La perte du Royaume Franc de Jérusalem
Baudouin IV, souverain honnête et sage, s'entendit avec Saladin pour une trêve entre les deux nations. Avec pour close de laisser passer les caravanes se dirigeant vers la Meque ou Médine. C'était sans compter sur l'aveuglement de Renaud de Châtillon.Celui-ci, s'il eût été plus raisonnable et plus habile aurait pu exploiter à son profit la nécessité qui s'imposait à Saladin de passer par sa Terre pour maintenir la liaison entre ses deux royaumes, celui du Caire et celui de Damas. Il aurait pu se conformer aux règles de bon voisinage qui, au cours de longues trêves, s'étaient établies entre Francs et Musulmans, d'autant plus que Saladin était d'une loyauté vraiment chevaleresque.
Mais Renaud accumula les fautes
Vers 1181 il avait attaqué une nombreuse et très riche caravane qui venant de Damas se dirigeait vers la Mecque. Confiante dans une trêve établie entre le roi de Jérusalem et Saladin, elle alla camper dans le voisinage de Kérak. Renaud emmena des captifs et un abondant butin dans sa forteresse. Le roi indigné du procédé envoya plusieurs chevaliers du Temple et de l'Hôpital vers Renaud pour l'inviter à restituer aussitôt ses prises. Celui-ci ayant refusé, le souverain se vit obligé d'adresser des excuses à Saladin. Malgré cela le sultan se prépara à l'offensive. Au printemps 1182, une armée Musulmane allait piller la Galilée puis enlevait aux Francs la grotte-forteresse d'el Habis située au Sud-est du lac de Tibériade. Puis en juillet Saladin parcourait la Samarie et la Galilée et poussait jusqu'à Beyrouth.
Malek el Abdel
Le frère de Saladin, Malek el Adel, qui commandait au Caire en son absence, fit transporter du port de Damiette des vaisseaux de guerre sur la mer Rouge, qui se lancèrent à la poursuite de la flotte franque. Des combats eurent lieu sur terre et sur mer. Tous les Francs furent tués ou pris. Saladin fit décapiter les captifs amenés au Caire et à Alexandrie. Puis en septembre 1183 il envahissait la Galilée ; des rencontres eurent lieu avec l'armée royale. Enfin à la fin d'octobre le sultan montait contre Kérak un siège de grande envergure avec ses armées syriennes et égyptiennes et un matériel considérable.
La ville fut brusquement attaquée
Il semble bien que Renaud se soit laissé surprendre et il y eut un grand massacre. Combattants et citadins refluèrent vers le pont du château. La tête du pont fut défendue par un seul chevalier nommé Yvein qui fit là des prouesses extraordinaires. Jouant de l'épée à droite et à gauche, il envoyait dans le fossé les assaillants, protégeant ainsi la retraite des chrétiens. Enfin criblé de flèches il se replia et le pont fut abattu derrière lui.
- Or le château hébergeait à ce moment des seigneurs et de nobles dames ainsi que des jongleurs et des musiciens qui y étaient venus pour assister au mariage d'Isabelle, fille du feu roi Amaury et soeur du roi Baudouin IV, avec Onfroi IV de Toron, fils de « la dame dou Crac », Étiennette de Milly.
Ici se place un charmant trait de galanterie et de chevalerie qui marque admirablement les rapports courtois que pouvaient entretenir, même en temps de guerre, les princes Francs et Musulmans. Étiennette envoya à Saladin qui investissait son château une partie du festin nuptial et, en le faisant saluer par ses serviteurs, elle lui rappela le temps où, alors qu'elle était enfant, il était otage dans ce même château et où il la portait dans ses bras. Saladin fut très touché de ce souvenir, « il l'en mercia moult hautement » et demanda en quelle tour gîtaient les nouveaux mariés, et quand on la lui eut montrée il ordonna qu'on s'abstînt de tirer contre cette tour.
Renaud en péril
Renaud en grand péril alluma un feu sur la plus haute tour pour lancer au roi son appel de détresse. Vingt lieues à vol d'oiseau séparent Kérak de Jérusalem. Le roi Baudouin averti fit à son tour allumer un feu sur la Tour de David pour rassurer les assiégés de Kérak et partit aussitôt avec ses troupes. Saladin apprenant leur approche détruisit ses machines et leva le camp le 4 décembre.
Le roi Baudouin aveugle et paralysé, poursuivit néanmoins sa route. Accueilli avec enthousiasme par la garnison et le peuple de Kérak, il fit réapprovisionner le château et réparer les dommages causés par le siège, puis il regagna Jérusalem.
Le retour de Saladin
Saladin devait revenir quelques mois plus tard. Les chroniques franques et arabes parlent avec grands détails de ce siège de 1184 qui fut encore plus violent que celui de l'année précédente, et le sultan eut plus de peine à s'emparer de la ville. Il avait rassemblé des forces considérables et mit en batterie 14 mangonneaux. Mais le château lui aussi était bien pourvu d'engins de défense et les gens de Renaud de Châtillon accablaient les agresseurs de leurs projectiles. Ayant commencé le siège au milieu de juillet, Saladin un mois plus tard constatait que le château demeurait inébranlable. Puisque ses mangonneaux étaient inefficaces, il fallait combler le fossé large et profond qui séparait le château de la ville. Il fit à cet effet construire à l'aide de poutres et de briques trois galeries couvertes allant jusqu'à ce fossé. Ainsi l'on commença à le remplir de terre et de pierres. Des lettres rapportées par le chroniqueur Abû Chama sont comme des cris d'enthousiasme à la veille du triomphe qu'on croyait assuré. Cependant l'armée royale se dirigeait à marches forcées vers Kérak.
Appel aux combattants de Palestine
- Et voici un témoignage de l'ardeur que l'on mit en Palestine à réunir le plus grand nombre possible de combattants pour secourir la forteresse placée en avant-garde des états chrétiens. Il est dû à un seigneur français André de Vitré, qui ne faisait nullement partie de la noblesse de Terre Sainte. Il était simplement venu en pèlerinage à Jérusalem et était sur le point de retourner en France quand il apprit cette levée des troupes qui allaient se porter en hâte à l'aide de Kérak. S'y décidant aussitôt et prévoyant qu'il pouvait trouver la mort dans cette expédition, il agit comme tant de Croisés l'avaient fait: on a conservé un acte de lui par lequel il abandonnait certains de ses biens à divers établissements religieux en France. Saladin une fois de plus brûla ses machines et renonça au siège de Kérak.
Renaud n'arrête pas les pillages
Désormais la fatalité accablera le royaume de Jérusalem. Baudouin IV, souverain honnête et sage, désirait s'entendre avec Saladin lui aussi compréhensif et équitable. Mais le roi se mourait de la lèpre, et affaibli par cette atroce maladie, il ne pouvait maintenir dans l'obéissance certains barons et prélats dont l'esprit d'indépendance grandissait; ainsi Renaud de Châtillon agissant en seigneur insouciant de son devoir féodal et même en véritable chef de brigands.
Comme il l'avait déjà fait il recommence ses pillages vers le début de 1187, alors qu'une trêve est en cours. Il s'empare d'une caravane qui gagnant Damas passait sur son domaine. Saladin le menace et se plaint auprès du nouveau roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, qui adjure Renaud de restituer ce qu'il avait enlevé indûment. Celui-ci leur oppose un refus brutal. « La prise de cette caravane, dit l'Estoire de Eracles, fu l'achoison de la perdition dou roiaume de Jérusalem ». La colère de Saladin fut alors à son comble. Il jura de tuer Renaud de sa main. Il devait tenir parole quelques mois plus tard. Il fait envahir la Palestine et va lui-même dévaster le voisinage de Kérak et de Montréal. Le moment où les deux puissances allaient s'affronter dans un combat définitif était proche.
La traîtrise de Ridefort
Ce n'est pas ici le lieu de raconter la bataille de Hattin (à l'Ouest du lac de Tibériade) qui fut un effroyable désastre dont le royaume de Jérusalem ne devait jamais se relever. L'armée chrétienne ne comptait guère plus de 21 000 hommes et Saladin en avait 60 000. On a dit les hésitations du faible roi Guy de Lusignan dans le conseil de guerre qui se tint la veille de la bataille. Les appels pathétiques à la prudence du sage comte Raymond de Tripoli et de Baudouin d'Ibelin, le meilleur capitaine des armées chrétiennes: attendre des renforts annoncés, ne pas s'avancer vers l'ennemi, rester près des sources de Séphorie pour ne pas s'engager dans un territoire sans eau où l'armée serait accablée par la soif. La riposte violente du grand maître du Temple Gérard de Ridefort, les accusant de lâcheté. Le roi écoutant la voix de la raison. Et les barons se séparant. Puis en pleine nuit Gérard de Ridefort, allant retrouver le roi, le faisant brusquement changer d'avis, et soudain dans le silence du camp endormi, les tambours et les trompettes sonnant l'appel aux armes et la marche en avant. Et ce fut l'abominable journée du 4 juillet 1187.
Saladin vainqueur
- Au soir de la bataille les chefs de l'armée franque furent amenés sous la tente de Saladin. Il y avait là le roi Guy et son frère connétable du royaume, Renaud de Châtillon et son beau-fils Onfroi du Toron, le grand maître du Temple, les seigneurs de Giblet, du Boutron et de Maraclée, d'autres encore. Le sultan traita le roi avec honneur, mais apostrophant Renaud il lui reprocha d'avoir maintes fois manqué à la parole jurée et violé les trêves et comme il lui demandait ce qu'il ferait à sa place s'il le tenait en son pouvoir, Renaud lui aurait répondu :
« Je vous coperoie la teste ! » Saladin levant alors son sabre, lui trancha l'épaule et ses mamelucks achevèrent le rude guerrier Franc. La place de Kérak devait survivre plus d'un an à son dernier seigneur.
Saladin après sa victoire de Hattin envahit la Palestine. Il mit le siège devant Jérusalem et y entra le 2 octobre. Pendant ce siège, il vit venir à lui la princesse de Kérak, Étiennette de Milly, que la journée de Hattin avait cruellement éprouvée puisque son mari y avait trouvé la mort et son fils Onfroi de Toron y avait été fait prisonnier.
Saladin consentit à rendre la liberté à celui-ci à la condition qu'elle lui livrerait Kérak, ce qu'elle accepta. Le sultan fit chercher à Damas, Onfroi.
Kérak ferme ses portes
Étiennette et son fils partirent pour Kérak avec des émirs qui devaient prendre possession de la citadelle franque. Mais la garnison refusa d'en ouvrir la porte et de rendre la place aux infidèles. Humiliée la princesse revint en Palestine et fidèle à sa parole elle rendit son fils à Saladin. Le sultan la laissa se réfugier à Tyr que, dans l'abandon d'une grande partie de la Palestine, les Francs avaient vaillamment défendue et conservée; il fit restituer à la princesse ses serviteurs et ses richesses sans en rien retenir.
En mars Saladin fit investir Kérak
- La garnison de Kérak coupée de toute communication, abandonnée par la chrétienté vaincue, privée de ressources, tenait toujours avec un acharnement qui provoquait, de la part des Francs aussi bien que des Musulmans, une admiration dont les chroniques se font l'écho. Après avoir mangé leur bétail et leurs chevaux, les chiens et les chats, les défenseurs de Kérak n'ayant plus de quoi nourrir leurs femmes et leurs enfants préférèrent les vendre aux Musulmans dont ils obtenaient en échange des vivres, qui leur permettraient de résister plus longtemps.
La famine dans Kérak
Enfin la famine les accula à rendre la place, ce qui eut lieu vers novembre 1188. Saladin se comporta de façon chevaleresque envers ces héros. Il racheta leurs femmes et leurs enfants et les leur rendit, il « l'or donna grand avoir » et les fit reconduire en terre chrétienne. - Montréal résista plus longtemps encore et ne céda qu'en avril-mai 1189. Saladin témoigna à sa garnison les mêmes égards. Il s'était déjà emparé des autres places qui surveillaient le Derb el Hadj.
Ainsi se clôt l'histoire de l'installation des Francs en « la Terre d'Outre-Jourdain » principale baronnie du royaume de Jérusalem, qui avait commencé avec un voyage de reconnaissance fait à la fin de l'année 1100 par Baudouin Ier quelques semaines avant de recevoir la couronne de roi de Jérusalem.
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