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Fondation de la Milice du Temple

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Le concile de Troyes

La première croisade n'était plus qu'un souvenir. Si les colons étaient nombreux, les hommes d'armes étaient plus rares. Beaucoup avaient regagné leur pays; les autres étaient vieux ou morts. La croisade de 1101 fut un désastre pour la Palestine. Plus de cent mille immigrants furent massacrés ou faits prisonniers.
Selon Jacques de Vitry :
« personne ne pouvait aller tranquillement visiter les Lieux-Saints car les brigands et les voleurs infestaient les chemins, surprenaient les pèlerins, en détroussaient un grand nombre et en massacraient beaucoup ».

Naissance de l'Ordre

Ainsi naquit l'Ordre du Temple. Son but primitif fut de protéger les pèlerins sur les routes. Sous l'influence d'Hugues de Payens, d'origine champenoise, Geoffroy de Saint-Omer et quelques autres chevaliers bien intentionnés se réunirent en confrérie. Les documents antérieurs à l'Ordre permettant de dire que son fondateur était déjà d'un certain âge : à l'origine du Temple, il devait avoir cinquante-cinq ans. Quant aux pauvres chevaliers du Christ, la tradition n'a pas retenu les noms des premiers d'entre eux. Ils vécurent presque dans l'oubli jusqu'en 1126, date à laquelle Hugues de Champagne vint grossir les rangs de la Milice. Cela fit grand bruit et provoqua même la colère de saint Bernard.

Guillaume de Tyr — pour Guillaume — 1128

Selon Guillaume de Tyr, l'Ordre fut fondé l'année où Baudouin devint roi. Cette précision est juste, car il fut couronné roi de Jérusalem en 1119, dans l'église de Bethléem. Les textes de la Règle du Temple en font état lorsqu'ils relatent le procès-verbal de l'assemblée :
« par les prières de Maître Hugues de Payens, sous lequel ladite chevalerie prit son commencement par la grâce du Saint-Esprit, ils s'assemblèrent à Troyes... à la fête de Saint Hilaire en l'an de l'Incarnation de Jésus-Christ M et C et XXVIII, (1128) la neuvième année du début de ladite chevalerie. »

Jacques de Vitry — pour Jacques 1129

Nous devons alors rétablir les faits. L'assemblée de Troyes eut lieu le 13 janvier 1129. Avec les textes diplomatiques et principalement l'acte de la donation du 1 er octobre 1127, nous pouvons établir que l'Ordre du Temple fut fondé entre le 1er novembre 1119 et le 12 janvier 1120.

Le récit le plus complet, le plus objectif, que nous ayons sur les débuts du Temple est celui de Jacques de Vitry, dans son histoire de la Terre Sainte :
Certains chevaliers, aimés de Dieu et ordonnés à Son service, renoncèrent au monde et se consacrèrent au Christ. Par des voeux solennels, prononcés devant le patriarche de Jérusalem, ils s'engagèrent à défendre les pèlerins contre les brigands et ravisseurs, à protéger les chemins et à servir de chevalerie au souverain roi. Ils observèrent la pauvreté, la chasteté et l'obéissance, selon la règle des chanoines réguliers. Leurs chefs étaient deux hommes vénérables, Hugues de Payens et Geoffroy de Saint-Omer. Au début, il n'y en avait que neuf qui prirent une décision si sainte et, pendant neuf ans, ils servirent en habits séculiers et se vêtirent de ce que les fidèles leur donnèrent en aumônes. Le roi, ses chevaliers et le seigneur Patriarche furent remplis de compassion pour ces nobles hommes qui avaient tout abandonné pour le Christ et leur donnèrent certaines propriétés et bénéfices pour subvenir à leurs besoins et pour les âmes des donateurs. Et, parce qu'ils n'avaient aucune église ou habitation qui leur appartînt, le roi les logea dans son palais, près du Temple du Seigneur. L'abbé et les chanoines réguliers du Temple leur donnèrent, pour les besoins de leur service, un terrain non loin du palais et, pour cette raison, on les appela, plus tard, les « Templiers ».

Le chroniqueur cardinal poursuit sa dissertation avec précision :
« En l'an de grâce 1129, après avoir demeuré neuf ans dans le palais, vivant ensemble dans la sainte pauvreté, selon leur profession, ils reçurent une Règle par les soins du pape Honorius et d'Étienne, patriarche de Jérusalem, et un habit blanc leur fut donné. Ceci fut fait au concile tenu à Troyes, sous la présidence du seigneur évêque d'Albano, légat apostolique, et en présence des archevêques de Reims et de Sens, des abbés de Cîteaux et de beaucoup d'autres prélats. Plus tard, au temps du pape Eugène, ils mirent la croix rouge sur leurs habits, portant le blanc comme emblème d'innocence et le rouge pour le martyre ».

Dès 1126, le fondateur vint en France. Pour recruter et pour donner à son institution une base solide, reconnue par l'autorité ecclésiastique, les princes et les seigneurs.
Le séjour en France d'Hugues et de ses compagnons doit se situer entre 1127 et 1130, période la plus inconnue de l'Ordre, ou tout au moins la plus délaissée dans les études. Cependant, grâce aux actes, elle permet de faire la liaison entre le concile de Troyes et le traité de saint Bernard. Jusqu'à la mort d'Hugues de Payens, le 24 mai 1136, cette période semble favorable aux Templiers, malgré la nouveauté d'association entre la vie religieuse et la vie militaire. Assurément, et on le comprend, la fondation de l'Ordre n'était pas sans inquiéter les contemporains et saint Bernard lui-même. Cela défavorisa, avouons-le, du moins dans certaines régions, les débuts de l'institution.
Né vers 1092 au château de Fontaines-les-Dijon, Bernard se trouvait allié aux plus grandes familles de Bourgogne et de Champagne. Par sa mère Aleth, il descendait des anciens comtes de Bar-sur-Seine, et par son père il était parent des Grands de Bourgogne. Chez les chanoines de Châtillon, le jeune seigneur acquit les principales règles de la rhétorique en étudiant les auteurs classiques. En avril 1112, il entra au monastère de Cîteaux, fondé en 1098, avec une trentaine de compagnons, parents et amis. Sous la houlette d'Étienne Harding, le jeune moine se formera aux exigences de la vie monastique et, en 1115, il deviendra le premier abbé de la troisième fille de Cîteaux : Clairvaux. L'abbé donna un grand essor à son Ordre, dont il ne fut jamais le supérieur. A sa mort, Clairvaux avait fondé 61 abbayes.

Les chevaliers, sous la protection de Baudouin II, de Garimond patriarche de Jérusalem et de son successeur Étienne, vinrent en partie sur la terre de France pour y recruter. De la Palestine, il est fort probable que le Maître se rendit à Rome afin d'obtenir une entrevue avec le pape Honorius II. Cet entretien fut, sans aucun doute, à l'origine du concile de Troyes. Puis de Rome, Hugues de Payens rejoignit aussitôt son fils Thibaud. La chronique de Sainte Colombe précise cette généalogie :
« Thibaud de Payens, fils d'Hugues, premier Maître du Temple à Jérusalem ».

Le Grand-Maître du Temple rencontra partout de la sympathie et de l'admiration. Thibaud de Blois avait hérité des biens du comte de Champagne lorsque celui-ci était entré au Temple.

Furent présents au concile de Troyes

Le 13 janvier 1129, les chevaliers du Temple étaient à Troyes où s'ouvrait le concile qui allait examiner et confirmer la Règle de l'Ordre. Sous la direction du légat du pape Matthieu d'Albano. Ce ne fut pas un petit concile : il rassembla, comme on l'a dit, le Clunisien Mathieu d'Albano, légat du pape, deux archevêque

Saint-Bernard ne fut pas present

Saint Bernard ne semblent pas être pour beaucoup dans les débuts du Temple. Cela s'explique par l'inimitié de l'abbé de Clairvaux vis-à-vis du statut des moines soldats.
Il a dit : les moines sont fait être dans les monastères, pas sur les champs de batailles.

Furent présents pour l'Eglise

Légat
Matthieu d'Albano, légat du pape ;

Archevêques
Renaud II de Martigné ou de Pratis (mort en 1138), archevêque de Reims ;
Henri I Sanglier de Boifrogues, archevêque de Sens ;

Evêques
Joscelin de Verzy dit « Le Roux » (mort en 1151), évêque de Soissons ;
Geoffroy II de Lèvres, évêque de Chartres, en 1132, fut nommé légat du pape (mort en 1149) ;
Herbert (mort en 1130), évêque de Châlons ;
Etienne de Senlis, évêque de Paris (mort en 1142) ;
Barthélémy de Vir ou de Jura, évêque de Laon, en 1150-1151 devient moine cistercien, (mort en 1158 ou plus tard) ;
Atton évêque de Troyes, en 1145 entra à Cluny, (mort en 1145) ;
Pierre Ie, évêque de Beauvais (mort en 1133) ;
Jean II de Semur ou de Montaigu, évêque d'Auxerre (mort en 1136) ;
Burchard évêque de Meaux (mort en 1134).

Abbés
Cistercien — Cîteaux — Etienne Harding (mort en 1134).
Bénédictins — Vézelay — Renaud Ier de Semur, en 1129, il est élu archevêque de Lyon et légat du pape, (mort le 7-8-1129).
Chanoines réguliers — Reims — Ursion, abbé de Saint-Denis, en 1129, il est élu évêque de Verdun.
Clairvaux — Bernard de Fontaines (Saint), (mort en 1153).
Trois-Fontaines — Gui Ie (mort après 1133).
Pontigny — Hugues, comte de Macon, il devint évêque d'Auxerre, (mort en 1151).
Molesme — Gui Ie (mort en 1132).
Dijon — Herbert, abbé de Saint-Etienne, (mort en 1157).

Maîtres
Albéric de Reims, en 1136, il est élu évêque de Bourges, (mort en 1141).
Fouchier de Reims, chanoine du chapitre cthédral, (mort en 1176).

Furent presents pour Templiers

Frère Hugues (mort autour du 24 mai 1136 ou 1137), maître de la chevalerie
Frère Godefridus (= Gundomarus ?).
Frère [Bernard] Rollandus (Marquisat de Provence, Vaucluse actuel).
Frère Gaufridus Biso/Bisol = Geoffroy de Bossoit (Comté de Hainaut, Frameries, Belgique actuelle).
Frère Paganus de monte Desiderii = Payen de Montdidier (dans la Somme, en Picardie).
Frère Archembaudum de Sancto Amano.

J'ai déjà parlé d'Hugues, maître de la chevalerie. Quant aux origines des autres Templiers, elles sont bien plus variées qu'on ne l'a pensé jusqu'à présent.

Frère Godefroy -Pr. 19 fratrem Godefridum Pr. 19 frère Godeffroi.
Il est possible que le frater Godefridus premier cité après Hugues soit Gaufridus de Sancto Aldemaro, que Guillaume de Tyr considère, avec Hugues, comme un des premiers et des plus remarquables (primi et precipui) parmi les « nobles chevaliers, à Dieu fidèles, religieux et qui craignent Dieu » qui constituèrent la première communauté du Temple. Il semble cependant qu'il n'y ait aucun lien avec la famille des châtelains de Saint-Omer, même si des chroniqueurs comme l'abbé de l'abbaye flamande de Saint-Bertin, dans la deuxième moitié du XIVe siècle, affirment l'appartenance de Godefroy à la famille des châtelains. Il est cité comme « Godefridus », dans deux documents, l'un du comte de Flandre en 1128 (CT 16) et l'autre écrit à Troyes en 1129 (CT 22). Il s'agit probablement du même personnage que « Gundomarus », le Templier envoyé par le roi en 1120/1126 auprès de Foulques d'Anjou et qui, selon la lettre attribuée à Baudouin II, aurait été également envoyé à saint Bernard pour qu'il obtienne du pape l'approbation de l'Ordre et qu'il lui donne une règle de vie.

Frère [Bernard] Rolland — Pr. 19 fratrem Rollandum Pr. 19 frère Rolant.
Grâce au cartulaire du marquis d'Albon, j'ai pu identifier ce « frère Rolant » comme le « miles et frater » Bernard Rolland, qui reçut plusieurs donations près de Richerenches, dans le marquisat de Provence, entre 1138 et 1143. La présence dans ces actes d'autres personnes portant le même nom laisse penser que Bernard Rolland était originaire de la région et que, après le concile de Troyes, il a été désigné pour y faire connaître l'ordre du Temple.

Frère Gaufridus Biso ou Bisol -Pr. 19 fratrem Gaufridum Biso/Bisol Pr. 19 et frère Joffroy Bissoit o Jefroi Bissot ou Goffroi Bisot.
De ce Templier, on n'avait jusqu'à maintenant trouvé aucune autre allusion. Or, je pense pouvoir l'identifier comme « Gaufrido de Bossoit », un des hommes de Baudouin IV, comte de Hainaut (mort en 1171), en Belgique actuelle, qui en 1142, avec d'autres, accepta de laisser ses territoires de Frameries, environ 25 hectares, à la disposition du comte, pour qu'il les donne « aux chevaliers qui habitent la sainte Cité de Jérusalem, près du Temple dans le palais de Salomon, et qui défendent virilement la Terre Promise — c'est-à-dire le Royaume de Dieu -des incursions des païens » (CT 259). Cette terre fut transformée en seigneurie, dont il existe encore d'importants vestiges.

Frère Paganus de Montdidier -Pr. 19 fratrem Paganum de monte Desiderii Pr. 19 frère Païen de Mondidier.
Payen pourrait bien être originaire de Montdidier dans la Somme. Il est nommé avec Hugues et Godefroy dans deux actes que l'on a déjà vus : une donation de Thierry de Flandre en 1128 et une autre donation qui a eu lieu à Troyes, peu après le concile. En 1130, Hugues lui confia la gestion des biens (curam rerum suarum) dans ces régions (in partibus istis). A cette occasion, on l'appelle « Nivardus, cognomine Paganus de Mondisderio » (CT 31). A la fin des années 1130, on atteste sa présence à Lincoln, en Angleterre, où il est désigné par le simple appellatif de « frater Paganus de Mundidesiderio » (CT200).

Frère Archembaudus de Saint-Aman [s,t] -Pr. 19 fratrem Archembaudum de sancto Amano Pr. 19 frère Archanbaut de Sain Amant
L'identité de ce frère n'est pas encore déterminée avec exactitude. Si l'on cherche parmi les toponymes de la France actuelle, on trouve plusieurs villages Saint-Amans dans l'Ariège (Midi-Pyrénées) et dans le Languedoc-Roussillon, et quelques Saint-Amant entre le Poitou-Charentes et l'Auvergne. Si aucun manuscrit latin n'ajoute de « d ni de t », les versions françaises sont unanimes dans le choix de la forme « Saint-Amant ». On ne saurait dire s'il y a des liens entre ce compagnon d'Hugues et le huitième grand maître de l'Ordre, Odon de Sancto Amando, qui, selon des sources postérieures, serait le fils d'Archambault.

En conclusion, il est possible mais non certain que Hugues « de Paganis » soit champenois ; frère Bernard Rolland provenait sûrement du marquisat de Provence, Vaucluse actuel ; Geoffroy Bisol ou Bissoit est vraisemblablement originaire du comté de Hainaut, en Belgique actuelle ; Payen de Montdidier, appelé « Nivardus » par l'évêque Simon de Noyon, pouvait être lui aussi picard, originaire de Mondidier, dans la Somme actuelle.
On n'a pas d'origine sûre pour Archembaud de Saint-Amand ou Saint-Amans, ni pour Godefridus/Gundomarus, qui aurait pu être un « poulain ».

L'affirmation de Guillaume de Tyr, selon laquelle ils seraient restés neuf pendant neuf ans, jusqu'au concile de Troyes, est démentie par le bon sens d'abord, mais également par les nombreux documents qui attestent que, au temps du concile, le nombre des Templiers était supérieur à ce chiffre. Ils étaient six au concile : il n'est pas raisonnable de penser qu'il n'en restait que trois en Terre sainte !
Mieux vaut envisager une distinction entre chevaliers et sergents ; ou s'en remettre à la valeur symbolique de ce chiffre et à la volonté de la part de Guillaume de Tyr et de ceux qui l'ont suivi de souligner la coïncidence des neuf Templiers des premiers temps et des neuf années écoulées depuis leur début. On a d'ailleurs vu que le chiffre même de neuf chevaliers fondateurs est en contradiction avec bien d'autres récits, tel celui de Michel le Syrien, qui en compte trente.

Le concile de Troyes a donc accepté la révolution de maître Hugues, mais dans la mentalité courante, la vision d'Hugues a été bien nuancée. Un témoignage fort intéressant à cet égard nous est offert par l'évêque de Noyon, Simon, mort à Séleucie en 1148 : en 1130, il écrit « à Hugues, maître des chevaliers du Temple et à tous ceux qui combattent religieusement sous son autorité » en souhaitant « qu'ils puissent garder fidèlement l'empressement religieux de l'ordre qui vient d'être éveillé. Remercions Dieu car, par sa miséricorde, il a restauré l'ordre qui était mort ». Simon fait le point sur le système trifonctionnel — il s'agit d'un témoignage nouveau pour les historiens des « trois ordres » — et situe explicitement l'ordre des Templiers dans cette vision de la société : « Nous savons que Dieu a établi trois ordres dans l'Eglise, celle des hommes qui prient (oratorum), celle des hommes qui défendent (defensorum) et celle des hommes qui travaillent (laboratorum). Alors que les autres ordres étaient en grande précarité, l'ordre des défenseurs était presque complètement perdu. Cependant, Dieu le Père avec Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu, Fils de Dieu, compassionné pour son Eglise, a accepté de restaurer l'ordre perdu, en vertu de l'effusion du Saint-Esprit dans nos coeurs, dans ces temps extrêmes. Et cela est arrivé dans la Sainte Cité afin que là où un jour l'Eglise a commencé à naître, là l'ordre perdu de l'Eglise commence à être réparé. » L'évêque continue en disant qu'il a déjà accompli le devoir de son office en priant pour eux, mais qu'il veut faire plus, en leur donnant des prébendes. Il signe cet acte en présence de Geoffroy II de Lèves (mort 1149) évêque de Chartres, des abbés cisterciens Bernard de Clairvaux et Gui Ie de Trois-Fontaines, qui avaient participé au concile de Troyes, et de l'abbé de la nouvelle implantation cistercienne d'Ourscamps, près de Noyon, « Guaterannus » (CT 31). Décidément, l'ordre du Temple s'évertuait en vain à faire comprendre sa nouveauté, même par ses amis !
Sources : Simonetta Cerrini — La Révolution des Templiers — Perrin — 2007.

L'écriture de la règle

L'opinion communément admise veut que ce soit l'abbé de Clairvaux lui-même qui ait écrit la Règle du Temple. Michelet, Dupuy, la Chronique de Belgique, Polydon Virgile, Guillaume de Tyr même, la lui attribuent. Les manuscrits de la Règle du Temple, en liaison avec Jacques de Vitry, ne signalent aucunement la rédaction du texte par saint Bernard. La lettre d'Hugues de Payens, conservée à la bibliothèque de Nîmes, n'est que le reflet de cette opinion. D'ailleurs, selon le texte lui-même, une fois qu'Hugues de Payens eut exposé les statuts, le but et la fin de son Ordre, « les prélats approuvèrent de cette Règle ce qui leur semblait le plus sage et en retranchèrent ce qui leur semblait absurde ».
L'humble écrivain, le scribe de la règle du Temple, Iohannes Michaelensis, rédigea, en effet, celle-ci par commandement du concile et du vénérable père Bernard abbés de Clervaux.
Il est écrit dans la prologue de la règle en latin paragraphe 13 « Etant donné qu'ils [les Pères du concile] ont examiné et prononcé des sentences vraies, moi, Iohannes Michaelensis, j'ai mérité par grâce divine d'être l'humble copiste de cette page, par le commandement du concile et du vénérable abbé de Clairvaux Bernard, à qui cela avait été confié comme devoir et comme honneur. »
sources : Simonetta Cerrini — La Révolution des Templiers. Editions Perrin — 2007.

Histoire des manuscrits de la règle du Temple jusqu'en 1886

Le manuscrit latin de l'abbaye Saint-Victor et ses éditeurs
Les initiateurs et les juges du procès du Temple ont feint d'ignorer la règle que nous venons de décrire parce qu'elle était l'antithèse absolue des chefs d'accusation portés contre l'Ordre et qu'elle constituait une pièce à décharge essentielle pour celui-ci. Les agents du roi ont occulté soigneusement les documents découverts lors du séquestre des biens des commanderies et il est à peu près assuré que nombre d'archives furent détruites ou détournées entre 1307 et 1313, avant la passation de ces biens aux Hospitaliers.

Après la mort des derniers Templiers, dans les années 1340-1350, la règle tomba pour trois siècles dans l'oubli.

Il semble que ce soit à Aubert le Mire, doyen de la Faculté d'Anvers, qu'on doive la découverte et la première transcription, en 1610, du manuscrit latin de l'abbaye Saint-Victor, aujourd'hui conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris, qui ne comprend que le texte de la règle primitive. Aubert le Mire en fit plusieurs publications, dont celle du « Chronicon Cistercium Ordinis » (Colon. Agrip., 1614) où le document fait suite à la règle de Saint Benoît et aux Constitutions de Cîteaux « en raison, nous dit l'auteur, de la confraternité qui avait uni les Templiers aux Cisterciens ».

François Mennens exploite à son tour la transcription d'Aubert le Mire et la publie à partir de 1613 dans les différentes éditions de son « Deliciae Equestrium sive militarium ordinum et eorundem origines statua, symbola et insigna ».

Puis André Favyn donne en 1620 la « Regula Pauperum Commilitonum Templi in Sancta Civitate » dans « Le Théâtre d'Honneur et de chevalerie, ou l'Histoire des ordres militaires des roys et des princes... » (2e volume, Livre IX) qui fera l'objet d'une traduction anglaise publiée à Londres en 1623.

D'autres auteurs suivront parmi lesquels on distinguera spécialement dans l'ordre chronologique :
Le Père Chrisostome Henriquez qui produit la règle dans les « Regula, Constitutiones et privilegia Ordinis Cisterciensis » (Antverpiae, 1630) à la suite des règles de Saint Benoît et de Cîteaux, comme l'avait fait Aubert le Mire dans les « Chronicon Cistercium Ordinis », et pour les mêmes raisons de confraternité spirituelle.

Le Père Philippe Labbé (qui la fait figurer dans le tome X de sa collection des actes des conciles, « Sacrosanta concilia ad regiam editionem exacta... » (1671-1672).

Basnage de Beauval en donne une traduction en français moderne qui est l'une des premières que nous connaissions dans le tome II de son Histoire des ordres militaires ou des chevaliers des milices séculières et régulières de l'un et de l'autre sexe, Amsterdam, 1721.

Alexandre Ferreira publie les 72 articles de la règle, précédés d'un résumé commenté du prologue dans le tome I du « Supplemento historico ou Memorias e noticias da celebre ordem dos Templarios... para a Historia da admiravel ordem de nosso senhor Jesu Christo em Portugal », Lisboa Occidentali, 1735.

Le continuateur de Pierre Dupuy édite en 1751 à Bruxelles une Histoire de l'Ordre des Templiers ou chevaliers du Temple de Jérusalem depuis son établissement jusqu'à sa décadence... Cette édition revue, corrigée, très bien documentée, est augmentée du texte de la « Regula Pauperum commilitonum christi Templique Salominici » (p. 86 à 102), accompagnée de son prologue.

L'auteur (Jean Godefroy ?) défend apparemment la thèse hostile et partiale que Dupuy avait soutenue dans les éditions précédentes mais les nouvelles et nombreuses pièces justificatives qu'il produit incitent le lecteur à pencher pour l'innocence de l'Ordre.

Jean Dominique Mansi, un siècle après Philippe Labbé, insère la règle du Temple dans son monumental recueil des actes des conciles « Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio » (Florentiae-Venetiis, 1759-1788, tome XXI).

Cette liste ne prétend pas être exhaustive. Elle ne cite que les oeuvres les plus intéressantes et les plus représentatives parmi toutes celles qui ont été publiées en Europe entre 1610 et la fin du XVIIIe siècle.

On remarque que la règle primitive du Temple est publiée dans trois grandes catégories d'ouvrages : les constitutions et les chroniques de Cîteaux, les collections des actes des conciles et, naturellement, les recueils consacrés aux ordres religieux et chevaleresques.

Le corpus complet des documents qui avaient réglementé la vie des Templiers demeurait donc encore inconnu dans l'avant dernière décennie du XVIIIe siècle. Pierre Dupuy avait assez justement écrit en 1654 : « La règle du Temple n'est pas venue jusqu'à nous... Celle qui a été publiée depuis peu d'années, sous le titre de règle des Templiers, est plutôt l'abrégé de la règle que la règle ancienne ». Cet « abrégé » est, en fait, le texte latin du manuscrit de l'abbaye Saint-Victor retrouvé et transcrit par Aubert le Mire et édité à sa suite par tous les auteurs que nous avons cités.

L'exploration, le classement et l'inventaire des fonds d'archives européens devait révéler peu à peu des documents plus complets que la mémoire humaine avait oubliés. Une curiosité nouvelle et plus grande pour le Moyen-âge allait les recevoir avec intérêt.
Sources : Laurent Dailliez — Règle et Statuts de l'Ordre du Temple — Editions Pierre Belfond, Paris 1972.

Les manuscrits français de Rome, de Paris et de Dijon

En 1785, le savant danois Frédéric Munter découvre à Rome, à l'Académie des Lincei, un manuscrit français dont le texte est incomparablement plus important que celui du document latin de l'abbaye Saint-Victor. Le manuscrit date de la dernière décennie du XIIIe siècle et provient de la bibliothèque florentine des Princes Corsini, conservée à Rome, depuis la fin du XVIIIe siècle. On ignore de quelle manière il est entré dans cette collection. Son histoire antérieure est inconnue.

Il se présente sous la forme d'un volume in 4° de 133 feuillets de parchemin blanc, mesurant 232 mm sur 160 mm, écrits sur deux colonnes, en français du nord, et ornés d'initiales qui sont peintes en rouge et en bleu, alternativement. Il comprend le prologue relatif au Concile de Troyes, la traduction française de la règle latine et, à partir du 15e feuillet, le texte intégral des retraits.

Munter transcrit le document et publie en 1794, à Berlin, le « Livre des Statuts de l'Ordre des Templiers » (Statutenbuch des Ordens der Tempelherren, in 8° , 495 p.). L'ouvrage est un résumé en allemand du texte français de la règle accompagné de commentaires et notamment de comparaisons intéressantes avec les constitutions de l'Ordre Teutonique. Mais le tome II qui devait donner la transcription intégrale et originale du manuscrit Corsini ne paraît pas... La Règle du Temple demeurait donc sous le boisseau et le travail de Munter n'avait pas retenu l'attention.

Quarante ans plus tard, entre 1835 et 1838, deux découvertes françaises importantes allaient réveiller l'attention des historiens.
A Paris, M. Girard, conservateur de la Bibliothèque Royale, met au jour dans la partie non encore inventoriée de son immense fonds d'archives un document du XIIIe siècle qui pourrait être le modèle — ou la copie — du manuscrit de Rome.

A Dijon, le directeur des Archives de Bourgogne, Maillard de Chambure, identifie, parmi les titres du Prieuré de Champagne de l'Ordre de Malte, un autre exemplaire de la règle du Temple, tout aussi méconnu que celui de Paris.

Le manuscrit de la Bibliothèque Royale (Paris) provient de l'ancienne bibliothèque du Cardinal Mazarin. Comme le document Corsini de Rome, il comprend la règle française et son prologue et la totalité des retraits hiérarchiques, conventuels et disciplinaires. L'ensemble forme un volume de 230 mm sur 160 composé de 122 feuillets assemblés en 17 cahiers. Le texte est écrit sur parchemin mince, en deux colonnes de 17 lignes par page, rehaussé d'initiales qui sont alternativement rouges et bleues. On peut le faire remonter, comme le manuscrit de Rome, aux dernières années du XIIIe siècle.

La manuscrit découvert par Maillard de Chambure à Dijon se présente sous la forme d'un petit in 4° de 116 pages de 210 mm sur 150, écrit sur parchemin épais, à pleine page (une colonne) à raison de 19 lignes par page. Il comporte des rubriques écrites à l'encre rouge et est orné lui aussi, d'initiales bleues et rouges historiées à la plume. Le texte est écrit en français du nord mais comporte d'assez nombreuses formes méridionales dans le vocabulaire et la terminaison des mots. Jules Michelet qui oeuvre à la monumentale transcription des pièces du procès du Temple l'examine en 1838 et le date « de la fin du XIIe ou plus probablement du XIIIe siècle ».

Le texte de Dijon, beaucoup plus court que ceux de Rome et de Paris, ne comprend que les deux premières parties de ceux-ci : la version française de la règle primitive et les statuts hiérarchiques. Il s'arrête avant les textes relatifs à l'élection du grand maître (art. 198 et suivants) et ne comporte donc que 197 articles sur les 686 qui forment la règle. Il provient de la commanderie de Voulaines-le-Temple, chef-lieu du Prieuré de Champagne et fut probablement établi pour une maison d'importance secondaire (d'où son caractère fragmentaire), bien conforme aux exigences de la Règle (art.).

Les deux manuscrits de Paris et de Rome, parfaitement identiques et complets dans leur ensemble, sont exactement contemporains (fin du XIIIe siècle). Ils ne diffèrent que par d'infimes variantes de vocabulaire et des erreurs de copiste. Le texte de Dijon, fragment de la règle plus ancien (fin XIIe début XIIIe), présente des tournures dialectales spécifiques mais ne diffère — ni sur le fond ni sur la forme — des deux versions plus tardives et plus complètes. On est bien en présence d'un texte unique, émané d'une autorité centrale fondatrice et législative dont la règle nous dit précisément qu'elle a sa source dans le chapitre général et qu'elle est incarnée par le Grand Maître (art. 73, 85,220).

Inspiré par cette documentation neuve et rare sur un sujet qui est devenu mythique, stimulé par le phénomène néo-templier toujours à la mode — il a été triomphant sous l'Empire et la Restauration — Maillard de Chambure publie en 1840 un livre intitulé longuement : Règles et Statuts secrets des Templiers, précédés de l'Histoire, de l'établissement, de la destruction et de la continuation moderne de l'Ordre du Temple, publiés sur les manuscrits inédits des archives de Dijon, de la bibliothèque Corsini à Rome, de la Bibliothèque royale à Paris, et des archives de l'Ordre.

L'auteur reconstitue la teneur intégrale de la règle en complétant le texte de Dijon par celui de Paris. Mais cette addition forme un ensemble disparate : les deux documents ont été écrits à un siècle d'intervalle en des dialectes différents. Enfin, la transcription qui ne comporte ni division ni table n'est pas toujours très claire et les deux feuillets manquants du manuscrit de Paris n'ont pas été remplacés par les pièces correspondantes du manuscrit de Rome.
La publication de Maillard constituait pourtant un événement marquant de l'historiographie du Temple : pour la première fois, la « mystérieuse » règle des Templiers, objet de tant d'interrogations et de spéculations, de tant de divagations, prétexte essentiel du procès, était livrée dans sa totalité au public des historiens et des chercheurs.

Le livre était malheureusement difficile à consulter. Les pairs de Maillard, universitaires et chartistes, lui reprochaient — aussi — d'avoir accordé trop d'importance au témoignage et à la documentation apocryphe des néo-templiers modernes. Ils considéraient que ceux-ci « déparaient » l'oeuvre de l'historien.

C'est à Henri de Curzon, conservateur aux Archives nationales, qu'il reviendra de publier, cinquante ans plus tard, un ouvrage de critique scientifique qui servira de base de travail à toutes les recherches ultérieures.
Sa Règle du Temple, éditée en 1886 dans la collection de la « Société de l'Histoire de France », livre une transcription claire et parfaitement cohérente du manuscrit de Rome, accompagnée en bas de page des variantes relevées sur les manuscrits de Paris et de Dijon et du texte de la règle latine primitive. La transcription est accompagnée d'une table générale de la règle divisée en 686 articles et d'un tableau de concordance des articles de la règle latine avec ceux de sa traduction française du XIIe siècle.
Sources : Laurent Dailliez — Règle et Statuts de l'Ordre du Temple — Editions Pierre Belfond, Paris 1972.

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