 à son retour de la troisième Croisade. Sur le front sud de ce château on voit un ouvrage triangulaire placé en avant d'une longue courtine terminée à ses extrémités par deux tours rondes. Au Crac on retrouve l'ouvrage triangulaire et les deux tours rondes à l'extrémité de la courtine ; au milieu de celle-ci se dresse un formidable ouvrage carré, mais on verra que cet ouvrage est une addition due aux Arabes (4).

Sur le côté ouest de cet ouvrage triangulaire on voit une canalisation recueillant les eaux du sommet de la montagne et continuant sur un aqueduc de quatre arches construit par les Croisés qui franchit le fossé et aboutit à la courtine de la première enceinte entre la tour 6 et le grand ouvrage carré 7. L'eau amenée par cet aqueduc pénètre sous la première enceinte et se déverse dans un immense fossé maçonné toujours rempli d'eau, le grand Berquil, qui sépare au sud la première enceinte de la seconde. Ce fossé est alimenté non seulement par l'aqueduc, mais aussi par l'eau qu'amènent les conduites de poterie que nous avons retrouvées en place et qui descendent des terrasses des grands ouvrages du sud.
Désignation des principaux ouvrages

Crac des Chevaliers
Fig. 18 bis. - Crac des Chevaliers. Désignation des principaux ouvrages. (Dessin François Anus)

Derrière le grand Berquil on voit, bordant la deuxième enceinte, un talus en pierres d'appareil haut de 26 mètres sur lequel se dressent trois puissantes tours. Ce grand talus continue sur le front ouest (5) au milieu duquel se dresse une grande tour ronde, la tour O ; il aboutit vers l'extrémité nord à un ouvrage carré, l'ouvrage P.
Sur les fronts ouest et nord et sur la moitié du front est (vers le nord), un large terre-plein sépare les deux enceintes. Sur l'autre moitié du front est (vers le sud), l'intervalle entre les deux enceintes est occupé par diverses constructions sur lesquelles nous reviendrons, notamment par une rampe d'accès, voûtée.

A l'ouest, la première enceinte est pourvue de cinq tours rondes d'un type parfaitement homogène et d'une belle architecture, à l'est on voit des saillants barlongs d'un moins bon style et d'un appareil moins soigné réunis par des courtines en grande partie mutilées. C'est à l'est que se trouvait l'entrée principale du château et c'est par elle que les visiteurs pénètrent encore aujourd'hui dans la place. Elle ouvre sur une longue rampe voûtée, peu éclairée, munie de larges marches basses, permettant aux chevaux de les gravir facilement. Cette rampe monte vers le sud, puis fait un premier coude vers le nord, puis un second vers l'ouest pour passer sous la seconde enceinte et déboucher au cœur de la place dans une cour intérieure (Plan 1).

Nous décrirons comme dans un guide ayant pour but d'orienter un visiteur, la première enceinte vue de l'extérieur, puis de l'intérieur, nous examinerons ensuite la rampe d'accès ; puis nous étudierons la seconde enceinte et les constructions placées au centre de la forteresse.

Nous examinerons dans un chapitre spécial (chapitre III) certains détails architecturaux de ce vaste édifice. Enfin, dans une dernière partie de notre travail (chapitre IV), nous tâcherons d'établir les différentes campagnes de construction des divers ouvrages du Crac.

L'EXTERIEUR DE LA PREMIERE ENCEINTE

De l'entrée principale du château à l'est jusqu'au front nord (Plans 2 et 3).
Nous commencerons à parcourir le Crac par la partie du front est où se trouve, près du nord, au saillant II du plan, l'entrée principale du château (Fig. 18Crac des Chevaliers
Crac des Chevaliers, (Figure 18, entrée n° 2)
, entrée n° 2). Nous irons ensuite vers le nord et ferons ainsi le tour de l'enceinte.

Le saillant II est un haut ouvrage barlong dans lequel s'ouvre une porte (6) dont l'arc brisé est formé de deux rangées de claveaux appareillés avec deux clefs superposées. Au-dessus de la porte ont été gravées deux inscriptions arabes à deux époques différentes (7). La porte est fermée par de lourds vantaux de bois d'époque moderne. On arrive à cette entrée par un escalier de quelques marches. Sous cet escalier on voit une arche et une pile peut-être construites pour soutenir dès le début cet escalier plutôt qu'un pont, car le précipice dominant les villages placés à l'est du Crac n'est qu'à une dizaine de mètres en face de l'entrée. Cette entrée mène à la rampe dont nous avons déjà parlé (Plan 1).

Trois meurtrières à l'est et une au nord ouvrant sur une salle située au-dessus de l'entrée (Plan 2) défendent cet ouvrage dont le sommet était couronné par trois bretèches (Plan 3) (8). Tout le couronnement a été supprimé pour l'établissement d'une construction moderne. L'appareil de ce saillant II est formé de pierres assez grossièrement taillées, en mauvais état, disposées en assises irrégulières.

En retrait de ce saillant part vers le nord une courtine en très mauvais appareil de blocs non taillés. Cet appareil se retrouve à l'angle sud-est de la première enceinte sur la courtine 8-9, c'est-à-dire entre la tour 8 et le saillant 9 (9), et sur le flanc ouest de la tour 12. On constatera que cet appareil, si laid, si peu soigné, si différent du magnifique appareil qu'on voit dans la majorité des ouvrages du Crac et qui fait la gloire des architectes francs ayant travaillé à plusieurs époques à ce superbe édifice, est cependant une œuvre des Francs exécutée sans doute dans une période de détresse. Dans ce mur se trouvent deux rangs d'archères chevauchant, sept en bas et sept en haut, ces dernières alternant avec sept étroites bretèches (10). Toutes ces archères sont appareillées en pierres de taille ; le mur forme un angle vers le nord et cet angle est chaîné à l'aide de pierres de taille, puis au mur en blocs non taillés succède un mur en pierres de taille (11) qui vient aboutir à un gros saillant arrondi de forme irrégulière (saillant 12).

Les deux puissants ouvrages 12 et 13, arrondis à leur extrémité, regardent le nord ; ils sont séparés par un mur que nous avons trouvé masqué par un amoncellement d'humus et d'ordures jusqu'aux bretèches du couronnement.

On constatera le plan irrégulier de l'ouvrage 12 qui a dû subir des transformations importantes. Cette tour est pourvue d'un talus arrondi peu accusé (12). On observera aussi la mauvaise construction de son mur occidental (faisant face à l'ouvrage 13) qui est formé de blocs non taillés et analogue au mur touchant le saillant 11 (13) et aux murailles de l'angle sud-est reliant la tour 8 au saillant 9 (courtine 8-9).

En déblayant, nous avons découvert dans le mur réunissant les ouvrages 12 et 13, une poterne formant une entrée de la forteresse (Fig. 18, entrée n° 3. — Fig. 19.). Cette poterne est constituée d'abord par un grand arc brisé dans l'épaisseur duquel s'ouvre un grand mâchicoulis. On voit aussi une porte à linteau droit (14) de moins large et moins haute ouverture que l'arc brisé. Entre celui-ci et la porte se trouve une étroite rainure par où glissait une herse. Le linteau de la porte est décoré d'un ornement gravé qui est l'œuvre d'un artisan arabe.

L'arc brisé est surmonté de trois archères à rainure droite sans étrier et au-dessus de celles-ci se trouvent trois fortes bretèches reposant chacune sur trois corbeaux, et pourvues de leur petit toit de pierre. Dans deux d'entre elles est percée une petite archère (voir Fig. 54) ; elles ont leur couverture de pierre presque intacte. Nous avons trouvé des marques franques sur les pierres de ces bretèches que les Arabes ont remontées en employant une partie des pierres taillées par les Francs (15). Le couronnement de la muraille qui était muni d'un crénelage a disparu.

Cette poterne mène par un chemin droit vers une petite salle, puis le passage est obstrué par un éboulement. On devait aboutir sur le terre-plein entre les deux enceintes en face du chevet de la chapelle ; il est possible qu'on rencontrait là un chemin fermé et couvert longeant la courtine entre la chapelle et l'ouvrage P où s'ouvre une entrée de la seconde enceinte (Fig. 18, entrée n° 1).

L'ouvrage 13, d'un plan plus régulier que le saillant 12, constitue avec celui-ci une importante défense de la poterne en avant de laquelle il forme une forte saillie. En pierres d'appareil l'ouvrage est arrondi sur son front (16) et est muni d'un talus également arrondi. Ce front a été remanié par les Arabes. Le remaniement s'observe nettement par une reprise d'appareil sur les deux angles des faces latérales à partir de l'endroit où l'ouvrage s'arrondit ; en outre, on observe sur les deux faces latérales, à partir de la cinquième assise, un retrait du mur qui ne se continue pas sur le front de l'ouvrage.

Poterne au nord de la première enceinte

Poterne au nord de la première enceinte
Fig 19. — Poterne au nord de la première enceinte (Barbacane de Nicolas Lorgne); salle basse de la tour 12. (Echelle 2 mm par mètre). — Plan F. Anus.

On constate en regardant les dispositions de la salle de cet ouvrage 13 (Plan 2 et fig. 19) qu'il était primitivement de plan carré. On voit dans cette salle du côté du front un épais mur plat donnant tout à fait l'aspect d'un plan carré et ouvert en son milieu par un étroit espace de 2 mètres qui pourrait être l'emplacement d'une ancienne archère. En outre, on trouve en haut de ce mur (sur la partie de l'est) deux corbeaux qui paraissent bien prouver que cette face du mur était jadis extérieure ; ces corbeaux soutenaient peut-être une bretèche (Fig. 20).

Fig. 20. - Corbeaux

>Fig. 20. - Corbeaux
Fig. 20. - Corbeaux à l'intérieur de la tour 13 remaniée. (Dessin F. Anus)

Cet ouvrage qui, placé en avant de la poterne du front nord, constitue une barbacane, ainsi que le dit une inscription encastrée sur sa face arrière, est l'œuvre de Nicolas Lorgne lequel fut, nous l'avons vu, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, un des plus hauts personnages de l'Ordre des Hospitaliers (17). Cette barbacane est une des dernières constructions des Francs au Crac. Les assises de son flanc ouest ne filent pas avec la courtine voisine. C'est une preuve que l'ouvrage 13 appartient à une autre époque que les ouvrages du front ouest que nous allons voir maintenant. Le couronnement de la face arrondie de l'ouvrage 13 est comme celui du front de l'ouvrage 12 pourvu d'une série continue de corbeaux formant la base d'une galerie de mâchicoulis.

Le front ouest

Les défenses de la muraille entre le saillant 13 et la tour 1 ont disparu. Dans cette muraille s'ouvre une porte percée à une époque récente (18) ; cette sortie a été créée pour les besoins des habitants du village installé à l'intérieur de l'enceinte.

Nous sommes ici au point de départ d'une ligne de défense très étendue qui va bientôt tourner pour occuper tout le front occidental et former de la tour 2 à la tour 5 une ligne droite de 150 mètres environ.

Ce front présente un bel aspect architectural d'une parfaite homogénéité. Les tours rondes 1 à 5 sont toutes construites sur le même plan, avec des proportions identiques (19) ; elles possédaient, en ne présentant que des différences insignifiantes, les mêmes dispositions de défenses et ces défenses étaient parfaitement conçues tant pour les tours que pour les courtines. On voyait à l'étage inférieur (Plan 2) une rangée d'archères régulièrement espacées, les tours en possédant trois, une au centre et une dans chaque joue ; au-dessus, aux tours comme aux courtines, une ligne de défense était constituée par de longues archères alternant avec des bretèches de pierre (Plan 3), les unes et les autres ouvrant sur un couloir voûté ; on remarquera que les deux rangées d'archères superposées chevauchent (20).

Au-dessus se trouvait un chemin de ronde crénelé. Malheureusement depuis le passage de Van Berchem (1895) où le couronnement était encore presque intact, tout l'étage supérieur a disparu sauf à la dernière courtine entre les tours 4 et 5. En sorte que, de la tour 1 à la tour 4, les bretèches, sauf leurs corbeaux de base, la muraille qui les surmontait et le crénelage du chemin de ronde ont disparu. La terrasse sur laquelle on circule aujourd'hui, qui paraît être l'ancien chemin de ronde, est en réalité le sol du couloir voûté qui donnait accès aux bretèches et que surmontait le chemin de ronde. Des 39 bretèches qui sommaient les tours et les courtines de la tour 1 à la tour 5, six subsistent aujourd'hui, celles de la courtine entre les tours 4 et 5 (Voir fig. 55) ; toutes les autres ont été arrachées de nos jours.

Ce front de la première enceinte s'éleva en une seule campagne, car les assises de pierres filent très régulièrement depuis la courtine partant de la tour 13 jusqu'au milieu de la courtine faisant suite à la tour 5. On observe sur les tours trois retraits du mur (21) dont les deux inférieurs continuent sur les courtines ; si le retrait supérieur des tours ne se voit pas sur les courtines c'est qu'à ce niveau on trouve les corbeaux des bretèches des courtines, ces bretèches étant à un mètre environ plus bas que les bretèches des tours. Mais le retrait supérieur de chaque tour se retrouve au même niveau d'assise. Rey a supposé que la tour I, portant encore en arabe le nom de tour du moulin (Bordj ei-Tahouneh) avait dû, dès l'époque des Croisades, être surmontée d'un moulin à vent, et il la trouva surmontée d'une construction en ruines de 4 mètres de hauteur dont il ne reste aujourd'hui presque rien (22). Cette hypothèse d'un moulin à vent dans un château doit être acceptée (23), car elle s'imposait autant que le puits et le grand four que nous avons retrouvés.

L'enceinte va du nord au sud-ouest de la tour 1 à la tour 2, puis à partir de la tour 2 elle appuie vers le sud. A cause de ce changement de direction, et pour ne pas affaiblir la construction de la tour 2 et sa défense, on l'a flanquée au nord d'un petit saillant à angle droit pourvu d'une archère défendant la courtine.

De la tour 1 à la tour 4 les bretèches, qui couronnaient tant les tours 1, 2, 3, 4 que les courtines intermédiaires, reposaient chacune sur trois corbeaux encore en place (24).

Après la tour 4, sur la courtine entre la tour 4 et la tour 5, on constate des différences avec l'ordonnance des tours et des courtines précédentes et ces différences résultent d'un remaniement (25) apporté à l'état primitif. La défense a été ici renforcée, nous nous rapprochons en effet du front sud et c'est sans doute la raison qui a amené ces modifications. Nous verrons d'ailleurs que celles-ci sont dues aux Arabes. Sur cette courtine (4-5) les bretèches, au nombre de six, sont intactes (A) et le couloir voûté avec lequel elles communiquent est bien conservé.

Ces bretèches sont plus importantes que les autres du front ouest et reposent sur cinq corbeaux au lieu de trois. Elles sont pourvues d'une petite archère. La première et la sixième bretèches sont plus élevées que les quatre qu'elles encadrent, car leurs corbeaux sont au niveau de ceux des tours. Il semble que lors de la construction de cette ligne de défenses la courtine 4-5 présentait exactement le même aspect que les autres et possédait elle aussi des bretèches sur trois corbeaux.

Lorsqu'on voulut renforcer la défense on suréleva la muraille, on remonta d'une assise les deuxième, troisième, quatrième et cinquième bretèches en ajoutant à chaque groupe deux corbeaux supplémentaires l'un à droite, l'autre à gauche. On suréleva de trois assises la première et la sixième bretèches (26) et on ajouta deux corbeaux à gauche de la première et deux corbeaux à droite de la sixième. La preuve de ce travail se trouve dans ce fait que l'adjonction de ces corbeaux obligea à boucher le haut de la première et de la dernière archère de la courtine qui avaient primitivement leur place l'une et l'autre entre une des tours et une bretèche à trois corbeaux. On n'eut pas besoin, dans ce remaniement, de toucher aux autres archères.

La tour 5 (Plan A) qui a le même appareil que les tours précédentes — leurs assises filent régulièrement — se distingue cependant de ces tours en ce qu'elle est couronnée non plus par des bretèches indépendantes, mais par une rangée de corbeaux très serrés qui forment un encorbellement continu : nous avons ici une galerie de mâchicoulis.

Dans la muraille qui réunit la tour 5 à la tour 6 on voit une brèche qui a été récemment mal rebouchée avec des blocs non taillés. Cette restauration n'est pas ancienne puisqu'un dessin de Rey nous montre (Rey), cette partie de l'ouvrage en parfait état. Cette brèche s'est produite à un endroit où se trouvait un décrochement dans l'appareil de la courtine, la muraille faisant une saillie à angle droit, un « coffre » accolé à la tour 6. Au milieu de la courtine, à la place même où commence la brèche, la muraille s'élevait et les corbeaux encore intacts qui surmontent cette partie rebouchée de la muraille, sont au niveau de ceux de la tour 6, mais plus élevés que ceux du pan de courtine jouxtant la tour 5. On verra plus loin que la tour 6 fut restaurée par Beibars. La restauration du vainqueur des Hospitaliers a dû porter à gauche de la tour 6 jusqu'à l'endroit où se trouve le décrochement d'appareil.

Le front sud

La tour 6, l'un des trois plus grands ouvrages du front sud de la première enceinte, plus puissante que les tours du front ouest (27), est aussi plus élevée. Peut-être s'effondra-t-elle lors du siège de 1271 (28). Cette grosse tour ronde est assise sur un large talus arrondi (29). Une longue inscription arabe placée au sommet de la tour et encadrée par deux guépards, insignes du sultan Beibars (Plan A et B), signale que le vainqueur du Crac fit restaurer le château (30).

L'ouvrage est muni d'une rangée de quatre archères (31) et l'on observe au-dessus de celles-ci la galerie de mâchicoulis que nous avons vu commencer à la tour 5 et qui se continuait sur le front sud jusqu'à la tour 8 incluse (32).

Au-dessus de cette galerie de mâchicoulis la muraille de la tour continuait en retrait de l'encorbellement et se terminait par un crénelage qui était encore intact au temps de Rey (33). Tout ce couronnement a été abattu récemment pour l'établissement de constructions modernes. Entre la tour 6 et le saillant 7 (Rey, saillant A) règne une courtine munie d'un talus. Contre cette courtine, à trois mètres de la tour 6, vient aboutir un aqueduc reposant sur quatre arches, qui apporte, dans le grand fossé séparant au sud les deux enceintes, les eaux de l'éminence toute proche (34).

Crac des Chevaliers : l'Aqueduc

Crac des Chevaliers : l'Aqueduc
Crac des Chevaliers : l'Aqueduc.
Sources: https://www.medievalists.net/2013/11/crac-des-chevaliers-once-again-comments-on-the-state-of-research

Le saillant 7, haut et puissant ouvrage carré (35) qui domine de sa masse les ouvrages voisins, a été construit le dernier du front sud. Une inscription gravée sur sa face sud l'attribue au sultan Qelaoun en 1285. La preuve que cet ouvrage est venu s'appuyer contre la courtine qui devait filer avec sa galerie de mâchicoulis de la tour 6 jusqu'à la tour 8 est facile à constater : à gauche, c'est-à-dire vers l'ouest, le dernier corbeau apparent est pris dans les pierres du saillant et une moitié de ce corbeau est masquée dans la muraille ; d'autre part, on verra sur le plan (n° 2) que des jours traversant la courtine ont été masqués par cet ouvrage et, sur le plan 3, 7 ouvertures de mâchicoulis qui ont été condamnées. Cet ouvrage constitue jusqu'à 15 mètres de hauteur un énorme massif de maçonnerie qui serait absolument plein si un petit escalier n'y était ménagé : cet escalier part de la salle de 60 mètres, dont le mur sud forme la face arrière du saillant, et descend jusqu'au fond du fossé pour aboutir à une petite poterne percée dans le flanc nord du saillant (36).

Le saillant 7 (37) constitue donc à sa base un bloc formidable, invulnérable aux boulets de pierre qui, d'ailleurs, ne pouvaient guère l'atteindre puisque tout près en avant se dressait l'ouvrage triangulaire, mais inattaquable surtout par les mineurs. Dominant de très haut l'ouvrage triangulaire, trois archères défendent son front principal ; ses faces ouest et est possèdent chacune également trois archères. Toutes ces archères sont sans étrier et c'est là une preuve d'un travail dû aux Arabes. Sur la face principale au-dessus des archères et sous les corbeaux du couronnement se lit l'inscription de Qelaoun (38). A l'est du saillant 7 on trouve une courtine identique à celle qui le flanque à l'ouest et munie d'un talus allant presque jusqu'à la base des corbeaux. Au-dessus de ce talus on voit contre le flanc du saillant 7, intégralement conservée sur quelques mètres, la galerie de mâchicoulis qui couronnait la courtine. On atteint ensuite la tour 8 qui a le plan et certaines dispositions des tours du front ouest, quoique de dimensions plus grandes (39). Elle est plus haute que la courtine 7-8 et a deux étages. A l'étage inférieur on voit deux archères, l'une à l'ouest, l'autre au sud ; à l'est s'ouvrait à 8 mètres du sol, à la place sans doute d'une ancienne archère, une poterne en arc légèrement brisé, aujourd'hui bouchée sous laquelle on voit des trous de boulin ayant dû servir à soutenir un pont volant (40). Au-dessus de la poterne se trouve un long bandeau orné d'une inscription arabe relative à Beibars et encadrée par deux guépards (41).

Les dispositions de cette tour et certains détails de sa face sur l'intérieur de la place montrent qu'elle est franque, mais elle dut subir d'importantes restaurations de la part des Arabes.

Aussitôt après la tour 8 à l'est, on trouve sur une étendue de deux mètres environ, un angle de construction qui fait saillie entre la tour et la courtine allant vers l'est.

Les deux pans de mur que forme cet angle ne se raccordent ni à la courtine ni à la tour telle qu'elle est aujourd'hui et appartiennent à une construction antérieure. Nous verrons plus loin que ce vestige indique l'angle sud-est d'une enceinte primitive (pointillé rouge du plan 1) et que plus tard les Francs agrandirent de ce côté leur enceinte en lui ajoutant une portion de terrain triangulaire qu'ils fermèrent par la courtine en mauvais appareil que nous allons examiner maintenant tant à l'extrémité du front sud qu'au départ du front est.

Voyons d'abord cette fin du front sud : depuis la tour 8 le sol descend assez rapidement (Plan a). La courtine est formée de blocs de pierre amalgamés à un épais mortier. La muraille du front sud formant à moitié de son étendue un angle peu accusé vers l'est, une chaîne de pierres de taille court à cet endroit de haut en bas (Plan à gauche). On a aussi pourvu d'un appareil de pierres de taille les archères (42) de cette courtine qui chevauchent sur quatre étages, ainsi qu'une petite poterne en partie bouchée aujourd'hui et au-dessus de celle-ci une petite construction formée de trois saillies de pierres taillées en quart de rond renversé laissant entre elles deux longues rainures (B à droite, A à gauche). Nous pensons que c'était là un passage de chaînes pour un petit pont-levis desservant la petite poterne qu'on voit au bas de la muraille et qui domine de trois mètres environ le fond du fossé. Cette poterne (Fig. 18, entrée n° 4) correspond à un étage souterrain de la première enceinte. En y pénétrant on atteint un couloir qui suit l'intérieur de la courtine dans toute sa longueur et tourne sur le front est. Ce couloir avait d'autres dégagements, aujourd'hui bouchés par des effondrements, vers l'ouest et vers le nord, ce dernier en direction d'une sortie souterraine de la salle basse du saillant 9 (voir Plan 1).
Au sommet du mur de la courtine se trouvent des groupes de trois corbeaux qui supportaient des bretèches.

A la partie supérieure de l'angle sud-est on voit deux tourelles jumelées dont l'élégante architecture (Plan c) et la taille savante des pierres tranchent avec l'exécution grossière des murailles qui les supportent. Ces tourelles s'aperçoivent de loin et se dressent comme une tour de guet vers l'est ; elles paraissent surplomber de très haut le fossé (A et c) d'autant plus que la courtine de l'est est inférieure d'un étage à celle du sud.

Le front est jusqu'à l'entrée principale

Le terrain s'abaissant encore en cet endroit, on n'a pas jugé utile d'élever ici la courtine autant qu'au sud. On voit sur cette partie du front de l'est le même mauvais appareil en blocs mal dégrossis que nous venons de rencontrer au sud. C'est en une même campagne qu'on a construit ces deux pans de muraille à l'angle sud-est de la première enceinte. C'est, comme nous le verrons plus loin, l'œuvre des Francs, qui contraste avec toutes les belles constructions qu'ils ont faites dans ce grand château. Ce travail a dû être exécuté hâtivement en employant comme matériaux des morceaux de roc qu'ils arrachaient en creusant le fossé sans aller jusqu'aux grandes carrières de l'ouest (43).

Cette courtine aboutit au saillant 9, ouvrage barlong présentant un faible flanquement et muni d'un talus très accusé (44) ; l'appareil de ce saillant est composé de pierres assez grossièrement taillées. De ce saillant au saillant 11 par quoi nous avons commencé, la muraille est en très mauvais état et il semble d'ailleurs que sur ce front la construction fut toujours négligée. De la courtine joignant le saillant 9 au saillant 10, il ne reste que peu de chose. On voit un glacis en petit appareil et au-dessus, sur une longueur de vingt-deux mètres, un mur en mauvais état surmonté de groupes de trois corbeaux formant la base des bretèches ; plus loin le mur est effondré et l'on voit en arrière cinq arcs bouchés d'une salle qui bordait à l'est la rampe d'accès (45).

Le saillant 10 est aussi en fort mauvais état, il ne reste plus que son mur nord (46) et son épais talus dont l'appareil est plus grand et plus beau (PL B et A à gauche) que celui du talus du saillant 9. Le saillant 10 était surmonté d'une galerie de mâchicoulis dont les corbeaux de base subsistent au front nord.

La courtine unissant le saillant 10 et le saillant 11 est pourvue à sa partie basse de cinq archères allant en s'élevant du nord au sud : ces archères suivent en effet la Rampe montante qui part de l'entrée du saillant 11 et conduit à l'intérieur de la place. Au-dessus se trouve une ligne de cinq archères qui ne chevauchent pas avec les archères inférieures. Elles sont surmontées de cinq groupes de deux corbeaux qui devaient soutenir de petites bretèches semblables à celles qui sont conservées sur la courtine 11-12.

L'INTERIEUR DE LA PREMIERE ENCEINTE

Nous examinerons maintenant l'intérieur des ouvrages de la première enceinte et nous commencerons comme pour l'extérieur, par l'entrée, c'est-à-dire par le saillant 11.

Le saillant 11

Si l'on franchit la porte en arc brisé on pénètre dans une salle de plan irrégulier (Plan 1 et PL XLVIII) qui se trouve au départ de la Rampe d'accès conduisant par des détours à l'intérieur de la place. Au-dessus de cette entrée, dont nous parlerons en examinant la Rampe, se trouve une salle couverte de neuf voûtes d'arêtes reposant sur quatre piliers et sur des consoles appareillées (Plan 2). Cette salle est défendue à l'est par trois archères qui s'ouvrent au-dessus de l'entrée du château et par une archère au nord.

Elle communique au sud avec deux longs couloirs parallèles voûtés en berceau brisé. Le premier, plus vaste, prend jour sur la courtine 10- 11 par cinq archères ; le second, fort étroit, placé en arrière du premier, est complètement obscur (47).

M. Anus nous a fait constater, et la remarque est importante, que le mur séparant ces deux couloirs est percé d'archères aujourd'hui bouchées (Plan 2).

Ainsi il y a dans ce premier couloir deux lignes d'archères : l'une dans le mur ouest, l'autre dans le mur est. La chose pourrait s'expliquer si celles du mur de fond étaient dirigées vers l'ouest, le couloir serait défendu sur ses deux faces. Mais il n'en est pas ainsi et les archères de ce mur de fond sont bien, elles aussi, dirigées vers l'est comme celles du mur de la courtine 10-11 qui sont placées en avant d'elles. Or on constate que le mur de fond dans lequel sont placées ces archères bouchées est à l'aplomb du glacis qui borde à l'ouest le premier élément de la Rampe formant aujourd'hui le mur intérieur de cette partie de la Rampe qui va du nord au sud (Plan 1).

Il faut donc conclure qu'à une certaine époque le premier élément de la Rampe n'existait pas et que le glacis devenu plus tard mur intérieur de la Rampe, était un ouvrage extérieur soutenant le mur pourvu d'archères devenues inutiles dans la suite.
Ainsi on peut constater que, sur cette face du château, la première enceinte actuelle a été construite en avant d'une première enceinte plus ancienne.

Fig. 21. - Courtine 11-12

Château Le Krak des Chevaliers
Fig. 21. - Courtine 11-12 ; 7e archère après le saillant II a, plan ; b, face interne : c, face externe. Echelle 2 cm par mètre (Dessin, François Anus).

La salle haute du saillant 11 est en communication vers le nord avec une longue salle dont les voûtes d'arêtes retombent à l'est sur de lourds piliers. Ces piliers sont réunis entre eux par des arcs brisés, on pénètre dans un étroit couloir de défense fermé par le mur d'une partie de la courtine 11-12 et ce couloir s'éclaire par cinq archères (Plan 2).

En dehors de cette salle au nord on se trouve à ciel ouvert, mais les dispositions de défense de la courtine 11-12 sont les mêmes. Les archères (Fig. 21) sont percées au fond de profondes niches en berceau brisé.
La tour 12 qui a été remaniée par les Arabes a deux salles superposées (salle basse, fig. 19 ; salle haute, Plan 2).

Tour 12; Poterne; Tour 13

A l'ouest un escalier débouchant dans le couloir de sa joue ouest met en communication ces deux salles.

Archères de la Tour 12

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Fig. 22. — Archères de la Tour 12 (Dessin F. Anus).

Les archères sont de simples rainures droites sans étrier. Les niches de ces archères ont des formes différentes. L'une d'elles s'ouvre sous un simple linteau droit, plusieurs ont leurs angles supérieurs remplacés par des quarts de rond concaves et la dalle supérieure est également ornée en son milieu d'un quart de rond concave (Fig. 22). Enfin, la niche d'une archère de la salle basse est élégamment appareillée en forme de trilobé (Fig. 23). Ce décor arabe peut être rapproché d'ornements identiques qu'on retrouve dans les monuments musulmans (48).

Archère de la salle basse de la tour 12

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Fig. 23. — Archère de la salle basse de la tour 12. Echelle 2 cm par mètre (dessins Fr. Anus)

Les ouvrages que nous venons de parcourir, salle au nord de la salle haute du saillant II, salles de la tour 12, sont transformés en habitations, écuries, vacheries ou poulaillers ; leurs ouvertures sont en grande partie bouchées et tout cela en rend l'examen fort difficile. Il en est de même de la courtine 12-13 où nous avons signalé une entrée et trois bretèches parfaitement conservées.

Fig. 24.

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 24. — (Dessin Fr. Anus) Echelle 1 cm 33 par mètre

front-nord-est

Château Le Crac des Chevaliers
front-nord-est

L'ouvrage 13 n'a qu'une salle (Plan 2 - front-nord-est. De G à D, tour 1, ouvrage 12 et 13, front-nord-est,
Image Paul Deschamps), le roc allant en s'élevant vers cette partie de l'enceinte. Nous avons vu que cet ouvrage avait dû être primitivement carré et que les Arabes avaient abattu le mur de son front pour le remplacer par un mur arrondi. On voit sur les pierres de ce mur des marques arabes (Voyez chapitre III, figure 51). Ses trois archères ont une simple rainure droite. La niche de l'archère centrale (Fig. 24) se compose d'un berceau brisé rampant formé de sept claveaux dont l'un à la clef (49). Les niches des deux archères qui flanquent celle-ci ont ces quarts de rond que nous avons déjà vus ; la dalle supérieure de celle de l'est est pourvue d'un dessin en accolade qui est essentiellement arabe (Fig. 25).

Fig. 25.

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Fig. 25. — (Dessin F. Anus). Echelle 1 cm 33 par mètre.

A l'extérieur, sur le mur arrière de cet ouvrage regardant la seconde enceinte se trouve l'inscription de Nicolas Lorgne (PL CXIVc). Elle est ainsi conçue :

AU : TENS : D
E : FRE[RE] ; NICIO
LE : LORNE : F
U : FETE : CESTE :
BARBACANE (1)

1. Haut. : 0 mètre 70 ; larg. : 0 mètre 88. — Haut, des lettres : 0 mètre II. Au tens de frè[re] Niciole Lorne fu fete ceste barbacane.

Burckhardt l'avait vue et déchiffrée en 1812 (50). Van Berchem en dessina les deux premières lignes en 1895 (51) - Nous l'avons retrouvée dans l'état où Van Berchem l'avait vue trente-trois ans auparavant ; les trois dernières lignes étaient masquées par la terre recouvrant la terrasse d'une petite maison indigène placée au pied de l'ouvrage 13. Nous l'avons dégagée et en avons pris une photographie et un moulage, actuellement au Musée de Sculpture Comparée du Trocadéro.

Van Berchem (52) a cru que cette inscription ne se trouvait plus à sa place primitive et a pensé que la barbacane dont l'inscription fait mention était cet édifice carré que Rey appelle l'ouvrage M et auquel nous conserverons cette dénomination. Cet ouvrage M se trouve très loin de la place actuelle de l'inscription, entre la première et la deuxième enceinte à l'extrémité du premier élément de la Rampe et au départ du second élément, défendant donc fortement cette Rampe et prenant en même temps en écharpe le grand fossé du front sud. Ces deux savants ont pensé que seul dans la forteresse cet ouvrage M pouvait être ce que les architectes militaires du Moyen Age dénommaient barbacane. Une barbacane était, nous empruntons la définition à Viollet-le-Duc, « un ouvrage de fortification avancé qui protégeait un passage, une porte ou poterne.... » Or Rey et Van Berchem n'ont pas connu la porte de la courtine 12-13 que nous avons découverte en mars 1928 et que protège l'ouvrage 13, lequel est bien en effet une barbacane. Nous sommes donc persuadé que l'inscription encastrée dans la face arrière de l'ouvrage 13 n'a jamais quitté sa place originelle.

C'est Nicolas Lorgne qui a construit cette barbacane. Or Nicolas Lorgne fut, dans la seconde moitié du xme siècle, un des principaux personnages de l'Ordre des Hospitaliers (53). Vers 1250 et probablement jusque vers 1254 nous le voyons châtelain de Margat, et c'est sans doute après cela qu'il fut châtelain du Crac ; vers 1269 il devient maréchal de l'Ordre, à la fin de 1271 il est Grand Précepteur ; enfin, il parvient à la fonction suprême de Grand Maître en 1278 et la conserve jusqu'en 1284.

Un autre Hospitalier fut aussi successivement au commandement des deux grands châteaux de l'Ordre : c'est Jean de Bubie, châtelain du Crac en 1248 et châtelain de Margat en 1254 (54).
On peut donc penser que la barbacane fut construite vers 1255-1265.

Tours 1 à 5 au front ouest

Château Le Crac des Chevaliers
Tours 1 à 5 au front ouest. Image Paul Deschamps

— En sortant de la tour 13 on longe la muraille dans laquelle a été percée, à une date postérieure à 1895, une porte fournissant aux villageois une issue plus pratique que celle de la Rampe. A côté de cette porte un escalier permet de monter à la courtine. On arrive à la tour 1 (tour du moulin) et à partir de celle-ci et sur presque tout le front ouest on constaterait l'uniformité de plan et de construction que nous avons signalée en décrivant l'extérieur si un grand nombre de maisons indigènes n'étaient venues s'appuyer contre la face intérieure de l'enceinte, masquant ainsi toute son ordonnance. Cette ordonnance (Plan 2) se compose d'une série de baies en arc brisé percées dans la muraille, les unes très grandes formant l'entrée de chaque tour, les autres plus petites ouvrant sur de grandes niches voûtées en berceau brisé au fond desquelles sont percées les archères des courtines. Ainsi, du terre-plein situé entre les deux enceintes, on accédait directement aux archères destinées à la défense de la première enceinte. La salle de chaque tour est carrée et couverte d'une voûte en berceau brisé ; à l'ouest s'ouvrent trois arcs brisés encadrant des niches au fond de chacune desquelles est percée une archère surmontée d'un linteau droit et pourvue d'un étrier à la base (Voyez chapitre III, fig. 53 B, meurtrière type 2).
Les archères des courtines sont semblables à celles des tours (55).

Au-dessus de cette ligne d'arcs brisés se trouvait le chemin voûté encore existant du temps de Van Berchem qui communiquait avec les bretèches, et au-dessus encore était le chemin de ronde crénelé. On accédait à ces deux étages par des escaliers extérieurs disposés comme ceux qu'on voit près de la porte neuve et entre les tours 2 et 3.

Après la tour 4 et jusqu'au delà de la tour 5 on constate une modification dans le plan. Un mur ferme ici la face intérieure (Plans 2 et 3) et constitue un couloir allant de la tour 4 jusqu'à la tour 5 et au-delà à une archère flanquant cette tour au sud. De grandes baies en arc brisé, percées dans ce mur donnaient d'ailleurs accès directement du terre-plein aux archères de la courtine 4-5. Elles sont aujourd'hui bouchées. A l'étage supérieur on se trouve dans un large couloir voûté ouvrant sur les archères et les bretèches de la courtine, ces bretèches plus grandes que celles des tours 1 à 4 puisqu'elles reposent sur cinq corbeaux au lieu de 3. Enfin, au-dessus se trouve le chemin de ronde aujourd'hui privé de son crénelage. Un escalier percé près de la tour 6 permet d'accéder aux étages.

On voit aussi dans le mur de la face intérieure de la courtine 4-5 quatre baies, deux rectangulaires et deux en tiers-point. Deux éclairent vers l'intérieur l'étage des bretèches ; deux autres, plus bas, l'une rectangulaire, l'autre en arc brisé encadrées d'ornements arabes donnent accès à des escaliers qui mènent directement de la cour aux bretèches.

L'intérieur de la tour 5 n'offre rien de remarquable et le plan de sa salle est celui des tours précédentes, mais elle possède une salle haute (Plan 3), ronde, éclairée par six baies en arc brisé ; cette salle dont les parties basses paraissent anciennes a été remontée à une époque récente. Elle sert aujourd'hui d'habitation. Les baies actuelles occupent la place des ouvertures donnant sur la galerie de mâchicoulis, en grande partie détruite, qui couronne la tour.

La courtine 5-6 possède, nous l'avons vu, un escalier montant en direction de la tour 5. A l'étage des mâchicoulis on pouvait autrefois circuler de la tour 4 à la tour 6, la circulation est près de la tour 6 interrompue aujourd'hui par une murette moderne (Plan 3).

Tour 6.

Château Le Crac des Chevaliers
Château Le Crac des Chevaliers : Front-Sud Tour 6, image Paul Deschamps

— La grosse tour ronde 6 qui défend le front sud près de l'angle ouest possède une salle (Plan 2) très élevée, octogone, couverte d'une voûte annulaire s'appuyant d'une part sur huit grands arcs de décharge en tiers point ménagés dans la muraille, d'autre part sur un haut pilier central octogone dont chaque pan a 1 m. 10 de largeur. Trois assommoirs sont percés dans cette voûte.

Outre la porte d'entrée qui se trouve au nord, il est une autre porte à l'est qui ouvre sur un couloir débouchant dans une longue salle dont nous parlerons plus loin. Quatre archères sont percées au fond de niches profondes voûtées en berceau brisé qu'encadrent quatre des grands arcs de décharge de la salle ; elles défendent l'ouest et le sud. On voit là de nombreux ornements arabes. La troisième niche en commençant par la droite est particulièrement décorée : une longue inscription arabe aujourd'hui buchée partait à droite de la base de l'arc brisé dans lequel s'ouvre la niche, montait le long de l'arc encadrant l'archère pour revenir à gauche à la base du grand arc. Au-dessus du linteau qui surmonte l'archère est sculpté un décor d'arc en accolade. Un décor semblable se retrouve sur la première archère (Fig. 26).

Tour 6 première archère à l'ouest

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 26. — Tour 6 première archère à l'ouest. (Dessin François Anus).

Le pilier central de la salle est orné d'une grande inscription arabe gravée en haut-relief et glorifiant le sultan Beibars. Cette inscription occupe les huit faces du pilier (56).

Tour 6, pilier central

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Tour 6, pilier central, inscription arabe glorifiant le sultan Beibars. Image Paul Deschamps

Salle de 60 mètres et saillant 7

— Si l'on sort de la tour 6 sur le terre-plein, on trouve à l'est une muraille avec une porte en arc brisé (Plan 2) ouvrant sur une longue salle et à côté de cette porte un escalier extérieur conduisant à l'étage supérieur. La salle a 60 mètres de longueur et 9 mètres de largeur, elle occupe, tout le front sud de la tour 6 à la tour 8 ; elle se trouve en arrière du saillant 7 et son mur nord repose sur le roc apparent qui descend dans le grand fossé séparant les deux enceintes.
Les voûtes partent tout près du sol actuel de la salle et ce sol n'était pas jadis à ce niveau (57).

Vers le nord la salle n'est pas éclairée ; vers le sud six étroites et hautes ouvertures rectangulaires sont percées en pénétration dans la voûte. Deux sont bouchées par le grand saillant 7 qui fut appliqué en avant de la salle occupant le milieu de sa muraille sur 16 mètres 40 de longueur. Nous avons remarqué qu'un haut talus avait été appliqué contre la courtine à droite et à gauche du saillant 7. Le mur de cette courtine est celui de la salle ; les baies viennent donc prendre jour à travers le talus.

Avant l'adjonction du saillant 7 cette salle bordait donc une longue courtine allant de la tour 6 à la tour 8 et l'on sera surpris que sur un front si exposé l'architecte ait laissé une telle longueur de muraille (60 mètres), uniquement protégée par son parapet crénelé et peut-être par des archères transformées en baies d'éclairage. Mais il ne faut pas oublier l'ouvrage avancé triangulaire, qui en avant d'un fossé très étroit défendait la forteresse et dont les extrémités de la base du triangle s'approchaient des tours 6 et 8, rappelant les défenses du Château-Gaillard.

Au milieu du même mur de la salle de 60 mètres s'ouvre une porte donnant accès à un escalier voûté qui descend à gauche et aboutit à une petite porte ouvrant sur le fossé dans le flanc est du saillant 7.

Le mur oriental de la salle est percé d'une grande porte qui a les dispositions qu'on retrouve si fréquemment dans les portes de l'architecture franque : à l'intérieur un arc surbaissé coupé très haut, à l'extérieur un arc brisé. Au-dessus de la porte se trouve une grande fenêtre rectangulaire.

Par un escalier que nous avons vu à l'extérieur contre le mur ouest de la salle, on monte au-dessus de celle-ci sur une terrasse, qui était bordée au sud par une courtine et par le saillant 7.

Face arrière du saillant 7

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Fig. 27. — Face arrière du saillant 7.
Etat en 1859, d'après un dessin de Rey, Architecture militaire des Croisés, page 45, fig. 11.

Plusieurs constructions indigènes ont été élevées sur cette terrasse. Un dessin exécuté par Rey, que nous reproduisons (Fig. 27), nous laisse heureusement le souvenir de ces défenses au sud.

On trouve un couloir avec les entrées bouchées d'une ancienne galerie de mâchicoulis (58), l'adjonction du saillant 7 les ayant fait condamner (voir plan 3). On monte au-dessus de ce couloir par un second escalier et l'on se trouve alors au niveau de la salle du saillant 7 ; mais avant d'y pénétrer, nous signalerons l'entrée (Fig. 28) ornée d'une coupole arabe (Plan 4), puis, en face, un escalier montant à la terrasse du saillant et, à droite, un couloir menant à la salle. Dans le mur sud de ce couloir, le séparant de la salle, nous trouvons une archère bouchée : nous sommes sans doute en présence des vestiges de la courtine qui réunissait la tour 6 à la tour 8 et du parapet crénelé qui la dominait avant la construction du saillant 7.

Dans le mur nord de ce couloir on voit trois archères dirigées vers la deuxième enceinte et destinées à prendre à revers les assaillants qui auraient pénétré entre les deux enceintes.

Coupole arabe au-dessus de l'entrée

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Fig. 28. — Coupole arabe au-dessus de l'entrée de la salle du saillant 7 (Dessin F. Anus).

La salle (Plan 4) du saillant 7 (59) a en son centre un large pilier presque carré (4 mètres 40 x 4 mètres 20), huit voûtes d'arêtes reposent sur des consoles s'appliquant d'une part sur ce pilier, d'autre part sur les piédroits des grands arcs brisés ouvrant sur neuf niches, trois sur chacune des faces est, ouest, sud qui aboutissent à autant d'archères.

Le dessin de Rey montre la face arrière du saillant 7 et ses défenses supérieures aujourd'hui complètement disparues. Le haut du saillant avait le type d'une tour de plan carré, ouverte à la gorge, la terrasse surmontant le couloir bordant la salle vers le nord ouvrait sur la plateforme de l'ouvrage, et à ses deux extrémités se trouvait une porte en arc brisé qui menait à un grand couloir ouvrant sur la galerie des mâchicoulis couronnant le saillant ; au-dessus de cette galerie courait un chemin de ronde crénelé. Malheureusement depuis Rey, tout le couronnement a été rasé, nous l'avons dit, pour la construction d'une maison confortable d'un riche habitant du village.

Salle de 60 mètres.

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Crac des Chevaliers, salle de 60 mètres.
Image Paul Deschamps

— En sortant de la salle de 60 mètres à son extrémité orientale, on se trouve sur un terre-plein et l'on voit à sa gauche le grand fossé rempli d'eau qui sépare au front sud les deux enceintes et à sa droite le mur arrière de la tour 8.

Tour 8.

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Tour 8, Face intérieur du front Sud de la première enceinte, tourelle à l'angle Sud-Ouest,
Courtine 8 et 9, entrée de la Tour 8, Saillant 7. Image Paul Deschamps

Cette face de la tour a été considérablement remaniée (60). Elle est en mauvais appareil de blocs non taillés semblable à ces murailles qu'on voit à l'extérieur de la première enceinte à l'angle sud-est. La porte de la tour très mal appareillée est surmontée d'un écusson (Plan 2).

En pénétrant dans la salle basse de la tour 8, on trouve la rainure d'une herse, puis les traces de la porte et les deux trous de la barre. On passe sous un grand arc brisé avant d'être dans le centre de la salle. Au sud et à l'ouest s'ouvrent deux archères, et à l'est la poterne dont nous avons parlé dans la description de l'extérieur et qui remplace certainement une archère qui se trouvait primitivement à cette place. Au-dessus de cette salle s'en trouve une autre (Plan 3) précédée d'un couloir d'où l'on manœuvrait la herse défendant la salle basse. Cette salle haute présente comme la salle basse le plan des salles des tours 1 à 5.
Les niches des trois archères qui la défendent sont sommées d'ornements arabes (fig. 29) preuve que la tour 8 (61) a été remaniée dans sa partie haute.

Archères de la salle haute de la Tour 8

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Fig. 29. — Archères de la salle haute de la Tour 8. — (Dessin F. Anus).



Angle sud-est ; Courtine 8-9

— Après la tour 8 l'enceinte continue vers l'est; elle consiste en une courtine ayant quatre étages (62), l'étage supérieur étant celui des bretèches dont il ne reste que les corbeaux de base (Plan 4). L'étage inférieur possède un couloir obscur ouvrant sur une petite poterne (Plan 1), le deuxième étage (Plan 2) possède un grand couloir muni d'archères et dans sa muraille extérieure sont percées deux grandes rainures qui se trouvent au-dessus de la petite poterne dont nous venons de parler ; elles devaient servir au passage des chaînes d'un pont-levis. Ce couloir va tourner sur le front est. Le troisième étage (Plan 3), également muni d'archères, possède un grand couloir qui se termine à l'angle sud-est par les deux tourelles rondes que nous avons vu se dresser de façon si curieuse en cet endroit d'où l'on embrasse un vaste horizon. Le mur nord de ce couloir a peut-être été repris : par suite d'une erreur d'alignement sans doute la tourelle nord-est a été condamnée, l'autre servait de tour de guet vers le sud.
La courtine tourne vers l'est puis atteint le saillant 9.

Le saillant 9 (Plans 2 et 1) (63)

On pénètre dans la salle haute (Plan 2) par une petite porte en arc brisé, percée au sud ; cette salle, allongée dans le sens sud-nord, est recouverte en son centre d'une voûte d'arêtes s'appuyant au sud, à l'est et au nord sur trois grands arcs brisés qui ouvrent sur trois niches profondes. La niche de l'est aboutit à deux archères et l'on trouve sur les côtés deux réduits latéraux, celui de droite percé de deux archères, l'une défendant l'est, l'autre défendant le flanc sud du saillant, celui de gauche percé d'une archère à l'est.
Les deux archères médianes sont appareillées d'une façon particulièrement soignée. Celle de gauche (Fig. 30) est encadrée d'une élégante moulure ronde; celle de droite (Fig. 31) a sa voûte ornée de cannelures rayonnantes.

L'exemple de ce décor s'ajoutera à d'autres arguments pour permettre de constater que le saillant 9 est l'œuvre d'un architecte arabe.

Saillant 9. Salle haute

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Fig. 30. — Saillant 9. Salle haute ; archère médiane à droite. Echelle 2cm par mètre. (Dessin François Anus).

Saillant 9. Salle haute

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Fig. 31. — Saillant 9. Salle haute ; archère médiane à gauche, et moulure d'encadrement de cette archère. Echelle 2cm par mètre. (Dessin François Anus).

Derrière la salle haute se trouve un escalier coudé qui descend vers la salle basse.
Dans le mur ouest de cet escalier (voir Plan 1), est percée une archère qui prenait en enfilade le grand fossé du sud.

La salle basse (Plan 1) est divisée en deux dans le sens sud-nord par un immense arc de décharge qui soutient les murs des deux réduits latéraux percés d'archères de la salle haute. Trois archères sont percées à l'est et une au sud (Fig. 32).

On voit au côté nord de cette salle un détail fort curieux ; c'est un mur en talus qui indique une construction plus ancienne. C'était un glacis extérieur, base d'une enceinte fermant le château de ce côté avant l'adjonction du saillant 9 et des courtines de l'angle sud-est (64).

Salles de la courtine 9-10 et saillant 10

Château Le Crac des Chevaliers, saillant 10
Château Le Crac des Chevaliers, saillant 10. Image Paul Deschamps

— Si l'on continue à suivre du sud au nord les plans 1 et 2 on trouve d'abord au nord du saillant 9 et en avant de l'ouvrage M une salle (plan 2) voûtée en berceau et aujourd'hui coupée par les murs d'une habitation indigène. Un petit escalier monte de cette salle vers la terrasse supérieure près de l'angle sud-est de l'ouvrage M. Au-delà de cette salle se trouvent deux étages de salles placées entre le mur extérieur de la première enceinte et le premier élément de la Rampe. C'est à l'étage supérieur une salle longue de 33 mètres divisée en trois salles par deux murs indigènes. On y pénètre par deux portes ouvrant sur la Rampe. Cette salle est couverte de voûtes à pénétration retombant sur des consoles entre lesquelles s'ouvrent tant à l'ouest qu'à l'est huit niches en arc brisé. Au fond des niches de l'est s'ouvrent des archères dont les trois du sud étaient seules conservées, elles se sont éboulées en 1929 (65) et ont été reconstruites par M. Anus.

Saillant 9. Salle basse

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Fig 32. — Saillant 9. Salle basse. Archère. Echelle 2 cm par mètre. (Dessin F. Anus).

Des assommoirs sont percés dans les voûtes. Près d'une des entrées de cette salle se trouve un réduit avec une petite archère ouvrant de biais sur la Rampe ; c'était donc une chambre de garde d'où l'on pouvait tirer sur la Rampe. Au-dessous de cette salle se trouve une longue salle souterraine (plan 1) voûtée en berceau brisé non éclairée ; on y pénètre par une salle située au nord. Celle-ci voûtée d'arêtes ne prend jour que sur la Rampe qui est à ciel ouvert en cet endroit.

Enfin, on atteint le saillant 10 qui possède deux salles superposées. On pénètre dans sa salle basse par la première porte de la Rampe (Plan 1). Cette porte ouvre sur un couloir en berceau brisé. A droite et à gauche de ce couloir on trouve deux étroits passages : l'un au nord est un escalier montant à la salle haute ; l'autre au sud communique avec la salle qui ouvre sur la Rampe par la seconde porte de celle-ci. Ainsi les défenseurs de la Rampe pouvaient battre en retraite et reprendre le combat un peu plus loin. Au fond du couloir on trouve les deux crapaudines de la porte de la salle basse du saillant et en arrière un trou profond dans le mur de gauche par où pénétrait la barre défendant la porte. Les deux salles, haute et basse du saillant 10, ont les mêmes dispositions qui sont celles de la salle de 33 mètres dont nous venons de parler. Leurs voûtes d'arêtes retombent à l'ouest et à l'est sur des consoles s'appuyant sur des piédroits placés entre de grandes niches en berceau brisé. La salle haute est mutilée sur sa face sud.

LA RAMPE D'ACCES

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Fig. 18. — Crac des Chevaliers. Plan schématique (les numéros 1, 2, 3, 4 indiquent les entrées du Crac.
Les lettres a, le premier coude de la Rampe; b, le deuxième coude; c, la sortie de la Rampe. Image Paul Deschamps

Nous avons dit qu'elle commençait avec la principale entrée du château à l'est (Fig. 18, entrée n° 2). Lorsqu'on a franchi la porte, on se trouve dans une salle de plan irrégulier, se rapprochant d'un carré, encadrée de quatre arcs brisés et qui était voûtée sur croisée d'ogives. On voit encore l'amorce des quatre branches d'ogive (un méplat entre deux cavets) et nous reproduisons le dessin, donné par Van Berchem, qui la vit en place, de la clef de voûte ornée d'un quartefeuille, aujourd'hui disparue (Fig. 33).

Clef de voûte de l'entrée

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Fig. 33. - Clef de voûte de l'entrée (d'après Van Berchem, voyage..., page 118, et figue 68).

La porte d'entrée n'est pas dans l'axe de l'arc de l'est : vue de l'intérieur elle est à gauche. A l'ouest et au nord sont des niches peu profondes ; on voit à nu le roc dans la niche de l'ouest.

Chemin de la Rampe, depuis l'entrée

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Porte du saillant 11
Image Paul Deschamps

L'arc du sud est plus élevé que celui qui lui fait face et repose sur deux larges corbeaux. On passe sous cet arc et l'on gagne la Rampe montante qui conduit à l'intérieur de la deuxième enceinte. On ne trouve pas ici trace des défenses qui existent en général à l'entrée d'une forteresse franque, telles qu'une herse et une barre fermant la porte. Mais nous verrons plus loin que cette partie de la Rampe a été construite après tout le reste et nous trouverons d'ailleurs sur le parcours de cette Rampe d'importantes défenses.
En outre, la porte du saillant 11 a été remaniée par les Arabes.
La Rampe monte en arrière des ouvrages qui ont été décrits plus haut (courtine 11-10, saillant 10, partie de la courtine 10-9), ces ouvrages étant en contre-bas du terre-plein qui sépare les deux enceintes.
Pour retarder la marche de l'assiégeant et sans doute aussi pour utiliser les défenses préexistantes, on a fait faire des crochets à ce large chemin couvert. C'est donc une entrée en chicane comme on en voit dans d'autres châteaux en France.
Cette Rampe se compose de trois éléments en ligne brisée.

Le premier élément

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Le premier élément de la Rampe allant vers le nord

Le premier allant du nord au sud

Le premier allant du nord au sud. Rampe allant du nord au sud, coude vers le deuxième élément, coude vers le second élément.

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Le premier allant du nord au sud

Le second élément

Le second élément retournant vers le nord en inclinant vers l'ouest.

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Le second élément

Le troisième élément

Le troisième élément enfin tournant à angle droit et allant de l'est à l'ouest pour déboucher dans la cour intérieure du château après avoir passé sous la deuxième enceinte.

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Le troisième élémen

Des portes et des défenses diverses protègent cette Rampe de place en place.
Elle est couverte de voûtes de blocage en berceau brisé coupées par des intervalles à ciel ouvert qui mettent des taches de lumière éclatante dans ce long chemin obscur.
De grands arcs appareillés apparaissent à chacune de ces issues.
La Rampe monte en pente très douce, elle est munie de marches larges et basses permettant d'y circuler facilement à cheval. Dès le début de la Rampe on trouve à droite (c'est-à-dire du côté ouest), un glacis en bel et grand appareil sur lequel s'appuie la voûte. Ce glacis habille le roc car, par une brèche, on voit qu'il n'y a qu'une épaisseur de pierre. De l'autre côté sont percées cinq archères qui défendent la courtine 11-10.
Puis la Rampe fait un léger crochet à droite (à l'ouest). Après ce crochet le glacis disparaît et est remplacé par un mauvais appareil moyen. En continuant on trouve sur sa gauche la porte de la salle basse du saillant 10, puis à la hauteur d'un emplacement carré à ciel ouvert l'entrée de la salle donnant accès à la longue salle obscure dont nous avons parlé plus haut. On voit devant soi un arc de grande largeur qui s'ouvre à l'endroit où un chemin, à l'ouest de la Rampe, se détache de celle-ci pour monter vers le nord passant au pied du mur soutenant le deuxième élément de la Rampe et au pied du saillant G pour aboutir entre les deux enceintes à la hauteur du saillant 11 et de la courtine flanquant la chapelle au sud (B et C)

Si l'on continue à suivre la Rampe en passant sous ce grand arc, on trouve à gauche (Plan 2), une porte donnant accès à la salle de 33 mètres ; à droite le moyen appareil a été remplacé par le roc nu, puis on voit sur 12 mètres de longueur un glacis de grand appareil qui va jusqu'à l'extrémité du premier élément de la Rampe à l'endroit où celle-ci fait un premier coude.

Avant d'atteindre cette extrémité du premier élément de la Rampe on franchit un second passage à ciel ouvert. On aperçoit à gauche (A), la petite ouverture de biais qui de la chambre de garde de la salle de 33 mètres (Plan 2) permettait de prendre la Rampe d'enfilade.

L'échauguette d'angle

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L'échauguette d'angle

Puis à droite (à l'ouest) on voit le glacis et le mur vertical qui le surmonte et que domine une échauguette aujourd'hui presque entièrement masquée mais primitivement indépendante et qui constituait une >échauguette d'angle commandant l'entrée du second élément de la Rampe.
Ce glacis, ce mur vertical et cette échauguette sont construits dans un très bel appareil et appartiennent à un même travail.

plan lettre a, b, c

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plan lettre a, b, c

Contre l'échauguette vint s'appliquer postérieurement un mur d'un appareil tout différent soutenu par un arc sous lequel on va passer pour pénétrer dans un emplacement carré jadis à ciel ouvert, et qu'on a dans la suite voûté d'une grande voûte d'arêtes (c). C'est là que la Rampe forme un coude à angle aigu (plan lettre a, b, c. Si alors s'arrêtant dans cet emplacement carré on se retourne pour regarder ce coude, on voit en face de soi à droite le premier élément de la Rampe d'où l'on arrive, au milieu le mur d'angle avec un corbeau soutenant l'échauguette masquée par la voûte d'arêtes qu'on a appliquée contre elle, à gauche enfin l'entrée du second élément de la Rampe. (celle-ci montrant le corbeau de base de l'échauguette).

Derrière soi au sud, on a (c) un grand arc bouché qui donnait accès dans l'ouvrage M dont nous parlerons plus loin, à droite (à l'est) un grand arc ouvrant sur une terrasse à ciel ouvert placée au-dessus des salles bordant la Rampe, enfin à gauche (à l'ouest), un grand glacis, contre lequel est venu s'appliquer un compartiment de la voûte d'arêtes sous laquelle on se trouve.
Ce glacis forme le flanc oriental du haut talus sur lequel s'appuie la tour I à l'angle sud-est du front sud de la seconde enceinte, et ce haut talus continue sur tout te front sud et le front ouest de cette enceinte.

Pénétrons maintenant dans le deuxième élément de la Rampe allant en montant du sud au nord. Jusqu'ici la Rampe n'avait d'autres défenses que des assommoirs percés dans ses voûtes et la chambre de garde de la salle de 33 mètres. Mais l'entrée du deuxième élément de cette Rampe est puissamment défendue. On aperçoit, trois arcs brisés. Les deux premiers sont placés de biais. Ces deux arcs supportaient une passerelle allant d'une petite porte percée dans le flanc est de la tour I jusqu'à l'échauguette (montrant au-dessus de l'échauguette cette petite porte rectangulaire de la tour I). Cette petite porte était l'aboutissement d'un long couloir voûté courant sous les hauts talus du front sud et du front ouest de la seconde enceinte (voir Plan 4).

Entre le deuxième arc et le mur où s'ouvre le troisième arc était un large espace vide par lequel on pouvait jeter dans la Rampe des projectiles lancés soit de l'échauguette, soit de la passerelle, soit de la tour I ou de la terrasse dominant le troisième arc.

Après avoir passé sous le troisième arc qui soutient un mur bien appareillé, on trouve les crapaudines supérieures (66) et inférieures d'une porte, puis on passe sous un arc brisé plus haut que le précédent. La Rampe est formée alors de neuf travées, les huit premières étant couvertes de voûtes de blocage à pénétration percées de six assommoirs. A gauche (côté ouest), on retrouve le glacis de la tour I sur 11 mètres de longueur, puis un mur en mauvais appareil ; à droite (côté est), des arcs brisés ouvrant sur des niches (67) de plus en plus profondes à mesure qu'on avance dans la montée de la Rampe. Des consoles appareillées formant une légère saillie non moulurée, placées sur le glacis et en face sur les piédroits entre les niches, reçoivent la retombée des voûtes.

Les murs de fond des niches profondes ouvrant à droite des sixième, septième et huitième travées sont crevés et l'on aperçoit (68) de là, beaucoup plus bas, le chemin découvert que nous avons signalé se détachant du premier élément de la Rampe pour remonter vers le nord. La neuvième travée est voûtée en berceau brisé. Puis on arrive dans un emplacement carré (Plan, lettre b), défendu par quatre assommoirs percés dans les quatre compartiments de sa voûte d'arêtes, emplacement après lequel la Rampe forme un coude à angle droit ; c'est le troisième élément, très court, de la Rampe allant de l'est à l'ouest.

Lorsqu'on se trouve dans cet emplacement carré on a :
1° à sa gauche le troisième élément de la Rampe,

2° en face de soi une poterne en arc brisé par laquelle en descendant un escalier de quelques marches (photo prise de l'extérieur), on se trouve à ciel ouvert au pied des murailles de la seconde enceinte. A droite de cette poterne un escalier monte à la terrasse de l'ouvrage G dont nous allons parler.

L'ouvrage G

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L'ouvrage G, fin d'élément de la Rampe

3° on a à sa droite une porte qui, ouvrant sous un grand arc brisé, donne accès dans la salle de l'ouvrage G au pied duquel passe le chemin montant vers le nord du troisième élément de la Rampe.

Cette salle est couverte d'une voûte d'arêtes reposant sur des arcs brisés qui ouvrent sur des niches au fond desquelles se trouvent des archères et des fenêtres rectangulaires ; la niche de l'est est flanquée de deux réduits comparables à ceux du saillant 9.

Cette salle et la terrasse de l'ouvrage commandaient la première enceinte et de là le tir des défenseurs pouvait passer par-dessus le saillant 10 et les courtines qui le flanquent. On monte à la terrasse par un petit escalier voûté en berceau brisé et ménagé dans la muraille au nord de l'ouvrage. On y voit plusieurs marques franques. L'ouvrage G est en mauvais appareil moyen très différent de l'appareil à bossages qui indique les premières constructions franques ainsi que du grand appareil à pierres lisses qu'on voit aux plus importants ouvrages du Crac. Il a dû être restauré par les Arabes.

L'EXTERIEUR DE LA SECONDE ENCEINTE

L'espace entre les deux enceintes est occupé à l'ouest, au nord et sur la moitié du front est vers le nord par des terre-pleins, sur l'autre moitié du front est vers le sud par les terrasses dominant la Rampe, au sud par le grand fossé maçonné, enfin à l'angle sud-est se trouve le grand ouvrage M pentagonal avec appareil à grands bossages, ouvrage construit à une époque tardive pour prendre d'enfilade la Rampe à l'est et le fossé au sud.
Pour examiner l'extérieur de la seconde enceinte nous suivrons la même direction que nous avons prise pour étudier l'extérieur de la première enceinte.

Nous partirons de la poterne surmontée d'un arc brisé percée au nord de l'emplacement carré situé à la jonction du deuxième et du troisième élément de la Rampe.
On trouve là sur sa gauche un important élément de la seconde enceinte avec un appareil homogène et très caractéristique.
Nous suivons cette enceinte en direction du nord ; elle se dresse à plusieurs mètres sur le roc nu qu'on n'a pas pris la peine de dissimuler.
On aperçoit le chevet de la chapelle encadré par deux courtines, la première allant en ligne droite jusqu'au chevet de la chapelle, la seconde tournant de l'est à l'ouest par trois pans coupés jusqu'à l'ouvrage P.

Chevet de la chapelle et Courtine

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Chevet de la chapelle et Courtine qui l'encadre, à droite Ouvrage P. Image Paul Deschamps

Ces deux courtines et le chevet de la chapelle ont un appareil que nous n'avons pas vu jusqu'ici dans la visite du château et qui est l'appareil à bossages. Cet appareil est composé de pierres de longueurs très différentes et de hauteur de 0 mètre 48 de moyenne. Le bossage a 0 mètre 015 d'épaisseur et le cadre uni qui l'entoure a 0 mètre 06 à 0 mètre 07.

Cet appareil à bossages, qui nous sera précieux pour déterminer les dates de construction d'une grande partie du château, et nous verrons qu'il caractérise les plus anciens ouvrages des Francs, nous le retrouverons ceignant entièrement la seconde enceinte, mais dissimulé sur une grande étendue par des ouvrages appliqués contre lui postérieurement (Plan 4, teinte noire, première campagne franque). Il apparaît au grand jour sur cette partie du front est et c'est ce qui a fait penser jusqu'à présent qu'on voyait là les seuls témoins des plus anciens travaux des Croisés. Les vestiges de la construction primitive des Francs sont beaucoup plus considérables, mais se trouvent, masqués par les grands talus, dans une galerie qui n'avait pas été explorée jusqu'ici.

La courtine qui va du saillant G au chevet de la chapelle a son étage supérieur démoli. L'étage inférieur est percé de trois hautes archères encadrées de pierres à bossage ; le sommet de chacune de ces archères est découpé en arc plein cintre dans une pierre dont le bossage suit la forme de l'archère (fig. 34). La même observation doit se faire pour la large archère percée à l'étage supérieur du chevet de la chapelle (PL XLVI).

Fig. 34 - Pierre évidée

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Fig. 34 - Pierre évidée au sommet d'une archère de la courtine au sud de la chapelle. (Dessin François Anus).

Le chevet de la chapelle (PL XLV, XLVI, XCII) est en saillie sur l'alignement des courtines et son sommet dépassait sensiblement le couronnement de celles-ci. La chapelle fortifiée dans sa partie supérieure, participait à la défense de l'enceinte. Le chevet a la forme de trois côtés d'un carré dont les angles seraient abattus. Deux baies superposées, longues et étroites s'ouvrent dans la face orientale du chevet : celle du bas très profonde éclaire la chapelle et s'ébrase à l'intérieur ; son arc brisé est constitué par cinq pierres à bossage taillées à la demande (PI. XLVI). Ces baies avec arc à bossages se trouvent au château de Tortose et au château de Saône (70). La baie de l'étage supérieur moins profonde que celle du bas est une archère analogue à celles de la courtine ; elle donne sur un petit chemin de ronde voûté, ménagé au-dessus de la voûte de la chapelle (plan 5). Ce chemin de ronde tourne au nord et au sud et se trouve éclairé à ses deux extrémités par deux baies rectangulaires (PL XLV), ouvrant en arrière des courtines ; on voit aussi au nord les restes d'un escalier qui menait à la terrasse dont le parapet aujourd'hui détruit était muni d'archères ; de celles-ci on ne voit plus que la trace creusée dans les pierres de base. Après le chevet, la seconde courtine se dirige vers le nord-ouest pour aboutir à l'ouvrage P. Cette courtine appartient à la même campagne de construction que le chevet et la courtine qui flanque ce chevet au sud : on peut le constater sûrement en observant l'appareil à bossages identique et la ligne blanche visible sur les photographies au-dessus de la baie inférieure du chevet et qui indique un retrait de la muraille (PL XCIIB) ; ce retrait continue jusqu'à l'ouvrage P. La courtine est défendue par trois archères tout à fait semblables à celles de la première courtine et à celle du chemin de ronde du chevet.

L'ouvrage P.

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Courtines encadrant le chevet de la chapelle, à droite l'Ouvrage P et poterne. Image Paul Deschamps

Cet ouvrage est l'un des plus curieusement défendus de la forteresse. C'est une haute tour rectangulaire plantée au nord-ouest en avant de la seconde enceinte. Sa position irrégulière par rapport au plan assez régulier de la seconde enceinte nous fait penser qu'on a utilisé là les fondations d'un ouvrage ancien, peut-être antérieur aux Francs, un reste de ce « Château de la Pente » qui existait au XIe siècle (71). En effet, l'endroit était bien choisi, car c'est de cet ouvrage qu'on a la vue la plus étendue sur les vallées se dirigeant vers la mer.

L'ouvrage tel que nous le voyons aujourd'hui a subi des transformations importantes au cours de l'occupation franque. La courtine venant de la chapelle atteint ce saillant à sa face nord-est et on trouve là une très haute poterne (72). Cette baie n'est pas de proportions normales et a dû être surélevée. D'ailleurs l'arc brisé qui la couvre montre une reprise évidente et des arrachements qui prouvent que la porte devait être aussi moins large.

Il y eut là, dès le début de l'époque franque, et peut-être auparavant, une entrée de la forteresse. Cette entrée ouvre sur la salle basse de l'ouvrage ; on voit à l'intérieur de cette salle une porte donnant accès à l'intérieur de la place en passant par la salle de 120 mètres (73). Le seuil de la poterne qui repose sur un mur avec appareil à bossages est situé à plusieurs mètres au-dessus du terre-plein et l'on y monte par une pente assez raide. Cette entrée se trouve non de face, mais dans le flanc de l'ouvrage, et cette disposition se retrouve dans l'architecture byzantine ainsi que dans les plus anciennes constructions franques (74). Un épais contrefort vient masquer cette porte. Ce contrefort est défendu par une bretèche (75) reposant sur quatre corbeaux et distribuée en trois mâchicoulis. Cette bretèche, aujourd'hui très mutilée, paraît avoir été rapportée dans le parement.

La haute face nord-ouest de l'ouvrage P a un aspect particulièrement imposant. Elle présente un mur à bossages muni d'un talus. En avant de ce mur deux piliers d'angle et deux piliers intermédiaires qui divisent le talus en trois parties, reçoivent trois arcs brisés. Ces arcs soutiennent un mur mince séparé du mur de fond par un espace qui constituait un grand mâchicoulis par lequel du haut de l'ouvrage on pouvait jeter des projectiles qui venaient ricocher sur le talus et défendaient le passage.

Ce système de mâchicoulis est l'un des plus anciens qui aient été employés. On le voit en France dès le XIIe siècle aux châteaux de Lucheux et de Niort ainsi qu'au Château-Gaillard construit en 1197 (76).

Au-dessus des trois grands arcs on voit dans le mur mince deux rangées superposées de trois arcs de décharge aveugles ; en outre, l'appareil de cette partie du mur est très particulier ; ce sont de petites pierres longues, tandis que les pierres d'angle qui encadrent cette face de l'ouvrage sont de grandes dimensions. Il y a donc eu là une réfection que nous allons tâcher d'expliquer. Au-dessus des arcs de décharge on voit les vestiges mutilés d'une grande bretèche à douze mâchicoulis. Il s'agissait donc là d'une galerie continue. Toute la partie de cette galerie qui se trouvait en encorbellement s'est effondrée et il ne reste plus que les embrasures des mâchicoulis (77).

Or nous rappelons que l'espace entre le mur du fond et le mur monté sur les trois arcs constitue déjà un grand mâchicoulis, en encorbellement sur le mur de fond ; la bretèche supérieure constituerait une défense formant un second encorbellement.
Il est impossible d'admettre que ces deux défenses ont été conçues en même temps.

Nous croyons donc qu'à une époque où on avait abandonné le système des grands mâchicoulis constitués par un mur avancé sur piliers partant du sol et où on pratiquait celui des bretèches à plusieurs mâchicoulis ou des galeries de mâchicoulis continus, on a jugé insuffisant le grand mâchicoulis primitif, on a surélevé l'ancien mur avancé et on l'a renforcé par des arcs de décharge pour soutenir la longue bretèche qu'on disposait sur toute la face de l'ouvrage.

Au-dessus de la galerie de mâchicoulis se trouve une étroite terrasse d'où l'on a une vue très étendue sur tout le voisinage au nord et à l'ouest du Crac. En retrait de cette terrasse se dresse la muraille qui soutient la large plateforme couvrant la salle haute de l'ouvrage P.

Le flanc sud-ouest de l'ouvrage P est en grande partie dissimulé par le haut talus qui, commençant en cet endroit, va border les deux fronts ouest et sud de la seconde enceinte, occupant par conséquent une très longue étendue. Ce talus est d'une époque bien postérieure à celle de la construction de l'ouvrage P. Dans le haut de l'ouvrage on distingue le sommet d'un grand arc brisé. Sous cet arc et en retrait se trouve un mur qui ferme la salle haute de l'ouvrage. Perpendiculairement, le mur vertical qui surmonte le talus vient couper l'arc et le mur encadré par cet arc.

Il est difficile d'expliquer la raison d'être de cet arc sur cette face de l'ouvrage P : sa grande ouverture ne permet guère d'admettre qu'il constituait une fenêtre ou une porte, d'autant plus que si le sommet de l'arc correspond à la salle haute, le bas de la baie aujourd'hui masqué par le talus serait venu sans doute à mi-hauteur de la salle basse. Nous ne voyons donc d'autre explication qu'un grand arc de décharge lancé pour surélever la salle haute ou peut-être un grand mâchicoulis analogue à celui de la face nord-ouest et qu'on aurait condamné lorsqu'on construisit le talus et le mur qui le surmonte.

Au-dessus de ce grand arc se trouve une petite fenêtre en arc brisé avec archivolte ébrasée, aujourd'hui bouchée et qui éclairait la salle haute de l'ouvrage.

LE FRONT OUEST

Château Le Crac des Chevaliers
Château Le Crac des Chevaliers. Image du Krak
http://www.reuter.net/syria_private_tours/syria.htm

On aborde ici les hauts talus de la seconde enceinte qui, sur une étendue de 200 mètres, enrobent les quatre puissantes tours de ses fronts ouest et sud. Ces talus ne sont pas là, comme on l'a cru, pour habiller le roc qu'on croyait trouver derrière eux ; ils vont s'appliquer contre l'ancienne muraille à bossages de l'enceinte primitive des Francs et entre ces talus et cette muraille court un couloir voûté (78) qui s'éclaire par des archères percées à travers les talus.

Les deux enceintes

Château Le Crac des Chevaliers
Les deux enceintes, vue prise de l'angle Sud-Ouest de la première enceinte Tours 4, 3, 2, Tours K, O, P. Image Paul Deschamps

De l'ouvrage P à la tour K placée à l'angle sud-ouest de la seconde enceinte on ne trouve qu'un ouvrage de défense, la tour O, puissante tour ronde, allant s'implanter dans le talus et l'on admire ici, comme aux trois tours du front sud, le savant travail de l'architecte qui, à l'endroit où la base de la tour semble pénétrer dans le talus, tailla, chacune dans une forme appropriée, les pierres qui participaient à la fois à l'appareil du talus et à celui de la base de la tour. La courbe du raccord au glacis est une ellipse résultant de l'intersection du cylindre que forme la tour avec le plan incliné du talus. C'est là une œuvre remarquable de stéréotomie.

La tour O

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Deuxième enceinte, front Ouest. Tour O.
Image Paul Deschamps

La tour O est pleine à sa base ; elle n'a qu'une salle très vaste défendue par trois longues archères qui apparaissent à l'extérieur à une grande hauteur puisque leur base est au niveau du sommet du talus. De cette hauteur les traits lancés par ces archères pouvaient franchir la première enceinte.

Tour O avec baies rectangulaires

Château Le Crac des Chevaliers
Tour O avec baies rectangulaires, image Paul Deschamps

Le mur qui se dresse au-dessus du talus au sud et au nord de la tour est beaucoup moins bien conservé entre l'ouvrage P et la tour O qu'entre celle-ci et la tour K. Derrière lui s'élevaient deux étages de couloirs voûtés d'arêtes aujourd'hui très mutilés, le premier défendu par des archères, le second muni d'archères alternant avec des baies rectangulaires (voir l'une de ces baies rectangulaires près de la tour O au sud). Au-dessus s'élevait une terrasse crénelée.
la tour K

Château Le Crac des Chevaliers
Deuxième enceinte, front Sud.
Vue prise de l'Est, Tour K.
Image Paul Deschamps

Tout près de la tour K, on voit un décrochement et une reprise de construction : en outre, le talus sur deux mètres de longueur depuis la tour K monte une assise plus haut. Or, contre le mur fermant à l'intérieur de la place le couloir qui longe cette courtine se trouve (c) une inscription arabe (79) nous apprenant qu'en 1301-1302 à la suite d'une tempête de grêle une réparation fut faite en cet endroit.

LE FRONT SUR DE LA SECONDE ENCEINTE

Ce front possède les ouvrages les plus puissants de la forteresse. Ces ouvrages sont séparés de la première enceinte par le grand fossé, le berquil (80) maçonné, rempli d'eau dont la longueur est de 72 mètres et dont la largeur varie de 8 à 16 mètres. D'un côté de ce fossé les hauts talus de la seconde enceinte descendent jusqu'à l'eau, de l'autre côté se dresse le roc et au-dessus de celui-ci se trouve la longue salle de 60 mètres qui passe en arrière du saillant 7.

Vers l'est le fossé tourne et se termine au pied d'un chemin qui le sépare de l'ouvrage M et met celui-ci en communication avec la première enceinte.

Le front sud se compose de trois grosses tours arrondies à l'extérieure et réunies par deux courtines derrières lesquelles se trouvent trois étages de salles et des terrasses fortement défendues. Ce groupe d'ouvrages formait le Réduit de la place qui devait servir de dernier refuge aux défenseurs et Camille Enlart a donné le nom de Donjon à tout cet ensemble. Les trois tours s'élèvent au-dessus de tous les autres ouvrages du Crac ; elles ont un étage de plus que la tour O et reposent sur un talus plus élevé (hauteur 26 mètres), que celui de l'ouest (19 mètres). Dans les flancs de ce talus on voit non plus une rangée d'archères mais deux rangées ; en bas, ce sont les archères du couloir voûté (Plan 4) venant de l'ouest et qui continue ici ; en haut, ce sont les archères du premier étage des tours et des ouvrages qui les réunissent (Plan 5).

La tour K

Château Le Crac des Chevaliers
Deuxième enceinte, front Sud. Vue prise de l'Est, Tour K. Image Paul Deschamps

— La tour K, la moins importante des trois tours du front sud, vient s'implanter sur le talus à l'angle sud-ouest. Elle est percée à la hauteur de son premier étage (Plan 5) par une petite baie rectangulaire à l'ouest (PL XCV B) et une profonde archère au sud.

Au second étage (Plan 6) on voit au nord-ouest une baie rectangulaire au-dessus du mur de la courtine, et au sud-est une grande fenêtre en tiers-point encadrée d'élégantes sculptures : on y voit deux arcs brisés superposés, l'arc de dessous malheureusement très abimé est orné de feuilles dentelées alternant avec de petits boutons ; l'arc supérieur a des fleurs à quatre pétales.

Ces deux baies éclairent une belle salle ronde voûtée d'ogives qu'on appelle le « Logis du Maître ». On a supposé avec beaucoup de vraisemblance que là se trouvait l'appartement du châtelain, c'est-à-dire du gouverneur du Crac, et qu'il pouvait servir aussi de résidence au grand-maître de l'Hôpital quand il venait séjourner au Crac (81).

Nous ferons ici une remarque importante : à la hauteur de cet étage nous avons vu la trace de six archères bouchées (82), une septième devait occuper la place de la grande fenêtre en tiers-point. Ainsi primitivement le second étage de la tour K était défendu par sept archères et ces défenses s'expliquent dans une tour d'angle qui devait surveiller deux fronts. On les condamna plus tard et c'est évidemment à l'époque où l'on établit dans la tour le Logis pour lequel on perça, dans la joue sud-est de la tour, la grande fenêtre.

Sur le Flanc-Est de la tour K on construisit à la hauteur de sa terrasse deux échauguettes, l'une dominant la jonction entre la tour et la courtine surmontant le talus, l'autre dominant l'intérieur de la place (PL XLIV, XCVI A, XCVIIA). Rey a supposé avec raison que l'une de ces échauguettes portait l'étendard des Hospitaliers, car des textes et un sceau nous font connaître qu'un drapeau flottait sur l'une des hautes tours des forteresses (83).

La terrasse de la tour K a perdu son crénelage ; on y voit le sommet d'un escalier à vis voûté d'ogives qui montait de l'entrée du Logis du Maître à la terrasse.
On ne voit plus que les premières assises du parapet qui au-dessus du talus défendait le passage entre les tours K et J.

La tour J

Château Le Crac des Chevaliers
Front Sud de la deuxième enceinte. Au milieu, Tour J et sa chemise s'enchassant dans le talus.
A droite, Tour I et Ouvrage M. Au premier plan, terrasse de la première enceinte masquant le Grand Berquil
Photographe Lamblin, Frédéric

— Le premier étage de la tour J (plan 5) qui se trouve à la hauteur du talus est défendu par une haute archère. Cette archère traverse un mur de 8 mètres 40 d'épaisseur. Au-dessus de cette archère on voit la chemise demi-circulaire (plan 6) qui doublant le second étage de la tour J au-dessus du talus formait un passage de circulation en avant de celui-ci. Le parapet en est complètement détruit ; il devait s'élever jusqu'à la base de la haute archère (83) qu'on voit à ce second étage (Fig. 53 E, meurtrière type 4) ; aux extrémités de l'arc de cercle que formait cette chemise se trouvaient deux portes qui venaient s'appliquer contre les joues de la tour et dont on voit les traces sur la muraille.

Fig. - 53 E. Meurtrière

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. - 53 E. Meurtrière type 4, archère de la tour J. (Dessin François Anus).

La terrasse de la tour J (84) a ses bords complètement nivelés, son parapet a été entièrement détruit (85).
Aussitôt après la tour J le talus fait un angle et se dirige vers le sud-sud-est. Au-dessus du talus entre les tours J et I le parapet est en partie conservé : c'est un mur percé de deux rangées de huit archères superposées (ne chevauchant pas) dont les premières près de la tour J font défaut, le mur étant effondré en cet endroit. Entre les archères de la rangée inférieure se trouvent des baies rectangulaires destinées probablement à laisser passage à des projectiles de machines de siège telles que des arbalètes à tour.

Au bas du talus en cet endroit se trouve l'extrémité du fossé fermé par un mur qui soutient un chemin partant du pied du talus et se dirigeant vers la première enceinte entre le fossé et l'ouvrage M. Un peu plus loin contre le talus au pied de la tour I vient s'appuyer le prolongement du mur sud-ouest de l'ouvrage M (voir Plan 4) avec son grand appareil à bossages.

On voit à la base de la tour I une arête saillante de pierres qui représente, le sommet de l'éperon du talus à l'angle sud-est, semblable à celui qu'on voit au pied de la tour K au sud-ouest. Mais ici cet éperon est coupé par la base de l'ouvrage M qui a été construit après le talus.

La tour I.

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Extrémité du Grand Berquil, Tour I et Ouvrage M. Image Paul Deschamps

— Si l'on observe la tour I on voit plusieurs étages de baies : d'abord au rez-de-chaussée (Plan 4) qui se trouve au niveau de la galerie voûtée traversant le talus on voit dans le flanc est de la tour une porte (porte rectangulaire, PI. LXXXVIIC, LXXXIX B et c) qui se trouve à l'extrémité de la galerie voûtée (87) et la met en communication avec l'échauguette d'angle de la Rampe. Ce rez-de-chaussée est éclairé par trois fenêtres, une au sud-est, deux à l'est (l'une de ces fenêtres en arc brisé, PI. LXXXIX B). AU premier étage (Plan 5) on voit à l'est trois baies éventrées (PL LXXXIX B et XCVIIIB) qui étaient bien probablement des archères. Enfin au deuxième étage la vaste salle haute de la tour est éclairée et défendue tant vers l'intérieur de la place qu'à l'extérieur par des baies rectangulaires et des archères (Plan 6).

Comme les deux autres tours la tour I a perdu le parapet de sa terrasse et les bords de celle-ci sont presque complètement nivelés. On voit cependant sur les tours K et I les bases d'archères à tir très plongeant ; ces archères font tout le tour des ouvrages ; elles pouvaient donc défendre non seulement l'extérieur mais aussi les passages intermédiaires et l'intérieur de la place. Au nord de la tour on voit le mur bordant les salles qui vont de cette tour à l'ouvrage H.

L'ouvrage M.

Château Le Crac des Chevaliers
Base de la Tour I et sommet de l'Ouvrage M. Image Paul Deschamps

— Avant d'étudier l'intérieur de la seconde enceinte nous examinerons l'ouvrage M, de plan pentagonal, construit en un très grand appareil à bossages qu'on ne trouve dans aucun autre ouvrage du Crac. Il est situé à l'angle sud-est entre les deux enceintes en avant de la base de la tour I et vient masquer en partie l'arête du grand talus ; il se trouve aussi en face du premier coude de la Rampe ; il commandait donc d'une part la Rampe sur presque toute son étendue et d'autre part le grand fossé.

Cet ouvrage fut probablement construit à la fin de l'occupation franque ; ses bossages pourraient faire penser qu'il appartient au contraire au début de l'établissement des Croisés au Crac. Mais l'appareil est beaucoup plus gratnd et mieux soigné que celui du chevet de la chapelle et les bossages ont un relief beaucoup plus accusé (88).
Ce n'est pas un ouvrage arabe car nous trouvons sur les bossages des marques franques.

En outre l'entrée principale de cet ouvrage au sud-sud-ouest (plan 1) est munie d'une herse et il semble que les Arabes n'ont employé ce système défensif que très rarement et sous l'influence des ingénieurs francs.

Cette entrée est surmontée d'un arc brisé à bossages, elle ouvre sur le chemin qui part du talus et longe le fossé pour aller dans la direction de la tour 8 où nous rappelons qu'il existait une entrée au front sud de la première enceinte. On remarque à droite de la porte de l'ouvrage M l'amorce d'un petit mur qui devait être une première défense de l'ouvrage coupant le chemin jusqu'au fossé. Au-dessus de cette porte on voit deux lions de profil accroupis face à face, sculptés en très haut relief ; les têtes sont brisées. Bien que nous ne connaissions rien de semblable en France dans l'art du XIIIe siècle, ces lions sont certainement une œuvre franque, imitation probable des œuvres de l'antiquité orientale (89). Ce n'est certainement pas une œuvre rapportée : ils sont taillés dans les pierres même du parement (90).

Par cette entrée on pénètre dans la salle basse de l'ouvrage (Plans 1 et 3), on trouve en arrière les rainures de la herse qui était manœuvrée de la salle haute, puis on voit en place les crapaudines de la porte et en avant de celle-ci les trous de la barre qu'on plaçait en travers de la porte. Cette vaste salle (91) est couverte d'une voûte d'arêtes reposant sur de grands arcs en tiers-point. Une haute archère rectangulaire est percée dans le mur du sud-est.

La salle haute (Plan 4) est couverte d'une voûte d'arêtes retombant sur quatre piliers (92) ; entre ces piliers et les murs sont des berceaux brisés. Une porte s'ouvre dans le mur nord-ouest en face de la petite porte débouchant de la galerie voûtée, au sud, au pied de la tour I. Au sud-sud-ouest au-dessus de la porte principale et entre les deux lions la salle est éclairée par une baie carrée, légèrement ébrasée, s'ouvrant à l'intérieur sous deux arcs plein cintre superposés. Des baies rectangulaires sont percées dans les murs de l'est et du nord. Dans le mur du sud se trouve une haute archère rectangulaire (PI. XCIXA) et à côté d'elle une lucarne éclaire les latrines de cet ouvrage. Le couronnement de l'ouvrage M a été remplacé par une construction récente.

L'INTERIEUR DE LA SECONDE ENCEINTE

Château Le Crac des Chevaliers
Plan 4, intérieur de la seconde enceinte.

Si l'on examine le plan 4 on voit tracées en noir deux lignes parallèles de murailles, construites dans la plus ancienne des grandes campagnes de construction du Crac, qui encerclent la cour placée au cœur de la place. Cette cour, primitivement très vaste, fut de plus en plus réduite par l'addition successive de divers édifices. Au sud on construisit une vaste salle dont les voûtes reposant sur de puissants piliers soutiennent une cour supérieure que nous appellerons l'esplanade ; à l'est on construisit en avant de la Grand'Salle une sorte de Galerie de cloître voûtée d'ogives ; du côté du nord on éleva un porche contre le flanc sud de la chapelle. Ces deux dernières constructions étant très proches l'une de l'autre, la cour, déjà très réduite, fut ainsi divisée en deux tronçons réunis par un étroit passage.

Si l'on entre dans la cour par la porte de la Rampe à l'estChâteau Le Crac des Chevaliers
Sortie de la Rampe côté EST. Image Paul Deschamps
, on a devant soi un orifice circulaire protégé par quelques pierres empilées : c'est l'ouverture d'une citerne qui se trouve sous la cour.
Derrière cet orifice est la Galerie qui borde dans sa longueur la Grand'Salle et dont les baies malheureusement bien mutilées ont le style français du milieu du XIIIe siècle.
A gauche, vers le sud, on voit trois grands arcs qui donnent accès aux magasins (salle aux piliers) situés sous l'esplanade (PL XCIA et LII).
Au-dessus de l'arc sous lequel débouche la Rampe passe un escalier qui mène à cette esplanade à l'extrémité de laquelle on aperçoit la face postérieure des grands ouvrages du sud.
A droite on aperçoit le porche de la chapelle et un peu plus loin un escalier condamnant le portail occidental de la chapelle pour monter vers les ouvrages du nord.

Si, s'avançant de ce côté, on pénètre dans le second tronçon de la cour en passant entre le porche de la chapelle et la Galerie, on aperçoit de grands arcs brisés donnant accès dans une immense salle, longue de 120 mètres. Cette salle part du mur nord de la chapelle, suit tout le front ouest entre les deux lignes de murailles parallèles dont nous avons parlé plus haut et va aboutir contre les fondations de la tour J. Cette salle constitue le principal élément de cette ordonnance de la construction primitive que l'on retrouve identique dans les salles du sud et de l'est entre la double muraille qui encercle la cour.

En pénétrant dans la salle de 120 mètres au nord de la cour et en traversant cette salle dans sa largeur non loin de la chapelle, on trouve une porte en arc surbaissé qui conduit dans la salle basse de l'ouvrage P (Fig. 35 B et H).

Fig. 35. B. Elévation

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Fig. 35. B. Elévation vers le nord-est. (Dessins François Anus).

Fig. 35. H. Etage inférieur

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 35. H. Etage inférieur. (Dessins François Anus).

Couloir voûté sous talus

Château Le Crac des Chevaliers
Couloir voûté sous talus. Image Paul Deschamps

Dans cette salle basse s'ouvre à droite la haute poterne qui débouche dans le terre-plein entre les deux enceintes ; à gauche, on voit l'entrée du long couloir voûté qui circule sous les talus de l'ouest et du sud. Or, dans ce couloir, on constatera que le mur de gauche (côté intérieur) est à bossages tandis que le mur de droite (côté extérieur) est à pierres lisses (93).

Le couloir

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Le couloir. Image Paul Deschamps

Porte réunissant la salle de 120 mètres au couloir voûté près de la Tour O, remontera le front ouest, sera interrompu par la tour O, reprendra après celle-ci, atteindra la tour K au sud-est, passera sous les trois grands ouvrages du front sud pour aboutir à ciel ouvert en face de l'échauguette de la Rampe.

Echauguette de la Rampe.

Château Le Crac des Chevaliers
Echauguette de la Rampe. Image Paul Deschamps

Ces bossages sur un mur, ces pierres lisses sur l'autre, marquent deux campagnes de construction. Et ces bossages sont ceux que nous avons vus au chevet de la chapelle et aux courtines qui le flanquent ; ils caractérisent les plus anciens travaux des Croisés au Crac (94).

Chevet de la chapelle

Château Le Crac des Chevaliers
Chevet de la chapelle. Image Paul Deschamps

Nous avons évité jusqu'ici le plus possible de faire intervenir, dans notre description, des questions de dates de construction, nous réservant d'en parler dans un autre chapitre, mais il nous faut ici aborder ce sujet. Ce chemin de ronde a été ignoré des archéologues qui ont visité le Crac. M. Anus l'a découvert en relevant le plan. On croyait que les seuls vestiges de la première construction des Croisés qui fussent conservés étaient le chevet de la chapelle et les courtines avoisinantes (95) ; on pensait que le reste avait dû être détruit par un tremblement de terre. Or nous pouvons retrouver presque intégralement sur tout son parcours l'enceinte primitive avec son appareil à bossages. Les hauts talus appliqués dans une campagne postérieure par les Croisés vinrent masquer ces murailles à l'ouest et au sud.

Deuxième enceinte

Château Le Crac des Chevaliers
Deuxième enceinte, front Ouest, Tour O, grand talus Image Paul Deschamps

Les hauts talus ne sont donc pas là pour servir de revêtement au roc, comme on a pu le croire. En avant de ce mur à bossages de l'enceinte primitive on a construit plus tard un second mur pour établir entre eux un couloir ; une voûte a recouvert ces deux murs et le mur en talus a passé sur cette voûte. Les archères qu'on retrouve dans le mur primitif, comme on les retrouve aux courtines flanquant le chevet de la chapelle, sont devenues ici inutiles. Le mur construit en avant de l'ancien a été percé de place en place et a pris jour par des archères traversant le talus (96). On reconnaîtra de plus en examinant le plan 4 que l'ancienne enceinte était munie de saillants présentant un plan rectangulaire ou carré comme l'ouvrage P, comme le chevet de la chapelle et comme le saillant H qui ont conservé leur aspect primitif ; d'autres, à une époque postérieure, furent transformés en tours arrondies : ainsi l'on retrouve le plan carré de la tour O et de la tour K. Et il est possible qu'il en fut de même pour la tour J et la tour I.

Château Le Crac des Chevaliers

Château Le Crac des Chevaliers, saillant 10
Château Le Crac des Chevaliers, saillant 10. Image Paul Deschamps

Nous examinerons maintenant en détail les ouvrages situés au centre de la place. Nous commencerons dans la cour en allant vers le sud.

Sortie de la Rampe

Château Le Crac des Chevaliers
Sortie de la Rampe. Image Paul Deschamps

Le mur qui va de la sortie de la Rampe au flanc sud de la chapelle est percé de deux grandes baies en arc brisé (PI. XCI A à gauche et XCI B à dr.). Son appareil est en pierres lisses où s'intercalent un grand nombre de pierres à bossage. Ce mur fut donc certainement remonté, à la suite probablement du tremblement de terre de 1170.

Les deux baies donnent accès dans une longue salle couverte de voûtes à pénétration et coupée en trois tronçons par des murs modernes ; cette salle participe à l'ordonnance des constructions faisant le tour de la cour. Au-dessus se trouvait un étage qui est ici effondré ; il en est de même entre la chapelle et l'ouvrage P et entre celui-ci et la tour O. Cet étage supérieur est en partie conservé entre la tour O et la tour K ainsi qu'entre la tour I et le débouché de la Rampe.

La chapelle

Château Le Crac des Chevaliers
Chevet de la chapelle et Courtine qui l'entoure, à droite l'Ouvrage P et la poterne. Image Paul Deschamps

— La chapelle est une construction romane du XIIe siècle. Sauf le mur à bossages du chevet qu'on voit à l'extérieur de la seconde enceinte, elle dut être reconstruite après le tremblement de terre de 1170.
Tandis que le mur du chevet a un appareil à bossages, le mur occidental qu'on voit dans la cour a un appareil de pierres lisses avec remploi de bossages. Cette chapelle mesurant intérieurement 21 mètres 50 de long sur 8 mètres 50 de large, consiste en une nef de trois travées en berceau brisé séparées par des doubleaux à arêtes vives et terminée par une abside en cul-de-four qui s'ouvre sous un grand arc à double voussure. Cette abside est empâtée dans un chevet de plan carré à angles abattus qui, on l'a vu, constitue un saillant de la seconde enceinte.

Les murs latéraux sont évidés par de grands arcs brisés à arêtes vives et à double voussure. C. Enlart a remarqué que cette même ordonnance se retrouve en Palestine à l'abbaye de Montjoie (97) située sur une haute colline d'où l'on aperçoit Jérusalem. Cette disposition est un des éléments les plus caractéristiques des églises romanes de Provence à nef unique; on l'observe à l'église Saint-Gabriel (98), à l'église des Sainte-Marie de la Mer (Bouches-du-Rhône) (99), à la cathédrale de Digne (Basses-Alpes) (100), dans le même département à l'église de Haut-Noyers, et dans des chapelles à Saint-Michel et à Vergons, dans les Hautes-Alpes à l'église de Lagrand, et dans l'Ardèche à l'église de Champagne, à Chassiers (chapelle des Pénitents), à Ruoms (chapelle des Pommiers) et à Saint-Marcel d'Ardèche (chapelle Saint- Sulpice) (101). On voit aussi ce système pratiqué assez fréquemment en Bourgogne (102).

Les doubleaux reposent sur des pilastres chanfreinés. Un cordon mouluré fait à la hauteur de l'imposte tout le tour de la chapelle et suit la saillie des pilastres. C'est encore un caractère du style roman de Provence et ces deux témoignages suffisent à faire penser que l'architecte de la chapelle du Crac était un provençal. Le cordon mouluré courant tout autour de la nef se trouve à la cathédrale de Digne, aux églises de Saint-Gabriel et des Saintes-Maries de la Mer que nous venons de citer ; on le voit aussi à la chapelle Sainte-Madeleine à Mirabeau (103) et dans la nef d'églises pourvues de bas-côtés telles que la cathédrale d'Aix (104), les églises Saint-Victor de Marseille (105), de Silvacane et du Thoronet (106).

La chapelle est éclairée par deux baies percées à l'ouest et à l'est. Celle de l'ouest est une grande fenêtre en arc brisé ouverte au-dessus du portail ; extérieurement elle a un double chambranle. Plus petite est la fenêtre en arc brisé de l'abside s'ouvrant au fond d'une niche très profonde. A l'intérieur ces deux fenêtres sont ébrasées et ont leur appui en talus.

Trois fenêtres rectangulaires aujourd'hui bouchées s'ouvraient en pénétration dans la voûte (107), deux au sud (fig. 36) et une au nord. A l'extérieur ces fenêtres étaient en arc brisé.

Dans la deuxième et la troisième travée au nord s'ouvraient deux portes en arc surbaissé, aujourd'hui bouchées. Dans la deuxième et la troisième travée au sud et dans l'abside au sud, se trouvent trois petites niches en cul de four où Van Berchem (Voyage..., p. 158) et Enlart (Monuments des Croisés, planche 77, fig. 334) croient qu'il faut voir des niches de Qibla établies après la conquête musulmane. On voit aussi une chaire musulmane dans cette chapelle qui sert de mosquée aux habitants du village, tous musulmans. Le portail occidental a été condamné au XIIIe siècle par les Hospitaliers qui ont fait passer en avant un escalier montant vers les ouvrages du nord. Vu de l'intérieur ce portail consiste en une porte en arc brisé surbaissé encadrant un arc en tiers-point. Cette disposition se trouve dans un grand nombre de portes de châteaux francs.

Fig. 36.

Château Le Crac des Chevaliers

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Fig. 36. — Baie de la chapelle en pénétration dans la voûte au sud.
a, Plan. — b, Vue extérieure. — c, Vue intérieure et corniche.
(Dessin F. Anus).

A l'extérieur ce portail à double ressaut a ses voussures qui reposent directement sur les piédroits sans imposte. Les jambages de l'arc interne ont leur angle abattu et orné d'une cannelure qui s'amortit en pointe (108).

L'escalier vient couper le portail dont le haut apparaît au-dessus des marches. On devine l'archivolte encadrant le portail; sa mouluration est analogue à celle des impostes de l'intérieur de la chapelle (Voyez Van Berchem, Voyage... PL XXI en bas).

Les moulures de l'archivolte à leur retombée se prolongent horizontalement à droite et à gauche sur une courte étendue (Voyez Enlart, ouvrage cité, pl. 77, fig. 333). La même chose se voit à la cathédrale de Giblet (portail sud), à l'église de Qariet el Enab (portail nord), à la chapelle du château de Margat (portail nord) et sur un portail trouvé récemment à Lattaquié par M. J. Sauvaget, et qui est une œuvre des Croisés (109).

Rappelons qu'à l'extérieur on voit au chevet, au-dessus de la fenêtre éclairant l'abside, une archère ouvrant sur le chemin de ronde qui passe sur la voûte de la chapelle. La terrasse a perdu son parapet, on y voit quelques pierres empilées derrière lesquelles s'abrite du vent parfois violent le muezzin qui vient chaque soir en ce lieu chanter la prière musulmane.

Le porche de la chapelle

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Extrémité de la galerie, escalier condamnant le portail Ouest de la chapelle.
Porche ajouté au Sud de la chapelle. Image Paul Deschamps

— Les Hospitaliers ayant condamné le portail occidental construisirent au flanc sud de la chapelle un porche ouvrant sur la cour par deux grands arcs brisés l'un à l'ouest, l'autre au sud. Ce porche est voûté d'arêtes. Son appareil est à pierres lisses et contraste avec la face occidentale de la chapelle où l'on voit des remplois de bossages. Il est beaucoup moins élevé que la chapelle. C'est en passant sous ce porche qu'on trouve aujourd'hui l'entrée de la chapelle par une porte percée dans son mur méridional (110).
Contre le mur du porche un escalier monte à l'étage supérieur de la courtine flanquant la chapelle au sud.

Contre le mur de la chapelle et à l'alignement de sa face occidentale s'applique le mur qui va tourner vers l'ouest pour fermer la cour au nord. Dans ce mur s'ouvrent de grandes baies en arc brisé qui donnent accès dans la salle de 120 mètres laquelle commence contre le mur nord de la chapelle.

L'ouvrage P.

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L'Ouvrage P, face Nord-Ouest avec grand machicoulis. Image Paul Deschamps

— Avant cette salle nous verrons l'ouvrage P (fig. 35) dont la salle basse (111) possède une porte ouvrant sur la salle de 120 mètres. Comme presque toutes les portes du Crac celle-ci consiste en un arc brisé du côté de la salle basse et un arc surbaissé du côté de la salle de 120 mètres.

Nous rappelons que l'ouvrage P forme un saillant sur l'extrémité nord-ouest de la seconde enceinte et que sa haute poterne du nord-est donne accès dans sa salle basse : à l'autre bout de cette salle se trouve l'entrée du long couloir voûté qui court sous les grands talus. Cette salle basse (112) est couverte d'une longue voûte en berceau brisé, dirigée dans le sens nord-est sud-ouest et reposant sur deux arcs, l'un celui de la poterne, l'autre au-dessus de l'entrée du couloir (113).

Il n'y a pas de communication entre la salle basse et la salle haute. On pénètre dans celle-ci par deux portes donnant sur la courtine au sud-est vers l'intérieur de la place ; on trouve là aussi un escalier à vis qui monte à la terrasse de l'ouvrage.

La salle haute (Plan 5) très obscure aujourd'hui, car on a (c) bouché la fenêtre qui l'éclairait au sud-ouest, est défendue au nord-ouest par une galerie de douze mâchicoulis aujourd'hui très mutilée. Neuf de ces mâchicoulis ouvrent sur la salle ; les trois autres se trouvent au-dessus du contrefort saillant qui masque la poterne, et ouvrent sur un petit local qui communique par une porte avec la salle haute. On trouve des marques franques à l'intérieur de ces mâchicoulis.
La terrasse dont le crénelage a disparu, était pourvue d'archères très rapprochées dont on voit encore les bases sur la face nord-ouest.

La salle de 120 mètres

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Salle des 120 mètres, après déblaiement. A gauche, niches de la latrine.
Plus loin, la porte réunissant cette salle à la salle basse de l'Ouvrage P.. Image Paul Deschamps.

— Cette salle, qui part du flanc nord de la chapelle pour suivre les côtés nord et ouest de la place, aboutit au sud contre les fondations de la tour J. Elle a 10 mètres de hauteur sous voûte et 8 mètres de largeur (115).

Elle est couverte de voûtes à pénétration munies de chaînes de pierres taillées, de largeur inégale, les unes sans saillie, les autres avec saillie sur le nu du mur, jouant le rôle de doubleaux. Ces voûtes s'appuient sur de grands arcs brisés ; les uns s'ouvrent sur la Cour ou sur la Grand'Salle, les autres s'ouvrent dans le mur extérieur et encadrent des niches au fond desquelles étaient percées les archères qui défendaient le front ouest avant l'addition du grand talus et de sa galerie voûtée.

Nous avons retrouvé dans cette salle, à droite et à gauche de la salle basse de l'ouvrage P, creusées dans le mur extérieur deux séries de niches en arc brisé (8 et 4) (c) ; la lunette carrée percée dans leur sol indique leur destination : c'étaient douze latrines fort utiles pour une nombreuse garnison.

Vaste four circulaire

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Four circulaire, de la salle de 120 mètres
Image Paul deschamps

A l'autre bout de la salle, vers le sud, les déblaiements ont amené la découverte d'un vaste four circulaire (fig. 57) en briques, de 5 mètres de diamètre ; du cul de four il ne reste que les assises de base, mais la cheminée s'est conservée presque intacte. Un peu plus loin se trouve le puits de la forteresse profond de 27 mètres avec 9 mètres d'eau (Plans 2, 3, 4). La photographie montre l'édicule placé au-dessus de ce puits et qui devait contenir l'arbre ou la roue permettant de monter les seaux d'eau.

Fig. 57. - Four de la salle de 120 mètres

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Fig. 57. - Four de la salle de 120 mètres. (Dessin François Anus).

Dans la partie sud de la salle, en arrière des tours K et J et dans le mur intérieur est percée une embrasure. C'était une grande fenêtre (116).

Observons en passant que l'arc est garni à l'extrados de pierres plates disposées entre les claveaux et le mur. M. Marcel Aubert nous a fait remarquer que c'était là un usage archaïque qui se voit dès le XIe siècle et les toutes premières années du XIIe siècle en France (abside de S. Sernin de Toulouse, chevet de S. Benoît sur Loire) et qui disparaît ensuite. Nous aurions donc là un témoin des premiers travaux des Francs au Crac des Chevaliers.

A l'angle sud-ouest la salle communique avec une salle carrée formant le rez-de-chaussée de l'ancienne tour K qui était carrée. Puis la salle de 120 mètres est bordée par une salle qui communique avec le couloir voûté. Sur le mur nord de cette salle on voit l'appareil à bossages qui indique le mur extérieur de l'enceinte primitive.

Le couloir voûté du talus

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Porte réunissant la salle de 120 mètres au couloir voûté près de la Tour O. Image Paul Deschamps

— Le couloir voûté qui a été construit contre le mur occidental de la salle de 120 mètres dont il a aveuglé les archères et qui prend jour à travers le talus a son point de départ dans la salle basse de l'ouvrage P. Sur tout son parcours on voit sur la muraille du côté de l'intérieur (c'est-à-dire à gauche en venant de l'ouvrage P) l'appareil à bossages qui montre que c'était jadis la muraille extérieure. Le couloir s'interrompt au flanc nord de la tour O, mais on peut rejoindre ce couloir après la tour O en passant par la salle de 120 mètres. Une petite porte occupant sans doute la place d'une ancienne archère percée près du flanc sud de la tour O réunit la salle de 120 mètres et le couloir. Sur les deux flancs de la base de la tour O qu'on voit dans ce couloir on retrouve l'appareil à bossages.

Ce couloir est assez large sur le front ouest ; il est éclairé par des archères ouvrant après la tour O dans de grandes niches en berceau brisé ; dans sa muraille à bossages on voit des canalisations qui amenaient l'eau des terrasses dans des citernes et qui ont en partie conservé leurs tuyaux de poterie. En atteignant la base carrée de la tour K le couloir se rétrécit (117) et est aussi moins haut, il tourne à angle droit vers le sud et occupe tout le front sud pour aller déboucher par une porte extérieure au pied du flanc est de la tour I. Sur tout ce parcours il ne longe plus la muraille à bossages de l'ancienne enceinte, mais traverse une muraille trois fois plus épaisse que celle du front ouest (7 m. 50 au lieu de 2 m. 50). Les niches des archères qui défendent ici le talus sont plus profondes que celles du talus du front ouest (fig. 37).
Presque à l'extrémité du couloir (sous la tour I), on voit un retrait dans la muraille qui contient une latrine.

Les grands ouvrages du sud

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Crac des Chevaliers, front-sud. Image Paul Deschamps

— Comme l'avait remarqué Camille Enlart ce front sud de la seconde enceinte forme un ensemble de trois ouvrages bien liés entre eux qu'il appelle le Donjon, et nous verrons d'abord le rez-de-chaussée de ces ouvrages (plan 4).

Nous avons déjà vu vers l'angle sud-ouest, la salle carrée du rez-de-chaussée de la tour K, l'extrémité de la salle de 120 mètres, aboutissant aux fondations de la tour J, et, entre la fin de la salle de 120 mètres et le couloir du talus, une salle placée entre la tour K et la tour J.

Fig-37. — Archères du couloir

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Fig-37. — Archères du couloir sous le talus au sud (Dessin F. Anus).

Au rez-de-chaussée de la tour J est une salle percée au nord d'une porte flanquée d'archères ouvrant sur la salle basse entre les Tours J et I en direction de la cour surmontée d'une fenêtre.

Au-delà de la tour J, à l'est, on trouve les mêmes dispositions qu'à l'ouest, c'est-à-dire du nord au sud deux salles parallèles et le couloir voûté.
La première de ces salles continue l'ordonnance des salles encerclant la cour ; on y voit une porte surmontée d'une fenêtre et flanquée de deux archères dirigées vers l'intérieur de la place ; elles défendaient donc la cour avant l'établissement de la salle aux piliers placée sous l'esplanade.

La seconde salle est en avant de l'ancienne muraille d'enceinte et les premières assises de celle-ci ont un appareil à bossages.

Ces deux salles communiquent avec le rez-de-chaussée de la tour I. Cette tour ayant subi de grandes modifications, lors de la deuxième époque de construction franque (teinte rouge du plan), au sud et à l'est, on ne se rend pas compte du plan de l'ouvrage de défense qui devait se trouver là lors de la période primitive.

La salle aux piliers

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Porte flanquée d'archères ouvrant sur la salle basse entre les Tours J et I en direction de la cour. Image Paul Deschamps

— Nous étudions maintenant la vaste salle rectangulaire à gros piliers qui est venue à une époque tardive occuper une grande partie de la cour sud. Elle est au niveau de la salle du rez-de-chaussée de la tour J dont elle est séparée par un espace à ciel ouvert ; elle communique à l'ouest avec la salle de 120 mètres, à l'est avec une salle située entre la tour I et l'ouvrage H, et vers le nord elle ouvre sur la cour par quatre arcs brisés.
Cette salle a cinq rangs de lourds piliers (118) appareillés sur lesquels reposent des voûtes de blocage en berceau brisé de hauteur inégale, les plus élevées étant orientées nord-sud.

Salle aux Piliers

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Salle aux Piliers Crac des Chevaliers. - Sources:
http://gillesenballade.blogspot.fr/2010/10/juste-avant-la-jordanie.html

L'exécution de ces voûtes est très médiocre ; on n'a pas pris la précaution de tailler l'arête des claveaux. Cette salle dut être construite tardivement à une époque où les Hospitaliers étaient privés de ressources.

Le plan de cette salle n'est pas absolument régulier et l'on voit bien que sur ses faces est, ouest et sur une partie de sa face nord on a voulu la raccorder à des ouvrages préexistants. Ses voûtes sont percées d'assommoirs ou plutôt de bouches d'aération et d'éclairage ouvrant sur sa terrasse.

Cette terrasse constitue l'Esplanade et se trouve au niveau des salles du premier étage du Donjon. On accède à l'esplanade par l'escalier partant de la cour à l'est et montant en s'appuyant sur un demi-berceau au-dessus de la porte où débouche la Rampe.
Ce demi-berceau vient s'appliquer sur le premier des arcs brisés qui donnent accès dans la salle aux piliers.

L'esplanade (Plan 5)

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Vue prise du Nord. A gauche, escalier passant au dessus de la sortie de la rampe et conduisant à l'esplanade.
Au fond, Tour I, Courtine et Tour J. A droite, contrefort de la galerie. Image Paul Deschamps

— Dans le sol de l'esplanade sont percés de grands orifices qui éclairent et aèrent la salle aux piliers. L'esplanade domine la cour au sud, elle est bordée à l'est et à l'ouest par le premier étage des courtines dont les salles très remaniées, surtout celles de l'ouest, n'offrent rien d'intéressant. Rappelons cependant qu'en haut du mur intérieur de la courtine de l'ouest près de la tour K on voit l'inscription arabe signalant une restauration faite en 1301-1302 (PI. XCIVc et p. 189 et n. 1).
A l'angle nord-ouest de cette esplanade le sol est formé sur une assez grande superficie de très larges dalles. Rey a émis l'hypothèse que là se trouvait une aire à battre le blé (119).

De ce côté un étroit chemin passant entre le mur occidental de la Grand'Salle et la face postérieure de la tour O conduit jusqu'à l'entrée de la salle haute de l'ouvrage P.

Au fond, vers le sud, la cour est dominée (PI. XXXVII) par la masse des tours K. J. I. et les ouvrages intermédiaires. Malheureusement plusieurs masures indigènes masquent en grande partie le bas de ces magnifiques constructions. Mais les parties hautes des ouvrages se détachent dans le ciel ; c'est la tour ronde K et le grand mur qui la réunit à la tour J (PI. XCVII A). De celle-ci on voit les deux grandes fenêtres à meneaux qui éclairent sa salle haute (PI. LUI et CVIUc et D). Puis à gauche deux arcs brisés très larges donnent accès dans une vaste salle (PI. LII et CVIIIA et B); au-dessus, la terrasse intermédiaire entre les tours J et I est occupée par deux constructions modernes. Enfin la puissante masse de la tour I se dresse au sud-est (PL XCIA).

La tour O

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Deuxième enceinte, front Ouest, Tour O. Image Paul deschamps

— On pénètre dans la salle de la tour O par une porte à l'est et aussi en passant sous un porche ouvrant au nord et à l'est par deux grands arcs brisés (l'un de ces deux arcs apparaît PL XXXVII, à gauche).
Dans l'angle nord-est de la tour s'ouvre un escalier à vis qui monte à la terrasse. La salle se compose d'une partie rectangulaire dont la voûte d'arêtes repose sur quatre arcs en tiers-point (120) et d'une partie arrondie s'ouvrant dans l'arc de l'ouest et qui fut rajoutée lors de la deuxième campagne de construction lorsqu'on transforma la tour carrée primitive en tour ronde. Dans cette face occidentale s'ouvrent sous des niches en berceau brisé trois archères.
La terrasse de la tour O n'a pas gardé son crénelage. On y voit les restes d'un écoulement d'eau devant aboutir aux canalisations menant l'eau dans l'égout qui aboutit à une citerne (C 10) située au pied de l'ouvrage P.

La tour K

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Deuxième enceinte, front Sud, Tour K, face Est, entrée du logis du Maître.
Sur la boîte Krak deuxième enceinte. Image Paul Deschamps.

— Cette tour a une surface beaucoup moins grande que les deux autres tours du sud. Nous avons vu (p. 204) que dans la première période de construction elle était de plan carré. On retrouve les fondations de cet ouvrage ancien avec ses bossages dans le couloir voûté (Plan 4).

La salle du premier étage de cette tour est au niveau de l'esplanade ; une porte en berceau brisé s'ouvre là (Plan 5). Elle est surmontée d'une fenêtre rectangulaire s'ébrasant un peu à l'intérieur. Deux profondes niches en berceau brisé se terminent par deux archères qui défendent les fronts ouest et sud.

Face intérieure de la Courtine K et J

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Face intérieure de la Courtine K et J. Image Paul Deschamps

On accède au second étage soit de l'esplanade par un escalier, soit de la courtine intermédiaire entre les tours K et J par un escalier à vis (121), que précède une petite porte surmontée d'un tympan plein en arc brisé, orné en son milieu de deux fleurons et encadré d'une série de petites fleurs à quatre pétales.

Salle ronde du logis du Maître

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Salle ronde du logis du Maître. Image Paul Deschamps

Cette tour K est presque ronde, mais elle a vers l'intérieur une queue ; c'est dans cette queue qu'est ménagé l'escalier à vis. La porte dont nous venons de parler donne accès dans le Logis du Maître (121) ; la salle de ce logis est ronde et s'éclaire au nord-ouest par une fenêtre rectangulaire, au sud-est par une très grande fenêtre en arc brisé (123).

La décoration de cette salle est d'une singulière élégance : sa voûte est une coupole formant une demi-sphère parfaite (124) sous laquelle est bandée une croisée d'ogives (125) qui retombent sur quatre chapiteaux supportés par quatre colonnettes rondes. Ces ogives se composent d'un gros tore en amande séparé de deux tores moins épais par un cavet. Les chapiteaux malheureusement recouverts d'un enduit ont des crochets dont le style sobre montre qu'ils appartiennent à une date voisine de 1230-1240 (126).

A la hauteur de la corbeille des chapiteaux court tout autour de la salle une frise formée de petites fleurs à cinq pétales ; cette frise encadre entièrement l'arc brisé de la fenêtre percée au sud-est. L'extérieur de cette fenêtre est, on le sait, aussi décoré (PL LXIIA) ; les deux arcs d'encadrement ont chacun une rangée de petites fleurs sculptées ; l'artiste, soucieux d'éviter la monotonie dans son décor, a exécuté plusieurs types de fleurs assez différents et fort élégants.

Nous rappelons que nous avons remarqué de l'extérieur à cet étage de la tour K sept archères bouchées (p. 190) ; c'est donc lorsqu'on a établi le « Logis du Maître » qu'on a condamné ces archères.

Entre la tour K et la tour J se trouve la courtine qui les réunit. Là existent plusieurs étages de salles ; d'abord le rez-de-chaussée (Plan 4), puis au niveau de l'esplanade (Plan 5), le premier étage avec deux archères traversant le talus, et le deuxième étage (Plan 6). C'est de cet étage qu'on atteint la porte du « Logis du Maître ». Cet étage est mutilé et a été très remanié.

Du côté du talus le parapet a complètement disparu. Au cours d'un remaniement postérieur à l'époque franque, on suréleva le parapet et le mur fermant la courtine vers l'intérieur ; ce mur est encore conservé.

On surmonta l'étage de la courtine d'un second étage et l'on voit ainsi les amorces des voûtes des deux étages. Deux baies en arc brisé sont percées dans le mur à l'étage inférieur et deux baies rectangulaires à l'étage supérieur (PI. XCVII). Deux passages voûtés menaient donc de la tour K à la tour J. Ce remaniement eut pour résultat que les murs surélevés vinrent masquer la base des deux échauguettes de la tour K (PI. XLIV et XCVII A). D'autre part le mur intérieur vint s'appliquer contre la joue ouest de la tour J et boucher une fenêtre de la salle haute (Plan 6 ; PL XCVII B).

La tour J

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Tour J, fenêtres face arrière. Image Paul Deschamps

— C'était le plus fortement défendu des trois grands ouvrages au sud de la seconde enceinte. Nous avons vu son front dominant le grand berquil et doublé d'une chemise. Sa face arrière (PL LUI), dominant l'intérieur de la forteresse, était en quelque sorte isolée du reste de la Place. En effet un saut-de-loup, large de 3 m. 50 (127), la séparait de l'esplanade.

La tour J a trois salles superposées : celle du rez-de-chaussée (Plan 4), ouvre sur le fond du saut-de-loup au niveau de la salle aux piliers. La seconde (1e étage, Plan 5) est au niveau de l'esplanade, mais n'avait pas à l'époque franque de communication avec celle-ci. Cette salle s'éclaire par une grande fenêtre (126) géminée, surmontée d'un tympan plein et d'un arc brisé (128).
La 3e salle (2e étage, plan 6) s'éclaire sur cette face arrière par deux magnifiques baies géminées que nous décrirons plus loin.

Fenêtres arrières de la Tour J

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Fenêtres arrières de la Tour J. Photographe Lamblin, Frédéric.

Un escalier franchit le saut-de-loup (Pl. LUI et CXVIIA) sur une arche à gauche de la tour J (à l'est) et conduit par plusieurs paliers, se succédant sur la courtine J-I, à une porte ouvrant dans le flanc est de la tour, sur cette salle haute (Pl. LXIIc).
Cet escalier était facile à abattre en cas d'une attaque par l'intérieur de la Place (129).

On observera que le Ier étage de la tour J qui se trouve sensiblement au niveau de l'esplanade n'avait pas primitivement de porte ouvrant sur l'extérieur (130) ; on n'y pénétrait que par la salle du rez-de-chaussée à l'aide d'un escalier intérieur.
Après avoir vu les précautions prises pour défendre la tour J vers l'intérieur, nous reviendrons sur quelques détails concernant les salles de cet ouvrage.

La salle basse, fort obscure, ne prend jour que sur le saut-de-loup. La salle du 1« étage est couverte d'une longue voûte en berceau brisé. Au fond, à gauche, sont les latrines placées sous celles de la salle haute. Dans le mur du sud s'ouvre une profonde archère (131).
Un escalier percé dans le mur ouest descend à la salle du rez-de-chaussée, tandis qu'un autre, dans le mur est, monte à la salle du 2e étage (132).

La salle haute est éclairée au nord par deux belles fenêtres géminées rectangulaires divisées par un gros meneau (PL LUI, CVIII). Chacune de ces baies est surmontée d'un arc surbaissé encadrant un tympan plein où sont sculptées en très haut relief deux grosses fleurs épanouies (133) encadrées par une série de petits lobes (PL LXIIB) (134).

Deux fenêtres semblables à celles-ci s'ouvraient l'une à l'est, l'autre à l'ouest et portaient la même décoration ; celle de l'est est mutilée et l'on trouve au-dessous d'elle l'arrivée bouchée de l'escalier montant de la salle du 1er étage ; la fenêtre de l'ouest est condamnée par le mur qu'on ajouta du côté de l'esplanade entre la tour J et la tour K.

La porte de la salle se trouve dans le flanc est (PL LXIIc) ; aussitôt à gauche en sortant, on trouve ménagé dans l'épaisseur de la muraille, un escalier droit montant à la terrasse de la tour. La salle a des voûtes d'arêtes appareillées. Dans le mur du sud s'ouvre (PI. CX A), une haute archère. Près de là sont les latrines.

La courtine J-I et la tour I

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Deuxième enceinte, front Sud, Tours K et J. Image Paul Deschamps

— La tour I défend le sud-est et domine le premier coude de la rampe. La muraille au sud est moins épaisse que celle de la tour J. Nous avons déjà parlé du rez-de-chaussée de la tour I qui s'éclaire à l'est par deux fenêtres rectangulaires surmontées d'un arc brisé avec un tympan plein. Deux baies en arc brisé très larges ouvrant l'une sur le saut-de-loup, l'autre sur l'angle sud-est de l'esplanade (PL LU), éclairent une vaste salle (135) qui va du mur est de la tour J au mur est de la tour I et dont, par conséquent, la partie orientale, constitue le premier étage de la tour I (plan 5). Les voûtes prennent appui sur deux énormes piliers placés au milieu de cette salle. Six archères défendaient cet étage : trois au sud percées dans le talus et dominant le berquil et trois à l'Est s'ouvrant dans le mur oriental de la tour 1 (136). A la hauteur du deuxième étage de la tour I se trouve la terrasse de la courtine J-I qui a conservé au sud ses baies rectangulaires percées dans un petit mur se dressant au-dessus du talus (PL XLI, XLII, XCVIII).

Le deuxième étage de la tour I est occupé par une grande salle couverte de voûtes à pénétration. Une grande archère au sud, aujourd'hui bouchée, défendait le fossé et l'espace entre les deux enceintes, une autre derrière le parapet défendait la terrasse entre la tour I et la tour J. Enfin, des fenêtres rectangulaires dont plusieurs sont bouchées s'ouvraient dans les flancs de la tour. Des latrines se trouvent dans cette salle. Un escalier droit montant de l'arrière de la tour conduisait de cet étage à la terrasse qui a perdu son crénelage.

La grand'salle et la galerie

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Vue extérieure de la galerie bordant la grande salle

— Il nous reste à parler de la grand'salle et de la galerie qui la borde. La grand'salle orientée nord-sud forme un rectangle de 27 mètres de long sur 7 mètres 50 de large. Elle est bordée à l'ouest par la salle de 120 mètres, à l'est par la galerie, au sud par la salle aux gros piliers, au nord par la cour.

Elle a trois travées munies de voûtes sur croisée d'ogives qui retombent, d'une part, sur le mur de la salle de 120 mètres, d'autre part, sur un mur qui paraît de même époque, mais qui a subi des transformations. Elle est divisée en deux parties au tiers de sa longueur par un petit mur qui la coupe dans sa largeur. Le mur est muni, à l'est, d'une petite porte qui fait communiquer les deux salles ainsi séparées. Il est percé en haut de trois oculi. Ce mur nous paraît de l'époque franque ; en tout cas il faut constater que la grand'salle, par son architecture et sa décoration, présente dans son ensemble une uniformité parfaite.

Fig. 38. — Grand'salle.

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Fig. 38. — Grand'salle. Fenêtre au sud. (Dessin F. Anus).

Cette grand'salle et la galerie qui la borde demeurèrent pendant de longues années encombrées d'un amoncellement d'humus et de fumier. M. Schoeffler, gouverneur de l'Etat des Alaouites, les fit nettoyer en 1927. Malheureusement les pierres sont rongées par le salpêtre. L'appareil des murs est et ouest de la grand'salle est de grande taille. La grand'salle correspond à la fois à la grand'salle qu'avaient les seigneurs dans leurs châteaux forts et à la salle capitulaire des monastères. Elle servait aux conseils et elle était sans doute un lieu de réception. Comme une salle capitulaire d'abbaye cistercienne elle s'ouvre sur une galerie, correspondant à celle d'un cloître, par des portes et des baies largement ouvertes (Fig. 41). Dans cette galerie les simples chevaliers ou même les sergents d'armes pouvaient suivre un peu à l'écart le conseil que tenaient à l'intérieur de la grand'salle les chefs de l'Ordre. C'est par deux portes et deux baies sur bahut (PI. CXI) que la grand'salle communique avec la galerie ; nous les examinerons plus loin. La grand'salle communique aussi avec la cour par une petite porte au nord (PL CXIc). Enfin dans le mur occidental nous avons remarqué deux très larges baies en arc brisé qui étaient condamnées. Ces baies faisaient partie de toute la série des baies ouvrant autour de la cour. Mais la baie de gauche fut condamnée pour recevoir la retombée de deux ogives et d'un doubleau des voûtes. Celle de droite avait dû être bouchée à une époque plus récente. Nous avons fait dégager celle-ci et nous avons trouvé une grande porte ouvrant sur la salle de 120 mètres. Elle est encadrée par deux arcs superposés légèrement outrepassés (PL CXIIA). L'autre face de cette porte (PL CXII B), du côté de la salle de 120 mètres, forme un arc surbaissé.

La grand'salle est éclairée au-dessus de la galerie (PL CXI A), par trois fenêtres ouvrant sous les formerets des voûtes et ayant leur appui en talus. Dans le mur sud est percée une fenêtre rectangulaire. A l'extérieur cette fenêtre est surmontée d'un arc en plein cintre avec un tympan plein (Fig. 38). Dans le mur nord la fenêtre rectangulaire est divisée par un meneau ; elle est surmontée d'un oculus. A l'extérieur cette fenêtre a son linteau orné de deux tympans pleins, chacun garni d'un trilobé décoré d'un fleuron et de deux feuilles recourbées (PI. CXIc et LVIB).

Les ogives, les doubleaux et les formerets retombent sur dix culs de lampe (PL LXIIIC et PL CXIIc) sculptés par-dessous et ornés d'un élégant décor de crochets et de feuillages très découpés (137).

Aux angles du mur nord on voit deux longues consoles de feuillage (PI. CXIlD et CXVID, moulage au Trocadéro) qui reçoivent non seulement deux branches d'ogive, mais un grand arc de décharge appliqué contre ce mur.
La mouluration des ogives se compose d'un tore en amande (PI. CXB et C et CXI), entre deux boudins séparés par des cavets (Fig. 39).

Fig. 39. — Ogive de la Grande-Salle

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 39. — Ogive de la Grande-Salle.
Plan et élévation de la retombée sur le tailloir des arcs à l'angle nord-est. (Dessin François Anus).

La clef de voûte de la première travée au sud a disparu ainsi que les branches d'ogive. La clef de la voûte centrale (PL LXIVA) est ornée d'un décor floral (138) ; elle a un orifice qui selon Camille Enlart servait de passage à une cloche ou constituait une baie d'aération.

Fig. 40. — Grand-salle

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 40. — Grand-salle.
Plan et élévation de la retombée sur tailloir des arcs d'une travée. (Dessin François Anus).

La troisième clef de voûte est ornée d'un grand fleuron à huit pétales. (PL LXIIIB. Voyez aussi Camille Enlart, pl. 32, fig. 106, en haut). Au-dessus de la grand'salle, on trouve les vestiges d'une salle dont il ne reste que quelques pierres de base et une porte dont le linteau est orné d'un décor géométrique arabe (Pl. LXXXIIIc).

La galerie

Château Le Crac des Chevaliers
Galerie bordant la grand salle, vue prise du Sud

— Cette galerie ou portique, semblable à une galerie de cloître, devait être, avant les mutilations qu'elle a subies, le joyau d'architecture du Crac des Chevaliers. Ouvrant vers l'est, elle est dès midi, privée de soleil ; ainsi comme l'a dit Rey, les Chevaliers devaient trouver sous ce portique une certaine fraîcheur pendant les heures les plus chaudes de la journée.
La façade ouvrant sur la cour munie de deux portes et de cinq baies géminées divisées par de minces colonnettes, les ogives de ses sept travées finement découpées et retombant sur d'élégantes consoles, les portes et les baies qui la relient à la grand'salle avec leurs colonnes, leurs pilastres et leurs chapiteaux ornés de feuillages variés, tout cet ensemble forme une œuvre harmonieuse où vient s'épanouir sur ce sol d'Orient ce style qui apparut en Ile-de-France et en Champagne au temps de Saint Louis et qu'on désigne généralement du nom de gothique rayonnant.
Ainsi les baies de la galerie du Crac des Chevaliers avec leurs fins découpages de pierre font penser aux réseaux des fenêtres de la Sainte-Chapelle de Paris et de la nef de la cathédrale de Reims. Or la Sainte-Chapelle de Paris fut achevée en 1248 et c'est là que s'est réalisée, sinon pour la première fois tout au moins dans toute son ampleur, cette nouvelle phase de l'art gothique. La galerie du Crac fut donc exécutée dans les derniers temps de l'occupation des Hospitaliers.

Nous étudierons d'abord cette galerie de l'extérieur en allant du sud au nord. Deux portes et cinq baies en arc brisé correspondent à ses sept travées et les deux portes sont en face des deux portes ouvrant sur la grand'salle. Ces baies sont séparées par des contreforts amortis par des larmiers. Les contreforts flanquant la quatrième travée sont divisés par une rainure verticale qui renfermait un tuyau de descente amenant d'un chéneau l'eau de la terrasse vers la citerne (C 7) dont on voit l'orifice en avant de la galerie.

Les portes (2e et 5e travées), plus basses que les autres baies, ne sont pas décorées : on voit seulement deux arcs superposés dont le supérieur est chanfreiné.

Les cinq baies étaient munies d'un bahut. Elles ont subi de graves détériorations dès le moyen âge : nous avons retrouvé dans le blocage d'une voûte de la Rampe remontée par les Arabes des moulurations qui doivent provenir de là ; d'autres étaient entassées près de l'ouvrage P. Une seule de ces cinq baies (4e travée) est à peu près entièrement conservée et grâce à elle on peut reconstituer l'ensemble de cette décoration semblable à celle d'un certain nombre de galeries de nos cloîtres de France.

Tympan d'une des deux portes vers le Sud

Château Le Crac des Chevaliers
Tympan d'une des deux portes vers le Sud ouvrant de la galerie sur la grande salle.
Photographe Lamblin, Frédéric

Les pierres de cette baie se délitent et pour soutenir le tympan qui la domine on a dû élever un petit mur. Cette baie est divisée par un meneau quadrilobé supportant un chapiteau à crochets lui aussi quadrilobé. Le tympan est orné d'un réseau aveugle formé de deux arcs en tiers- point, encadrant un ornement trilobé ; ces arcs sont surmontés d'un oculus ajouré à cinq lobes. Les autres baies ont perdu leurs meneaux ; leurs tympans plus ou moins bien conservés avaient une décoration identique.

Les piliers qui divisent ces baies reçoivent sur des consoles la base des tympans ; ces consoles sont de plus petite dimension que celles de l'intérieur de la galerie. Les unes sont décorées de feuillages (Pl. LXVD), les autres malgré une grande détérioration nous paraissent représenter des personnages en buste ou accroupis en forme de cariatide et des oiseaux tels que des hiboux (dessins Pl. LXIV C et D et LXVB). Ces figures rappellent quelque peu les consoles de la cathédrale de Sébaste (139).

Dans l'arc de la septième travée on voit face à face deux inscriptions, l'une à côté de la console, l'autre sur la console même. Sur le pilier du nord on lit une inscription latine (140) (Pl. CXIVA) :

SIT TIBI COPIA
SIT SAPIE[N]CIA
FORMAQ[UE] DET[UR]
INQ[UI]NAT O[MN]IA SOLA
SUP[ER]BIA SI COMI[TETUR]

Ce qui peut se traduire ainsi : aie la richesse, aie la sagesse, aie la beauté, mais, garde-toi de l'orgueil qui souille tout ce qu'il approche.

M. Max Prinet (141) a montré que cette maxime était assez répandue au moyen âge. Il l'a retrouvée dans l'œuvre du moraliste Vincent de Beauvais (142) qui écrivait au milieu du XIIIe siècle et mourut vers 1264. Le texte est peu différent :
Si tibi gratia seu sapientia forma que detur,
inquinat omnia sola superbia, si comitetur.

La même légende se lisait sur un reliquaire de la sainte épine qui se trouvait dans l'église collégiale de Saint-Hippolyte de Poligny (Jura). Ce reliquaire en forme de couronne, aujourd'hui disparu, datait vraisemblablement du XIVe siècle (143) ; il portait des armes qu'on a attribuées à la famille des Porcelet. M. Prinet a remarqué aussi cette sentence dans un recueil de préceptes écrit en 1465 et conservé à la Bibliothèque nationale (144).

Enfin, il la retrouve dans le roman du Petit Jehan de Saintré (145), écrit au milieu du XVe siècle par Antoine de la Sale. La dame des Belles-Cousines enseigne à son jeune ami, Saintré, une série de préceptes moraux. Elle lui conseille la modestie : « Au regard du pechié d'orgueil, l'amant, pour acquérir la très desirée grâce de sa dame s'efforcera d'estre doulx, humble, courtoys et gracieux, affin que nul deshonneste parler ne peust estre dit de luy ; en ensuivant le dit du sage Tallès de Milesie, qui dit ainsi :
Si tibi copia, si sapiencia forma que detur,
Sola superbia destruit omnia, si comitetur.

« C'est à dire, mon amy, se tu as habondance de richesses, se tu as sagesse, se tu as noblesse et toute perfection de corps, le seul orgueil, s'il est en toy, destruict toutes les vertus. »
M. Prinet observe que l'attribution à Thalès de Milet est sans doute arbitraire, car on ne trouve rien dans ses sentences qui ait trait à l'orgueil, et d'autre part les deux hexamètres forment des vers léonins qui sont essentiellement dans la tradition de la prosodie du moyen âge. M. Prinet rappelle également que Renan a relevé le texte de l'inscription du Crac dans le volume consacré à la Mission de Phénicie (146) qu'il fit en 1860-1861, et que dans une lettre à Strauss, du 13 septembre 1870, il disait à propos de cette inscription : « La maison de Hohenzollern devrait la faire graver sur l'écusson de tous ses châteaux. »

Sur le pilier sud on lit cette inscription française en très petits caractères (147) :

CEST : LA
BOR : FU : FAIT :
EL : TENS : DE :
FRE[RE] : IORGI :
. . . . . . XO :

Ce Jorgi était sans doute un châtelain du Crac ; nous n'avons retrouvé son nom dans aucun document. Ces deux inscriptions ont tous les caractères épigraphiques du milieu du XIIIe siècle.

Les sept travées de la galerie sont voûtées sur croisées d'ogives (PI. LIV, CXIIIA). Les ogives et les doubleaux ont un tore en amande séparé de deux boudins par des cavets. Les formerets ont un tore entre deux cavets. Les clefs de voûte ornées de feuillage sont très mutilées (PI. CXVc. Voyez aussi Camille Enlart, Monuments des Croisés, dessin d'une clef de voûte, pl. 32, fig. 105). La clef de la troisième travée en partant du nord a une ouverture comme la clef de la travée centrale de la grand'salle. Les ogives de la première travée se croisent sans clef ornée.

Des deux côtés de la galerie, les ogives, les doubleaux et les formerets retombent sur des culs de lampe ornés (147) (Pl. LXIIIA et D, LXVA et C, CXVA et D et- CXVI A B c) de feuillages traités avec talent.

Ces culs-de-lampe peuvent être comparés à ceux de la Sainte- Chapelle de Paris, du chœur de la cathédrale d'Auxerre (149) et de l'église Saint-Martin à Clamecy. Près du mur nord on voit deux grandes consoles (dessin Pl. LXVI) ornées de feuillages aux longues tiges qui ont leurs semblables dans la grand'salle près du mur nord. Le haut du mur nord de la galerie est percé d'un large oculus qui était sans doute orné d'un réseau dont il ne reste rien (Pl. LIV).

Le mur (150) qui sépare la galerie de la grand'salle est percé, nous l'avons dit, de deux portes alternant avec deux baies sur bahut. Ces ouvertures sont ornées du côté de la galerie (Fig. 41).

Fig. 41.

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 41. — En haut : Coupe longitudinale sur la Galerie (ou Portique) montrant la façade de la grand'salle.
En bas : a) Plan de la porte vers le sud ; b) Tympan de cette porte ; c)
Plan d'un piédroit de la porte vers le nord; d) Dimensions d'une ogive de la Galerie. (Dessins F. Anus).

En allant du sud au nord on voit d'abord une porte qui était décorée à chaque; piédroit de trois colonnettes (dessin PL LXVIII et détail dessin PL LXIIID) soutenant autant de chapiteaux. De ces six chapiteaux quatre seulement subsistent, la porte étant aujourd'hui rétrécie par un lourd linteau droit reposant sur deux jambages sans ornement. Les colonnettes sur lesquelles ils s'appuyaient ont disparu. Le tympan (PL LV) a le même décor que celui de la baie extérieure de la galerie que nous avons décrite. Deux voussures l'encadrent (Fig. 41) ; elles sont composées chacune d'un tore entre deux boudins séparés par un cavet, le tore extérieur est orné d'un épais filet (Fig., 42).

Fig. 42.

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 42. — a) Archivolte de la porte la plus au sud ouvrant de la galerie sur la grand'salle ;
b) Chapiteau soutenant l'archivolte (le pointillé complète les crochets mutilés). (Dessins F. Anus.)

Au-dessus on voit une archivolte formée d'un tore qui se termine à chaque extrémité par une spirale ou contre-courbe. Ces contre-courbes se trouvent à la hauteur des tailloirs des deux culs-de-lampe qui flanquent la porte (PL CXVA).

On trouve ensuite une baie dont le bahut est haut de 1 m. 25 (PL CXIIIA à droite). Cette baie est flanquée de chaque côté d'une colonnette et d'un pilastre (dessin PL LXVII et CXVD) surmontés de chapiteaux ornés de feuillages parmi lesquels on distingue des feuilles de lierre (151). Cette baie est en partie mutilée. L'archivolte est terminée par ces mêmes contre-courbes (PI. LXVII détail) que nous venons de voir au-dessus de la première porte.

La troisième ouverture forme la porte principale de la grand'salle (PL LXIX et CXIIIB). Elle est très mutilée et une partie de sa décoration a été buchée. Elle était ornée de chaque côté de deux colonnettes et d'un pilastre surmontés de chapiteaux. Trois longues cannelures terminées en bas par une petite fleur à cinq pétales encadraient les colon- nettes (Fig. 43).

Détails de la porte principale

PLAN DU PIED-DROIT DE LA GRANDE-SALLE
Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 43. — Détails de la porte principale (la plus au nord) ouvrant de la galerie sur la grand'salle. (Dessins F. Anus).

Les mêmes cannelures se voient au portail du Saint-Sépulcre, au portail sud de la cathédrale de Giblet (Enlart, pl. 85, fig. 255), au portail de la cathédrale de Gaza (Enlart, pl. 81, fig. 245), et en France au portail nord de Notre-Dame d'Etampes (Enlart, pl. 81, fig. 246) ; et au portail de Saint-Germain-des-Prés de Paris (Enlart, pl. 17, fig. 49). On les voit aussi en Catalogne à Sainte-Marie-d'Agramunt. Mais la petite fleur qui orne le bas de ces cannelures de la porte de la grand'salle du Crac ne se voit pas sur ces monuments.

Nous rappelons que les mêmes cannelures (mais sans fleur à la base) se retrouvent au portail ouest de la chapelle de Crac, portail roman de près d'un siècle plus ancien.

L'arc de cette porte est orné de quatre voussures. En les comptants du bas, les deux premières et la dernière ont un tore séparé de deux boudins par des cavets ; dans la troisième le tore est remplacé par une file d'étoiles à quatre branches (152) qui fait retour à la base pour aboutir contre le départ des ogives. Le tympan est plein ; un décor trilobé encadre un écusson bûché, flanqué, semble-t-il, de deux merlettes chacune dans un cercle.

La quatrième ouverture est une baie très bien conservée (PI. CXIHc et LXVI) ayant une décoration semblable à celle de l'autre baie. On y retrouve notamment les spirales ou contre-courbes (Fig. 44) que nous avons vues sur l'autre baie et la première porte. Ce décor nous paraît devoir être rapproché d'un décor assez analogue qu'on voit aux églises des Ve et Vie siècles dans la Syrie centrale notamment à des fenêtres de la Basilique de Bakirha (PL CXVB).

Fig. 44.

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Fig. 44. — Contre-courbe à l'archivolte d'une baie entre la galerie et la grand'salle (2e travée en partant du nord). (Dessins F. A.nus).

On voit donc ici la persistance d'une tradition décorative pratiquée depuis longtemps en Syrie (153).

On voit aussi ce motif décoratif en France, mais il semble qu'il n'y apparut qu'assez tard. Signalons-le dans des monuments lorrains du XIVe siècle à un portail au nord de l'église d'Avioth et à la porte sud de la chapelle du cimetière de Marville (Meuse).
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes — Description du Crac des Chevaliers

1. La plus grande longueur du château est dans le sens nord-sud ; d'une extrémité à l'autre de la première enceinte elle est de 220 mètres et, si l'on ajoute l'ouvrage avancé triangulaire précédant le front sud de la première enceinte, cette longueur atteint 275 mètres. La plus grande largeur est de 135 mètres.
2. Sur la position du Crac voir chapitre I (Historique).
3. Appelé par les indigènes el-Midane qui signifie le plateau.
4. On verra plus loin, une analogie plus immédiate encore entre le Crac et le Château-Gaillard. Ce sont les grands mâchicoulis sur piliers partant du talus qu'on voit à l'ouvrage P du Crac et au donjon du Château-Gaillard. Le Château-Gaillard marquant un progrès considérable sur toutes les forteresses qu'on avait construites jusqu'alors en Occident, on peut penser que l'architecture française prit des enseignements en Terre-Sainte. Peut-être un des architectes de Richard vit-il le Crac des Chevaliers ? Voir le plan du Château-Gaillard dans C. Enlart, Manuel d'archéologie française, 2e partie, Architecture civile et militaire, tome II, 2e éditions publiée par Jean Verrier, Paris, A. Picard, 1932, p. 573, fig. 264.
5. Ce talus est moins élevé au front ouest. Il n'atteint là que 19 mètres au lieu de 26.
6. Largeur environ 2 mètres 50.
7. La première inscription est au nom du sultan Beibars (1271). Description de l'inscription : « Trois lignes de longueur inégale ; dimensions approximatives : 180, 700 et 920 X 55. Grand nashki mamlouk ; beaux caractères à fort relief, frustes par endroits. La seconde ligne est flanquée de deux lions passants, armoiries du sultan Beibars. »
Sobernheim, dans Matériaux pour un Corpus Inscriptionum Arabicarum, IIe partie Syrie du Nord (Mémoires de l'Ecole du Caire, t. XXV, p. 21-22, n° 4 des Inscriptions du Crac).
Voici la traduction qui suit la publication de cette inscription par Sobernheim : « (1) Au nom d'Allah (2) la restauration de cette forteresse bénie a été ordonnée sous le règne de notre maître, le sultan al-Malik al Zâhir, le savant (3), le juste, le combattant, qui est prêt au combat, le secouru (par Allah), le victorieux, le vainqueur, Rukn al-dunyâ wal-dîn Abu-l-fath Baibars, l'associé du prince des croyants, à la date du jour du mardi 25 sha'ban de l'année 669 (8 avril 1271). » Cf. la traduction qui est antérieure à celle de Sobernheim et incomplète, donnée par Van Berchem, Inscriptions arabes de Syrie, dans Mémoires de l'Institut Egyptien, t. III, p. 482, (tirage à part, p. 66). Au-dessous de cette inscription, le sultan Sha'ban fit graver une autre inscription portant la date du 10 sha'ban 746 (6 décembre 1345) relative à la solde des troupes musulmanes (Voyez Sobernheim, ouvrage cité, p. 24-25, n° 8a des Inscriptions du Crac). Cette inscription très fruste est identique à une inscription mieux conservée qui se trouve à la citadelle de Tripoli (Sobernheim, n° 44) et qui contient dans les mêmes termes le même édit militaire du 10 sha'ban 746.
8. Il ne reste que les corbeaux de base de ces bretèches, celle du milieu à 4 corbeaux, les deux autres à 3 corbeaux. Ces corbeaux sont à deux rouleaux.
9. Nous désignerons ainsi les courtines pour indiquer qu'elles sont entre tel et tel ouvrage.
10. Chacune repose sur deux corbeaux ; deux d'entre elles ont conservé leur couverture.
11. Ce mur appareillé possède 2 rangs d'archères chevauchant ; en bas on voit deux archères, puis au-dessus deux archères dont la seconde est plus élevée que la première. Au-dessus de ces deux archères supérieures se trouvent deux bretèches à deux corbeaux ; la seconde à un niveau plus élevé que la première. Il y a là un décalage de niveau : la courtine s'élève à cet endroit.
12. Deux bretèches mal construites, de hauteur et de dimensions différentes sont placées sur le mur ouest. Elles correspondent à un escalier qui descend de la salle haute de l'ouvrage 12. Cet ouvrage est couronné par un encorbellement continu formant la base d'une galerie de mâchicoulis.
13. A droite, c'est-à-dire en direction du nord.
14. Cette porte n'a que 1 mètre 50 de large.
15. Cette poterne a dû être endommagée lors du siège de 1271 et les Arabes y ont fait des réparations importantes : M. Anus a remarqué que la plupart des pierres des bretèches ont une taille caractérisant le travail arabe, que les pierres de la muraille extérieure sont analogues à celles du saillant 7 qui est entièrement arabe ; le linteau a été décoré par un arabe et les archères qui surmontent cette entrée sont sans étrier. Or, nous avons constaté que les archères franque's de la ira enceinte étaient toutes pourvues d'un étrier. Les Arabes ont donc certainement remonté la muraille extérieure, mais la présence d'un passage de herse qu'on ne voit pas dans les grandes citadelles arabes de Damas, de Sheizar et d'Alep, nous fait penser que les Musulmans ont respecté les dispositions de la poterne construite par les Francs.
16. Trois archères sont percées sur ce front de l'ouvrage.
17. Voyez ci-dessus, chapitre X.
18. A une date postérieure à 1895.
19. La distance entre les tours, qui a dû être prévue pour assurer un bon flanquement, est de 27 mètres 50 (tour 1 à 2), 31 mètres (tour 2 à 3), 40 mètres 50 (tour 3 à 4), 36 mètres 50 (tour 4 à 5). La distance entre les tours 3 et 4 étant la plus grande, la courtine a 7 bretèches au lieu de 6 qu'on voit sur les autres courtines. Le diamètre des tours est de 10 mètres environ, l'épaisseur des courtines est de 3 mètres et la plus grande épaisseur des murs des tours est également de 3 mètres. Les tours étaient plus élevées que les courtines ; la tour 3 jusqu'à la base des corbeaux de ses bretèches a 10 mètres 70 de haut, les courtines qui la flanquent n'ont que 9 mètres 80 jusqu'à la base de leurs corbeaux.
20. Ces archères s'élargissent à leur base en forme d'étrier.
21. On les distingue nettement sur le profil de la tour 2 (Pl. LXXIIIB).
22. On distingue encore un élément de maçonnerie sur la plateforme de la tour (PI. XXXIII) (plan 3).
23. Une chronique du XIIIe siècle qui décrit le château de Saphet en Palestine mentionne l'existence de moulins à vent à l'intérieur de ce château : « Sunt etiam ibi duodecim molendina de aqua extra, et infra plurima de animalibus et de vento... » Voyer ci-dessus, Introduction.
24. Dans l'intervalle qui sépare les groupes de corbeaux servant de base aux bretèches on voit des trous de boulins. On peut supposer que par réminiscence des hourdages de bois qui couronnaient les murailles des châteaux-forts en France et pour amplifier la défense en constituant un encorbellement continu au couronnement des ouvrages, on disposait, au moment d'une attaque, des hourds entre les bretèches de pierre.
25. Le remaniement s'observe également à l'intérieur ; en cet endroit une muraille vient doubler la muraille d'enceinte et constitue avec celle-ci un couloir voûté.
(26) La première bretèche s'appuie par un mauvais raccord sur la tour 4. Au contraire la sixième bretèche fut établie telle qu'elle est à présent en même temps qu'on construisait la galerie de mâchicoulis qui couronne la tour 5. En effet la pierre d'angle a été taillée de façon à venir s'appuyer sur le dernier corbeau de la sixième bretèche et sur le premier corbeau de la tour 5. Ceci est une preuve de plus que les Arabes ont fait des travaux plus importants à la tour 5 qu'à la courtine qui la précède. (Voir plus loin, chapitre iv : Campagnes de construction, p. 298-299).
27. Son diamètre, y compris le talus, est de 20 mètres environ, c'est-à-dire le double d'une des tours de l'ouest.
28. La tour 5 elle-même dut subir aussi quelques dégâts ; une réparation paraît avoir été faite au milieu de sa hauteur ; les pierres dans lesquelles était percée l'archère de sa joue sud ont été replacées maladroitement (PL A).
29. Ce gros talus arrondi se retrouve aux saillants 12 et 13 qui subirent également une restauration de la part des Arabes.
30. Description de l'inscription : « Sur la grosse tour ronde à l'angle sud-ouest de l'enceinte extérieure. Grand bandeau semi-circulaire, flanqué de deux lions passants et surmonté d'une petite ligne portant le bismillâh ; dimensions approximatives : 1.000 X 50. Superbe naskhi mamlouk. » Van Berchem, Inscriptions arabes de Syrie, dans Mém. Inst. Egypt., t. III, p. 482 (t. à p. p. 66-67). « Ont ordonné la restauration de cette forteresse bénie notre maître le sultan... Beibars... et son fils Al-Malik as-Sa'id Nasir ad-dîn, le jour du mardi 25 cha'bân 669. » Sobernheim, ouvr. cité, p. 22, n° 5 des Inscriptions du Crac, publie cette inscription sans la traduire. — Voir au sujet de cette inscription et des deux autres de Beibars (à la tour 8 et au saillant 11 au-dessus de l'entrée), le commentaire de Van Berchem, Voyage, p. 139 et suivantes.
31. Les archères sont sans étrier alors que tout le front ouest possède des archères ayant un étrier à leur base.
32. Aujourd'hui il ne reste que les corbeaux de base de ces mâchicoulis.
33. Voir plan A tirée de Van Berchem, d'après Rey.
34. On retrouve la canalisation suivant le flanc de cette éminence au sud-ouest et arrivant à l'aqueduc qui est pourvu d'un étroit conduit de pierre encore conservé. Entre l'endroit où l'aqueduc atteint la courtine et le saillant 7 on remarque un décrochement dans la muraille, témoin de deux époques de construction. On est venu ici doubler la muraille et son talus par un talus plus important qui monte presque jusqu'à la base des corbeaux de mâchicoulis. Trois jours sont percés dans cette portion de la courtine, ils contribuent à éclairer une salle de 60 mètres de long allant de la tour 6 à la tour 8.
35. L'ouvrage est approximativement carré : depuis le mur de la courtine, il mesure 15 mètres sur ses faces latérales. Son front au sud mesure 16 mètres 40. Sa hauteur prise jusqu'à la base des corbeaux de la galerie de mâchicoulis est de 20 mètres ; il dépasse de 8 mètres les courtines qui le flanquent, mesurées jusqu'aux corbeaux.
36. Cette petite poterne (haut de 1 mètre 95 ; large de 0 mètre 87), que nous avons découverte derrière un amas d'ordures à l'angle du saillant 7 et de la dburtine 7-8 n'apparaît pas sur la photographie Plan B, prise avant d'avoir fait déblayer en cette place. La photo Plan c montre la salle de 60 mètres et à droite la petite porte à linteau droit conduisant à l'escalier descendant dans le saillant 7.
37. Nous rappelons ici les dégâts faits à cet ouvrage il y a une cinquantaine d'années par un riche habitant du Crac, qui démolissant tout son couronnement, établit sur la tour une spacieuse habitation ; il suffit de comparer la photo de Rey que nous reproduisons PL LXXVI A et nos photographies.
38. « Au nom d'Allah... cette tour d'heureux augure a été renouvelée sous le règne de notre maître le grand sultan, le seigneur savant, juste, secouru (par Allah), le combattant, le guerrier qui est prêt au combat, le défenseur des frontières, le victorieux, al-Malik al Mansur Saif al-dunyâ wa-l-din Qalâûn al-Sâlihi, l'associé du prince des croyants, qu'Allah fasse durer ses jours et donne la victoire à ses aides. Sa construction a eu lieu l'année 684 (1285). » Sobernheim, ouvr. cit., p. 23, n° 7 des Inscriptions du Crac. (Phot. de cette inscription dans Van Berchem, Voyage, pl. XIV).
39. 12 mètres 50 au lieu de 10 mètres.
40. On voit dans le fossé au pied de la tour la base d'une pile de maçonnerie destinée à recevoir le pont volant qui permettait l'accès à la poterne. Il y avait donc là sur le front sud une entrée dans la première enceinte que Rey n'a pas reconnue. Cette poterne ouvre sur le côté d'une salle en demi-cercle défendue au nord par une porte et une herse ; on sort de cette salle par cette porte en arc brisé, surmontée d'un écusson. Ceci nous fait penser que, dès l'époque franque, il y eut une entrée en cet endroit.
41. Cette inscription n'a pas une position symétrique et au lieu d'être placée au milieu de la tour, elle part de l'extrémité est au-dessus de la poterne et court vers le sud. En voici la traduction : « La restauration de cette forteresse bénie a été ordonnée sous le règne de notre maître le sultan Al-Malik az Zahir Rukn ad-dunya wad-din Baibars... et de son héritier présomptif le sultan as-Sa'îd Nâsir ad-dunyâ wad-din, le jour du mardi 25 cha'ban 669 (8 avril 1271). » Van Berchem, Inscriptions arabes de Syrie, dans Mém. Inst. Egypt., t. III, p. 483 et t. à p. p. 67. Cette inscription a été publiée sans traduction par Sobernheim, ouvrage cité, n° 6 des inscriptions du Crac.
42. Voir photo Pl. LXXIXB. On remarquera sur cette phot. la différence entre les deux rangées d'archères qui s'y voient ; sur la ligne inférieure les archères ont un étrier normal, à la ligne supérieure les étriers plus larges permettent un tir plus plongeant. Nous signalerons aussi qu'à l'étage supérieur quatre petites baies rectangulaires, aujourd'hui bouchées, étaient percées entre les archères. On en peut voir trois sur la photographie.
43. Sur l'emplacement de ces carrières, voyez ci-dessus chapitre 1 (Historique).
44. Trois archères à l'est et une au sud sont percées dans le talus, et à l'étage supérieur quatre archères sont percées dans le front est.
45. Un nouvel effondrement d'une partie du mur s'est produit en 1929, il a été réparé aussitôt sous la direction de M. François Anus.
46. Ce mur, ceux du saillant 11 et la courtine 10-11 ont le même appareil. Ce sont des pierres de dimension moyenne assez grossièrement taillées et portant les mêmes marques de tâcherons. (Voir plus loin, chap. III. Marques de tâcherons).
47. C'est par cet étroit couloir qu'on pénètre aujourd'hui dans la salle haute du saillant 11.
48. Voir G. Marçais, Manuel d'art musulman, I, Paris, 1926, p. 261 et fig. d'un arc trilobé à Médinat ez-Zahra, p. 259, fig. 140.
49. Cette archère est arabe comme nous le verrons plus loin (chapitre IV : Campagnes de construction). La même disposition se trouve à la fenêtre sud de la Grand-Salle qui est franque. (fig. 38). C'est un exemple parmi bien d'autres que les Francs et les Arabes ont eu de nombreux procédés d'architecture tout à fait identiques.
50. Burckhardt : Reisen in Syrien, Palastina und Sinaï, traduction Gesenius, Weimar 1823, p. 267 et pl. I, n° 8 (copie défectueuse).
— Voir aussi Von Oppenheim et Lucas, Griechische und Lateinische Inschriften, p. 68 et pl. I, n° I, Clermont-Ganneau, R. A. O., VII, p. 235.
51. Van Berchem, Voyage, p. 152, n. 1.
52. Van Berchem, Voyage, p. 151, n° 3 et p. 152.
53. Voyez Delaville le Roulx, Les Hospitaliers en Terre-Sainte..., p. 230 et suivantes., 408 et 140.
— Voyez aussi ci-dessus, chapitre 1 (Historique).
54. Delaville le Roulx, ibidem, p. 432-433.
55. Des tours 1 à 4 les arcs d'entrée des tours ont 4 mètres de largeur ; entre les tours, les arcs ouvrant sur les niches des archères des courtines ont 2 mètres de large et la profondeur des niches jusqu'à l'embrasure de l'archère est également de 2 mètres. Les murs ont 3 mètres d'épaisseur.
56. Voir photo du pilier et photo de détail. L'inscription a 0 mètre 45 de haut. Cette inscription avait échappé à Van Berchem.
57. Deux lignes de trous de boulin se faisant face à la naissance de voûtes font supposer l'existence d'une charpente. Nous n'avons pu faire dans cette salle un sondage qui aurait sans doute amené un résultat intéressant.
58. Cette galerie continue sur la courtine 7-8 et, contre le front est du saillant 7, elle est restée intacte sur une longueur de quelques mètres.
59. Le plan de cette salle donné par Rey (page 44, fig. 10) est faux.
60. La muraille a été un peu reculée vers le nord car elle vient aveugler par le milieu une petite porte en arc brisé qui servait d'entrée latérale au chemin couvert inférieur de la courtine faisant suite à la tour 8 et allant vers l'angle sud-est de la première enceinte. Remarquons aussi qu'un escalier montait contre le mur extérieur de la salle de 60 mètres vers la porte d'un couloir placé en arrière du premier étage de la tour 8. Ce couloir continuera sur la courtine allant vers l'angle sud-est de l'enceinte.
61. Rappelons qu'à l'angle est de cette tour 8 se trouve le décrochement de muraille qui nous paraît être le témoin d'une enceinte antérieure filant vers l'est en arrière de la première enceinte actuelle et laissant en dehors l'angle sud-est de cette enceinte (plans 2 et 3).
62. On compte un étage supplémentaire plus bas que les autres vers l'angle sud-est, le terrain descendant fortement en cet endroit.
63. Les difficultés que nous causait l'occupation de l'intérieur du château par de nombreux habitants qui en avaient transformé les dispositions firent que nous cherchâmes longtemps l'accès de ce saillant et qu'il nous fallut entrer d'abord par l'extérieur avec une haute échelle en nous faufilant par une archère ouvrant dans le flanc sud de la salle basse. Les escaliers réunissant la salle basse et l'étage supérieur étaient complètement obstrués. Plus tard nous avons trouvé à l'intérieur l'entrée des salles de l'étage supérieur. Depuis notre premier séjour les communications, entre les deux étages de l'ouvrage, ont été dégagées.
64. Il faut observer en outre ici, que ce saillant 9 a dû être ajouté après l'ouvrage M, car on voit dans celui-ci (plan 2), une canalisation d'eau qui devait primitivement déboucher à l'extérieur.
65. Un nouvel effondrement d'une partie du mur s'est produit en 1929, il a été réparé aussitôt sous la direction de M François Anus.
66. Dans la plupart des portes du Crac les crapaudines supérieures sont creusées dans une pierre noire d'aspect basaltique et les inférieures dans une pierre blanche.
67. Dans la première travée s'ouvre une niche flanquée elle-même de deux petites niches. Dans cette niche se tenait sans doute le gardien de la porte.
68. Ces murs ont dû être crevés par les Arabes pour éclairer cette partie de la Rampe. D'ailleurs les voûtes de ces trois niches, dont les murs sont francs, ont été remontées par les Arabes : nous avons trouvé dans leur blocage des tailloirs de chapiteaux francs et des moulurations provenant sans doute des baies de la galerie bordant la Grande-Salle.
69. Voir photo prise à l'intérieur de la place sous l'escalier conduisant à la cour supérieure.
70. Tortose, tour d'entrée du château.
— Voyez Van Berchem, Voyage, PI. LXX.
— Saône, poterne dominant le fossé. Photo dans article de P. Deschamps, Le château de Saône (Gazette des Beaux-Arts, décembre 1930, page 339 et 341, figure 8 et 10) ; et Les entrées des châteaux des croisés (Syria, 1932, pl. LXXVIII, fig. 1).
71. Il était tout naturel que ce fort du XIe siècle construit par un émir de Homs fît face à l'ouest, tandis que les Francs durent étendre le château vers l'est et le sud afin de pouvoir surveiller la Boquée et, au-delà, le territoire musulman.
72. Elle a 3 mètres de large et 7 mètres de hauteur.
73. On voit aussi en face de la poterne l'entrée du couloir voûté qui passe sous les grands talus de l'enceinte.
74. Ainsi aux châteaux de Saône et de Kérak de Moab.
— Voyez P. Deschamps, Les entrées des châteaux des Croisés..., dans Syria, 1932, plans LXXIX et LXXX.
75. On y accède par une petite porte ouverte à droite de la poterne.
76. Dieulafoy, Le château Gaillard et l'architecture militaire du XIIIe siècle, Extrait des Mémoires de l'Académie des lnscriptions et Belles-Lettres, t. XXXVI, ire partie (1898), p. 45. Une disposition analogue a été réalisée au XIIIe siècle près de la Porte d'Aude à Carcassonne.
— Voyez G. Poux, La cité de Carcassonne ; L'épanouissement, t. II (1931); P. 364-365 et pl XXXI.
77. Six de ces embrasures sont aujourd'hui bouchées.
78. Voir plus loin. Cette galerie commence dans la salle basse de l'ouvrage P ; elle est interrompue par la base de la tour O, reprend ensuite, parcourt le reste du front ouest, passe au pied des grands ouvrages du sud et débouche en face de l'échauguette de la Rampe au pied de la face est de la tour I.
79. « Inscription du sultan Muhammad. — Au haut de la muraille de l'enceinte inférieure sur une redoute à 10 mètres au-dessus du sol, à l'angle sud-est (c'est au sud-ouest) se trouve une inscription en 3 lignes, regardant vers l'ouest (c'est vers l'est). Elle couvre 4 pierres ensemble à peu près 220 X 40, Naskhi mamlouk, caractères moyens : Cette redoute bénie a été restaurée sous le règne du sultan al Malik al Nasir Muhammad fils du sultan martyr al Malik al Mansur Qalâûn al Salihi, associé du prince des croyants ; et c'était sous l'administration de sa haute Grandeur le grand émir Badr al-din Bilik al Sadidi, gouverneur de Hisn al Akrad la bien gardée, dans les mois de l'année 701 » (1301-1302). Sobernheim, ouvrage cité, p. 23-24, n° 8 des inscriptions du Crac. Voyez ci-dessus chapitre I (Historique).
80. Voyez ci-dessus, Introduction.
81. Voir chapitre IV.
82. On voit plusieurs de ces archères sur la pl. XLI et on en voit une sur la pl. XCV A occupant les 5e, 6e et 7e assises au-dessus du retrait de la tour.
83. A propos de ces étendards voir Rey : Colonies franques, page 54 et figure de la page 53, sceau de Garsias Alvarès, seigneur de Caïphas, où est figurée une tour surmontée d'un étendard. En outre, dans l'un des récits du siège de Saône en 1188 par Saladin, le chroniqueur arabe dit avoir vu tomber l'étendard qui se trouvait en haut d'une tour.
84. Le mur que traverse cette archère a 6 mètres 50 d'épaisseur.
85. De la terrasse de la tour J à l'eau du fossé la hauteur est de 36 mètres.
86. Rey, dans sa restitution qu'il a faite à l'aide de témoins existant alors, a indiqué non un crénelage proprement dit, mais des baies rectangulaires alternant avec des archères ; voir aussi son dessin, fig. 15, page 52. Cela est très possible puisqu'on retrouve ce système sur le parapet entre les tours J et I.
87. Tout près de cette porte, la galerie a une autre porte qui débouche en face d'une porte de l'ouvrage M.
88. Les bossages du chevet de la chapelle et des courtines contiguës n'ont guère que 0 mètre 015 d'épaisseur, tandis que ceux de l'ouvrage M ont jusqu'à 0 mètre 045 d'épaisseur ; les assises de l'ouvrage M ont 0 mètre 55 de hauteur ; la longueur des pierres est assez uniforme, elle est d'environ 1 mètre 65. Ainsi nous verrons que les Francs ont dû au Crac employer d'abord l'appareil à bossages, puis l'appareil de pierres lisses, puis ils revinrent ensuite à un appareil à grands bossages. M. J. Poux observe qu'à Carcassonne les ouvrages du temps de saint Louis sont à pierres lisses et que ceux du temps de Philippe le Hardi sont à bossages. (La cité de Carcassonne. Précis historique, archéologique et descriptif, Toulouse, Editions Privât, 1923, p. 38). — (La cité de Carcassonne ; L'épanouissement, 1931, t. I, p. 172 et t. II, p. 20-23). Peut-être le bossage a-t-il été introduit en France vers l'époque de Philippe le Hardi par les Croisés ?
89. On peut comparer ces lions au lion de Mscbatta (milieu du VIIIe siècle) conservé au Kaiser Friedrich Muséum de Berlin. Cf. Paul Deschamps, La sculpture française en Palestine et en Syrie à l'époque des Croisades, extrait des Monuments et Mémoires, publiés par l'Accadémie des Inscriptions et Belles Lettres, t. XXXI (1931), p. 116-117, fig. 13 et 14.
90. On constatera que l'extrémité de la queue du lion de droite séparée du corps par une cassure est en relief dans la pierre.
91. Cette salle est très obscure, ses parois sont couvertes de noir de fumée ; elle est occupée par une pauvre famille de fellahs et sert à la fois d'habitation, d'étable et de poulailler ; un mur bas intérieur la partage en deux.
92. Cette salle occupée par deux familles est divisée en deux pièces par un mur moderne.
93. Les bossages apparaissent à droite sur l'image (CI B), la photographie ayant été prise dans le couloir en regardant la salle de l'ouvrage P.
94. Nous trouvons ces mêmes bossages dans des constructions des Croisés datant de la première moitié du XIIe siècle, notamment à Saône, à Giblet, à Beaufort et à Subeibe.
95. Cf. Van Berchem, page 153-154.
96. Rey (page 224) signale dans l'enceinte de la ville de Césarée refaite par Saint Louis en 1251 les talus traversés par une galerie et ajoute qu'il ne connaît que cet exemple en Syrie. Van Berchem (page 244) en parlant du château de Cursat dit d'une de ses tours qu'il attribue au début du XIIIe siècle : « cette tour renferme deux étages de défenses. A l'étage inférieur un chemin de ronde, voûté en berceau circulaire, a été ménagé dans l'épaisseur du mur. Ce couloir de défense dont la disposition me paraît unique dans l'architecture militaire de la Syrie, est percé de sept meurtrières fortement ébrasées qui s'ouvrent au fond d'une niche en arc brisé... » Nous voyons qu'au Crac nous sommes en présence d'un système défensif analogue et considérablement développé.
97. C. Enlart, Les Monuments des Croisés, II, p. 281, et photos de la chapelle de l'abbaye de Montjoie, dans l'Album plan 123, figure 387. C. Enlart (tome II, p. 98) trouve aussi des analogies curieuses entre certains éléments de construction de la chapelle du Crac et de la cathédrale de Tortose. Il émet l'hypothèse qu'un même maître d'œuvre a pu à la fin du XIIe siècle diriger la construction de l'église de Montjoie, de la chapelle du Crac et de la cathédrale de Tortose.
98. Photos dans Robert Doré, L'art en Provence (Paris, Les Beaux-Arts), pl. XCVIII, fig. 211.
99. Ibidem, pl. CVI, fig. 240.
100. Ibid., pl. LXXXIV.
— Voyez aussi Congrès archéologique de France en 1932 (Paris, 1933), p. 99.
101. Nous devons ces intéressants renseignements à l'obligeance de M. Albert Chauvel, architecte en chef des monuments historiques.
102. Il se rencontre surtout dans la première moitié du XIIe siècle, semble apparaître dès la fin du XIe siècle à Culles-les-Roches (Saône-et-Loire), et vers 1100 à Berzé-la-Ville ; il se voit encore au 3e quart du XIIe siècle à Germagny. Nous devons ces renseignements à Mme Dickson, née Malo, archiviste-paléographe. Dans ce même département de Saône-et-Loire, Mme Dickson trouve encore ces grandes arcades aux églises de Cuisery, de Fley, d'Ozenay, de Chissey-les-Mâoon, de Taizé et de Curtil-sous-Buffières, les unes dans le voisinage de Chalon-sur-Saône, les autres non loin de Mâcon (voyez Chrarles Malo, Les églises romanes de l'ancien diocèse de Chalon-sur-Saône, dans le Bulletin monumental, 1931, p. 403 ; photos de l'intérieur de l'église d'Ozenay, p. 389).
103. Robert Doré, ouvrage cité, pl. CI, fig. 222.
104. Ibid., pl. XCVII, fig. 210.
105. Ibid., pl. XCVI, fig. 207.
106. Ibid., pl. XCIX et CVI ; et Marcel Aubert dans Congrès archéologique de France tenu à Aix et Nice en 1932 (Paris 1933), phot. (Silvacane) p. 128 et (Le Thoronet) p. 228.
107. On voit aussi des fenêtres rectangulaires en pénétration dans la voûte à la nef de l'église Saint-Victor de Marseille.
108. On voit les mêmes cannelures au portail ouest de Saint-Germain-des-Prés de Paris, au portail nord de Notre-Dame d'Etampes et en Palestine au portail de la cathédrale de Gadres (Gaza). Cf. Enlart, pl. 17, fig. 49, pl. 81, fig. 246 et 245.
109. Enlart, pl. 84, fig. 254, pl. 138, fig. 438, pl. 122, fig. 383. On peut se demander s'il n'y a pas là un souvenir de la décoration des basiliques de Syrie des ve et vie siècles, où l'on voit les archivoltes qui encadrent les baies en plein cintre réunies les unes aux autres par une ligne horizontale de moulures ; ainsi aux basiliques célèbres de Qal'at Siman et de Qalblozé. Cf. R. Dussaud, P. Deschamps, H. Seyrig, La Syrie antique ei médiévale illustrée, 1931, pl. 71 et 73. Il est vrai que la même chose se voit en Provence, mais à l'intérieur de l'édifice ; ainsi à l'église de Silvacane où la mouluration qui fait le tour de la nef vient encadrer l'arc de chaque baie. (Voy. R. Doré, ouvr. cité, pl. XCIX, fig. 213).
110. Rey (page 49), signale plusieurs graffiti des Croisés sur les murs de ce porche dont, malgré toutes nos recherches, nous n'avons pas retrouvé la trace. Il a transcrit l'un d'eux qui est un curieux logogriphe :
« Ultima sit prima
Sit prima secunda
Sit una in medio posita
Nomen habebit ita. »
111. La porte mettant en communication la salle basse de l'ouvrage P avec la salle de 120 mètres était à notre arrivée complètement dissimulée sur ses deux faces par d'immenses tas d'ordures jetés de l'étage supérieur et montant presque jusqu'aux voûtes.
112. Dans le sol de la salle et près du départ de la galerie une fouille a fait trouver les fondations d'un mur ancien et les traces d'une canalisation (plan 3) qui court sous le couloir, passe au pied des fondations de la tour O primitive (carrée) et continue sous toute l'étendue du couloir à l'ouest et au sud jusqu'à la tour I. Cette canalisation récolte les eaux des fronts ouest et sud qu'elle va conduire dans une citerne (C 10) qui s'ouvre sur le terre-plein entre les deux enceintes au pied de la face nord-est de l'ouvrage P.
113. Cette voûte a certainement été remontée sur des murs d'une époque antérieure. Les indigènes ayant il y a quelques années installés là un four à pain, les pierres de cette salle sont rongées et couvertes de suie.
114. Lorsque nous arrivâmes au Crac, cette salle immense était comblée d'humus et de fumier presque jusqu'aux voûtes. De minces filets de lumière passaient par les assommoirs et sous ces assommoirs se dressaient des cônes d'ordures que les habitants logés à l'étage supérieur jetaient par ces orifices qui leur servaient de bouches d'égout. Il nous fallait presque partout ramper sur les mains et les genoux pour avancer sous les voûtes de cette salle et c'est dans ces conditions pénible que M. F. Anus releva le plan de cette partie de l'édifice.
115. Son linteau formé de deux pierres appliquées l'une contre l'autre a des feuillures semblables à celles qu'on voit à d'autres fenêtres du Crac, notamment aux deux fenêtres de la salle haute de la tour J ; la fenêtre était divisée par un meneau aujourd'hui détruit. Dans chacune des deux pierres supérieures du tableau sont fixés trois goujons de fer.
116. Lorsque nous arrivâmes au Crac, cette salle immense était comblée d'humus et de fumier presque jusqu'aux voûtes. De minces filets de lumière passaient par les assommoirs et sous ces assommoirs se dressaient des cônes d'ordures que les habitants logés à l'étage supérieur jetaient par ces orifices qui leur servaient de bouches d'égout. Il nous fallait presque partout ramper sur les mains et les genoux pour avancer sous les voûtes de cette salle et c'est dans ces conditions pénible que M. F. Anus releva le plan de cette partie de l'édifice.
117. On constate dans cette partie étroite du couloir que les bossages ont été ravalés, sans doute pour éviter qu'en y circulant la nuit on se blesse les mains ou le visage contre leurs rugosités.
118. M. Anus nous a fait remarquer les curieuses dispositions adoptées par l'architecte : les intervalles entre les piliers sont dans le sens de l'est à l'ouest du double et dans le sens du nord au sud du triple de la largeur d'un pilier. Ces piliers ont 3 m. 20 sur 1 m. 94.
(119) Rey. Page 52.
(120) L'arc sud est légèrement outrepassé.
121. Cet escalier monte jusqu'à la terrasse et se termine par une petite coupole soutenue par des branches d'ogives formées d'un gros tore.
122. Ce nom a été donné par Camille Enlart (Monuments des Croisés, II, p. 98). Il est très probable en effet que cette salle bien éclairée et décorée avec recherche devait être l'appartement du châtelain qui gouvernait la Place, ou exceptionnellement d'un de ces hôtes de marque comme le Crac en recevait parfois. Enfin le grand maître de l'Ordre séjourna souvent au Crac et il est vraisemblable que c'est là qu'il habitait.
123. La salle sert de logement à un des plus riches habitants du village, il a condamné la fenêtre rectangulaire et réduit considérablement l'ouverture de la grande fenêtre du sud-est (Pl. XCVIA, XLIV et LXIIA). Le Logis du Maître est pourvu de latrines.
124. Observation de M. Anus.
125. M. Marcel Aubert nous signale que des salles sont voûtées ainsi en France dans des tours d'églises (XIIe siècle en Anjou, Touraine et Saintonge), et dans des tours da châteaux (XIIe siècle, salle haute d'une tour du château de Coudray, Deux-Sèvres ; XIIIe siècle, salle basse du château de Fressin, Pas-de-Calais, et salle d'une tour dir château de Farcheville, Seine-et-Oise). Voyez M. Aubert, Les plus anciennes croisées d'ogives, leur rôle constructif, dans le Bulletin monumental, 1934. M. Trouvelot nous signale une tour à la « Porte de Soissons » de l'enceinte de Coucy.
126. Le tailloir des chapiteaux est formé d'un méplat (ou d'un boudin) d'un cavet et d'une baguette. Le profil des bases des colonnes consiste en un tore supérieur très réduit, séparé du tore inférieur par une scotie assez large. Le tore inférieur déborde sur le socle carré et s'appuie sur une petite console.
127. Ce saut-de-loup était comblé lors de notre arrivée. Ce n'est qu'en 1929 qu'au cours des déblaiements, M. Anus a pu constater son existence. En 1932, il a reconnu qu'il bordait non seulement la tour J, mais aussi une partie de la salle la flanquant à l'est.
127. La porte en arc brisé du Ier étage de la tour J ne peut dater de l'époque franque puisqu'alors elle aurait ouvert sur le vide ; les Arabes l'ont percée quand ils ont supprimé le saut-de-loup pour établir une communication avec l'esplanade et ils ont construit une arche à cet effet.
128. Cette fenêtre est très abîmer, son meneau a disparu et a été remplacé par une lourde pile de maçonnerie.
129. L'espèce de contrefort qu'on voit à l'angle de la tour à l'est (PI. LUI) semble indiquer l'amorce d'une porte qui fermait le passage.
130. Voir plus haut.
131. Le mur que traverse cette archère a 8 m. 40 d'épaisseur.
132. Ces deux escaliers sont bouchés.
133. Nous avons fait mouler l'une de ces fleurs et reconstituer au Musée de sculpture comparée l'ensemble d'une de ces fenêtres avec leur décor.
134. On peut rapprocher ces fleurs des rosaces qui ornent une frise au clocher roman de la Charité-sur-Loire (Nièvre). Fig. dans Camille Enlart, Les Monuments des Croisés, p. 117, fig. 50.
135. Nous avons trouvé cette salle en grande partie comblée. Un nombreux troupeau de chèvres s'y abritait la nuit.
136. Les trois archères de l'est sont aujourd'hui crevées (PI. XCVIII B et LXXXIXB).
137. Camille Enlart a observé (p. 99) que les décors de feuillage rappelaient ceux de l'église Saint-Nicaise de Reims.
138. Camille Enlart, Monuments des Croisés, pl. 32, fig. 106 en bas, a cru voir là quatre bustes de femme qui n'existent pas.
139. Camille Enlart, Monuments des Croisés, pl. 148.
140. Haut, 0 m. 20, larg. 0 m. 24 ; haut, des lettres 0 m. 028.
141. Le reliquaire de la sainte épine de Poligny, dans Mémoires de l'Académie, de Besançon, 1er semestre 1918.
142. Spedulum morale, Livre III, dist. 1, partie 3. Tome III, col. 995 de l'édition de 1624.
143. J. Gauthier et abbé P. Brune, Etude sur l'orfèvrerie en Franche-Comté, du VIIe au XVIIIe siècle, dans le Bulletin archéologie du Comité des travaux hist., 1900, P- 341.
144. Ms. lat. 8247, fol. 130 v°.
145. Edition Guichard, p. 18.
146. Edition Guichard, p. 4.
147. Haut, 0 m. 10, larg. 0 m. 125 ; haut, des lettres 0 m. 015.
148. Moulages de plusieurs de ces culs de lampe au Musée de Sculpture Comparée du Trocadéro.
149. Fig. dans R. de Lasteyrie, L'Architecture religieuse en France à l'époque gothique (1927), t. II, p. 347, fig. 959.
150. Ce mur à 1 m. 90 d'épaisseur.
151. Photo d'après un moulage au Musée de Sculpture comparée.
152. Le même ornement se retrouve à la cathédrale de Naplouse (Enlart pl. 125 et 126) et à l'abbaye de Belmont (Enlart, les Monuments des Croisés, pl. 66, fig. 203). Des étoiles ou des fleurs à quatre pétales disposées sur le bandeau d'une nervure entre deux boudins se voient fréquemment à la fin du XIIe siècle en Anjou, en Touraine et en Berry ; on les voit aussi dans l'Hérault notamment à l'église d'Espondeilhan.
153. Dans l'architecture des Croisés on trouve des spirales à peu près semblables aux sommiers d'une voussure du portail nord de l'église de Qariet el Enab, près Jérusalem, qui appartenait aux Hospitaliers (C. Enlart, Les Monuments des Croisés, pl. 138 fig. 438).
Les Hospitaliers ont gardé le souvenir de ce décor et l'ont encore reproduit au XVe siècle à Rhodes. Voyez Albert Gabriel, La cité de Rhodes, Paris, 1923, t. II, PP 98 99 et 104.

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Chapitre VIII

Observations sur les éléments d'Architecture du Crac

On a vu que le Crac se compose de deux enceintes concentriques dont la seconde commande tous les ouvrages de la première. Ce système d'une double enceinte est dans les traditions de la fortification byzantine auxquelles les Croisés firent de nombreux emprunts.

Le château occupe une surface en trapèze dont les plus longs côtés s'étendent sur les fronts est et ouest et son enceinte extérieure s'élargit à mesure qu'on avance du nord au sud, le plateau s'élargissant de ce côté. Sur la face la plus étroite, celle du nord, et sur les deux plus longues faces, celles de l'est et de l'ouest, les murs dominent des escarpements.

Les ingénieurs militaires en France, à l'époque romane, plaçaient, dans une forteresse, le donjon, c'est-à-dire l'ouvrage principal, à l'endroit de la place le mieux défendu par la nature ; c'était là une erreur qu'on reconnut dans la suite et au XIIIe siècle on prit le parti d'établir le donjon sur la partie la plus faible, celle où le terrain présente moins de défenses naturelles.

Ainsi fit-on dès le XIIe siècle en Terre-Sainte à Saône ; ainsi fit-on au Crac lors de la deuxième campagne de constructions (en rouge sur le plan).

On ne voit pas au Crac un donjon proprement dit, mais un groupe de trois ouvrages, les tours K. J. I. réunies les unes aux autres et formant un ensemble de constructions formidables. L'ingénieur a placé ces ouvrages, les plus puissants de la forteresse, du côté où le terrain n'offrait pas de défense et où l'ennemi pouvait prendre le plus facilement position.

Mais il a pris soin d'aménager le terrain en avant de ces tours et de les faire précéder d'une série d'ouvrages et de fossés, d'abord le grand fossé rempli d'eau, puis la première enceinte, puis le fossé bordant cette enceinte, enfin l'ouvrage triangulaire enfermé dans des circonvallations.

Les grands talus à la base des murailles sont fréquents dans les châteaux des Croisés ; la plupart forment un massif plein de maçonnerie qui devait retarder considérablement le travail des sapeurs, ou bien ils sont appliqués sur le terrain qu'on a égalisé et ils rendent l'escalade impossible.

Au Crac, certains ouvrages de la première enceinte ont un talus plein, mais à la seconde enceinte les grands talus des fronts ouest et sud sont traversés par un chemin de ronde voûté (1). Leur but principal était sans doute d'épauler les murailles pour réagir contre les tremblements de terre ; en outre le couloir percé d'archères permettait de défendre l'espace entre les deux enceintes et permettait aux assiégés de se porter rapidement d'un ouvrage à un autre de la seconde enceinte en étant à l'abri. Rey (2) avait cru pouvoir constater une différence essentielle entre les constructions des deux grands Ordres militaires de Terre-Sainte, les Templiers et les Hospitaliers ; pour lui les Templiers avaient dans la construction de leurs forteresses employé le système des tours rectangulaires avec peu de saillies sur les courtines, à l'imitation pensait-il des forteresses arabes ; tandis que les Hospitaliers employaient les tours rondes.

Plusieurs remarques feront voir que cette observation est trop absolue (3). A Tripoli, à Saône, châteaux construits par des seigneurs privés et qui n'ont jamais dépendu des Ordres religieux, on voit employer en même temps les tours rondes et les tours carrées et l'on peut constater que l'emploi dans la même forteresse d'ouvrages de types différents a résulté simplement d'une bonne compréhension des nécessités de la défense. S'il est vrai qu'à Tortose et à Safitha, châteaux de l'Ordre du Temple on voit un donjon de plan rectangulaire et des saillants barlongs aux enceintes, les architectes de cet ordre ont cependant parfois employé les tours rondes (ainsi à Chastel-Pèlerin).

D'autre part, s'il est vrai que les enceintes arabes ont en majorité des saillants barlongs avec peu de flanquement (ainsi à Alep, à Damas, à Sheïzar), on voit aussi des tours rondes aux monuments musulmans par exemple les tours de Bab-el-Foutouh au Caire (XIe siècle), une tour à l'enceinte de la ville de Kérak, et nous verrons qu'au Crac des Chevaliers plusieurs ouvrages construits ou restaurés par les Arabes ont la forme arrondie.

Enfin les Hospitaliers ont pratiqué les deux systèmes : au Crac on doit constater que leurs architectes ont construit non seulement de magnifiques tours rondes, mais aussi des ouvrages rectangulaires.

L'appareil

— Sans atteindre les proportions considérables des pierres de Chastel-Pèlerin, l'appareil de certains ouvrages du Crac présente d'assez grandes dimensions. Ainsi dans le mur ouest de la Grand'Salle on voit des pierres de 1 m. 63 de longueur, certaines atteignent 0 m. 72 de hauteur ; mais la plupart des pierres de cette salle ont environ 0 m. 50 de hauteur. La hauteur des assises de la plupart des ouvrages francs du Crac varie de 0 m. 45 à 0 m. 60 (4).

On a extrait des pierres probablement de trois endroits : les unes proviennent de la carrière (Marara Derra) située à 2 kilomètres 500 à l'ouest du Crac, près de la Source Sabbatique. C'est un calcaire gris blanc qui garde cet aspect vers l'ouest où il est exposé à la pluie et qui, du côté du soleil levant, prend des tons fauves d'ocre jaune donnant au monument une magnifique patine.

On a aussi utilisé une pierre très dure d'un gris foncé presque noir, notamment à l'angle sud-est de la première enceinte. Les blocs simplement cassés au marteau sont noyés dans un épais mortier. On a cependant pris soin d'employer des pierres taillées aux endroits où le mur faisait un angle et où il avait besoin de résistance ; on a fait de même pour l'encadrement des ouvertures telles qu'une poterne ou des archères, et pour ces pierres on a employé un calcaire blanc moins dur et se prêtant mieux au travail de la taille. Ce procédé ne se remarque que (sur quelques éléments peu étendus de la première enceinte (courtines 8-9 et 11-12).

Enfin les Arabes dans leurs restaurations et leurs constructions ont dû employer un calcaire plus tendre ; la pierre est souvent rongée et ne laisse pas voir quel outil les ouvriers ont employé pour la taille.

En général, l'appareil des Francs est dressé avec grand soin et la taille en est parfaite. Nous avons signalé (p. 188) le savant travail de stéréotomie qu'implique la coupe des pierres placées à la rencontre des talus et de la base des tours aux fronts sud et ouest de la deuxième enceinte.

En certains endroits le grand appareil franc donne l'aspect d'un appareil à joints vifs comme certains édifices de l'Antiquité, tant la régularité de la taille est parfaite, mais on aperçoit toutefois dans ces joints une très mince épaisseur de mortier. Cependant ce magnifique appareil de pierres de taille ne constitue que deux parements entre lesquels se trouve une masse de blocage composée de mortier et de moellons. Ce système qui est constamment employé alors en France apparaît nettement au Crac en des parties où le parement a été arraché.

Nous avons dit que les bossages caractérisaient au Crac les plus anciens ouvrages des Croisés. Si les bossages, qui, semble-t-il, n'apparaissent guère qu'au XIIIe siècle en France, se voient dans les châteaux des Croisés dès la première moitié du XIIe siècle (Giblet, Saône, Subeibe, Beaufort), c'est que les Croisés en arrivant sur le sol de la Syrie y trouvèrent ce système employé continuellement et depuis une haute antiquité.

On voit les bossages aux fortifications de Doura-Europos commencées à la fin du IVe siècle avant notre ère par les ingénieurs de l'armée séleucide pour une colonie hellénique installée là par Seleucus Nicator (312-280). Philon de Byzance, ingénieur du IIe siècle avant J.-C. et auteur d'une Poliorcétique, recommande les bossages dans la construction des forteresses (5).

On trouve aussi des bossages grossiers sur la forteresse juive de l'Alexandreion (Sartabeh sur la rive droite du Jourdain, à l'est de Naplouse, construite probablement en 76 avant J.-C.) (6).

Pour tailler ces bossages on se contentait de dresser au ciseau le pourtour de la face apparente de la pierre sur une très petite largeur laissant sans la tailler la partie centrale qui gardait ainsi un relief rugueux.

Ainsi les boulets perdaient une partie de leur efficacité contre ces surfaces inégales et la muraille était moins ébranlée. Les flèches s'émoussaient plus que sur une paroi lisse et ricochaient même sur l'assiégeant. Cette taille, réduite à une bordure de la pierre, fournissait aussi une économie de travail. Cependant on remarquera que dans la plupart des bossages des constructions franques on a taillé aussi la surface du bossage quoiqu'elle n'ait pas une taille aussi achevée que celle de la bordure d'encadrement où la pierre est polie, pour ainsi dire.

Si au XIIIe siècle les Francs ont souvent remplacé les bossages par des pierres unies, et notamment aux grands ouvrages du Crac, ils ont pourtant continué à employer l'appareil à bossages. Ainsi, on le voit à l'ouvrage M.

Rey a observé qu'à la suite des tremblements de terre de 1201-1202 on avait entrepris d'importants travaux de fortification à Acre et à Tyr et que sur les vestiges de cette époque on voyait des pierres de grand appareil à bossages. Il en était de même à Chastel-Pèlerin construit en 1218, à Saphet reconstruit en 1240, à Beaufort occupé par les Croisés en 1139, perdu en 1190, repris en 1240 et amplifié à ce moment.

Ouvrage M du Crac des Chevaliers

Château Le Crac des Chevaliers
Ouvrage M du Crac des Chevaliers. Image Paul Deschamps

Les bossages de l'ouvrage M du Crac (PL C) sont de plus grandes proportions et d'une exécution plus soignée que ceux du XIIe siècle. Il semble que cette même observation puisse s'appliquer aux monuments que nous venons de citer, et particulièrement au château de Beaufort où les deux types de bossages apparaissent très différents, les premiers (XIIe siècle) grossiers, les autres (XIIIe siècle) présentant un parement en relief parfaitement lisse. Alors qu'au XIIe siècle, le bossage « à la rustique » présentait une économie de temps puisqu'on ne taillait soigneusement que les bords de la pierre, en se contentant de dégrossir le milieu, au XIIIe siècle au contraire le bossage est devenu un ornement.

Les Arabes ont aussi pratiqué dans leurs forteresses l'appareil à bossages notamment à la citadelle de Damas, à Sheïzar ; à Kérak de Moab et à Subeibe les bossages qu'on voit aux ouvrages construits par les Musulmans au XIIIe siècle sont de très grandes dimensions et d'une taille extrêmement soignée.

La taille des pierres

— Dans les monuments accumulés pendant plusieurs millénaires qu'il avait visités en Palestine et en Syrie, Clermont-Ganneau avait été frappé par l'aspect d'une taille de pierre qu'il avait rencontrée dans plusieurs constructions des Francs, églises ou châteaux, et qu'il appelait la taille des Croisades. Cette taille était si caractéristique qu'il pouvait la distinguer de toute autre au premier coup d'œil. Elle consiste (7), dit-il, en une série de stries parallèles disposées en diagonale sur la face de la pierre. L'auteur, dont l'article est écrit en anglais, appelle l'outil employé « toothed pick », c'est-à-dire un marteau denté. Malheureusement ce savant ne nous a pas laissé de dessins et il ne paraît pas s'être rendu compte que les tailleurs de pierre francs ont employé plusieurs outils qui donnent des tailles un peu différentes.

Ces outils qui ne paraissent pas avoir changé depuis le moyen-âge sont :
1° Le têtu (fig. 45), sorte de petite masse d'acier, qui constituait le premier travail pour dégrossir le bloc.

Fig. 45.

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 45. — Taille de pierre avec le Têtu. (Dessin Fr. Anus d'après photo A. Chauvel).

2° Le pic (fig. 46), le poinçon (fig. 47) et le ciseau (fig. 48).
Le poinçon est une petite pièce d'acier pointue. On frappe sur le poinçon ou le ciseau avec une masse d'acier ou un maillet de bois.

Taille de pierre avec le Pi

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 46. — Taille de pierre avec le Pic. (Dessin Fr. Anus d'après phot. A. Chauvel).
Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 47. — Taille de pierre avec le Poinçon. (Dessin Fr. Anus d'après phot. A. Chauvel).
Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 48. — Taille de pierre avec le Ciseau. (Dessin Fr. Anus d'après phot. A. Chauvel).

On constate qu'à la première époque franque (en noir sur les plans) on a utilisé dans l'appareil à bossages, le poinçon pour la partie centrale du bossage, et le ciseau pour la partie en biseau et pour le cadre.

3° Le taillant droit (ou marteau sans dents) (fig. 49) et le taillant brelelé à larges dents très espacées (on l'appelle aussi marteau à dents) (fig. 50).

Taille de pierre avec le Taillant

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 49. — Taille de pierre avec le taillant droit.
(l'outil présenté ici à un autre tranchant qui constitue un taillant à dents). — (Dessin Fr. Anus d'après phot. A. Chauvel).

Taille de pierre avec le Taillant
Fig. 50. — Taille de pierre avec le Taillant à dents (Dessin Fr. Anus d'après phot. A. Chauvel).

Le taillant droit donne une série de lignes parallèles, obliques ou verticales selon la façon dont l'ouvrier a la main placée.

Le taillant à larges dents est l'outil dont parle Clermont-Ganneau. La taille obtenue par cet outil consiste en une série de petits carrés a utilisé dans l'appareil à bossages, le poinçon pour la partie centrale du bossage, et le ciseau pour la partie en biseau et pour le cadre.
3° Le taillant droit (ou marteau sans dents) (fig. 49) et le taillant bretelé à larges dents très espacées (on l'appelle aussi marteau à dents) (fig. 50).

Le taillant droit donne une série de lignes parallèles, obliques ou verticales selon la façon dont l'ouvrier a la main placée.

Le taillant à larges dents est l'outil dont parle Clermont-Ganneau. La taille obtenue par cet outil consiste en une série de petits carrés accolés (de 6 à 9 millimètres) formant comme un damier dont chaque compartiment aurait ses bords en léger relief.

La taille obtenue par le taillant droit ou par le taillant à dents, se voit au Crac sur le bel appareil de la seconde époque franque (en rouge sur les plans). Elle ne fut pas employée avant cette seconde époque et par conséquent pas avant la fin du XIIe siècle, et c'est aussi à peu près l'époque où cette taille apparaît en France.

M. Quétard, maître-appareilleur, nous a fait remarquer que les tailleurs de pierre d'aujourd'hui emploient un outil à deux tranchants qui est d'un côté un taillant à larges dents et de l'autre côté un taillant droit.

Il est vraisemblable que ce même outil fut employé dès le moyen-âge. Le taillant à larges dents servait à achever le dégrossissement de la pierre, puis on pouvait perfectionner au taillant droit en faisant un parement plus soigné à l'aide de coups réguliers parallèles.
M. Quétard a remarqué que les tailleurs de pierre arabes n'emploient pas de nos jours le taillant droit.

On voit aussi au Crac sur des pierres de petite dimension une taille très fine donnant des striures très serrées obtenues à l'aide d'un taillant à dents fines et très rapprochées. Si l'on trouve dans quelques endroits du Crac cette taille sur des pierres munies de marques qui paraissent franques, les Francs ne semblent pas l'avoir beaucoup pratiquée, tandis qu'elle apparaît fréquemment aux endroits où les Arabes ont fait des restaurations.

Enfin certains ouvrages que nous attribuons aux Arabes ont un appareil mal taillé, grossier, pour lequel on n'a dû employer, après le têtu, que le poinçon ou le pic.
A côté du bel appareil franc, l'appareil arabe se présente au Crac comme très pauvre et beaucoup plus malhabile.

Nous donnons ici le texte d'un examen très attentif des procédés de taille fait au Crac en février 1932 par M. Fr. Anus sur notre demande. Cet examen difficile et délicat montrera aux archéologues l'intérêt que peut présenter souvent l'observation des procédés de taille des pierres d'un monument (8) : elle peut permettre de distinguer certaines campagnes de construction. Il faut aussi noter que les tailleurs de pierre ont pu à une même époque employer des outils différents selon la qualité plus ou moins dure des pierres et selon les faces à tailler d'une même pierre (parement, lit de pose et joints) : « NOTES SUR LES PIERRES EMPLOYEES
A LA CONSTRUCTION DU CRAC DES CHEVALIERS, LEURS QUALITéS
ET LES RENSEIGNEMENTS A TIRER DE LEUR MISE EN œUVRE.

Afin de pouvoir examiner et comparer les diverses pierres utilisées dans la construction, il a été fait onze prélèvements d'échantillons, d'un peu plus d'un décimètre-cube en gardant adhérent au joint, le plus de liant possible.

Avec l'aide de M. Quétard, maître-appareilleur à Baalbeck, grâce à sa connaissance de la pierre et du travail de celle-ci, nous pouvons donner l'examen et les déductions suivantes :
EXAMEN DES ECHANTILLONS.

SPECIMEN A

SPECIMEN A
Origine

Prélevé à l'assise basse de la courtine, brèche existant au Nord de la salle basse de la tour P. Ce morceau donne le retour d'angle d'un bossage, avec la ciselure.
Parement.
En I, la pierre a été taillée au poinçon.
En 2. 2, travail au ciseau plat.
Lit de pose.
La pierre a éclaté et ne garde pas trace d'outils ; seule subsiste, de la face primitive, une petite surface noyée dans le calcin.
Face du joint Sud.
Taille au poinçon.
Autres faces.
Parties retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
Calcaire à grain assez compact, blanc homogène. La pierre se rapporte à la qualité de taille dite en France taille n° 2. C'est une pierre un peu savonneuse, analogue à la roche de Courville.

SPECIMEN B

SPECIMEN B
Origine.

Ce morceau a été prélevé dans le mur en talus du front Ouest, à la base de la brèche faite par les habitants du château, pour atteindre le puits de la salle de 120 mètres.
Parement.
L'outil de taille était un taillant à larges dents. L'entre-axe des dents étant de 6 m/m 9.

Lit de pose.
La taille a été achevée avec le même instrument que le parement.
L'entre-axe des dents est de 6 m/m 9 et l'outil avait la dent usée, sur les bords. Un peu de liant adhère encore à la surface.
Face du joint Nord.
Même outil.

Autres faces.
Elles ont été retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
Calcaire à grain assez compact, blanc homogène. La pierre est de même carrière et de même banc que l'échantillon A.

SPECIMEN C.

Origine.
L'échantillon a été prélevé sur un pilier de la salle construite sous l'esplanade. Il faisait partie de l'assise en sommier, à la face Nord du pilier.
Parement.
Taillé au taillant droit. La largeur probable de l'outil était de 45 m/m.
Tableau Ouest.
Même taille.
Lit supérieur.
La taille est perdue, mais l'arête en tableau est conservée. Pas de trace de liant.
Autres faces.
Elles ont été retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
La pierre paraît provenir de la même carrière que les échantillons A et B. Mais elle n'est pas du même banc. La qualité de C est inférieure. La pierre est plus savonneuse, plus douce.

SPECIMEN D

Origine.
Le morceau a été prélevé dans les assises basses du glacis à la face Nord de la tour 13.
Parement.
La face a été préparée avec le taillant à dents fines. L'entre-axe entre dents est de 3 m/m 2. Le travail est fait, sans un sens affirmé, soit qu'on ait laissé à l'ouvrier la liberté du travail, soit que ce soit le fait d'une inhabileté.
Lit de pose. La pierre a été posée après une simple ébauche au têtu. Pas de liant prélevé.
Face du joint Est.
Idem.
Autres faces.
Retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
La pierre correspond au spécimen A, mais un peu plus dur.

SPECIMEN E

SPECIMEN E
Origine

Le prélèvement a été fait dans le mur Est de la tour 13, à sa face Est, dans la partie la plus près de la courtine.
L'échantillon est un bouchon de taille. Ce fait est fréquent dans l'élévation du mur. Les tailles des bouchons sont analogues à celles des grands blocs.
Parement.
La face est parementée au taillant à larges dents. L'entre-axe des dents est de 9 m/m, la largeur de dent étant de 7 m/m, ainsi que le croquis en rend compte.
Lit de pose.
Même trace de taille à l'arête. Liant adhérent.
Lit supérieur.
Même trace de taille. L'arête est faite avec le même outil que les faces, sans amorce de ciselure. Liant adhérent.
Faces de joints Nord et Sud.
Comme aux précédents.
Faces arrières.
Façonnées par éclatements.
Qualité de pierre.
L'échantillon est analogue au spécimen A.

SPECIMEN F

SPECIMEN F
Origine

La pierre a été prise à une assise basse d'angle du coffre construit contre la face Est de la tour 2.
Parement.
L'outil de taille a été un taillant à larges dents, analogue à celui qui a servi pour l'échantillon E. L'entre-axe des dents est plus petit, soit 8 m/m.
Lit de pose.
L'outil de taille est un taillant à larges dents, mais les dents sont usées. L'entre-axe de dents est de 8 m/m 5. Cette face ne porte pas de liant.
Autres faces.
Sont retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
La pierre est de la catégorie A. Mais elle paraît de la dureté de l'échantillon D.

SPECIMEN G

SPECIMEN G
Origine

La pierre faisait partie d'une assise basse de la courtine, entre les tours 2 et 3, au front Ouest de la première enceinte.
Parement.
L'outil de travail était un taillant à larges dents. Les dents de l'outil étaient irrégulières. Le croquis montre ce détail.
Lit de pose.
Même outil de travail. L'entre-axe moyen des dents serait de 7 m/m. Au lit de pose adhère un reste de liant qui cachait une épaufrure d'arête.
Autres faces.
Retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
Même qualité que le spécimen A.

SPECIMEN H.

Origine.
L'échantillon provient d'une assise basse du talus à la face Sud du saillant 7.
Parement.
Le parement a été dégrossi au poinçon.
Lit inférieur.
Le lit a été laissé en ébauche. Pas de liant adhérent.
Face de joint à l'Est.
Dégrossie au poinçon.
Autres faces.
Retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
Cette pierre est un calcaire compact, d'une couleur plus grise que toutes les précédentes, plus homogène, plus dure, moins gélive.Comme dureté, elle se rapproche de la pierre française dite de Saint-Maximin, son grain est analogue à la pierre de Bagneux.
Il est à remarquer que la dureté a nécessité l'emploi du poinçon. Le taillant à larges dents carrés n'aurait rien donné, ou il aurait fallu la dent de forme moderne dite « en grain d'orge. »

SPECIMEN I

Origine.
Le prélèvement a été fait à la partie basse de la courtine qui forme l'angle Sud-Est du château entre la tour 8 et le saillant 9. Le bloc faisait partie de la face Sud de la courtine, à l'endroit où un appareil taillé en pierre blanche, marque l'angle de la construction. Sauf les parements des jouées de meurtrière et les angles, le parement du mur est constitué en pierres noires très dures, travaillées par éclatement, sans trace d'outil.
Parement.
La pierre est parementée au taillant droit. Le travail a été fait rapidement. Il est d'assez mauvaise qualité.
Lit de pose et lit supérieur.
Ces lits portent quelques traces de taille par un outil à dents carrées. La largeur de la dent observée est de 5m/m. Du liant reste attaché à ces lits.
Autres faces.
Retaillées après prélèvement.
Qualité de pierre.
Analogue à l'échantillon A.

SPECIMEN J

Origine.
La pierre provient d'une assise basse extérieure de la face Sud du saillant 9.
Parement.
La taille assez fruste a été exécutée au poinçon.
Lit de pose.
La face a été laissée brute, sans taille. L'échantillon ne porte pas de liant.
Face de joint Ouest.
La taille est la même qu'en parement.
Qualité de la pierre.
La pierre est très dure et analogue à l'échantillon H.

SPECIMEN K

Origine.
La pierre a été enlevée, à la partie ancienne de la courtine qui touche la face Nord du saillant 9. Elle faisait partie d'une assise du mur vertical de courtine.
Parement.
Les traces de taille sont noyées dans un enduit de chaux. La face semble avoir été seulement ébauchée.
Tableau Sud.
On observe un travail exécuté au taillant à dents fines. L'entre-axe des dents est de 3 m/m 6.
Lit supérieur.
La taille qui semble ébauchée ne laisse pas de trace observable.
Autres faces.
Retaillées pour le prélèvement.
Qualité de pierre.
La qualité est celle de l'échantillon A.

RESULTAT A TIRER DU PREMIER EXAMEN DES ECHANTILLONS

L'échantillon A est extrait de la partie de construction du château qui représente la première grande campagne franque (teinte noire). Cette campagne franque a été exécutée avec des pierres tirées de la même carrière. La qualité relativement tendre employée, permettait de se servir du taillant à larges dents, et cependant les constructeurs ont employé poinçon et ciseau. Le travail au poinçon n'était pas particulièrement indiqué pour la qualité de pierre employée. Il faut chercher la raison qui cependant en a déterminé l'emploi. Pour cela, examinons le travail de deux blocs de ce même volume, l'un traité en assise à bossages, l'autre toutes faces travaillées au taillant à dents.

Pour un bloc de 50x50x100, le travail au poinçon exigera, sur la face en parement, une plumée de dressage et une ciselure au pourtour pour dégager les arêtes. Ce travail sera complété par le travail au poinçon de toutes les autres faces. Un bon tailleur de pierre y passera une journée.

Pour le même bloc traité sur toutes faces au taillant à dents, il y aura d'abord un dégrossissage, puis un dressage du parement, enfin un dressage de toutes les autres faces. Un bon tailleur y passera une journée et demie.

De plus, l'exécution de la ciselure, parfaitement dressée, assurait un très bon travail de pose. La question aspect devait intervenir assez peu dans ces premiers ouvrages militaires et l'économie de temps par suite de main-d'œuvre était intéressante à l'époque où le château n'ayant qu'une enceinte, il fallait que les occupants toujours en guerre avec le voisinage fussent rapidement enfermés par des murs solides.

L'échantillon B, prélevé dans le talus qui supporte le front Ouest de la deuxième enceinte, est caractéristique de la pierre employée pour la grande campagne franque figurée en rouge sur les plans.

Les ouvriers se sont servi du taillant à larges dents qui en France est employé à la fin du XIIe siècle. Ils travaillaient toutes les faces et dressaient directement les arêtes sans emploi de ciseau.

On peut remarquer, que les campagnes indiquées en noir et en rouge sur les plans ont été effectuées avec de la pierre tirée du même banc de carrière (Marara Derra).

L'échantillon C, provenant de la salle sous l'esplanade, montre un travail de qualité inférieure. Le taillant droit a dû être utilisé ici sans qu'on emploie préalablement le taillant à dents, mais il faut tenir compte du fait du changement de banc de carrière ; le nouveau banc étant plus tendre que l'ancien, le taillant droit était suffisant pour dresser les surfaces. D'autre part, la pierre a pu être choisie plus tendre pour une construction de magasin abrité par son emplacement et où la pierre n'avait pas à supporter les charges que représentent les assises du mur en talus.

L'échantillon D confirme les renseignements tirés de l'étude architecturale de la tour 13. En effet, le travail de reprise de la tour 13 par les Arabes est indiqué intérieurement, tant par le décor d'une meurtrière que par les traces de réfection dans la salle. De plus, à l'angle N.-Eet de la tour 13, un éboulement du glacis montre que la tour 13 avant d'être arrondie avait été construite sur le plan d'un saillant carré. Le travail de reprise effectué par les Arabes, a donc été un arrondissement de la face Nord de la tour, et l'échantillon D montre une taille au taillant à dents fines caractéristique par sa liberté. Il y a un certain laisser-aller dans le travail des lits de pose et des joints. La qualité de dureté supérieure de pierre est aussi à rapprocher de la qualité des échantillons H et J.

L'échantillon E confirme cette hypothèse, en montrant que les Francs avaient élevé le mur Est de la tour 13 en travaillant avec le taillant à larges dents.

D'autre part, on remarque que la courtine 12-13 est exécutée avec le même appareil et la même pierre qu'au saillant 7.

Que les bretèches sont exécutées au taillant à dents fines.
Que les meurtrières à l'étage de défense inférieure sont sans étrier.

Que le linteau de la porte basse est pourvu d'un décor géométrique Arabe. Il faut conclure à la remontée Arabe de cette courtine.
A la suite, le flanc Ouest de la tour 12 présente bien le même aspect que la courtine franque 8-9.
On arrive donc à dire, en tenant compte du fait que l'inscription de Niciole Lorgne est en place :

1° Les Francs ont construit une barbacane encadrée par les deux saillants carrés que devaient constituer les défenses 12 et 13.

2° Les Arabes ont reconstruit le mur de courtine et arrondi les deux saillants.
C'est peut-être par cette porte que les assaillants sont entrés dans le château.
Au point de vue topographique, les machines de guerre de Beibars pouvaient se placer sur la butte immédiatement au Sud du village et leur tir était alors dirigé pour démolir les faces Nord des ouvrages 12 et 13 ainsi que la courtine. De plus, ce tir épargnait forcément les faces en retour, soit la face Est du saillant 13 et la face Ouest du saillant 12.

Lorsque la première enceinte fût forcée, le tir des balistes a pu être reporté, sans grand déplacement de machine, sur la poterne de la tour P, qui est une des parties les plus démolies du château.

Une autre conclusion sera que les Arabes reconstruisant les courtines 12-13 ont conservé dans le mur de porte, l'emplacement d'une herse.

La similitude de qualité de pierre entre H et J, ainsi que le même emploi du poinçon, paraît confirmer que les saillants 7 et 9, sont d'origine Arabe. Cette origine est attestée, d'autre part, par des signes architecturaux.
Le travail de K et l'emploi du taillant à dents fines amènent à penser à une origine Arabe de la courtine 9-10. »

Les marques de tâcherons

— Les marques de tâcherons au Crac des Chevaliers sont innombrables. Nous en donnons ci-contre un tableau (9). Outre des signes qu'on ne peut dénommer, nous en voyons certains qui représentent des lettres de l'alphabet, des emblèmes et des armes : croix, croix dite de Malte, étendard, hache, flèche, fer de lance, écu, arbalète ; des outils : pic, marteau, faux, des étoiles à huit pointes et l'étoile à cinq pointes qu'on appelle encore le pentalpha ou le sceau de Salomon ; des fleurs de lis, des poissons, etc. Quelques marques arabes très différentes des marques franques apparaissent également (10).

Marques de Tacherons

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

EXEMPLES DE QUELQUES MARQUES SE RETROUVANT SUR PLUSIEURS OUVRAGES

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Marques de Tacherons
Marques de Tacherons relevées sur les ouvrages du Château Le Crac des Chevaliers

Les voutes et arcs

Château Le Crac des Chevaliers
Couloir, voûte sous le talus, vue prise en regardant la salle basse de l'Ouvrage P.
A droite, bossage de l'enceinte primitive du Krak. Image Paul Deschamps

— On trouve au Crac des voûtes en berceau brisé et des voûtes d'arêtes. Certaines sont appareillées ; d'autres sont en blocage. Les voûtes d'arêtes non appareillées retombent sur des consoles appareillées qui s'amortissent sur le pilier ou la muraille par une légère saillie arrondie ou formant une arête. Ce système a été aussi pratiqué par les Arabes mais il semble que chez ceux-ci la saillie se termine toujours par une arête. (Crac, salle du saillant 7 ; Damas, citadelle, salle du 2e étage) (11).

Dans les voûtes en berceau brisé apparaissent de place en place des chaînages de pierre d'appareil non saillants jouant le rôle de doubleaux. Dans ces voûtes sont ménagées des pénétrations en lunette correspondant aux ouvertures.

Dans la voûte de la chapelle sont percées des fenêtres rectangulaires en pénétration ; ce système qui existe aussi à la cathédrale de Tortose se voit dans le midi de la France et en Bourgogne (12).

Les voutes du Vrac

Enfin le Crac possède quelques voûtes sur croisées d'ogives : A l'entrée de la Rampe

Entrée de la Rampe

Château Le Crac des Chevaliers
Entrée de la Rampe

Dans la Grand'Salle

Tour K

Château Le Crac des Chevaliers
Tour K

Dans la galerie, au sommet de l'escalier montant à la terrasse de la tour K.

Logis du Maître

Château Le Crac des Chevaliers
Logis du Maître. Image Paul Deschamps

Nous avons signalé la coupole, sous laquelle est bandée une croisée d'ogives, qui couvre la salle ronde du Logis du Maître

Les arcs

Château Le Crac des Chevaliers
Porte en arc outrepassé réunissant la grand salle à la salle de 120 mètres. Image Paul Deschamps

— Les arcs brisés sont très nombreux au Crac, ils sont même la très grande majorité. L'arc brisé apparaît de très bonne heure dans les monuments des Croisés en Terre-Sainte et y est extrêmement répandu. On sait que les Arabes le pratiquaient depuis fort longtemps (13).
Au Crac la plupart des fenêtres et des niches des archères, sont en arc brisé.

Le marquis de Vogué et Clermont-Ganneau avaient pensé pouvoir établir un critérium entre les constructions arabes et franques de l'époque des Croisades en disant que les arcs brisés arabes avaient une clef et que les arcs brisés francs n'en avaient pas. Mais Enlart a remarqué qu'au château de Giblet on voyait les deux systèmes, que les fenêtres absidales de la cathédrale de Tortose tracées en tiers-point ont des clefs (14).

Tout ce qu'on peut dire, c'est que dans les arcs des constructions franques l'usage du joint vertical est plus fréquent que celui de la clef.

Les portes sont en arc brisé à l'extérieur tandis que du côté intérieur elles sont doublées par une arrière voussure en arc surbaissé (15). Ainsi à la porte du troisième élément de la rampe, à la porte de la chapelle, à la porte mettant en communication l'ouvrage P avec la salle de 120 mètres, à la porte mettant la Grand' Salle en communication avec cette même salle de 120 mètres. Ceci était nécessaire pour le fonctionnement des vantaux de bois.

Camille Enlart observe que l'arc outrepassé si fréquent dans l'architecture arabe est extrêmement rare dans l'architecture des Croisés.

Nous pouvons cependant en citer deux exemples au Crac ; ce sont deux portes ouvrant, l'une de la Grand'Salle l'autre de la salle aux piliers sur la salle de 120 mètres.

Les fenêtres

Château Le Crac des Chevaliers
Fenêtres de la grand salle au Nord. Image Paul Deschamps

— Les fenêtres sont en arc brisé (chapelle, est et ouest) ou en arc surbaissé (Grand'Salle, ou encore rectangulaires telles qu'une fenêtre de la salle de 60 mètres, des fenêtrès en pénétration dans la voûte de la chapelle, la fenêtre au nord de la Grand'Salle et les fenêtres de la tour J.

Fig. 52. — œil-de-bœuf

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Fig. 52. — œil-de-bœuf dans la salle de 120 mètres au nord (Dessin F. Anus).

Les fenêtres du nord de la Grand'Salle et de la tour J sont divisées par un meneau central. La photographie prise de l'intérieur de la Grand'Salle montre bien les feuillures ménagées pour les vantaux, mais nous n'avons pas vu dans la salle haute de la tour J la languette percée de trous pour le passage des verrous du châssis qu'Enlart a dessinée (fig. 113).

Citons pour mémoire la curieuse baie en œil de bœuf qui est percée dans la muraille à l'extrémité de la cour au nord et qui donne de la lumière à la salle de 120 mètres (fig. 52).

Enfin on voit dans le haut de certaines courtines de petites baies carrées ou rectangulaires (16). Nous en parlerons plus loin.

Les entrées de la forteresse

— On croyait jusqu'ici que la forteresse ne possédait qu'une entrée, celle percée à l'est dans le saillant II (fig. 18, chiffre 2). Nous en avons retrouvé quatre autres à la première enceinte.

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Roterne front-Nord. Image Paul Deschamps

D'abord la poterne percée entre les tours 12 et 13 (fig. 18, chiffre 3 ; plan fig. 19).
On se rappelle que sur la face postérieure de la tour 13 une inscription rappelle que « cette barbacane » fut l'œuvre de Nicolas Lorgne.
La poterne était défendue par une herse. Un passage souterrain aujourd'hui condamné et qu'on n'a pu rétablir jusqu'ici débouchait vraisemblablement dans le terre-plein entre les deux enceintes en direction de la poterne de l'ouvrage P. On ne voit pas très bien pourquoi les Hospitaliers dans les dernier temps de leur occupation ont percé si près de l'entrée de l'est cette nouvelle entrée au nord qui était forcément préjudiciable à la défense. On ne peut concevoir l'établissement de cette entrée que pour la commodité de la garnison qui trouvait par là un accès plus rapide à l'intérieur de la place, la Rampe avec ses détours rendant le trajet beaucoup plus long. Mais l'architecte eut soin de donner à cette barbacane du nord des défenses importantes (17).

Inscription de Niciole Lorne

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Inscription de Niciole Lorne, face arrière de la Tour 13. Photographe Lamblin, Frédéric

Le front sud de la première enceinte possède trois entrées. La première près de l'angle sud-est (figure 18, chiffre 4) : c'est cette petite poterne percée à 3 mètres au-dessus du fossé que surmonte dans la courtine un petit ouvrage en encorbellement percé de deux rainures verticales qui devaient être le passage de chaînes d'un pont-levis. Quand on a franchi cette poterne on se trouve dans un couloir dont les issues sont aujourd'hui condamnées.

Entrée angle sud-est

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Entrée angle sud-est (figure 18, chiffre 4)



Entrée dans la la joue est de la tour 8

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Entrée dans la la joue est de la tour 8

La seconde entrée, très haut au-dessus du fossé, est percée dans la joue est de la tour 8 ; des trous de boulin percés sous le seuil de cette baie indiquent une construction de bois, vraisemblablement un pont volant en plan incliné qui devait s'appuyer sur une pile de maçonnerie dont nous avons retrouvé la base un peu de côté à gauche de la poterne.

L'assiégeant qui aurait atteint cette poterne et pénétré dans la salle basse de la tour 8 aurait trouvé celle-ci fermée par une herse du côté du terre-plein entre les deux enceintes.

Flanc Est du Saillant 7

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Flanc Est du Saillant 7, derrière le tas d'ordures, une poterne découverte
Photographe Lamblin, Frédéric

Enfin la troisième entrée, œuvre des Arabes comme on le verra, est une petite porte rectangulaire percée dans le flanc est du saillant 7 et menant par un petit escalier dans la salle de 60 mètres. Cette étroite ouverture ne donnait passage qu'à un homme à la fois, et l'escalier pouvait être facilement obstrué en cas d'attaque.

Entrée principale du Château

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Entrée principale du Château Le Crac des Chevaliers

L'entrée principale

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Entrée principale, Saillant 11.
Photographe Lamblin, Frédéric

L'entrée principale du Saillant 11, est assurément celle de l'est. Elle donne accès dans la Rampe voûtée, disposée en chicane, formant une ligne brisée composée de trois éléments ; nous verrons plus loin que ce premier élément est une œuvre rajoutée et que l'entrée devait être antérieurement au sud-est défendue par l'échauguette dont on retrouve aujourd'hui la base à la jonction (fig. 18 et plan 1, lettre a) du premier et du deuxième élément. Ce premier élément de la Rampe est moins bien défendu que les autres ; il est vrai que le parement du saillant 11 a été remanié par les Arabes, mais il ne semble pas qu'il y ait eu de herse à cette entrée. Les voûtes de la Rampe sont toutes percées d'assommoirs carrés ou rectangulaires ; nous rappelons qu'à l'extrémité du premier élément, à l'endroit où on va atteindre le premier coude de la Rampe, se trouve une chambre de garde dont le mur est percé d'une archère qui prend d'enfilade ce premier élément. L'entrée du deuxième élément était sérieusement défendue :

1° Par l'échauguette d'angle

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Echauguette d'angle, image
Paul Deschamps

1° Par l'échauguette d'angle qui était indépendante avant que les Arabes aient lancé une voûte prenant appui sur son mur de base.

2° Par l'ouvrage M

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Base de la Tour I et sommet de l'Ouvrage M.
Image Paul Deschamps



3° Par le large assommoir ménagé en avant de sa porte.

4° Enfin par sa porte munie d'une barre de fer.

Le troisième élément a les défenses les plus importantes (PL. XC B) :
Chambres de garde latérales munies d'une archère, large assommoir, herse, porte et barre de fer.

5° La Herse

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Détail de l'arc, passage de herse, image
Paul Deschamps


Les deux archères qui encadrent ce passage semblent apporter un argument pour prouver qu'il constituait lors de la première campagne franque (teinte noire) une entrée de la forteresse. En effet, après la construction de la Rampe et spécialement de l'ouvrage G, ces archères n'avaient plus de raison d'être.

Ouvrage P et poterne.

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Ouvrage P et poterne. Image
Paul deschamps

La seconde enceinte et l'intérieur de la place ont, outre cette entrée, l'entrée de l'ouvrage P, peut-être comme nous le verrons, la plus ancienne de toutes, mais dont la poterne a été transformée (fig. 18, chiffre I). Cette poterne est, selon un principe constant des architectes byzantins, percée dans le flanc de l'ouvrage (18) ; c'est un système qu'on retrouvera dans plusieurs forteresses des Croisés notamment à Saône, à Subeibe et à Kérak de Moab (19).

fig. 18, chiffre I

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fig. 18, chiffre I

Une entrée ancienne, ouvrant dans la cour puis plus tard dans la salle aux piliers se trouvait au sud (fig. 37). Enfin de l'échauguette d'angle de la Rampe un petit pont conduisait à une porte percée à l'est dans le soubassement de la tour I.

fig. 37.

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fig. 37. (Dessin François Anus)

On compte quatre herses au Crac : celle de la Barbacane (poterne entre les tours 12 et 13), celle du troisième élément de la Rampe, celle de la tour 8, et celle de l'ouvrage M en face du fossé. Ces herses n'existent plus, elles étaient manœuvrées d'une salle haute et glissaient en avant des portes dans une rainure.

Les éléments de la défense

— Le climat et la coutume du pays ont fait adopter aux Croisés dans tous leurs châteaux de Syrie les terrasses au sommet de leurs ouvrages. Le crénelage qui défendait ces terrasses a complètement disparu au Crac.

Tandis que Rey, dans sa restitution (pl. VII de son livre), indique à presque toutes les constructions du Crac un crénelage normal avec merlons refendus par des archères, il présente aux grands ouvrages du sud des deux enceintes un autre système : le mur du chemin de ronde est percé de petites baies carrées ou rectangulaires comme si les créneaux étaient fermés dans le haut par un linteau. Ces baies servaient aux guetteurs, mais il est probable qu'elles étaient aussi un élément de la défense : on devait installer sur les plateformes des engins importants tels que des arbalètes à tour dont les projectiles passaient par ces baies carrées.

Il est évident que Rey n'a pas rétabli ce couronnement des ouvrages du sud sans avoir de témoins ; au surplus nous apercevons des baies carrées ou rectangulaires au mur en partie conservé de la courtine entre la tour J et la tour I sur la courtine entre la tour K et la tour O, enfin à la première enceinte au sud sur la courtine 8-9 à l'étage placé immédiatement sous le chemin de ronde ; ici les baies sont bouchées et alternent avec des archères.

Baies entre les tours J et I

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Baies entre les tours J et I. Image Paul Deschamps

Baies courtine tour K

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Baies courtine tour K. Image Paul deschamps

Baies courtine 8-9

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Baies courtine 8-9. Image Paul deschamps

Il est évident que Rey n'a pas rétabli ce couronnement des ouvrages du sud sans avoir de témoins ; au surplus nous apercevons des baies carrées ou rectangulaires au mur en partie conservé de la courtine entre la tour J et la tour I sur la courtine entre la tour K et la tour O, enfin à la première enceinte au sud sur la courtine 8-9 à l'étage placé immédiatement sous le chemin de ronde ; ici les baies sont bouchées et alternent avec des archères.

Les archères

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Porte flanquée d'archères ouvrant sur la salle basse entre les Tours J et I en direction de la cour. Image Paul deschamps

— Si l'on examine les archères de l'extérieur on fait aussitôt deux observations. En premier lieu, on voit qu'à certaines courtines où se trouvent deux ou plusieurs étages de défenses ces archères chevauchent, c'est-à-dire qu'elles ne se superposent pas sur la même ligne verticale et qu'elles alternent, ce qui était plus favorable à la défense puisqu'ainsi les postes de tir étant mieux répartis, le champ battu par les projectiles avait un plus grand nombre de points de chute; en outre, lorsque des archères se superposent verticalement, la muraille offre sur cette ligne une résistance moindre au choc des boulets de pierre.

Le chevauchement des archères s'observe notamment au front ouest de la première enceinte ainsi qu'aux courtines 8-9 et 11-12. On peut dire que presque partout dans le château, les archères percées par les Francs chevauchent ; nous verrons qu'en plusieurs endroits de la première enceinte elles ne chevauchent pas et ce sera dans des parties de l'édifice restaurées par les Arabes (20). On remarquera surtout au front ouest de la première enceinte, dont l'ordonnance est si homogène, la bonne disposition des archères pour éviter tout angle mort où les projectiles n'auraient pu atteindre et pour permettre aux tirs de s'entrecroiser : les archères des courtines ainsi que celles des tours chevauchent (PI. LXXIV B) ; les archères de la salle basse de chaque tour sont disposées à angle droit, celles des joues sont percées presque contre le point de jonction de la courtine et de la tour, si bien que les assiégeants qui auraient voulu saper la base des murs auraient été attaqués aussi bien de flanc que de face, sans compter l'attaque du haut des murs par les bretèches.

La seconde observation porte sur la forme de la fente des archères. Dans les plus anciennes, celles qu'on voit aux courtines flanquant le chevet de la chapelle et au chevet même, la base est horizontale, sans évidement ; le sommet est arrondi en arc plein cintre (fig. 34 et type I, fig. 53 A).

Fig. 53 A — Meurtrière type 1

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Fig. 53 A — Meurtrière type I. Salle au flanc sud de la chapelle.

Ces archères sont très espacées et la défense de la muraille était assez mal assurée (écart des archères des courtines encadrant la chapelle, 11 mètres environ ; écart des archères au front ouest de la première enceinte, 6 mètres environ).

Le petit arc plein cintre au sommet se retrouve aux hautes archères des grandes tours rondes de la seconde enceinte O. K. J. et à certaines archères du couloir voûté sous le talus au sud (PL XCVIIB, fig. 37, et types 4 et 7, fig. 53 E et H).

On voit à la première enceinte un grand nombre d'archères d'un type amélioré : Elles ont leur base évasée en forme d'étrier (PL LXXIV B, fig. 21 et type 2, fig. 53 B) pour augmenter la plongée et permettre un tir très rapproché du pied de la muraille.

Fig. 53 B - Meurtrière type 2

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Fig. 53 B - Meurtrière type 2, archère d'une tour du front ouest.

Fig. 53 C — Meurtrière type 3

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Fig. 53 C — Meurtrière type 3, chemin de ronde sous talus à l'ouest.

Ces archères se voient sur tout le front ouest de la première enceinte et sur d'autres parties de cette enceinte. On remarquera à la courtine 8-9 que les archères des étages inférieurs ont un étrier normal, tandis que celles de l'étage supérieur, où il fallait augmenter la plongée ont un étrier plus large et plus évasé (PI.LXXIXB) (21). Les archères des ouvrages 6 (fig. 26), 7 et 9 (fig. 32) et des fronts des tours 12 (fig. 22) et 13 (fig. 24-25) que nous attribuons aux Arabes sont sans étrier ; tout au plus voit-on un très petit évidement dans la pierre qui sert de base à l'archère (fig. 22) (22).

L'ouvrage M que nous croyons franc possède une grande archère dont la fente est simplement rectangulaire, mais cet ouvrage étant précédé immédiatement d'une autre construction à sa base, la défense n'exigeait en cet endroit qu'un tir horizontal et non un tir en plongée.

Fig. 53 D - Meurtrière type 3 bis

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Fig. 53 D - Meurtrière type 3 bis, chemin de ronde sous talus au sud.

Fig. 53 E — Meurtrière type 4

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Fig. 53 E — Meurtrière type 4, archère de la tour J.

Quelques archères ouvraient sur l'intérieur de la place : leur rôle, plutôt que défensif, était surtout de servir à l'éclairage : ainsi les deux archères flanquant une porte qui débouchait au sud sur la cour et celles qu'on voit sur la face du saillant 7 regardant la seconde enceinte.

Mais les archères qui se trouvaient au couronnement des trois grandes tours du sud (2e enceinte) sur leur face postérieure, c'est-à-dire du côté de la cour, avaient certainement un rôle défensif ; on sait que ces trois ouvrages constituaient une sorte de donjon aménagé pour résister, alors que le reste de la place aurait été pris par l'ennemi.

D'après les dessins de Rey on peut conclure que des archères étaient refendues dans les merlons. La chose se voit d'ailleurs aux merlons encore conservés du donjon de Safitha.

Fig. 53 F — Meurtrière type 5

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Fig. 53 F — Meurtrière type 5, tour 6, meurtrière centrale.

Si l'on examine les archères, vues de l'intérieur, on constate qu'elles se présentent sous divers aspects : les unes s'ouvrent dans une simple embrasure profonde (courtines flanquant la chapelle, début de la Rampe, salle haute du saillant 11, courtine 11-12, courtine 8-9, salles des tours K et J, couloir voûté sous le talus). Cette embrasure est encadrée d'un berceau brisé et voûtée en berceau rampant (types I et 3 bis) et parfois la pierre qui surmonte le sommet de la fente de l'archère est taillée en arc légèrement brisé (types 1 et 5), ou bien l'embrasure est couverte par une voûte en berceau surbaissé (type 4, salle haute de la tour J).

Fig. 53 G — Meurtrière type 6

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Fig. 53 G — Meurtrière type 6, tour 10, salle supérieure.

Fig. 53 H — Meurtrière type 7

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Fig. 53 H — Meurtrière type 7, chemin de ronde sous le talus au sud.

D'autres archères ont leur embrasure moins profonde, mais précédée d'une grande niche plus large qui laissait plus d'aisance aux défenseurs et permettait peut-être à deux archers d'alterner, l'un rechargeant son arme pendant que l'autre tirait. Cette grande niche est voûtée en berceau brisé ; les embrasures qu'encadrent ces niches sur le front ouest de la première enceinte sont rectangulaires (type 2) et c'est le système le plus répandu. Parfois pour donner un peu de place dans l'embrasure et éviter que l'archer se heurte la tête en reculant, on a évidé les angles supérieurs de ce cadre rectangulaire par un quart-de-rond concave (type 3) qui se voit en divers endroits de la forteresse notamment à l'archère centrale de la tour O. Quelques archères nous montrent un quart-de-rond en saillie c'est-à-dire convexe, au lieu d'un quart-de-rond en creux c'est-à-dire concave (type 6, tour 10). Certaines niches d'archères exécutées par les Arabes ont leur ouverture munie d'un appareil compliqué et orné d'un décor d'encadrement (fig. 22-26, 29-32).

Les mâchicoulis, les bretèches et les assommoirs

— Tandis que pendant tout le XIIe siècle et encore au XIIIe siècle en France on couronnait de hourds de bois les courtines et les tours, les Croisés se mirent de très bonne heure en Syrie à remplacer ces constructions de charpente par des bretèches et des mâchicoulis de pierre. Il est possible que dans les premiers temps ils employèrent les hourds qu'ils avaient coutume de construire avant de venir en Orient. Ainsi Ousama dans son Autobiographie racontant le siège de Cafertab par les Musulmans en 50g de l'hégire (1115-1116) écrit ceci : « Les Francs se sentant perdus mirent le feu à la citadelle et incendièrent les hourdages » (23).

Mais les Francs durent vite remplacer les hourds par les bretèches de pierre, d'abord parce que le bois de construction était rare en Syrie et aussi parce qu'ils trouvèrent en Syrie les bretèches utilisées depuis longtemps comme élément de défense. Ils durent emprunter ce système aux constructions militaires gréco-romaines et byzantines qu'ils rencontrèrent sur le sol de la Syrie. A Qasr-el-Heir on voit au-dessus d'une entrée une bretèche qui selon M. A. Gabriel date d'avant l'Islam et peut être attribuée au Ve ou au VIe siècle (24).

Dans les châteaux francs nous trouvons, peut-être dès le début du XIIe siècle, l'usage timide encore de la bretèche au château de Saône : on voit les; vestiges de quelques petites bretèches reposant sur deux corbeaux placées en des points ayant particulièrement besoin d'être défendus.

Au Crac on voit aux ouvrages de la première enceinte de nombreuses bretèches reposant sur deux et trois corbeaux, c'est-à-dire constituant un ou deux mâchicoulis. De la plupart de ces bretèches, notamment au couronnement des tours et des courtines de l'ouest, seuls les corbeaux de base subsistent, mais à l'est et au nord les bretèches ont été en partie conservées. Un certain nombre d'entre elles sont incontestablement franques, car nous avons trouvé plusieurs marques certainement dues aux tailleurs de pierre francs gravées soit à l'intérieur des bretèches soit sur les corbeaux (25).

Deux bretèches plus importantes sont munies de quatre corbeaux : l'une au-dessus de l'entrée de l'est remontée par flanc nord-est de l'ouvrage P qui doit être franque.

Brétèche entre les tours 12 et 13

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Fig. 54. — Brétèche entre les tours 12 et 13, la plus à l'ouest. (Dessin François Anus)


Enfin on voit à la courtine 4-5 des bretèches plus importantes, à 5 corbeaux, aujourd'hui à un remaniement des Arabes encore intactes, nous verrons qu'elles sont dues après la prise du Crac (fig. 55).

Bretèche entre les tours 4 et 5

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Fig. 55 — Bretèche entre les tours 4 et 5, la quatrième en venant du nord. (Dessin François Anus).

Nous avons vu à Saône apparaître les premières bretèches franques. Il semble qu'on y voit aussi l'ébauche du large mâchicoulis (26) reposant sur de grands arcs placé en avant de l'ouvrage P du Crac (PI. XLVIIA). En effet à Saône deux entrées sont défendues par un grand arc dominant la porte, laquelle se trouve en retrait dans la muraille, et entre cet arc et le haut du mur est ménagé un espace qui constituait un mâchicoulis.

Au Crac le système est plus développé et le mâchicoulis défend non pas une porte, mais la face étendue d'un grand ouvrage rectangulaire ; sur la base de la muraille et sur deux piliers s'enfonçant dans un talus viennent s'appuyer trois grands arcs lesquels soutiennent un mur avancé séparé du mur de l'ouvrage par un assez large espace par lequel tombaient les projectiles lancés de la terrasse ou de la salle haute de l'ouvrage et qui ricochaient sur le talus pour défendre le passage en avant de l'ouvrage. Nous avons vu que ce système apparaît dès la fin du XIIe siècle en France, notamment à Château-Gaillard. On peut donc penser qu'il a été rapporté de Terre-Sainte dans notre pays (27).

Les galeries de mâchicoulis

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Courtines 7 et 8, galerie de machicoulis avec sa couverture intacte. Photographe Lamblin, Frédéric

— Qu'on réunisse plusieurs bretèches ou qu'on établisse une nombreuse série consécutive de corbeaux, on obtiendra la galerie de mâchicoulis. Cette étape si facile, semble-t-il, à réaliser pour améliorer la défense du couronnement d'une forteresse, il n'est pas certain que les Francs l'aient atteinte. On verra plus loin que les galeries de mâchicoulis qui subsistent au Crac nous paraissent avoir été entreprises les unes par Beibars aussitôt après la prise du château en 1271, les autres un peu plus tard par Qélaoun (28). La seule hésitation qu'on pourrait avoir en faveur d'une galerie de mâchicoulis exécutée par les Francs au Crac serait au sujet de la galerie qu'on voit au sommet de la face principale de l'ouvrage P. Cette galerie est aujourd'hui très mutilée, toute son architecture en encorbellement étant tombée. Il n'en reste que le début des niches ouvrant sur la salle haute. Ce qui est conservé nous fait voir que c'est une grande bretèche à treize corbeaux et l'on constate que cette bretèche ne fait pas retour sur les flancs de l'ouvrage. Ce n'est donc pas une galerie aussi adroitement exécutée que celle que nous voyons au saillant 7 et qui est assurément l'œuvre du sultan Qélaoun. D'autre part dans plusieurs des niches se voient des marques franques.

Quoi qu'il en soit et même si l'on voyait ici un premier essai par les Francs d'une galerie de mâchicoulis, il semble bien que ceux-ci ont emprunté ce système aux Arabes qui paraissent l'avoir employé assez souvent à la fin de l'époque des Croisades dans leurs forteresses. D'après M. J. Sauvaget, les plus anciennes galeries de mâchicoulis arabes dateraient du deuxième quart du XIIIe siècle (Bosra et Damas).

On sait que les galeries de mâchicoulis apparurent à peu près à la même époque en France. Le système qu'on voit pratiquer en Syrie est différent de celui qui fut adopté en France : en Syrie la galerie de mâchicoulis constitue, avec sa couverture de pierre en glacis, un encorbellement formant comme une ceinture en avant des murs. Le crénelage et les assises qui le soutiennent se trouvent donc à l'aplomb du mur de base. Ainsi les galeries de mâchicoulis de Syrie sont construites suivant le même principe que les bretèches.

En France c'est le mur extérieur de la galerie de mâchicoulis qui porte le crénelage ; ainsi le chemin de ronde de la courtine est en encorbellement sur la muraille et la plateforme de la tour est plus large que sa base. Lors du passage de Rey au Crac en 1859, les galeries de mâchicoulis du front sud, dues aux Arabes, étaient encore intactes (PL LXXVIA) ; il n'en reste plus aujourd'hui de vestiges complets avec toiture de pierre qu'à une partie de la tour 5 et à une partie de la courtine la touchant à l'est, ainsi qu'à la courtine 7-8 contre le flanc est du saillant 7 (fig. 56).

Les échauguettes

— On voit au Crac trois échauguettes dont la base débordante s'appuie sur des consoles au sommet d'un ouvrage : deux se trouvent au flanc est de la tour K, l'une dominant l'intérieur de la place vers le nord, l'autre dominant le grand fossé du sud. Rey a supposé avec beaucoup de vraisemblance qu'au sommet de celle-ci flottait l'étendard du gouverneur de la forteresse (PL XLIV, XCVIA et XCVII).

La troisième échauguette dont il ne reste que la base, se dressait au-dessus du mur d'angle commandant l'entrée de la Rampe au sud.

Fig. 56.

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 56. — Coupe et Plan d'un élément de la galerie de mâchicoulis au front sud de la ir« enceinte (courtine flanquant le saillant 7 à l'est). Dessin A. Quétard.

Les assommoirs

— On voit dans toutes les parties de la forteresse de nombreux orifices carrés ou rectangulaires percés dans les voûtes : on les appelle des assommoirs. On les voit dans la Rampe, dans la salle de 120 mètres, dans la salle aux gros piliers, dans la salle basse de la tour 6, etc. Ces assommoirs pouvaient assurément servir à la défense en cas de siège, mais leur destination principale était de servir de bouches d'aération et d'éclairage, chose indispensable dans certaines salles obscures comme la salle de 120 mètres. En certains endroits même ces orifices ne pouvaient avoir que ce rôle : dans ces régions très chaudes les Croisés avaient souvent des logements en sous-sol ; ainsi à Kérak de Moab toute la cour supérieure est placée au-dessus de salles et c'est pourquoi en circulant dans cette cour on trouve plusieurs grands orifices circulaires qui apportaient de l'air et de la lumière au sous-sol. Il en est de même à l'Esplanade du Crac où des orifices viennent éclairer la salle aux gros piliers.

Les éléments d'habitat et de subsistance (29)

— En 1212, Wilbrand d'Oldenbourg nous dit que le Crac avait deux mille combattants. Il fallait une certaine organisation pour faire vivre convenablement une si nombreuse garnison. Le même Wilbrand d'Oldenbourg parlant de Margat nous dit qu'il s'y trouvait des vivres en réserve pour cinq ans. Ces vivres devaient consister en troupeaux qui vivaient dans le voisinage de la forteresse en temps de paix et qu'on rassemblait dans la forteresse quand on apprenait l'approche de l'ennemi ; on devait avoir aussi une quantité de grains en réserve, ainsi que de viandes salées et séchées. Les forteresses renfermaient donc de grands magasins, des celliers et des écuries.

En outre il fallait des dortoirs pour la troupe et l'on voudrait pouvoir retrouver la distribution de tous ces logements (30).

Approvisionnement d'eau

— Outre le puits, profond de 27 mètres avec 9 mètres d'eau (Plan 3, voyez chapitre II). M. Anus a encore retrouvé 9 citernes (Plan 3, C 2 à C 10). Ces citernes étaient alimentées par l'eau de pluie qui descendait des terrasses par des canalisations de poterie. Au sommet de la tour O on voit des dalles creusées qui menaient l'eau à une cuvette percée d'un trou par où cette eau descendait dans des tuyaux de poterie jusqu'à une canalisation souterraine qui sous le couloir voûté du talus suit les murailles et va aboutir à une citerne placée en avant de l'ouvrage P (C 10).

Deuxième enceinte, front Sud

Château Le Crac des Chevaliers
Deuxième enceinte, front Sud, vue prise de l'Est, Tours K, J, grand Berquil
Image Paul Deschamps

La garnison du Crac avait encore une importante provision d'eau dans le grand réservoir (berquil) qui se trouve entre les deux enceintes au sud et qu'alimente l'aqueduc construit en avant de la première enceinte, ainsi que les tuyaux de poterie descendant des grandes tours du sud.

Front Sud, aqueduc

Château Le Crac des Chevaliers
Front Sud, aqueduc, extrémité de la Courtine 6 et 7 et flanc Ouest du Saillant montrant le corbeau entamé par l'adjonction du Saillant 7
Photographe Lamblin, Frédéric

D'autres châteaux des Croisés ont aussi de grands réservoirs, mais ils sont en général en dehors de l'enceinte, car ils occupaient une grande étendue et on cherchait toujours à réduire la superficie des enceintes.

Ces réservoirs servaient, ainsi que le dit le texte concernant la construction du château de Saphet entreprise par les Templiers en 1240, à abreuver et à baigner les animaux et à arroser les légumes. Les soldats devaient aussi s'y baigner, car les Croisés en Orient avaient pris l'habitude des bains fréquents.

Au Crac on a trouvé le moyen de mettre ce réservoir à l'intérieur de la première enceinte et de le faire participer à la défense d'un front de la seconde enceinte.

Moulin à vent

— Enfin nous avons signalé la trace d'un moulin à vent au Crac sur la plateforme de la tour 1. Le texte que nous signalons plus haut mentionne à Saphet l'existence de 12 moulins à eau hors des murs et de moulins à vent et de moulins mus par des animaux à l'intérieur de la forteresse.

Four à pain

Château Le Crac des Chevaliers
Four de la salle de 120 mètres. Image Paul Deschamps

— Dans la salle de 120 mètres, non loin du puits, on voit un grand four à pain découvert pendant les déblaiements des salles basses du château entrepris lors de la mission de 1927-1928. M. François Anus a bien voulu rédiger sur les dispositions de ce four l'intéressante étude que nous reproduisons ci-dessous :

NOTE SUR LE FOUR RETROUVÉ AU CRAC DES CHEVALIERS

Lors du premier passage de la mission au Crac, les ordures déposées dans la salle de 120 mètres, au front ouest de la seconde enceinte, cachaient tout reste de construction ancienne. C'est à la fin de 1928 que le détachement de troupes envoyé pour l'enlèvement des ordures a mis à jour les restes d'un four.

Ce four est construit dans la salle de 120 mètres à peu près au milieu du front ouest de la deuxième enceinte. Le plan de la figure 57 rend compte de ses dispositions.

Etat actuel du four

Château Le Crac des Chevaliers
Fig. 57 — Etat actuel du four retrouvé dans la salle ouest. (Dessin François Anus).

Description du four

— La chambre inférieure et le four proprement dits sont exécutés en briques de 22 x 12 x 4 cm. De couleur rouge foncé, cette brique est cuite très également ; d'un grain fin et compact, elle témoigne d'une bonne fabrication. Le tuyau de fumée est exécuté en pierres calcaires, appareillées en assises de 30 à 45 cm. de hauteur. Ce tuyau est monté entre deux écoinçons construits en moellons assisés.

Le travail de fouille ne pouvant être exécuté sans une surveillance et une main-d'œuvre spéciales, nous avons simplement vidé l'enceinte des débris qui l'encombraient et nous avons creusé un trou devant la face Sud pour atteindre le seuil de la porte inférieure. Ce travail a permis de constater que la voûte de brique était crevée en son centre. L'étage supérieur du four et le raccordement du tuyau à la voûte, avaient disparu antérieurement. Pour terminer la recherche, il y aura lieu de poursuivre les déblaiements jusqu'au niveau du seuil de porte inférieure tant à la face Nord, qu'aux faces Sud et Est.

Les restes de construction examinés, permettent de donner les précisions suivantes :
1° L'étage inférieur est circulaire (diamètre 4 m. 95). Le mur circulaire a 40 cm. de hauteur et 65 cm. d'épaisseur. Sur ce mur est posée une calotte sphérique qui donne pour cet étage et à la clé une hauteur de 99 cm. L'épaisseur à la clé est de 22 cm. Une porte plein cintre de 88 cm. de large permet l'accès à cet étage par le côté Sud.

2° L'étage supérieur est circulaire, mais d'un diamètre (d= 5 m. 30) plus grand que le premier. Le mur est conservé sur une hauteur de 76 cm. La dernière assise en place est posée en pente vers le centre. La voûte manque. Un grand nombre de briques étaient mêlées aux détritus. Cet étage ne présente comme accès que l'arc du mur contenant le tuyau de fumée. Cette disposition du chauffage par le devant est encore employée dans les fours de boulangerie modernes.

3° Le tuyau d'évacuation (T. F. du plan, fig. 57) en pierres de taille a 145x45 de section. Les épaisseurs de protection étaient de 32 cm. Sur la face Nord, l'arc d'entrée s'ébrase en deux pans coupés, avec un surbaissement de l'arc extérieur. Ce surbaissement, très logique, a nécessité une coupe spéciale de claveaux, coupe qui est parfaitement exécutée.

Dans le même mur, une porte de 1 m. de large a été réservée sur le côté Est de la salle. Elle est permise par un désaxement général du four dans la salle. Construite avec la même qualité de pierre, que le tuyau de fumée, appareillée en quart de cercle, elle paraît contemporaine du four.

On peut remarquer que les cotes précédentes sont des multiples ou des sous-multiples simples d'un pied qui avoisinerait 33 cm.

Fonctionnement du four

— Les lignes pointillées 1234 et 5678 indiquent la restitution proposée pour compléter l'état actuel du four. Cette construction se présentait comme un cube de briques accolé au mur de refend.

L'étage supérieur constitue le four proprement dit. Il est analogue aux fours d'origine ancienne, qui sont encore utilisés dans certaines propriétés éloignées de centres importants, notamment dans le Limousin et l'Aveyron.

Pour chauffer le four, on l'emplissait de morceaux de bois sec, disposés régulièrement dans l'enceinte. L'opération de chauffage devait être fort longue et nécessiter une grande quantité de combustible. Afin de fixer les idées, disons qu'à l'heure actuelle, la première mise à feu d'un four de 12 mètres carrés, nécessite un mois de chauffage continu. Or le four du château à 21 mètres carrés de surface. Ce temps est nécessaire, car l'élévation de température doit se produire doucement et régulièrement, pour éviter des désordres de construction. Il est probable que le four était gardé tiède en permanence et que les cuissons étaient suffisamment rapprochées pour n'exiger qu'un réchauffage partiel.

Nous n'avons pas retrouvé dans le château de trace de pétrin ou d'instrument de panification, cependant il est probable que ce travail s'effectuait du côté Nord de la salle. Il était nécessairement fait à proximité du four. Il exigeait beaucoup d'eau. Nous avons retrouvé au jambage Sud de la porte donnant sur la salle aux piliers une arrivée d'eau branchée sur une tuyauterie en cuivre.

La chambre basse servait à faire lever le pain, pour remplacer ou tout au moins accélérer l'action des levures lentes. La pâte, après avoir été travaillée par le mitron dans le pétrin, était divisée et déposée dans les panettes.

Ces panettes, pour permettre à la pâte de lever, devaient être déposées dans un endroit sec, de température assez élevée et sans courant d'air. La chambre basse répondait à ces conditions. Cette disposition existe du reste encore dans certains fours anciens, où la chambre basse a deux fins : elle servait, avant la mise au four, de chambre de fermentation et pendant les intervalles de fournée, elle permettait un séchage du bois de chauffage.

La fermentation du pain demandait plusieurs heures. Pendant cette opération, les compagnons boulangers réchauffaient le four jusqu'à la température de cuisson. Ils retiraient les braises et les mitrons apportaient les panettes de pain levé. Les pains posés sur les pelles de bois étaient enfournés par l'entrée Nord du four.

La coupe AB montre qu'il existe une différence de niveau de 40 cm. entre le seuil d'enfournement et l'aire de briques qui forme le sol actuel du four. Cette disposition semble vicieuse à première vue, car elle gênerait la manipulation de la pelle d'enfournement, qui doit glisser sur le sol d'entrée pour passer sans secousse sur le sol intérieur. Il faut croire que dès cette époque, les constructeurs connaissaient la disposition suivante actuellement encore courante dans la boulangerie : l'action de la chaleur et les dégradations dues aux manipulations du bois et du pain nécessitent que l'aire du four soit exécutée en briques très dures, très résistantes au feu et facilement remplaçables. C'est pourquoi on dispose sur l'aire de briques une couche de sable et sur le sable une assise de carreaux réfractaires posés sans lien de mortier. C'est cette protection qui devait occuper les 40 cm. actuellement vides. Les carreaux non liaisonnés ont été enlevés facilement à une époque postérieure.

On remarquera qu'à la face Nord le sol ancien n'est pas encore découvert. Il était nécessaire que le compagnon boulanger manipulant la pelle, marchât sur un sol descendu de 110 à 120 cm. par rapport au seuil d'entrée (voir élévation Nord. Sol à rechercher). La fouille sera nécessaire pour confirmer cette nécessité de métier.

Epoque de construction du four

— Le four a été rajouté dans la salle de 120 mètres, car le mur portant tuyau de fumée et le massif de briques sont simplement collés contre le mur exécuté lors de la première campagne.

Dans le mur Est de la salle sont percées deux portes. La plus au Nord paraît de l'époque primitive, la porte la plus au Sud semble avoir été ouverte postérieurement dans le mur existant. L'appareil de cette porte, la qualité de la pierre la rattachent à l'époque de construction du mur de cheminée. Par contre, le recul du tableau de porte dans l'intérieur du mur semblerait indiquer une porte donnant sur une cour extérieure. La porte étant contemporaine, il semble logique de croire que le four a été exécuté avant la salle placée sous l'esplanade.

Une porte s'ouvre dans le mur Ouest et fait communiquer la salle avec le couloir voûté du talus. Nous remarquerons que cette porte résulte de la transformation d'une meurtrière contemporaine de la première campagne. Le parement Nord intact, conserve sa direction oblique et son appareil ancien. Le parement Sud a été reconstruit parallèlement au côté Nord, une tête de pierre a été réservée pour permettre le battement d'une porte. Dans la face Nord, la tête n'existe pas, et le constructeur a encastré un gond de rotation en pierre basaltique. Ce gond en place est visible sur la PL CVID. La meurtrière primitive flanquait le côté Sud du saillant carré existant primitivement, avant la création de la tour ronde O (voir plan 4 et l'étage au-dessus). L'exécution de la tour ronde O et du mur en talus rendait cette meurtrière inutile ; par contre son agrandissement en porte était tout indiqué pour permettre une communication à l'extrémité du couloir voûté. Cette porte est certainement contemporaine de la campagne indiquée en rouge sur le plan N° 4. Cette disposition affirme une des nécessités des chemins de ronde des talus. La salle de 120 mètres occupée par des installations auxiliaires telles que le four, le puits, les groupes de latrines, ne permettait pas une circulation rapide et facile. Au contraire les chemins de ronde en cas de tirs plongeants dans la place, ou simplement d'intempéries permettaient le déplacement rapide des occupants d'un point à l'autre de la seconde enceinte.

Le mur de l'Ouest est éboulé au-dessus du four. L'ancienne meurtrière avait été bouchée par suite de la hauteur de construction du four. Un jour d'éclairage et d'aération est disposé presque au-dessus du centre du four, un autre au-dessus de l'entrée de la chambre basse.

On peut conclure de ces diverses remarques que le four a été construit après la première campagne (en noir sur les plans) et avant la salle sous l'esplanade. Aucun signe de construction ne permet d'autre précision.
Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Notes — OBSERVATIONS SUR LES ELEMENTS D'ARCHITECTURE DU CRAC

1. Voir ci-dessus, chapII (Description).
2. Rey, Archit. milit. des Croisés, pages 15-16. Voyez aussi C. Enlart dans André Michel, Histoire de l'Art, tome I, 2e partie, p. 584-585.
3. M. René Dussaud a contesté avant nous l'opinion formulée par Rey (Voyez Voyage en Syrie, octobre-novembre 1895, dans la Revue archéologique, 1896, t. I, p. 11 à 14).
4. Les assises des talus de la rampe et des grands talus des fronts ouest et sud de la deuxième enceinte ont 0 m. 55 de hauteur ; beaucoup de pierres ont environ 1 mètre de long. Les assises des tours rondes de la seconde enceinte ont 0 m. 55 et 0 m. 60 de haut.
5. Fr. Cumont, Fouilles de Doura-Europos, Paris 1926, p. 20-21.
6. R P. Abel, Exploration dans la vallée du Jourdain, dans Revue biblique, 1913, p. 230-234, fig. 9.
7. Introductory remarks on the distinctive and spécifie character of Crusading Masonry... A. Masons'marks (avec page 10, un tableau de marques de tâcherons relevées dans un certain nombre de monuments des Croisés notamment au Crac des Chevaliers par Rey, Van Berchem, R. Dussaud). B. The Mediaeval tooling of stones by the Crusaders ; dans Archaeological Researches in Palestine during the years 1873-1874, vol. 1 (Palestine Exploration Fund, 1899), p. 147.
8. M. Albert Chauvel, Architecte en chef des Monuments historiques, prépare une Etude sur la taille des pierres au moyen-âge ; nous espérons qu'elle paraîtra bientôt dans le Bulletin monumental.
9. On trouvera dans l'article de Clermont-Ganneau, que nous venons de citer, un tableau (p. 10), de nombreuses marques relevées dans plusieurs monuments des Croisés, notamment au Crac des Chevaliers, par Rey, Van Berchem et R. Dussaud.
10. L'une de ces marques arabes se retrouve à la citadelle de Damas où l'on ne voit qu'un très petit nombre de signes lapidaires. (Voy. J. Sauvaget, La citadelle de Damas, dans Syria, tome XI, 1930, p. 71 et note 1, fig. 7). Au contraire à l'enceinte et à la citadelle d'Alep, on voit des marques assez nombreuses tout-à-fait semblables aux marques franques, certaines d'entre elles se retrouvent exactement semblables à celles du Crac. Enlart et Van Berchem (Van Berchem, p. 216-218, fig. 129) considéraient que ces marques d'Alep étaient la preuve que des prisonniers francs avaient travaillé aux défenses d'Alep et c'est aussi l'opinion de M. Sauvaget qui a relevé une trentaine de signes différents sur les pierres d'Alep : L'enceinte primitive d'Alep, dans Mélanges de l'Institut français de Damas (section des Arabisants), tome I, 1929 (Beyrouth, impr. cathol., 1929), p. 135, fig. 4.
11. J. Sauvaget, La citadelle de Damas, dans Syria, 1930, planche XIV, fig. 2.
12.Enlart, Les monuments des Croisés, I, p. 78-79.
13. Enlart, Les monuments des Croisés, I, p. 67.
14. Ouvr. cité, I, p. 69. L'emploi des deux systèmes s'observe également en France à la même époque. A la fenêtre absidale de la chapelle du Crac l'arc muni de pierres à bossage a une clef ; il en est de même à l'arc de la poterne qui domine le grand fossé de Saône, cet arc étant aussi muni de bossages. Nous signalerons encore au Crac d'autres arcs ayant une clef : une porte de l'ouvrage P, dans la cour la porte par laquelle on sort de la rampe, ainsi que la porte voisine en direction du nord.
15. Même observation à Margat et à une porte de la ville de Kérak de Moab. M. Albert Gabriel observe le même système aux portes de Rhodes (La cité de Rhodes, tome II, p. 133, fig. 95).
16. On verra des baies analogues aux murs d'enceinte d'Aigues-Mortes, construits à la fin du xme siècle.
17. Cette entrée a dû être endommagée pendant le siège de 1271 et a été restaurée par les Arabes.
18. Ch. Diehl, L'Afrique Byzantine, Paris, 1896, p. 160 et ss.
19. Paul Deschamps, Les entrées des châteaux des Croisés en Syrie et leurs défenses, dans Syria, tome XIII, 1932, p. 369-387.
20. M. Sauvaget a constaté à la citadelle de Damas que les archères ne chevauchent pas (La citadelle de Damas, dans Syria, 1930, p. 66).
21. La même chose s'observe en France, notamment à Aigues-Mortes. Cf. Bothamly, The walled iown of Aigues-Mortes, dans Archaeological Journal, t. 73, 1916, p. 217-294.
22. M. Sauvaget remarque (La Citadelle de Damas, dans Syria, 1930, p. 66-67) que dans les forteresses arabes la plongée des archères est nulle. Ainsi nous devons constater qu'à la même époque le système défensif des archères était plus perfectionné chez les Francs que chez les Arabes.
23. Revue de l'Orient latin, t. II, 1894, p. 402.
24. A. Gabriel, Qasr-el-Heir, dans Syria, tome VIII, 1927, p. 317 et pl. XC. Les Arabes employèrent peut-être les bretèches avant l'arrivée des Francs. Malheureusement presque toutes les constructions militaires syriennes sont découronnées. En tout cas, M. Sauvaget cite des bretèches arabes dans des constructions de l'époque des Croisades, à Palmyre au-dessus de l'entrée du Temple de Bel (XIIe siècle) et une série de bretèches des XIIe et XIIIe siècles aux portes de Damas et d'Alep (voir art. cité, p. 69, n. 1, et Inscr. arabes du Oemple de Bel à Palmyre, dans Syria, t. XII, I931 2).
25. Nous croyons qu'il faut au moins attribuer aux Francs les bretèches (à deux corbeaux, intactes) de la courtine 11-12 jusqu'à l'angle que fait la courtine à proximité de la tour 12, et celles (dont il ne reste que les corbeaux) des tours 1 à 4, et de la courtine 8-9. Les Arabes ont dû remonter, en utilisant parfois des corbeaux francs, d'autres bretèches, notamment celles de la courtine 12-13 (Fig. 54) et celles du saillant 11.
26. Cf. Paul Deschamps, Les entrées des châteaux des Croisés et leurs défenses, dans Syria, 1932, p. 375-376 et pl. LXXXI.
27. Voyez fig. 35 et Pl. XLVIIA.
28. Van Berchem (p. 144-145), signale deux autres exemples de galeries continues de mâchicoulis, l'une, aujourd'hui disparue, à la tour de Beibars à Kérak de Moab, l'autre aussi disparue à la porte orientale de l'enceinte de Damas, Bab Sarki, qui date de 1226. M. Sauvaget (art. cité, p. 69, n. 1) en signale un autre exemple à la tour d'As Salih Ayyûb, au coin nord-est de l'enceinte de Damas qu'il date de 1248.
29. Voyez ci-dessus Introduction.
30. Des mesures d'hygiène et de propreté s'imposaient : A une extrémité de la salle de 120 mètres où cette salle tourne, on voit un emplacement isolé du reste de la salle par un mur : là nous avons retrouvé deux groupes de niches (PI. CIII c) constituant douze latrines indispensables pour une nombreuse garnison. On voit aussi des latrines près de la salle haute de la tour K (logis du maître), aux étages de la tour J et à l'extrémité du couloir voûté du talus.

Sources : Paul Deschamps
Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934


Chapitre X

Table des Noms de Lieux figurant sur la carte

 A

Acharné (Château de Tell ibn Mascher ?).
Achéropitou.
Acre (Saint-Jean d') (Accon).
Adamodana = Amouda = Hémétié.
Adana.
Adjloun.
Ahamant ou Haman = Amman.
Aïas (l') = Ayass.
Aieslo (casal) = Elali ?.
Aïlat.
Akkar.
Akkar (plaine d').
'Al (Qasr Berdaouil).
Alaminno.
Al Bara.
Albe = Halba.
Alep.
Alexandrette.
Amida.
Anataba. Voyez Hatab.
Anavarza.
Anaz.
Anti-Liban (montagne)
Antioche.
Anti-Taurus (montagne).
Apamée. Voyez Fémie.
Aqabah.
Aqabah (golfe d').
Archas = Arqa ou 'Irqa.
Arcican ou Arzeghan = Erzgan ou Aini el Isan.
Aregh. Voyez Harrenc.
Arima = 'Areimé.
Arish (el). Voyez Laris.
Arsouz (Rhosus).
Arsur = Arsouf.
Artésie = Ard Artousi.
Artésie = Artah.
Ascalon. Voyez Escalone.
Asfouna.
Athareb. Voyez Cerep.
Athlit. Voyez Chastel-Pèlerin.
Aya. Voyez Baiesses.
Azot = Esdoud.

 B

Baalbeck.
Bab (el).
Baghras. Voyez Gastin.
Baiesses ou Aya = Payass.
Bakas (Shoghr et Bakas).
Balatunus = Qal'at Mehelbé.
Bâlis.
Bara ou Al Bara.
Barut = Beyrouth.
Bassuet = Qal'at Basout.
Bathemolin = Bass el Haye.
Beaufort ou Belfort (Sheqif Arnoun) = Qal'at esh Sheqif.
Behesne = Behesdin.
Beilan (col de).
Beit Djenn.
Beleism = Taiybet el Ism.
Belfort. Voyez Beaufort.
Belhacem = Bordj Aboul hacem.
Belik (rivière).
Bélinas (Panéas) = Banias.
Belmont = Deir Balamend.
Belmont = Soba.
Belqa.
Belvoir ou Cocquet = Kokab el Haoua.
Beqa (vallée).
Berrie (la grande) = désert de Tih.
Bersabée. Voyez Beth Gibelin.
Bersabée = Bir es Saba.
Bessan (le) = Beisan.
Besselmon = Beshlamoun.
Béthanie = el Azarieh.
Beth Gibelin ou Gibelin (parfois confondu avec Bersabée) = Beit Djibrin.
Bethléem.
Betire (casal) = Betaré.
Beyrouth. Voyez Barut.
Bikisraïl = Qal'at Béni Ysraïl.
Bile, ou Bir, ou Birta = Biredjik.
Birra. Voyez Mahomerie (la grande).
Blanche Garde = Tell es Safiyé.
Bochebeïs ou Bokebeïs = Abou Qobeis.
Bochée (la). Voyez Boquée.
Bokebeïs. Voyez Bochebeïs.
Bombrac = Ibn Ibraq.
Boquée (la) ou la Bochée = Bouqueia.
Bordj Arab.
Bordj er Rassas.
Bordj Maksour.
Bordj Mouhash.
Bordj Zara.
Bosra. Voyez Bussereth.
Boudroum Kalé.
Bourzey (Lysias) = Qal'at Berzé.
Bouser = Bousr el Hariri.
Boutron (le) = Batroun.
Bozaa.
Buffavent.
Buissera = Besharré.
Burie = Dabouriyé.
Bussereth = Bosra.
Butaha (plaine de) = el Butaiha.

 C

Cacho = Qaqoun.
Cademois = Qadmous.
Cafaraca = Kafr Aqqa.
Cafer Latha = Kefrlata.
Cafertab = Kafartab.
Caimont (le) = Tell Qeimoun.
Caïphas = Caïffa.
Calensué = Qalansaoué.
Calife ou Galife (Terre de).
Caneie as Estornels (la) = Ouad el Qassale.
Canzir = Kanzirieh.
Cap Saint-Raphaël = Sarfend.
Carmel = Kermel.
Cartamare = Kortmann ou Qourtmann.
Casal Aieslo = Elali ?.
Casal Betire = Betaré.
Casal Erhac = Kesrek.
Casal de la Plaine, voyez Castel des Plains.
Casal Robert = Kefr Kenna.
Casembelle = Keseb ou Kassab.
Castel des Plains, ou de la Plaine = Yazour.
Cavea Roob = Ouadi Rahoub.
Cave de Tiron (la) = Tyroun en Niha.
Cerep = Athareb = Terib.
Cérines = Kérynia.
Césaire (Césarée) = Qaisariyé.
Césaire (la Grand) = Sheïzar.
Chades = Qadesh.
Chambrelaine (la).
Chamele (la) = Homs.
Chastel Beroard = Minet el Qa-laa.
Chastel Blanc (Argyrokastron) = Safitha.
Chastellet (le) = Qasr el Athra.
Chastel-Pèlerin = Athlit.
Chastel Rouge = Qal'at Yahmour.
Chastel Ruge = Tell Kashfahan ?.
Château de li Vaux Moïse = Ou'aira.
Château du Roi = Mealia.
Châteauneuf = Hounin.
Cheroïdia.
Chiti.
Choghr. Voyez Shoghr.
Chypre (Ile de).
Cisembourg = Zambir ou Zembour.
Cisterne roonde (la) = Bir Keuhlé.
Cité Bernard d'Etampes (la) (Adraa) = Der'a.
Cocquet ou Belvoir = Kokab el Haoua.
Coïble = Khawabi.
Coliat ou Coliath = Qlei'at.
Corice. Voyez Coricie.
Coricie ou Corice (Cyrrhus) = Khoros = Eurup Peschember.
Corsehel = Qorsehil = Gueurzel.
Coure (le) = Gorighos.
Covocle = Kouklia.
Coxon = Gôgsoun.
Crac (le) ou Petra Deserti = Kérak.
Crac des Chevaliers ou Crac de l'Ospital (Hosn al Akrad) = Qal'at el Hosn.
Cursat = Qal'at Qoseir = Qal'at el Akd = Qal'at ez Zau.

 D

Damas.
Damour.
Darkoush.
Daron (le). Voyez Darum..
Darum (le) ou le Daron = Deir el Belah.
Demirek.
Derbessac. Voyez Trabessacv.
Derb el Hadjv.
Destroit (le) ou Pierre encise = Bab el Adjel.
Djebel Adjloun.
Djebel Akkar.
Djebel Ansarieh.
Djebel Druze.
Djebel el Hass.
Djebel Helou.
Djerash.
Djihan (fleuve).
Djisr esh Shoghr.

 E

Echelle de Bohémond. Voyez Soudin (le).
Edesse ou Rohez (Rohas) = Ourfa.
Emine = Armenaz.
Emmaüs = Amouas.
Engaddi.
Erbenambre = Habbnimra.
Erhac (Casal) = Kesrek.
Ericium = Houreisoun.
Escalone = Ascalon.
Esserk. Voyez Sarc (le).
Euphrate (fleuve).
Ezra.

 F

Famagouste.
Farama.
Felicium = Qal'at el Feliz.
Fémie (Apamée) = Qal'at el Moudiq.
Fève (la) ou Castrum Fabae = el Foulé.
Fier (le) ou Castrum Ficuum = Tell Medjadil.
Fleuve de Rochetaillée = Nahr el Faliq.
Flumen Amoris = Nahr Damour.
Flums as Cocatrix (li) = Nahr Zerqa.
Fontaine des Emaux ou Fontenoid = Qariet el Enab.
Fontaines (les) = el Ayoun.
Fontenoid. Voyez Fontaine des Emaux.
Forbie = Herbieh.
Fornos = Fournous Kalé.

 G

Gaban = Geben.
Gadres = Gaza.
Gaktha = Kiakhta.
Galatie (la) = Keratiyeh.
Gargar.
Gastin ou Gaston ou Guaston = Baghras.
Gastine Asor = Hazour.
Gastine Genenn = Djenin.
Gaston. Voyez Gastin.
Gastria.
Gaza. Voyez Gadres.
Géraple = Djerablous.
Gérin (le grand) = Djenin.
Gérin (le petit) = Zerin.
Gézin (le) = Djezin.
Ghab (vallée).
Ghor (vallée).
Gibelin. Voyez Beth Gibelin.
Giblet (Byblos) = Djebeil.
Glorieta.
Golfe d'Aqabah.
Gorighos. Voyez Coure (le).
Gouglag (Portes Ciliciennes) = Gulek Boghaz.
Gouris.
Grande Berrie (la) = désert de Tih.
Graye (île de) = el Qerayeh ou Djeziret el Fir'aoun.
Guaston. Voyez Gastin.
Gué de Jacob = Djisr Benat Yaqoub.

 H

Hab.
Habis (el).
Hadid = Hadadi.
Hadjeret Berdaouil.
Hama.
Haman ou Ahamant = Amman.
Harran.
Harrenc ou Aregh = Harim.
Hasbeya.
Hatab ou Anataba = Aïntab.
Hattin.
Hauran.
Hazart = Azaz.
Hébron ou Saint-Abraham.
Hermon (mont).
Heusn Mansour = Adiaman.
Homs.
Hormoz.
Houlé (lac de).

 I

Ibelin = Yabneh ou Yebna.
Idumée.
lilan Kalé.
Ile de Graye. Voyer.
Imma = Imm.
Issus.

 J

Jaffe ou Joppé = Jaffa.
Jéricho.
Jérusalem.
Joppé. Voyez Jaffe.
Jourdain (fleuve).
Juine = Djouniyé.

 K

Kahf (el).
Kala.
Kantara.
Karmi.
Kefar Rouma.
Kefredin = Kefrendjé.
Kérak (le Crac ou Petra Deserti).
Khabour (rivière).
Khanasserah.
Kolossi.
Koradi (el) ou Tell Kourad = Tell i Koura.

 L

Lac de Houle.
Lac de Tibériade.
Lacoba = Laqbé.
Laicas = 'Olleiqa.
Lampron.
Lapaïs.
Laris = el Arish.
Larnaca.
Lebona = Lebwé.
Ledja.
Liban (mont du).
Liche (La) (Laodicée) = Lattaquié.
Limassol.
Lydde ou Saint-Georges = Lydda.
Lyon (le) ou Legione = Leddjoun.

 M

Ma'arata.
Maen, château du Maen, ou Castellum medianum = Beit Dedjan.
Mahomerie (la grande) ou Birra = el Biré.
Mahomerie (la petite) = el Qoubeibé.
Malaicas = Maniqa.
Maldouin ou Tour rouge = Khan Hathrour.
Mamistre ou Mopsueste = Missis.
Manacusine.
Manuet (le) = el Menaouat.
Maraclée = Marqiyé.
Marase = Marash.
Mardin.
Marésie = Marasia ou Maras'h.
Margat = Marqab.
Mariamin.
Maron (le) = Qal'at Maroun.
Marre (La) = Ma'arrat en No'man.
Masada = Qasr Sebbé.
Masyaf.
Mauléon ou Molovon = Méhémendji.
Meblie = Kharbet Mebleh.
Medan (plaine de) = el Meddan.
Meguaret Mesrin = Ma'arrat Masrin.
Mélitène = Malatia.
Menbidj.
Merle (le) = Tantourah.
Mer Morte.
Mersine.
Mesquie (la). Voyez Somaquié (la).
Mi'ar.
Mirabel = Medjdel Yaba.
Moab.
Moinestre (le) = Mouneïtira.
Montagne noire = Amanus.
Montferrand (Mons Ferrandus) = Barin.
Montfort = Qal'at Qoureïn.
Montgisard = Gezer.
Mont Glainen = Deir el Qal'a.
Montjoie (Saint Samuel de la) = Nebi Samouil.
Mont Parlier = Cassius ou Djebel el Aqra.
Montréal = esh Shôbak.
Mont Thabor.
Mopsueste. Voyez Mamistre.
Morphou.

 N

Nahr Abrash.
Nahr Afrin.
Nahr el Arouz.
Nahr Banias.
Nahr el Faliq. Voyez Fleuve de Rochetaillée.
Nahr el Kebir.
Nahr el Kelb.
Nahr el Khalife.
Nahr Litani.
Nahr Marqiyé.
Nahr al Mu'amiltain.
Nahr es Sabté.
Nahr Zerqa.
Nahr Zerqa. Voir Flums as Cocatrix..
Naouaz = Nawaz.
Naples (Naplouse).
Nazareth.
Nepa.
Nephin = Enfé.
Nicosie.

 O

'Olleiqa. Voyez Laicas.
Orimon = Ourem.
Oronte (fleuve).
Ouadi Araba.
Ouadi el Frandji.
Ouadi Kerak.
Ouadi Nasrié.
Ouadi Zerqa Main.
Ou'aira. Voyez Château de li Vaux Moïse.

 P

Palmerium = Solem.
Paphos.
Pas païen (le) (Klimax) = Ras al Mu'amiltain.
Passe Saint-Guillaume.
Paulmiers (ou Palmer) = Segor = Zoar.
Pétra.
Petra Deserti. Voyez Crac (le) (Kérak).
Pierre encise. Voyez Destroit.
Plaine de Medan = el Meddan.
Plaine d'Esdrelon ou Plaine de Jezréel ou Plaine de la Fève.
Pont de Fer = Djisr el Hadid.
Pont de la Judaire = Djisr el Madjami.
Port-Bonnel ou Porbonel.
Port Saint-Siméon. Voyez Soudin (le).
Portelle (La) (Portes Syriennes).
Portes Cliciennes. Voyez Gouglag.
Portes Syriennes. Voyez Portelle (La).
Psichro = Besika.
Puthaha. Voyez Butaha.
Puy du Connestable (le) = Heri.
Pyla.

 Q

Qal'at el Aïdo.
Qal'at Djabar.
Qal'at en Nedjm.
Qara Sou (rivière).
Qasr Berdaouil.
Qastoun.
Quinesserin.

 R

Rafanée.
Rames = Ramleh.
Ranculat = Roum Kalah.
Raqqa.
Ras el Aïn.
Ravendal = Ravendan.
Rentie = Rentiyé.
Resclause (la).
Robert (Casal).
Roche de Roissel (la) ou Russol ou Roissol = Rhosus (Arsouz) (château défendant Arsouz).
Rohez. Voyez Edesse.
Roissol. Voyez Roche de Roissel.
Ros (la) (cap., de Beyrouth).
Rouad (Ile de).
Roubea.
Roudj (er) (vallée).
Russa = Allarouz.
Russol. Voyez Roche de Roissel.

 S

Sabbatique (source).
Sadr = Qal'at Guindi.
Saffran (le) = Shefa Amr.
Safitha. Voyez Chastel-Blanc.
Sagette (Sidon) = Saïda.
Saint-Abraham = Hébron.
Saint-Hilarion.
Saint-Georges (couvent).
Saint-Georges. Voyez Lydde.
Saint-Georges de Chaman = Tell el Khamraan.
Saint-Georges de Labaene = Deir el Assad.
Saint-Gilles = Aidié.
Saint-Gilles = Sindjil.
Saint-Jean d'Acre (Accon, Akka).
Saint-Jean des Bois = Aïn Karim.
Saint-Raphaël (cap) = Sarfend.
Saint-Samuel de la Montjoie = Nébi Samouil.
Salome = es Sanamein.
Salt (es).
Samosate = Samsat.
Saône ou Sehone = Sahyoun.
Saphet (le).
Sarc (le) ou Esserk (Hisn el Khariba ou Hisn esh Sherqi) = Kharayb.
Sardone (Zerdana) = Zerdan.
Sarepta.
Sarisaki.
Sarmaniyé.
Sarmit (le) = Sarmeda.
Scandelion = Iskanderoun.
Schaabaktan.
Sebaste (Samarie) = Sebastiyé.
Sebkhat Berdaouil.
Sehone. Voyez Saône.
Sela'.
Selefkeh.
Semoa = es Semou'a.
Séphorie = Saffouriyé.
Sermin.
Servantikar = Savranli Kalé = Savouran Kalé.
Sheïzar (La Grand Césaire).
Sheqif Arnoun. Voyez Beaufort.
Shôbak. Voyez Montréal.
Shoghr ou Choghr (Shoghr et Bakas).
Sigouri.
Sikanie = Caïganie ou Kikanié.
Sis.
Somaquié (la) ou la Mesquie = Bismaqiyé.
Sororge = Saroudj.
Soudin (le) ou Port Saint Siméon = Souweidiyé ou l'Echelle de Bohémond = Eskelé.
Souprous = Keupreudjé.
Sour = Tyr.
Source Sabbatique.
Sourran.
Subeibe.
Suète (Terre de) = Sawad ou es Sueit.

 T

Tabarie (Tibériade).
Tafilet.
Taganchara ou Teghenk'ar.
Tarse = Tarsous.
Taurus (mont).
Tchordaa Kalé.
Tchivlan Kalé.
Teghenk'ar. Voyez Taganchara.
Teledehep = Tell Dahab ou Tell i Zeheb.
Tell Ada.
Tell Aqibrin.
Tell Bascher. Voyez Turbessel.
Tell Danit.
Tell Gouran.
Tell Hizan.
Tell-i-Afer = Tell 'Afar.
Tell ibn Mascher. Voyez Acharné.
Tell Kalakh.
Tell Khalid.
Tell Khalifé.
Tell Kourad. Voyez Koradi (el).
Tell Manas.
Tell Mouzen (Tela) = Veran Scheïr.
Teres = Terez.
Terre de Calife ou de Galife.
Terre de Suète. Voyez Suète.
Terre oultre le Jourdain.
Thabor (mont).
Thecua.
Tibériade. Voyez Tabarie.
Tizin.
Toklé.
Topra Kalé.
Tor de l'Hospital (la) = el Bordj.
Toron (le) = Tibnin.
Toron aux Fontaines sourdes (le) = Ras el Aïn.
Toron de Belda (le).
Toron des Chevaliers (ou Turo militum) = el Atroun.
Tortose (Antaradus) = Tartous.
Touban.
Tour de Baudoin (la) = Bordj Berdaouil.
Tour des Salines (la) = Bordj el Meleh.
Tour rouge (la). Voyez Maldouin.
Tourin.
Tourmanin.
Trabessac ou Trapesac ou Derbessac = Terbezek.
Trapesac. Voyez Trabessac.
Triple (Tripoli) = Tarabolous.
Tripoli. Voyez Triple.
Tulupe = Dalouk.
Tumlo Kalé.
Turbessel = Tell Bascher.
Tyr. Voyez Sour.

 V

Vagha = Feke.
Valénie (Balanée) = Banias.
Val Germain = Merdj Ayoun.
Vaux Moïse (château de li) = Ou'aira.

 Y

Yarmouk (fleuve Dan, flumen Diaboli) = Sheriat el Mandour = Ouadi el Djehenem.

 Z

Zerdana. Voyez Sardone.
Zibel (Gabala) = Djebelé.
Zouweirah.
Sources : Paul Deschamps - Les Château Croisés en Terre Sainte - Le Crac des Chevaliers. Librairie Orientaliste Paul Geuthner Paris 1934

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