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Chevaliers Limousins à la première Croisade

Gouffier de Lastours
Gouffier de Lastours   Les deux chevaliers limousins qui se sont le plus distingués à la première croisade sont Gouffier de Lastours et Raymond de Turenne. D'après un fragment des chroniques de Grandmont, ils partirent pour Jérusalem en 1096 (1).
Citons en premier lieu Gouffier de Lastours, qui, selon les expressions de Geoffroy de Vigeois, « se fit un grand nom dans la guerre sainte par ses exploits militaires, surtout devant la ville de Marrah (2) »
Il était seigneur du château de Lastours, près de Nexon. Fils de Guy de Lastours — qui fut inhumé dans l'église d'Arnac — et d'Agnès, sœur du seigneur de Chambon-Sainte-Valérie, il avait deux frères plus âgés que lui : Guy de Lastours, l'aîné, qui mourut à Jérusalem, et Gérald (3), surnommé Béchade, qui, comme nous le verrons plus loin, écrivit en langue limousine l'histoire de la première croisade.

Il est à croire que Guy de Lastours, son frère aîné, qui mourut à Jérusalem, faisait partie de cette première expédition ; il n'est pas moins probable que Gérald Béchade, brave chevalier, qui écrivit l'histoire de cette guerre, y avait figuré comme acteur et témoin. Gouffier de Lastours

Raymond Ier, vicomte de Turenne, un des compagnons d'armes de Gouffier de Lastours, « a mérité, dit Baluze, que les historiens de ce temps parlassent de lui »
Les historiens de la première croisade mentionnent en effet ses exploits pendant et après le siège d'Antioche, et ses coups de mains hardis avant et pendant le siège de Jérusalem.

« Parmi les vassaux du vicomte de Turenne, dit au même endroit le savant Baluze, je ne trouve mentionné que Raymond de Curemonte (4); duquel il est dit dans une charte du cartulaire de Tulle : « Sachent tous présents et à venir que moi, Raymond de Curemonte, quand je voulus aller à Jérusalem, avec Raymond, vicomte de Turenne, J'ai engagé à Guillaume, abbé de Tulle, la quatrième partie de l'église de Branceilles, etc.
Fait l'an de l'incarnation du Verbe 1096. »

Il est toutefois hors de doute que d'autres seigneurs du Bas-Limousin accompagnèrent le vicomte de Turenne dans cette expédition d'outre-mer.
Ainsi Géraud de Malefaïde, appelé par Collin « de Malefaye », est mentionné par les historiens au nombre des chevaliers auxquels le comte Raymond de Saint-Gilles confia la garde d'un fort construit près de la ville d'Antioche. Géraud de Malefaïde était seigneur de Saint-Viance, sur la Vésère. Il était proche parent de Gaubert de Malefaïde, moine de Saint-Martial et sacriste de Vigeois, qui fut nommé, en 1096, abbé du monastère d'Uzerche.

Aimery IV, vicomte de Rochechouart
Aimery IV, vicomte de Rochechouart Un autre seigneur limousin dont les historiens de la croisade n'ont pas parlé, mais qui prit part certainement à la guerre sainte, est Aimery IV, vicomte de Rochechouart, duquel il est dit, dans des chartes authentiques, « qu'il partit en 1096 pour Jérusalem »

 

 

Jourdain, prince de Chabanais
Jourdain, prince de Chabanais Faut-il compter parmi les chevaliers de la première croisade un noble voisin du vicomte de Rochechouart, c'est-à-dire Jourdain, prince ou seigneur de Chabanais, au diocèse de Limoges ?
Collin l'affirme dans sa Table chronologique : « Jourdain, prince de Chabanais, dit-il, accompagna Godefroy en Syrie, et enfin y meurt après plusieurs années de service.
Jourdain V « Eschivat » de Chabanais † 1119, seigneur de Chabanais et Confolens, croisé (1096)
(ses armes : « D'argent, à deux lions passants de gueules »)

Collin n'a pas inventé le fait, car, un siècle avant lui, François de Corlieu, dans son Histoire des comtes d'Angoulême, dit également, en parlant de « l'ainé Jourdain, prince de Chabanois », qu'il « fit le voyage d'outre-mer avec Godefroy de Boloigne (sic), lorsque la sainte cité de Hiérusalem fût conquise par les François, l'an mil quatre-vingt-dix-neuf; auquel voyage Jourdain mourut. »

Hélie de Malemort
Hélie de Malemort M. Bonnélye, dans son Histoire de Tulle, compte aussi parmi les chevaliers de la première croisade Robert de Roffignac et Pierre de Noailles, dont les noms et les armes figurent au musée de Versailles à côté de ceux de Gouffier de Lastours, de Raymond de Turenne et d'Hélie de Malemort

 

Pierre de Noailles
Pierre de Noailles96. PIERRE seigneur de Noailles en Limousin. Il fit le voyage de la Terre Sainte en 1111, et Hugues seigneur de Noailles mourut à la croisade de 1248, où il avait accompagné saint Louis. Ils portaient de gueules à la bande d'or. Sources : De Charles Gavard. Galeries historiques de Versailles, Volume 19. Sources : Livre numérique Google, page 19.

Robert de Roffignac
Robert de Roffignac La maison de Roffignac tient un rang distingué entre celles de l ancienne chevalerie. Elle a pris son nom d'une terre située en Limousin. Le cartulaire de l'église de Tulle, ceux des abbayes d'Uzerche et du Vigeois ont conservé les noms de ses premiers auteurs qui dans les XIe et XIIe siècles ont signalé leur piété envers ces monastères ou qui ont souscrit les chartes de donations qui leur ont été faites. Tel est le préambule du travail dressé par Chérin pour l'admission du comte de Roffignac aux honneurs de la cour en 1773. C'est à ce mémoire que nous avons emprunté textuellement les détails généalogiques et jusqu'à ce jour complétement inédits de la présente notice.
Robert de Roffignac possédait en 1103 une partie de la forêt de Corneille conjointement avec Bernard, vicomte de Comborn, et en fit donation à Saint Martin de Tulle pour réparer le monastère. Il alla en Palestine avec Etienne son fils en 1119. Son nom et ses armes sont à la salle des croisades du musée de Versailles.
Sources : Livre numérique Google, page 298

Toutes les images des blasons proviennent du site de Wikipedia.

La première expédition des croisés se composait, comme on sait, de plusieurs corps d'armée dont les chefs principaux étaient : Godefroy de Bouillon, accompagné de ses frères Baudoin et Eustache; Hugues le Grand, comte de Vermandois, frère de Philippe Ier, roi de France ; Robert, comte de Flandre ; Brienne, comte de Blois ; Robert, duc de Normandie, frère du roi d'Angleterre: Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, auxquels vint se joindre Bohémond, fils de Robert Guiscard, prince normand de la Pouilles ; accompagné du brave et fameux Tancrède.

Les chevaliers limousins, dont le territoire appartenait à l'ancienne Aquitaine, faisaient partie du corps d'armée de Raymond de Saint-Gilles ; le légat du pape, Adémar de Monteil, évêque du Puy, rehaussait par sa présence l'armée du conte de Toulouse.

Les chevaliers et autres soldats du Languedoc et de la Gascogne, de la Provence, de l'Auvergne et du Limousin, étaient rangés sous les bannières de Raymond de Saint-Gilles et du légat Adémar.

Parmi les chevaliers qui occupaient un rang distingué dans cette armée, les historiens des croisades citent en particulier Gaston, vicomte de Béarn; Raymond, vicomte de Castillon; Guillaume Amanjeu d'Albret; Raymond Pilet, seigneur d'Alais; Guillaume de Montpellier; Guillaume de Sabran; Guillaume, comte de Clermont, et les deux chevaliers limousins Raymond, vicomte de Turenne, et Gouffier de Lastours.

Ces nombreuses troupes, ne voulant pas suivre le même chemin pour se rendre en Orient, se divisèrent en trois corps d'armée, composés chacun de cent mille hommes : le premier, celui de Godefroy de Bouillon, se dirigea vers Constantinople en passant par la Hongrie ; le second, qui était formé des troupes réunies de Robert, comte de Flandre, de Robert de Normandie et d'Hugues le Grand, passa en Italie, pour s'embarquer au port de Bari; le troisième, celui de Raymond de Toulouse, suivit la voie de terre pour se rendre à Constantinople, où les chefs de la croisade s'étaient donné rendez-vous. Nous ne nous occuperons que du corps d'armée du comte de Toulouse, dans lequel se trouvaient les chevaliers limousins.

Raymond de Saint-Gilles, accompagné de sa femme Elvire et de son fils, partit, dans l'été de l'an 1096, à la tête d'une armée de cent mille croisés. Après avoir passé le Rhône à Lyon, il traversa les Alpes et les plaines fertiles de la Lombardie, puis se dirigea vers Constantinople, en suivant la ligne du Frioul et de l'Esclavonie (Slavonie), province située au sud de la Hongrie.

Toute la noblesse de la Gascogne du Languedoc de la Provence du Limousin et de l'Auvergne accompagnait Raymond et Adhémar dans lesquels le pape Urbain avait vu l'image vivante de Moïse et d'Aaron.
Les historiens contemporains nomment parmi les chevaliers et les seigneurs qui avaient pris la croix :
Héracle comte de Polignac
Pons de Balazun
Guillaume de Sabran
Éléasar de Montredon
Pierre Bernard de Montagnac
Éléasar de Castries
Raymond de Lisle
Pierre Raymond d'Hautpoul
Gouffiers de Lastours
Guillaume V seigneur de Montpellier
Roger comte de Foix
Raymond Pelet seigneur d'Alais
Isard comte de Die
Raimbaud comte d'Orange
Guillaume comte de Forez
Guillaume comte de Clermont
Gérard fils de Guillabert comte de Roussillon
Gaston vicomte de Béarn
Guillaume Amanjeu d'Albret
Raymond vicomte de Turenne
Raymond vicomte de Castillon
Guillaume d'Urgel comte de Forcalquier

A l'exemple d'Adhémar, les évêques d'Apt de Lodève d'Orange, l'archevêque de Tolède avaient pris la croix et conduisaient une partie de leurs vassaux à la guerre sainte.
Raymond comte de Toulouse suivi de son fils et de sa femme Elvire, se mit à la tête d'une armée de cent mille croisés, s'avança jusqu'à Lyon où il passa le Rhône, traversa les Alpes, la Lombardie, le Frioul, et dirigea sa marche vers le territoire de l'empire grec, à travers les montagnes et les peuples de l'Esclavonie.
Il est probable que nos chroniqueurs ont vaguement désigné sous le nom d'Esclavonie les pays habités par des populations slaves. Raymond d'Agiles l'historien particulier de la marche du comte de Toulouse, nous raconte que pendant trois semaines les chrétiens ne trouvèrent que des solitudes montagneuses sans animaux sans oiseaux. Puis il fallut se défendre contre des agressions continuelles.
Sources : De Joseph Fr Michaud. Histoire des croisades, Volume 1.
Livre numérique Google, page 94


« Dans l'Esclavonie, dit un historien de la guerre sainte (5), un grand nombre de croisés souffrirent beaucoup pour l'amour du Christ et du Saint-Sépulcre. Ils avançaient dans un pays couvert de brouillards si épais, qu'on ne pouvait rien distinguer de loin ; et les Turcs leur tendaient des embûches de toutes parts.

Mais le comte de Saint-Gilles, homme brave et prudent, faisait marcher le menu peuple au milieu du corps d'armée, et lui-même, avec deux bataillons de chevaliers, placés à la tête et à l'arrière-garde, le préservait des embûches des Turcs. Toutefois un grand nombre de croisés périrent par la faim ou par le glaive, parce que le pays était mauvais. On ne connaissait la direction du chemin que par le lever du soleil. »

Un autre historien des croisades, qui accompagnait le comte de Toulouse et l'évêque du Puy, Raymond d'Agiles, dit que ce corps d'armée, en passant par l'Esclavonie, eut beaucoup à souffrir à cause de la saison d'hiver. « L'Esclavonie, ajoute-t-il, est une terre déserte, montagneuse et sans chemins, où pendant trois semaines nous ne vîmes ni bêtes ni oiseaux. Les habitants du pays sont si agrestes et si incultes qu'ils ne voulaient ni faire de commerce avec nous, ni nous indiquer la route. Ils fuyaient de leurs bourgades et de leurs châteaux, et tuaient comme des animaux malfaisants les vieilles femmes et les infirmes qui suivaient l'armée de loin à cause de leur âge ou de leurs infirmités.

Nous avons été environ quarante jours en Esclavonie, pendant lesquels nous marchions au milieu de brouillards si intenses que nous pouvions quelquefois les palper et les éloigner avec la main. Le comte de Toulouse campait toujours le dernier. Les uns arrivaient au campement à midi, d'autres le soir ; le comte arrivait souvent à minuit, ou même au chant du coq. Partout dans cette contrée nous étions environnés d'ennemis qui nous tendaient des embûches (6). »

III. — C'est à travers ces périls que le corps d'armée de Raymond de Saint-Gilles parvint à Constantinople.
Arrivé le dernier des chefs croisés, le comte de Toulouse refusa d'abord de rendre hommage, comme les autres princes, à l'empereur Alexis ; plus tard il suivit leur exemple. Les croisés partirent de Constantinople en 1097, et arrivèrent le 14 mai devant la ville de Nicée, dont ils firent le siège. Raymond de Toulouse et Adémar de Monteil, avec le cinquième corps, venus les derniers, campèrent du côté du Midi. Une tour formidable, qui se trouvait de devant le camp de Raymond, fut minée par ses troupes, et s'écroula avec un horrible fracas. La ville eut été prise si les ténèbres de la nuit n'y eussent mis obstacle; mais le mur de défense fut refait pendant la nuit (7).
Toutefois les assiégés, ne pouvant plus tenir, se rendirent, le 20 juin, à l'empereur Alexis, du consentement des princes croisés, au grand déplaisir de leurs troupes.

La grande armée des croisés, divisée ensuite en deux corps, se mit en marche vers la Syrie. Dans les plaines de Dorylée, elle eut à combattre une armée musulmane de trois cent mille hommes (1er juillet 1097). Le premier corps commençait à plier, quand le second, commandé par Godefroy de Bouillon, vint relever son courage. Toutefois le combat continuait avec acharnement : tout-à-coup on vit descendre d'une montagne voisine dix mille hommes de l'arrière-garde, commandés par Raymond de Toulouse et l'évêque Adémar. Ce dernier renfort, arrivé à propos, décida la victoire : l'armée musulmane fut mise en déroute, et laissa vingt mille morts sur le champ de bataille.

Raymond d'Agiles, dans son Histoire de la croisade, attribue cette victoire à l'arrivée du comte de Toulouse : « Un messager de Bohémond, dit-il, accourut dans notre camp, qui était à une distance de deux milles. Aussitôt nos chevaliers prirent les armes, montèrent à cheval et fondirent sur l'ennemi. Dès que Soliman connut l'approche de notre armée, il désespéra de la victoire et fut forcé de prendre la fuite. Pendant deux jours nous trouvâmes sur notre route des chevaux morts à côté de leurs cavaliers (8). »

Après cette victoire, les croisés s'avancèrent sans obstacle dans la Syrie, et vinrent jusqu'à Antioche, dont ils commencèrent le siège le 21 octobre 1097. Pendant ce long voyage de France à Antioche, nous ne trouvons, dans les historiens de la croisade, aucune mention spéciale de nos chevaliers limousins.

§ I. — Siège d'Antioche.
— Exploits des chevaliers Limousins pendant le siège et après la prise de cette ville.

Les historiens des croisades ont fait une mention spéciale de trois chevaliers limousins qui se sont signalés pendant le siège d'Antioche et après la prise de cette ville : ces trois chevaliers sont Raymond de Turenne, Gérard de Malefayde et Gouffier de Lastours.

I. — Et d'abord, pendant le siège d'Antioche, le comte Raymond de Saint-Gilles fut chargé de faire garder par ses troupes une espèce de fort ou de camp retranché que les croisés avaient établi devant un pont de pierre par lequel les assiégés faisaient de fréquentes sorties. Le comte de Toulouse choisit cinq cents hommes des plus vaillants de son armée, auxquels il confia la garde de ce fort. Les principaux furent : Pierre, vicomte de Castillon; Raymond, vicomte de Turenne ; Guillaume de Montpellier ; Gaston de Béarn, Pierre-Raymond d'Hautpoul ; Guillaume de Sabran ; Géraud de Malefaïde et Gouffier de Lastours.

Un jour, sept mille Sarrasins sortirent d'Antioche, et attaquèrent le fort, qui n'était alors défendu que par soixante chevaliers : ceux-ci soutinrent bravement l'assaut, jusqu'à ce que, ayant reçu des renforts de l'armée chrétienne, ils forcèrent les ennemis à abandonner l'entreprise et à se retirer (9).

Mais laissons la parole à deux historiens de la croisade : « Ce fort ayant été achevé, nous commençâmes à serrer de toutes parts nos ennemis, dont l'orgueil et les prétentions avaient notablement baissé. Chacun des princes croisés avait contribué pour sa part à la construction de ce fort, qui fut défendu par un mur et un immense retranchement. On éleva deux tours sur la mosquée qui s'y trouvait enclavée. Tous nos princes confièrent la garde de ce fort au comte de Saint-Gilles, parce qu'il était campé en face. Il le gardait donc avec son armée, dans laquelle se trouvaient Gaston de Béarn, Pierre de Castillon, Guillaume de Montpellier, Raymond de Turenne, Geraud de Malefaïde, Gouffier de Lastours, Pierre-Raymond d'Hautpoul, Guillaume de Sabran, et plusieurs autres, que je ne puis énumérer. Le comte retenait, pour garder ce fort, tous les chevaliers qu'il pouvait trouver, et les payait de ses deniers. »

« Un jour, de grand matin, les Turcs vinrent attaquer ce fort, qu'ils investirent de toutes parts, en poussant de grands cris, et en lançant des nuées de flèches. Ils blessèrent et mirent à mort plusieurs de nos combattants, parmi lesquels Bernard de Pardile. Les tentes de nos chevaliers étaient couvertes de flèches qui s'y étaient attachées. Sans le secours qui leur vint de l'autre armée, les ennemis leur auraient causé le plus grand dommage. »

Raymond d'Agiles ajoute quelques détails sur cette funeste journée : « Là, dit-il, furent tués quinze chevaliers de notre armée et environ vingt hommes de pied ; là périt le porte-étendard de l'évêque dont le drapeau fut pris par les ennemis; là mourut un très noble jeune homme, Bernard-Raymond de Béziers (10) »

Les nôtres prirent le parti de construire une grande machine de guerre, avec laquelle ils pussent perforer le pont. Un jour le combat s'engagea au milieu du pont, sur lequel les croisés avaient traîné leur machine : il y eut un grand nombre de Turcs, et des plus braves, qui furent tués, et le pont fut percé. Mais, la nuit suivante, pendant que les nôtres se livraient au sommeil, les Turcs sortirent de la ville, brûlèrent la machine et restaurèrent le pont : ce qui causa une grande irritation dans le cœur des soldats de l'armée du Christ (11). »

II. — Après un siège de sept mois, la ville d'Antioche fut prise, le 3 juin 1096, grâce à l'habileté de Bohémond, qui avait su se ménager des intelligences dans la place, et à qui un renégat, nommé Phirous, livra une tour dont la garde lui était confiée.
Mais, peu de jours après, les croisés furent eux-mêmes assiégés dans Antioche par une formidable armée ennemie, sous les ordres de Kerbogâ, qui arrivait un peu tard au secours de la ville. En proie à une horrible disette, les croisés sentirent le tourment de la faim. Mais, encouragés par la découverte de la sainte lance, ils sortirent d'Antioche le 28 juin, et livrèrent bataille à l'armée musulmane. Le comte de Toulouse était retenu dans la ville par une blessure ; mais ses troupes, commandées par le légat Adémar, se trouvaient au centre de l'armée chrétienne. La mêlée s'engagea lorsque le clergé, à la suite d'Adémar, chantait le cantique de David : Ecurgat Deus, et dissipentur inimici ejus !
Rien ne résista au choc puissant de nos chevaliers, qu'exaltait un religieux enthousiasme; et soixante-neuf mille musulmans restèrent sur le champ de bataille (12).

Après cette éclatante victoire, les princes croisés résolurent de séjourner à Antioche jusqu'aux premiers jours d'octobre.
Nous avons trouvé, dans un des historiens de la première croisade, quelques exploits de nos chevaliers limousins, que nous ne devons pas passer sous silence.
Pendant le séjour que les croisés firent à Antioche, un très noble chevalier de l'armée du comte de Toulouse, qui s'appelait Raymond Pilet, prit avec lui un certain nombre d'hommes d'armes, chevaliers et écuyers. Il sortit d'Antioche, accompagné de Raymond de Turenne et de Gouffier de Lastours. Ils entrèrent tous ensemble avec beaucoup de prudence et de courage dans le pays des Sarrasins. Ayant laissé de côté deux villes, ils arrivèrent devant une cité qu'on appelle Talamanix. Les habitants de cette cité, qui étaient Syriens, se rendirent aussitôt à eux sans résistance. Après qu'ils eurent séjourné à Talamanix pendant huit jours, des messagers vinrent leur dire qu'il y avait non loin de là un château (ville fortifiée) rempli d'une multitude de Sarrasins. Alors les croisés marchèrent sur ce château, et, l'attaquant de toutes parte, ils s'en emparèrent aussitôt avec le secours du Christ. Ils firent prisonniers tous les habitants, laissant la vie sauve à tous ceux qui voulurent embrasser le christianisme, et mettant à mort tous ceux qui refusèrent de se faire chrétiens. Après cette expédition, nos Francs revinrent avec joie dans la cité d'Antioche (13).

Trois jours après, ils en sortirent de nouveau, et ils arrivèrent devant une ville nommée Marrah, qui était proche. Il y avait là un grand nombre de Turcs et de Sarrasins, et des Arabes venus de la cité d'Alep, et d'autres accourus de toutes les villes environnantes. Les Barbares sortirent pour livrer bataille, et les nôtres espéraient bien être victorieux : mais les ennemis se dérobèrent aussitôt, et prirent la fuite. Toutefois pendant cette journée jusqu'au soir il y eut des escarmouches de part et d'autre. Comme la chaleur était excessive, les nôtres, ne trouvant aucune source pour se désaltérer, et ne pouvant souffrir une soif aussi dévorante, voulurent rentrer à Antioche. Alors les Syriens et les soldats du menu peuple qui faisaient partie de notre armée commencèrent à prendre la fuite, parce qu'ils étaient sans chef, semblables à des brebis sans pasteur. Dès que les Turcs les virent s'enfuir, ils se mirent à leur poursuite, et il y en eut beaucoup des nôtres qui rendirent leurs âmes bienheureuses à Dieu, pour l'amour duquel ils étaient venus jusque-là. Ce massacre eut lieu le cinquième jour du mois de juillet (1096). Les Francs retournèrent dans leur cité d'Antioche, et restèrent là avec leurs troupes pendant plusieurs jours.

Il ne faut pas oublier que, le jour de l'Assomption de la sainte Vierge (15 août 1098), pendant que Raymond Pilet et Raymond de Turenne se tenaient ensemble sous les murs d'Antioche en toute confiance et sécurité, un grand nombre de Turcs, d'Arabes et de Sarrasins, sortis d'Alep et d'autres châteaux de ce pays montagneux, vinrent à l'improviste les surprendre et fondre sur eux. Alors Raymond de Turenne et Raymond Pilet, se voyant en présence de cette tourbe d'excommuniés, se munirent tous ensemble du signe de la croix, et, ayant invoqué le nom du Christ, se jetèrent vaillamment sur les ennemis. Dès que ces mécréants entendirent invoquer le nom du Christ, ils tournèrent bride ; et les nôtres, les poursuivant, tuèrent sept d'entre eux, et s'emparèrent de dix superbes chevaux. Les autres croisés, qui étaient restés dans Antioche, les reçurent avec de grands sentiments de joie et d'allégresse.

Toutefois les chevaliers, et spécialement ceux de l'armés du comte de Toulouse, étaient alors dans le deuil; car leur chef et pasteur, Adémar, évêque du Puy, qui, par la permission divine, avait été attaqué d'une cruelle maladie, venait de quitter ce monde : il s'endormit dans le Seigneur le 1er août, jour de saint Pierre-ès-Liens.

Peu de temps après, le vénérable comte de Saint-Gilles, guéri de sa blessure, entra dans le pays des Sarrasins, et arriva devant une cité qu'on appelle Albara. Il l'investit avec son armée, et s'en empara sur-le-champ. Un grand nombre de Sarrasins, hommes et femmes, furent mis à mort. Le comte voulut donner un évêque à cette ville, afin que cette maison du démon fût changée en un temple du Dieu vivant; et l'on choisit un prêtre vénérable, plein de sagesse et de piété, que l'on conduisit à Antioche, afin qu'il y reçût la consécration épiscopale (14).

§ 5. — Siège de la ville de Marrah. — Hauts faits de Gouffier de Lastours.
En sortant d'Antioche, vers la fin de novembre 1098, le comte de Toulouse alla mettre le siège devant la cité de Marrah. Comme c'est devant cette ville que Gouffier de Lastours, le héros limousin des croisades, « se fit un grand nom », on nous permettra de nous étendre sur ce sujet, et de reproduire ce que racontent divers historiens.

I. — Citons d'abord Pierre Tudebode ou Tudeboeuf, témoin oculaire, et l'un des vieux historiens de la première croisade : « Le mardi 23 novembre, le comte Raymond de Saint-Gilles sortit d'Antioche avec son armée, et il passa par la ville appelée Rugia et une autre qu'on nomme Albara. Le samedi, 27 novembre, il arriva devant une cité qui s'appelle Marrah, dans laquelle étaient réunis une grande multitude de Sarrasins, de Turcs, d'Arabes, et un très grand nombre de païens. Le lendemain, dimanche (28 novembre), il donna l'assaut à la ville ; mais il ne put s'en emparer, parce que ce n'était pas encore la volonté de Dieu. Ce jour-là même, Bohémond, qui marchait avec son armée à la suite de Raymond, vint camper auprès de Marrah. Le lendemain, lundi (29 novembre), les croisés attaquèrent la ville si vigoureusement que les échelles furent dressées contre les murs; et là assiégeants et assiégés se battaient à coups de lances et d'épées. Mais les païens déployèrent un si grand courage que, ce jour-là, ils ne furent pas vaincus par les croisés, lesquels, d'ailleurs, eurent beaucoup de maux à souffrir : car les vivres leur manquaient, et ils n'osaient en aller chercher nulle part, tant était grande la multitude des païens qui se trouvaient aux environs de la ville. »

Le lendemain était la fête de saint André (30 novembre). D'après le récit de Tudeboeuf, cet apôtre apparut à Pierre Barthélémy (ce chapelain du comte Raymond qui avait découvert la sainte lance à Antioche), et lui fit certaines recommandations, que le saint prêtre transmit aux croisés, et auxquelles ceux-ci promirent de se montrer fidèles.

« Alors Raymond de Saint-Gilles fit construire une espèce de château-fort ou de tour en bois, très solide et d'une grande élévation; ce château fut monté sur quatre roues, et un grand nombre de chevaliers y prirent place. Ebrard le Chasseur sonnait fortement du cor; et devant lui on agitait de glorieux étendards et des bannières, ce qui était très beau à voir. Au bas de ce château se trouvaient plus de cent chevaliers armés, qui le firent rouler auprès des remparts de la ville, en face d'une certaine tour.

« Les païens, de leur côté, avaient un grand nombre de machines avec lesquelles ils lançaient sur ce château de grandes pierres qui blessaient dangereusement nos chevaliers; ils déchiraient à coups de flèches et de pierres les étendards qui flottaient au sommet de la tour ; d'autres jetaient dessus du feu grégeois, avec lequel ils espéraient l'incendier : mais le Dieu bon et miséricordieux ne le permit pas. »

« Ce château dominait les remparts et les tours de la ville ; nos chevaliers, qui se trouvaient sur la plate-forme supérieure, à savoir Guillaume de Montpellier et plusieurs autres, lançaient de grosses pierres sur les Sarrasins qui se tenaient sur les murs de la cité, et il les frappaient de telle sorte sur leurs boucliers, que le païen tombait mort avec son bouclier dans l'intérieur de la ville. D'autres avaient des crochets au bout de leurs lances, et avec ces lances et des barres de fer ils s'efforçaient de tirer l'ennemi jusqu'à eux. Les prêtres et les clercs, revêtus de leurs ornements sacrés, se tenaient au-dessous de la tour de bois, priant et conjurant Notre-Seigneur Jésus-Christ de défendre son peuple, de donner la victoire à ses soldats, d'exalter la chrétienté, et de détruire le paganisme. Et l'on combattit ainsi jusqu'au soir. »

« Alors un certain Gouffier de Lastours, très noble chevalier (honestissimus miles), monta sur le rempart par une échelle qui se brisa tout à coup sous le poids de ceux qui le suivaient. Gouffier, debout sur la muraille, combattait les ennemis et les tuait à coups de lance. Ses compagnons, ayant trouvé une autre échelle, la dressèrent promptement contre le mur, sur lequel montèrent plusieurs chevaliers et hommes de pied ; et il y en monta un si grand nombre, que le sommet des remparts pouvait à peine les contenir. Les Sarrasins les attaquèrent si vigoureusement, en leur lançant des flèches du haut des tours et de l'intérieur de la ville, ou en les frappant de près à coups de lance, qu'un grand nombre des nôtres, saisis de terreur, se jetèrent au bas du mur. Mais les braves qui étaient restés sur le rempart soutenaient courageusement l'attaque des ennemis ; pendant ce temps, les autres, qui étaient sous le château de bois, s'occupaient à percer le mur de la ville. Les Sarrasins, voyant que nos soldats avaient fait une trouée dans le mur, furent aussitôt frappés de terreur, et s'enfuirent dans l'intérieur de la cité. Toutes ces choses arrivèrent le samedi (11 décembre), à l'heure de vêpres, au coucher du soleil.

« Alors Bohémond fit dire par un interprète aux principaux chefs sarrasins de se réfugier avec leurs femmes, leurs enfants et leurs trésors dans un palais situé au-dessus de la porte de la cité, et qu'il les sauverait de la peine capitale. Les nôtres entrèrent dans la ville, et tout ce qu'ils purent trouver de bon dans les maisons et dans les caves, ils se l'approprièrent ; et, quand le jour fut venu, partout où ils rencontraient des Sarrasins, hommes ou femmes, ils leur donnaient la mort. Il n'y avait pas un coin dans la cité où l'on ne trouvât des corps de Sarrasins, et à peine pouvait-on faire un pas dans les rues sans fouler aux pieds des cadavres. Quant à ceux que Bohémond avait fait entrer dans le palais, il s'en empara, leur enleva tout ce qu'ils possédaient, l'or, l'argent et autres ornements ou richesses ; parmi eux, les uns furent exécutés, les autres conduits à Antioche pour y être vendue comme esclaves. Il y en eut beaucoup des nôtres qui trouvèrent dans la ville toutes qui leur était nécessaire, et beaucoup d'autres qui ne trouvèrent rien à piller. Ensuite on séjourna si longtemps dans cette cité, qu'un grand nombre d'entre eux souffrirent de la faim ; ils n'osaient pas s'aventurer au-dehors, dans le pays des Sarrasins, pour chercher des vivres; et auprès d'eux ils ne trouvaient rien à manger, car les chrétiens de cette contrée ne leur portaient rien à vendre. Les pauvres de notre armée se mirent à déchirer les cadavres des Sarrasins, parce qu'ils trouvaient des besans cachés dans leurs entrailles. D'autres, tourmentés par le faim, coupaient les corps en morceaux et les faisaient cuire pour leur nourriture. Mais les chefs de notre armée, voyant cela, firent porter les cadavres en dehors de la ville, auprès des portes ; et là, on en faisait des monceaux, pour les consumer et les réduire en cendres (15). »

Ce récit de PIERRE TUDEBOEUF a été reproduit, avec quelques légers changements, par l'écrivain anonyme qui a continué et augmenté son œuvre, et dont le texte a été publié par Manillon (16).

Baudry de Bourgueil, archevêque de Dol, dans son Histoire de Jérusalem (17), et ORDERIC VITAL, dans son Histoire ecclésiastique (18), ont également reproduit, avec quelques modifications de détail, le récit de cet ancien chroniqueur, qui mérite d'autant plus de confiance, qu'il semble avoir écrit, jour par jour, le récit des événements dont il était témoin oculaire.

II. — Citons encore un autre historien de la croisade, Raymond d'Agiles, qui accompagnait l'armée du comte de Toulouse : « Après les préparatifs nécessaires, le jour fixé pour le départ, le comte de Saint-Gilles et le comte de Flandre s'avancèrent avec leur armée dans la Syrie, et ils mirent le siège devant Marrah, cité très riche et très peuplée. Les habitants de Marrah étaient tellement orgueilleux de ce que précédemment ils avaient tué un certain nombre des nôtres, qu'ils maudirent notre armée et injurièrent nos princes ; et, pour aggraver leurs provocations, ils plaçaient des croix sur les remparts, et leur faisaient toutes sortes d'outrages. C'est pourquoi, le second jour de notre arrivée, nous les attaquâmes avec une telle vigueur que, si nous avions eu en plus quatre échelles, la ville eût été prise. Mais, comme nous n'en avions que deux, d'ailleurs trop courtes et assez fragiles, et qu'on n'y montait qu'avec crainte, on résolut de fabriquer des machines, des claies et des béliers, avec lesquels on battrait la muraille pour la percer et l'abattre. Cependant Bohémond vint avec son armée, et cerna la ville d'un autre côté. Après qu'on eut préparé les armements dont nous avons parlé, comme pour engager Bohémond, qui n'était pas présent à la première attaque, nous voulûmes combler le fossé, et faire l'assaut du rempart.
Mais nos efforts furent vains, car on combattit avec plus de mollesse qu'auparavant. Ensuite une telle disette régnait dans l'armée que, chose triste à dire, vous auriez vu plus de dix mille hommes aller à travers champs, comme des troupeaux, fouillant la terre, et cherchant si, par hasard, ils pourraient trouver quelques grains de froment ou d'orge, ou des fèves, ou d'autres légumes. »

Raymond d'Agiles raconte ensuite la vision que le prêtre Bar Pierre et André lui apparurent, d'abord couverts de vêtements en lambeaux, ensuite revêtus d'une éclatante lumière, et, après lui avoir rappelé la victoire miraculeuse remportée par les chrétiens sous les murs d'Antioche, après avoir reproché les désordres qui régnaient dans le camp des croisés, lui donnèrent l'assurance que la cité de Marrah tomberait au pouvoir de l'armée chrétienne. Le lendemain, l'évêque d'Orange, qui avait remplacé comme légat du pape l'évêque du Puy, Adémar de Monteil, raconta cette vision aux croises, qui furent remplis d'espérance.
Raymond d'Agiles ajoute (19) : « Après cela, on fabrique promptement des échelles, on construit une tour de bois, on tresse des claies, et, le jour convenu, on donne l'assaut. Pendant que nos soldats cherchaient à percer le mur, ceux qui étaient dans la ville jetaient sur eux des pierres avec de puissantes machines; ils lançaient pêle-mêle des traits, du feu grégeois, des pièces de bois, des ruches d'abeilles et de la chaux vive : mais, par la puissance et la miséricorde de Dieu, ils n'atteignaient point les nôtres ou n'en blessaient qu'un petit nombre. Nos soldats, armés de leurs pierriers et de leurs échelles, attaquaient le rempart sans perdre courage. Ce combat dura depuis le lever jusqu'au coucher du soleil avec une telle violence qu'on ne se donna aucun repos, et la victoire était encore incertaine. Enfin tous nos soldats, d'une voix unanime, crièrent vers le Seigneur afin qu'il fût propice à son peuple, et qu'il accomplit la promesse faite par ses apôtres. Le Seigneur vint aussitôt à notre secours, et nous livra la ville, selon la parole que ses apôtres avaient donnée. »

« Gouffier de Lastours monta sur le rempart avant tous les autres. Il fut suivi de plusieurs, qui envahirent la tour de la cité; et la nuit survint, qui mit fin au combat. Mais les Sarrasins occupaient encore plusieurs tours et une partie de la ville. Nos chevaliers, qui comptaient que les assiégés tiendraient jusqu'au lendemain, faisaient la garde autour des murs, de peur que quelqu'un de leurs soldats ne prit la fuite ; mais ceux-ci, qui ne tenaient guère à la vie, et qui avaient appris, par de longs jeûnes, à mépriser l'existence, ne craignaient pas de guerroyer avec l'ennemi au milieu des ténèbres ; et c'est ainsi que les pauvres de l'année s'emparèrent des maisons et des dépouilles des Sarrasins. »

III. — Nous ne traduirons pas Guillaume de Tyr, qui n'a fait que modifier légèrement le texte de Raymond d'Agiles : nous nous bornerons à compléter, d'après lui, le récit de la prise de Marrah : « Le lendemain matin, les princes, s'étant levés, s'emparèrent de la ville sans combat, mais n'y trouvèrent que peu de butin. Ayant appris que les habitants s'étaient cachés dans des cavernes souterraines, ils allumèrent de grands feux, y firent entrer une épaisse fumée, et les forcèrent ainsi à se rendre. Arrachés par la violence à cette dernière retraite, les uns périrent par le glaive, les autres furent chargés de fers et faits prisonniers. Là mourut le seigneur Guillaume, évêque d'Orange, d'heureuse mémoire, homme religieux et craignant Dieu (20). »

IV. — Citons enfin un autre historien de la croisade, Robert le Moine, qui, après avoir raconté longuement, en langage poétique, les diverses phases du siège de Marrah, est entré dans plus de détails sur les exploits de Gouffier de Lastours.

Robert le Moine décrit la tour de bois, plus élevée que les tours de pierre, et qui comprenait trois étages, dont l'étage supérieur était couvert de chevaliers; puis il ajoute : « Guillaume de Montpellier était avec un grand nombre d'autres à l'étage supérieur ; il avait avec lui un chasseur nommé Evrard, très habile à jouer de la trompette, et qui, par le son éclatant de sa voix, effrayait les ennemis et excitait les siens à la bataille. Et, pendant que Guillaume de Montpellier portait le ravage autour de lui (car, en lançant des rochers énormes, il ébranlait jusqu'au toit des maisons), ceux qui étaient au-dessous de lui perçaient la muraille, d'autres appliquaient une échelle devant les créneaux du rempart. Quand l'échelle fut dressée, comme personne n'osait y monter le premier, un certain Gouffier de Lastours, noble chevalier, n'écoutant que son courage, s'élança vers le haut de la muraille, et fut suivi de plusieurs braves. Quand les païens virent les nôtres monter sur le rempart, saisis d'une violente colère, ils les assaillirent de tous côtés, et les accablèrent d'une telle grêle de traits et de flèches, que quelques-uns de nos soldats, qui étaient déjà sur la muraille, se jetèrent en bas, et, en tombant brisés sur la terre, trouveront la mort, qu'ils espéraient éviter. Mais nos jeunes et vaillants guerriers, qui voyaient Gouffier de Lastours combattre avec un petit nombre au sommet du rempart, s'oubliant eux-mêmes pour ne songer qu'à leurs compagnons, montent à l'assaut sur le champ et couvrent de leur multitude une partie du mur. Debout auprès de la tour de bois, les prêtres et les lévites, ministres du Seigneur, invoquaient le soutien de la nation chrétienne, Jésus-Christ, le fils de Dieu, et disaient : « Seigneur, ayez pitié de nous ! Soyez notre bras dès le matin, et notre salut dans le temps de la tribulation ! Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent pas et sur les royaumes qui ignorent votre nom ! Dissipez-les par votre force, et abattez-les, Seigneur, notre protecteur ! »

« Pendant que les uns combattaient, que les autres mêlaient leurs pleurs aux chants liturgiques, que d'autres perçaient la muraille, Gouffier était tout en sueur au milieu du plus rude combat. Tous les ennemis se jetaient sur lui et ses compagnons : lui et ses compagnons luttaient contre tous les ennemis. Son bouclier était puissante protection pour les siens, qui étaient auprès de lui sur la muraille. La plateforme étroite du rempart ne permettait pas à ses compagnons de se mettre à côté de lui, et ne permettait qu'à un seul homme des ennemis de venir en face ; mais aucun des ennemis ne put triompher de Gouffier, tandis que lui en abattit un grand nombre. C'est pourquoi personne n'osait se présenter devant lui, parce que chacun craignait pour lui-même le sort qu'il avait fait subir aux autres. On jetait sur lui des traite, des flèches, des pieux, des pierres; et son bouclier en était tellement chargé qu'un homme seul n'aurait pu le soulever. »

« Déjà le vaillant guerrier succombait à la fatigue ; déjà la sueur ruisselait de tout son corps sur la terre; déjà il était urgent qu'un autre vint le remplacer, quand ceux qui avaient troué la muraille entrèrent avec impétuosité dans la ville, tranchant la tête à tous ceux qu'ils rencontrèrent les premiers. Alors ceux, qui étaient sur la muraille, stupéfaits de cette entrée imprévue, sentirent leur sang se glacer dans leurs veines, et leur cœur fut saisi d'effroi. »

« Que pouvaient faire ces malheureux, qui, se voyant condamnés à mort, avaient perdu le sens, et que des ennemis cernaient de toutes parts, et hors des murs, et dans l'enceinte de leurs murailles ? Cependant Gouffier, qui avait été sur le point de succomber à la fatigue, avait repris de nouvelles forces; et, sans être protégé par son bouclier ou son casque, brandissant dans sa main droite sa large épée rouge de sang, il poursuivait les ennemis, qui s'enfuyaient devant lui pêle-mêle; et il en fit périr un plus grand nombre par la frayeur qu'il leur inspira que par les coups de son épée; car ils se précipitaient du haut des murs, et trouvaient la mort dans leur chute (21). »
C'est ainsi que, par sa bravoure héroïque, Gouffier de Lastours se fit un grand nom sur les remparts de Marrah.

§ 6 — Marche des Croisés sur Jérusalem. — Exploits de Raymond de Turenne.

I. — La ville de Marrah fut livrée aux flammes, et le comte de Toulouse en sortit, le jour de saint Hilaire (14 janvier 1099), avec Robert de Normandie et Tancrède, pour marcher sur Jérusalem.
Les autres princes ne partirent d'Antioche qu'au mois de mars pour la même destination. Après avoir traversé, sans résistance, plusieurs villes de Syrie, Raymond de Saint-Gilles arriva, le lundi 14 février, devant la ville d'Archas, dont il fit le siège.

Cette place forte, située au pied du Liban, à quelques lieues de Tripoli, était bâtie sur des rochers élevés, et environnée de remparts qui paraissaient inaccessibles. Les croisés plantèrent leurs tentes près de cette cité, admirablement fortifiée par l'art et par la nature, et remplie d'une troupe innombrable de païens, c'est-à-dire de Turcs, de Sarrasins et d'Arabes. Les assiégés se défendirent avec un si grand courage que, au bout de trois mois, les croisés, voulant marcher sur Jérusalem, furent obligés de lever le siège.

Dans les premiers jours de leur arrivée sous les murs d'Archas, quelques chevaliers de notre année sortirent du camp, et se dirigèrent vers la ville de Tripoli, qui était proche. Ces six chevaliers étaient : Raymond de Turenne; Pierre, vicomte de Castillon ; Begue de la Ribière, Amanieu de Loubens, Guillaume Bouti et Sicard. Ces six chevaliers rencontrèrent soixante chevaliers ennemis, turcs, sarrasins, arabes ou kurdes, qui conduisaient un nombreux convoi de nos hommes faits prisonniers, et chassaient devant eux plus de quinze cents têtes de bétail. Dès que les nôtres les virent, quoiqu'ils fussent en petit nombre, ils invoquèrent le Dieu des armées, et, s'étant munis du signe de la croix, ils se jetèrent hardiment sur les ennemis, et, avec l'aide de Dieu, les mirent en pleine déroute. Ils tuèrent six d'entre eux, s'emparèrent de six de leurs chevaux, et revinrent triomphalement au camp avec un immense butin. L'armée salua leur retour avec enthousiasme (22).

Peu de temps après, plusieurs chevaliers, commandés par Raymond, vicomte de Turenne, et par Raymond Pilet, inséparables compagnons d'armes, se détachèrent de l'armée du comte de Toulouse, et, ayant déployé leurs bannières, chevauchèrent vers la cité de Tortose. Dès qu'ils y furent arrivés, ils l'attaquèrent dans un vigoureux assaut, quoiqu'elle fût défendue par une multitude d'ennemis mais, ce jour-là, les nôtres ne firent rien.

Le soir étant venu, ils se retirèrent à l'écart, auprès d'une forêt; ils plantèrent leurs tentes, et, toute la nuit, ils allumèrent de grands feux, comme si toute l'armée chrétienne eût été là, derrière eux. Cette ruse de guerre leur réussit à merveille. Les assiégés, effrayés par cette grande quantité de feux, et s'imaginant que tous les croisés étaient arrivés sous leurs murs, prirent secrètement la fuite pendant la nuit, laissant la ville remplie de toutes sortes de provisions et de richesses, avec un excellent port sur la mer. Le lendemain, les nôtres, ayant voulu donner l'assaut à la cité, la trouvèrent vide ; ils y entrèrent, en rendant grâces à Dieu, et y séjournèrent jusqu'à ce qu'on eût levé le siège d'Archas (23).

En s'éloignent de cette cité pour marcher sur Jérusalem, les croisés, longeant les côtes de la Syrie, traversèrent plusieurs villes, et arrivèrent, vers la fin du mois de mai, à celle d'Acre. Si nous faisons mention de cette cité, c'est pour signalé l'erreur dans laquelle le vieil auteur des Annales de Limoges, qui a placé là un exploit de Gouffier de Lastours et des guerriers limousins : « Les chrestiens conquérans Hiérasalem, dit-il, gaignèrent au port de Farfar la première bataille, et obtindrent victoire, le 5 mars, à Nichée. Parquoy assiégèrent la ville d'Acre, où donnèrent plusieurs assauts. Advint que les chrestiens, estans en tropt grand nombre pour assaillir, se partirent distribuant les compagnies selon les nations, et, par ordre, donnoient lieu de combattre les uns aux autres. Bref, (Geoffroy de Lastours), conduisant les Limousins, eust, comme les autres, rangt de combattre pour assaillir la cité. Lequel, après avoir bien exhorté sa bande, les Limousins, par grande hardiesse et générosité, prindrent la cité par force, tuant tous les qu'ils trouvèrent, le restant restant sauvé par le lac avec des bateaux qu'ils avaient préparés : où ledit de Lastours et Limousins receurent grand gloire et honneur (24). »

Le vieil auteur des Annales de Limoges aura sans doute confondu la ville de Marrah avec celle d'Acre, et placé près de cette dernière ville le lac qui se trouvait près de Nicée.

II. — Les croisés arrivèrent le 7 juin sous les murs de Jérusalem.
L'aspect de la ville sainte, but de leur pèlerinage, objectif de leurs travaux, excita leur enthousiasme religieux et guerrier. Ils tombèrent à genoux, et s'écrièrent : « Salut, Jérusalem, gloire du monde, toi qui a vu le Christ souffrir pour notre salut ! »

Robert de Normandie campa du côté du nord : il avait non loin de lui le comte de Flandre; du côté de l'occident, la ville fut assiégée par Godefroy de Bouillon et Tancrède; le comte de Toulouse s'établit au midi, sur la colline de Sion. Notre but n'est pas de raconter en détail les péripéties du siège : nous nous bornerons à signaler quelques exploits des chevaliers limousins.

Le troisième jour du siège (10 juin 1099), après que l'armée eut planté ses tentes, pendant qu'elle se reposait des fatigues du voyage et qu'on préparait des machines pour donner l'assaut aux remparts, Raymond Pilet et Raymond de Turenne, les deux frères d'armes, suivis de plusieurs autres chevaliers, sortirent du camp en éclaireurs, et parcoururent les contrées environnantes, de peur que les ennemis ne tombassent sur eux à l'improviste, et que, devant leur attaque subite, les chrétiens ne fussent pas préparés au combat. Ils rencontrèrent un bataillon de deux ou trois cents Arabes, les attaquèrent et les mirent en fuite; ils en tuèrent un grand nombre, et s'emparèrent de trente de leurs chevaux; ressource d'autant plus précieuse, que beaucoup de chevaliers, ayant perdu leurs montures, étaient obligés de combattre à pied. Après cette victoire, ils rentrèrent joyeux au camp des chrétiens (25).

Quelques jours après, le lundi 13 juin, les croisés donnèrent un premier assaut à la ville, et ils l'auraient emportée, pensaient-ils, s'ils avaient eu un assez grand nombre d'échelles. Ils eurent à combattre corps à corps avec les Sarrasins sur le haut des remparts. Il y eut beaucoup de morts de part et d'autre, surtout du côté des ennemis; mais le clairon donna le signal de la retraite, et les croisés rentrèrent dans leur camp (26).

Sous un ciel de feu, par un été brûlant, l'armée chrétienne eut à souffrir cette chaleur torride et cette calamité de la soif que le Tasse a si poétiquement décrites dans sa Jérusalem délivrée (27).

Au milieu de leur détresse, un secours inespéré leur arriva. On annonça dans le camp cette nouvelle, qu'une flotte chargée de munitions et de vivres était entrée au port de Jaffa, l'antique Joppé.

Les princes tinrent conseil pour savoir comment ils feraient arriver jusqu'au camp les provisions apportées par la flotte. Il fut décidé qu'on enverrait un certain nombre de chevaliers vers le port de Jaffa, pour assurer le transport des munitions et pour défendre les vaisseaux contre les attaques des Sarrasins. « Dès les premiers rayons du jour, dit Robert le Moine, cent chevaliers sortirent de l'armée du comte de Saint-Gilles. A leur tête se trouvaient Reymond Pilet, toujours livré aux travaux de la milice, toujours étranger au repos, puis l'autre Raymond, vicomte de Turenne, Achard de Montmerle et Guillaume de Sabran. Ils se dirigèrent, prêts à combattre, vers le port de Jaffa. Pendant cette marche, trente d'entre eux se séparèrent de leurs compagnons pour explorer les chemins, et voir s'ils rencontreraient des ennemis. Ils se trouvèrent tout à coup en face de sept cents Turcs ou Arabes, et, malgré leur petit nombre, ils n'hésitèrent pas à fondre sur eux. Ceux qu'ils frappèrent dans le premier choc tombèrent pour ne plus se relever ; mais, accablés par la multitude des ennemis, les trente chevaliers ne pouvaient tenir longtemps (28) : il leur fallut songer à la retraite. Alors les Sarrasins, suivant leur manière de combattre, enveloppèrent la petite troupe, et déjà ils se flattaient de l'exterminer, quand un courrier arriva à bride abattue vers Raymond Pilet : « Hâtes-vous d'accourir au secours de vos compagnons d'armes, autrement ils sont tous perdus ! Les ennemis les environnent, et ils ont beaucoup de mal à se défendre. » Raymond Pilet et Raymond de Turenne, enfonçant leurs éperons dans le flanc de leurs coursiers, viennent à toute bride au secours de leurs frères d'armes. Se couvrant de leurs boucliers, ils dispersent les Sarrasins à coups de lance et renversent tout ce qu'ils trouvent sur leur passage.

Les ennemis se forment alors en deux bataillons et pensent pouvoir résister, mais en vain. Les Francs se précipitent de nouveau sur eux avec furie, et délivrent leurs compagnons de l'étreinte des cavaliers arabes. Là toutefois ils perdirent Achard de Montmerle, très brave chevalier, et quelques-uns de leurs hommes de pied. Les Turcs tournèrent le dos et prirent la fuite; mais un grand nombre d'entre eux tombèrent sons les coups de lance de nos chevaliers, qui les poursuivirent jusqu'à une distance de quatre milles. Les nôtres s'emparèrent de cent trois chevaux, et retinrent vivant un Sarrasin, qui leur dévoila tous les projets de l'ennemi (29).

III. — Les croisés, pour donner l'assaut à Jérusalem, construisirent de grandes machines, c'est-à-dire de véritables châteaux en bois, du haut desquels ils pouvaient non-seulement combattre plus avantageusement l'ennemi, mais encore s'élancer, à ville. Ils furent obligés d'aller chercher au loin le bois nécessaire à ces constructions, et les charpentiers de l'armée se mirent à l'œuvre. Godefroy de Bouillon et le comte de Toulouse construisirent chacun une machine à leurs frais. Celle de Raymond de Saint-Gilles s'élevait en face des remparts du midi. Mais, comme de ce côté un large fossé était creusé devant les murs de la cité sainte, le comte Raymond promit un denier à tous ceux qui y jetteraient trois pierres; et, pendant trois jours et trois nuits, le peuple chrétien s'occupa à combler ainsi le fossé profond qui empêchait la machine de joindre le rempart. Las pontifes et les prêtres, revêtus de leurs ornements sacerdotaux, faisaient d'ardentes exhortations aux croisés pour relever leur courage ; ils les pressaient de venger Dieu des outrages qu'il recevait de la part des infidèles, « de délivrer le Christ, qui était de nouveau crucifié dans Jérusalem, et ils leur montraient combien il serait beau et glorieux de mourir pour le Christ dans cette ville où le Christ était mort pour eux. »

Donc, le mercredi 13 juillet, on commença à donner l'assaut à la ville. Le lendemain jeudi, la lutte dura toute la journée avec acharnement sans amener de résultat décisif. Le vendredi 15 juillet devait être une grande date dans l'histoire. Préparés par le jeune et par la prière, fortifiée par la communion, les soldats du Christ, dès les premiers rayons du jour, reprennent l'assaut avec un courage incroyable. Ils s'avancent intrépides vers les assiégés, qui, du haut de leurs tours et de leurs murailles, font pleuvoir sur eux une grêle de traits et de pierres, des torches enflammées et du feu grégeois. Le comte de Toulouse fait rouler jusqu'au pied du rempart sa machine formidable.

Mais, si l'attaque est ardente, la résistance est opiniâtre; et, couverts de sueur et de sang, les croisés se sentent un instant découragés. Vers trois heures du soir de ce jour de vendredi, ils se rappellent que c'est à pareil jour et à pareille heure que le Christ est mort pour le salut du genre humain, et, sous l'impression de cette pensée, ils tentent un effort suprême. Aucun obstacle ne peut les arrêter. Les uns, du haut de leurs tours roulantes, jettent sur les remparts de grosses poutres, le long desquelles ils se glissent pour pénétrer dans la ville; d'autres, au moyen d'échelles, escaladent les murailles; d'autres, à coups de haches, enfoncent les portes. Godefroy de Bouillon et son frère Eustache entrent d'un côté; de l'autre, Robert de Normandie et Robert de Flandre arrivent à la tête de leurs guerriers; Tancrède, « furieux comme un lion rugissant », poursuit, l'épée nue, les infidèles, qui s'enfuient effarés dans le temple de Selomon, où ils sont immolés comme des victimes. Le comte de Toulouse, averti par les cris des Musulmans du triomphe de l'armée chrétienne, communique à ses soldats une nouvelle ardeur; Raymond Pilet, Gouffier de Lastours, Guillaume de Sabran, Raymond de Turenne, se précipitent sur les Sarrasins, qui, s'enfuyant épouvantés, vont avec l'émir de Jérusalem se réfugier dans la tour de David.
Jusque-là les Musulmans s'étaient défendus avec un courage héroïque. Mais, quand ils virent que les Francs étaient entrés dans la ville, comprenant l'inutilité de leurs efforts, ils jetèrent bas les armes, et se laissèrent égorger sans résistance.

Exaspérés par la durée de la lutte, les chrétiens frappaient sans pitié tout ce qui se trouvait sur leur passage. Le carnage fut horrible. Les rues de la cité sainte étaient jonchées de cadavres et inondées de sang. « Nul ne sait, dit un historien, le nombre de ceux qui périrent ce jour-là. »

L'émir de Jérusalem, qui avait cherché un abri dans la tour de David, se rendit au comte de Toulouse, à la condition que lui et les siens seraient conduits sains et saufs jusqu'à Ascalon. Raymond de Saint-Gilles prit cet engagement et fut fidèle à sa parole; de sorte que ceux-là échappèrent au massacre.

Après ce triomphe acheté par tant de périls, la joie des croisés fut immense. Ils avaient atteint leur but, ils étaient arrivés au terme de leurs labeurs, ils avaient délivré le Saint-Sépulcre. Ils lavèrent leurs mains teintes de sang, et s'en allèrent, pieds nus, vénérer le tombeau du Sauveur (31).
C'est le vendredi 15 juillet 1099 que Jérusalem fut délivrée du joug des infidèles.

IV. — Quatre semaines après, le vendredi 12 août.
L'armée des croisés se couvrit d'une nouvelle gloire. Aguerris par trois années de fatigues et de combats, ces hommes de fer étaient devenus invincibles. Au nombre de mille chevaliers et de trente mille hommes de pied, ils allèrent au-devant de trois cent mille égyptiens qui venaient au secours de Jérusalem, et qu'ils rencontrèrent dans les plaines d'Ascalon. Ils étaient un contre dix : ils remportèrent une des victoires les plus éclatantes dont l'histoire fasse mention. Godefroy de Bouillon commandait l'aile gauche de l'armée; au centre, se trouvaient Robert de Normandie, Robert de Flandre et Tancrède ; le comte de Toulouse était à la tête de l'aile droite, du côté de la mer. Ils s'élancèrent sur les égyptiens, et « les fauchèrent comme des épis. » Trente mille ennemis restèrent sur le champ de bataille; plus de deux mille furent étouffés en se pressant pour entrer dans la ville d'Ascalon; quant à ceux qui poursuivaient les guerriers du comte de Toulouse, et qui, en fuyant, allèrent se noyer dans les flots de la mer, on n'en saurait dire le nombre. Cette victoire d'Ascalon termina glorieusement la première croisade.

§ 7. — Retour des Croisés.
I. — Après la prise de Jérusalem, la plupart des croisés, ayant accompli leur vœu, songèrent à rentrer dans leur pays. Ils firent de touchants adieux aux chevaliers qui restaient dans la Terre-Sainte, et versèrent des larmes sur ceux de leurs compagnons qu'ils laissaient dans l'exil. Raymond de Saint-Gilles voulut demeurer en Orient, où il mourut après quelques années d'une vie aventureuse. La plupart de ses chevaliers s'embarquèrent pour se rendre en Aquitaine en traversant l'Italie. Ils voulaient visiter Rome, afin de recevoir la bénédiction du pape Pascal, qui venait de succéder au grand pontife Urbain II. Dans toutes les villes où ils passaient, ils étaient reçus comme des triomphateurs, tenant à la main des palmes de l'Idumée, symbole et souvenir de leurs victoires; et la foule empressée accourait au-devant d'eux en chantant des cantiques.

II. — A propos de rembarquement de Gouffier de Lastours.
Nous devons éclaircir, au point de vue critique, un fait raconté par un grand nombre d'historiens. Dans un article sur la première croisade que le P. Labbe a intercalé dans la chronique de Geoffroy de Vigeois, on lit l'anecdote suivante, qui se rapporte à notre héros « Cet homme, digne de mémoire, dirigeait de fréquentes attaques contre les ennemis, auxquels il faisait subir continuellement de grandes pertes. Or il arriva qu'un jour il entendit les rugissements d'un lion qu'un serpent avait enlacé de ses replis monstrueux. Gouffier s'approche hardiment, [découpe en tronçons le corps du reptile], et délivre le lion. Chose étonnante ! Le lion, se souvenant du bienfait qu'il avait reçu, le suivait comme un chien fidèle (32). Pendant tout le temps que Gouffier demeura dans la Terre-Sainte, ce lion ne le quitta jamais, et lui procura de grands avantages, soit à la chasse, soit dans les combats. Il le pourvoyait abondamment de venaison, et, d'un bond rapide, terrassait les ennemis de son maître.
Quand le chevalier s'embarqua pour retourner dans son pays, le lion ne voulut pas le quitter; et, comme les matelots, craignant la cruauté de cet animal, refusaient de le recevoir dans le navire, il suivit son maître à la nage, jusqu'à ce que, épuisé de fatigue, il disparut au milieu flots (33). »

Ce fait a été raconté par un grand nombre d'historiens et d'écrivains. Au XIVe siècle, Bernard Guy le rapporte dans la Vie du pape Urbain II (34); on le lit dans les Annales de limoges (35) et dans l'Histoire des Croisades du P. Maimbourg (36). Le P. Bonaventure, dans ses Annales du Limousin (p. 428), Nadaud, dans son Nobiliaire (37), n'ont pas manqué de le rappeler; et de nos jours, Michaud, dans son Histoire des Croisades (38), Rougier-Chatenet, dans sa Statistique de la Haute-Vienne, page 220.

III. — Faut-il voir dans ce récit du lion fidèle un fait historique ou une légende fabuleuse ? — Nous trouvons bien, dans les historiens des Croisades, des exemptes de lions apprivoisés : mais un lion apprivoisé subitement par un sentiment de reconnaissance, et allant à la chasse pour les besoins de son maitre, ....
Suite de cette fabuleuse histoire. BNF

IV. — De retour en Limousin, Gouffier de Lastours, voulant faire hommage de ses trophées à l'apôtre de l'Aquitaine, donna au monastère de Saint-Martial cinq étendards qu'il avait conquis sur les Sarrasins. C'est ce que nous conjecturons d'un passage de Geoffroy de Vigeois, où il est dit que, « le jour des Rameaux, les moines de Saint-Martial, vêtus d'aubes blanches, portaient en procession l'image en or du Sauveur qu'on appelle la Morène (39), et cinq étendards précieux, qu'on appelait « la bannière de Gouffier de Lastours » (40).

Dans la guerre de Jérusalem, Gouffier avait acquis un anneau d'un grand prix, orné sans doute de riches diamants, que le vicomte de Limoges Adémar l'Ancien exigea de lui par adresse. Le fils d'Adémar, le vicomte Guy, avait hérité cet anneau de son père, et, quand il mourut à Jérusalem (1148), il légua cet anneau à son frère Aymar (41). Sous quel prétexte et par quelle ruse Adémar l'Ancien enleva-t-il cet anneau à Gouffier de Lastours ? C'est ce que le chroniqueur de Vigeois ne dit pas. Gouffier avait aussi apporté de Jérusalem de magnifiques tapisseries, dont il avait orné, au château de Pompadour, les murs d'une tour qui portait son nom (42).

V. — Gouffier fut un des fondateurs de l'abbaye de Dalon, située dans la paroisse de Segonzac (aujourd'hui diocèse de Tulle). L'an 1114, le vénérable Géraud se Salles (de Salis), fondateur de l'abbaye de Cadouin en Périgord, voulut établir en Limousin une maison de son ordre : Gouffier et son frère aîné Gérald firent don au vénérable abbé du territoire désert et de la forêt de Dalon, dont ils étaient seigneurs par droit héréditaire. Géraud de Salles bâtit un monastère au milieu de cette forêt; et, dans une assemblée où se trouvaient Guillaume, évêque de Périgueux, Maurice, abbé de Solignac, Guy, abbé de Tartoire, avec Gérald et Gouffier de Lastours, l'évêque de Limoges, Eustorge, confirma cette donation. On trouve dans le Gallia Christiana deux chartes qui relatent ces faits, et dont l'une est ainsi conçue : « Moi, Gérald de Lastours, et moi Gouffier, son frère, pour le salut de nos âmes et de celles de nos parents, nous donnons à Dieu, à la bienheureuse Marie, et au vénérable père dom Géraud de Salles, tout ce que nous avons ou que quelqu'un de nous possédait dans la forêt de Dalon » (43). Gouffier, son épouse Agnès, ses fils Guy et Olivier, et d'autres membres de cette famille, firent en divers temps des présente considérables à cette abbaye (44).

VI. — Gouffier de Lastours eut en partage la châtellenie d'Hautefort, qu'il possédait en 1126 (45); la même année, il passa un accord avec Eustorge, évêque de Limoges, touchant l'église d'Objat (46). Les enfants de sa race et ceux de son fils Olivier devaient recevoir à perpétuité l'hommage de tous les chevaliers de Lastours (47).

Il fut inhumé dans une chapelle basse de l'église du Châlard, qu'il avait contribué à bâtir, et dans laquelle reposait aussi son ami le bienheureux Geoffroy, fondateur de ce monastère. Le tombeau dont nous avons rapporté l'inscription paraît postérieur à l'époque de sa mort. Toutefois Justel, le P. Bonaventure, dont nous avons cité les témoignages.

VII. — Raymond de Turenne, quand il fut de retour de la croisade, fit beaucoup de largesses aux monastères de son pays. L'an 1103, à l'occasion de la mort de sa mère Gerberge, qui fut inhumée devant la porte principale de l'église de Tulle, Raymond donna à ce monastère trois manses situés dans la forêt de Roë (48). Ces manses sont ceux de Chansilva (Saint-Silvain), de la Rivière et de Viers (49).
L'an 1105, il donna au même couvent, pour l'âme de Guillaume, son père, le manse de Salesse, appelé Auriol (50).

Vers l'an 1106, le vicomte Raymond et Geoffroy de Salignac renoncèrent, en faveur du monastère d'Userche, à tous les droits qu'ils pouvaient avoir sur l'église de Turenne; Raymond donna au même monastère une borderie et trois manses situés à Saint-Pantaléon, et il confirma toutes les donations que son père avait faites au monastère de Nadaillac (51).

L'an 1116, le 5 des ides de mars, il donna au monastère de Tulle le manse appelé de la porte de Saliac. Ce dernier acte fut fait solennellement en présence de quelques chevaliers du vicomte, savoir Raynaud de la Génébriéra, Eustorge de Chalm et Elie de Tulle (52).

« Comme pieux souvenir de son expédition en Terre-Sainte, il fonda une léproserie à Nazareth, près de Turenne. On y voit encore des bâtiments où séjournèrent dans la suite les chevaliers du Temple, et un hôpital, appelé Jaffa, qui fut connu plus tard sous le nom d'hôpital Saint-Jean (53). »

§ — 8. — Béchade de Lastours et son Histoire de la première Croisade.
Suite des Lastours. BNF
Sources: Arbellot, François. Les chevaliers limousins à la première croisade (1096-1102). Paris 1881 BNF

NOTES
« 1. Intermilites Lemovicensis diocesis de Turribus qui Jerosolymam profecti sunt anno 1096, nominatur Robertus (lisez Raimundus) de Torenna et Gulpherius in quodam codice. » (Ap. Labbe, bibliothèque nova, tome II, page 399.
2. « Supradicti castri (de Turribus) princeps fuit Gulpherius de Terribus qui, in suprascrito bello, et maxime apud Marram urbem, magnum sibi nomen in proclaris facinoribus acquicivit. » (Gaufredus Vosiens., ap. Labbe, tome II, page 206)
3. « Guidi de Agne sonore principis castri de Chambon S. Valeriae genuit Guidonem, Geraldum et Gulpherium, et Arnaco tumulatur. GuidoHierosolymis obiit... Superior ille magnusque Gulpherius, de quo mention fit historia Hierosolymitani belli, frater Guidonis et Geraldi. » (Gaudfred. Vosins., ap. Labbe, tome II, page 282-283.)
4. CUREMONTE, Département: Corrèze, Arrondissement: Brive-la-Gaillarde, Canton: Meyssac - 19
5. MUSEUM ITALICUM, tome I, pars altera: Belli sacri historia, page 142.
6. RAYMOND D'AGILES, Historiens des Croisades, in-folio : Historiens occidentaux, tome III, page 236. Raymond Agiles
7. RAYMOND D'AGILES, Historiens des Croisades, in-folio : Historiens occidentaux, tome III, page 239.
8. RAYMOND D'AGILES, Historiens des Croisades, in-folio : Historiens occidentaux, tome III, chapitre IV, page 240.
9. DOM VAISSETTE. Histoire du Languedoc, tome II, page 208.
10. RAYMOND D'AGILES, Historiens des Croisades, in-folio : Historiens occidentaux, tome III, chapitre IV, page 244.
11. PIERRE TUDEBOEUF, Historiens des Croisades : Historiens occidentaux, tome III, page 50.
— TUDEBODI IMITATOR ET CONTINUATOR, Historiens des Croisades : Historiens occidentaux, tome III, page 206, 207.
12. Lettres des princes Croisés au pape Urbain II, ap. Baluze, Miscellan., tome I, page 413-418.
— Lettre de Boémond, ap., MICHAUD, Histoire des Croisades, tome I, Pièces justificatives, n° 1.
13. MUSEUM ITALICUM, tome I, paragraphe II, page 196.
— Historiens occidentaux des Croisades, in-folio, tome III, page 206.
14. MUSEUM ITALICUM, tome I, paragraphe II, page 197-198.
— Historiens des Croisades; Historiens occidentaux, in-folio, tome III, page 267.
15. PETRI TUDERODI historia ap. Historiens des Croisades : Historiens occidentaux, tome III, page 90-94.
16. MUSEUM ITALICUM, tome I, paragraphe II, page 190-201.
17. GULTERIUS temen de Tarribus, vir alti sanguinis et audecie mirabilis, Lemovicensis oriundus prosapiae, primus audaster scalam necendit, et asque la murum pedem tetendit. [PATROLOG., Tome CLXVI, col. 1199 et seq.)
18. PATROLOG, Tome CLXXXVII, col. 687 et saq.
19. RAYMOND D'AGILES, Historiens des Croisades, in-folio : Historiens occidentaux, tome III, chapitre IV, pages 266-270.
20. WILLELM DE TYR, ap. Historiens des Croisades : historiens occidentaux, Tome I, page 291.
21. ROBERT MONACHUS, ap. Historiens des Croisades : Historiens occidentaux, tome III, page 846-848.
22. PIERRE TUDERODE historia ap. Historiens des Croisades : Historiens occidentaux, tome III, page 203.
— MUSEUM ITALICUM, tome II, pars II, page 203.
— ROBERT LE MOINE, au lieu de six chevaliers, en compte 14, qu'il ne nomme pas (Livre VIII, chapitre XII), Voir Historiens occidentaux des Croisades, tome III, page 853.
23. PIERRE TUDERODE historia ap. Historiens des Croisades : Historiens occidentaux, tome III, page 98.
— ROBERT LE MOINE, (Livre VIII, chapitre XII, page 834)
— MUSEUM ITALICUM, tome I, pars II, page 204.
24. Annales manuscrites de Limoges, édition Docourtieux, 1873, page 145.
25. ROBERT LE MOINE, livre, IX, chapitre II. Historiens des Croisades ; Historien occidentaux, tome III, page 963.
26. BALDERIC. DOL., PATROLOG., Tome CLXVI, col, 1130.
27. GERUSALEMME, liberata, canto XIII.
28. ROBERT MONACHUS ou ROBERT LE MOINE (Historia Hierosolymitana). Historiens des Croisades : Historiens occidentaux, tome III, page 864.
29. ROBERTI MONACHI ou ROBERT LE MOINE, Historia Hitrosolymitana, tome CLXVI, col, 1149.
31. BALDERICSUS DOLENSUS. PATROLOG., tome CLXVI, col, 1141-1145.
— MUSEUM ITALICUM, tome I, paragraphe II, page 296.
32. Un lévrier (laporarius).
33. Ap. LABBE, T. II, page 288.
34. Ap. MURATORI, Der., Mal., Script., tome II, page 358.
35. Annales manuscrites de Limoges, Edition Decourtieux, page 145.
36. le MAIMBOURG, Histoire des Croisades, livre II, Paris in-4°, 1675, page 180.
— LE MAIMBOURG cite la grande chronique de Flandre (Magnum Chronicum Belgi, année 1096)
— Cette chronique a été publiée dans les Ecrivains d'Allemagne, par Pistorius.
37. Nobiliaire du diocèse de la généralité de Limoges, tome III, 1878, page 42.
38. Histoire des Croisades, édition 1854, tome 1, page 196.
39. Que signifie le mot de Morène qui était donné également à l'image de saint Etienne, premier martyr, qu'on possédait à la cathédrale, et à l'image du Sauveur, qu'on possédait à Saint-Martial ? — Dans notre Etude sur Adémar de Chabannes (page 19), nous avons dit que la merveilleuse châsse qu'Etienne, septième abbé de Saint-Martial, plaça sur l'autel de cette église, s'appelait Muneram, mot grec qui veut dire unique, nonpareille : nous pensons que le mot Morenam vient, par corruption, de Munerum. Et en effet Bernard Itier (page 287) appelle le Morena cette chasse merveilleuse que l'abbé Etienne, d'après Adémar, avait appelée Muneram. Du Gange pense que ce mot signifie là un pavillon qui couvrait l'autel : mais il se trompe, car un pavillon n'est pas portatif.
40. « Monachi S. Martialis candidati confluunt cum Morena Salastoris aurea, et capem beati Austriclinani, praeter ornementa plurima, vexilla quimque pretiosa, quae appellantur Bannum Gulferit de Turribus.
— (Ap. LABBE, Tome II, page 312) »
41. Chronica GAUFREDI, ap. LABBBE, Tome II, page 307.
42. GAUFRED. VOSIENS, ap. LABBE, Tome II, page 340.
43. GALLIA CHRISTIANA, Tome II, instrum., col. 201-202.
— P. BONAVENTURE, tome III, page 446.
— MABILLON, Annales Bénédictines, livres LXXII, n° LXXVIII.
44. P. BONAVENTURE, tome III, page 446.
— GALLIA CHRISTIANA, Tome II, col. 624.
45. NADAUD, nobiliaire Limousin, Tome III, page 45.
46. UMPLIC, Tome VII, page 356.
47. GAUFRED VOSIENS, ap. LABBE, tome II page 341.
48. BALUZE, Histor Tutel., page 115, 449.
49. Paroisse de Corrèze, (BONAVENTURE, Histoire de Tulle, tome II, pages 66, 69)
50. Paroisse de la Chapelle-aux Bros (BONAVENTURE, Histoire de Tulle, tome II, pages 66, 69)
51. COMBET, Histoire d'Uzerche, page 62.
52. BALUZE, Histoire de Tulle, page 35, 467.
53. BONAVENTURE, Histoire de Tulle, tome II, page 69.

Sources: Arbellot, François. Les chevaliers limousins à la première croisade (1096-1102). Paris 1881 BNF

Ponce de balazuc

Un chevalier du Vivarais à la première Croisade.
Les splendides fêtes par lesquelles la France catholique solennisait à Clermont, du 16 au 19 mai dernier, le VIIIe centenaire de la première Croisade, ont des échos dans la France entière et bien plus loin encore.

Ces échos se manifestent avant tout dans de saints élans et d'ardentes prières pour la protection de la religion chrétienne contre l'impiété et la barbarie d'aujourd'hui. Mais ils se manifestent aussi dans les recherches historiques sur le concile de Clermont où la première Croisade fut prêchée par Urbain II, sur cette croisade même, et sur les personnages qui y prirent part.

C'est ainsi qu'un écrivain, qui paraît connaître beaucoup et surtout aimer les gloires du Vivarais, a recueilli sur un vieux chevalier de cette province, d'intéressants renseignements que l'Univers vient de publier (1).
1. Editions quotidienne, 23 mai 1895, article signé C. L.

Ce chevalier est Ponce de Balazuc, lequel tirait ce nom d'un ancien village du Vivarais habité par sa famille, laquelle en eut très probablement le fief et l'antique château (2).
2. Balazuc est le chef-lieu d'une paroisse de ce nom et d'une population de 800 âmes, dans le canton de Vallon, arrondissement de Largentière (Ardèche).

La première partie de sa vie est inconnue, nul chroniqueur ne nous en ayant écrit les prouesses ; mais nous sommes moins mal renseignés sur la dernière (de beaucoup la plus courte), grâce à une histoire à laquelle il a personnellement contribué (3).
3. Raymundi de Agiles, canonici Podiensis, Historia Francorum qui ceperunt Hierusalem. — Cette histoire a été insérée par Bongars dans ses Gesta Dei per Francos (Hanaw, 1611), et traduit en français dans les Mémoires sur l'Histoire de France par M. Guizot, tome XXI. On en trouve encore le texte dans Migne, Patrol. lat., CLV, 591.

Nous obéissons nous-même à un double sentiment de religion et de patriotisme en réunissant ici ce que nous avons pu recueillir sur Ponce de Balazuc dans l'article de l'Univers et ailleurs. Voici notre modeste travail.

Quand Urbain II eut prêché la croisade au concile de Clermont (novembre et décembre 1095), Adhémar de Monteil, évêque du Puy et légat du pape dans cette sainte expédition, se prépara au départ.

Vers la fin d'octobre 1096, l'évêque du Puy se dirigea vers les Alpes, à la tête d'une armée de cent mille hommes, commandés par Raymond IV, comte de Saint-Gilles et de Toulouse.

Parmi les grands hommes qui formaient cette belle armée, on distinguait, dit M. Maimbourg (4), « Guillaume évêque d'Orange, les comtes Gérard de Roussillon, Guillaume de Montpellier, Gaston de Béarn, Guillaume de Forêt, Raimbaud d'Orange, Raimond 1er vicomte de Turenne, et quelques comtes espagnols, avec Bernard archevêque de Tolède, et tous les plus braves seigneurs et gentilshommes auvergnats, gascons, languedociens, et provençaux. »
4. Histoire des Croisades, tome 1er, page 78.

Or, au nombre de ces braves fournis par la Provence était Raymond des Agiles ou plutôt d'Eygaliers (5), qui fit partie de l'expédition en qualité de chapelain du comte de Toulouse. Au nombre de ceux que fournit le Languedoc était le chevalier Ponce de Balazuc, du diocèse de Viviers. Pendant les premiers jours de marche, ces deux personnages se lièrent d'amitié. Ponce, qui était un des plus braves chevaliers du comte de Saint-Gilles et son ami particulier, conçut le projet d'une histoire de l'expédition qui commençait. Il fit part de ce projet à Raymond des Agiles, et lui conseilla d'écrire cette histoire. Raymond goûta le projet et se mit immédiatement à l'œuvre.
5. Cette dernière forme, comme l'a fait justement observer M. Lacroix, archiviste de la Drôme, est la traduction la plus exacte de Raymundi d'Agulers et de Aguileriis, traduit approximativement par des Agiles, sans doute à cause de la variante de Agiles. Or, Eygaliers (caslrum Aguilerii en 1216, castrum de Aguilariis en 1293, castrum de Ayguileriis en 1317), aujourd'hui village et commune du canton du Buis (Drôme), appartenait anciennement à la famille des Mévouillon, chez laquelle le prénom de Raymond se transmettait comme un héritage sacré (LACROIX. L'Arrondissement de Nyons, tome I, pages 302-303). D'autre part, plusieurs historiens de notre siècle ont, nous ne savons d'après quels renseignements, donné Saint-Paul-Trois-Châteaux pour patrie à notre « Raymond des Agiles, » pour parler comme M. Delacroix dans son Essai sur la statistique de la Drôme. Cet ouvrage, imprimé en 1817, est, à notre connaissance du moins, le premier en date où l'assertion soit formulée.

Un des motifs qui détermina les deux amis à faire cette œuvre, fut d'apprendre que certains déserteurs de la croisade, étant revenus dans leur pays, y débitaient beaucoup de faussetés et de calomnies qui détournaient les autres chrétiens d'aller au secours de leurs frères. C'est du moins le motif qui en fut allégué, un peu plus tard, en ces termes : « Nous avons cru nécessaire de raconter toutes les grandes choses que le Seigneur a faites par nos mains dans l'Orient, parce que les lâches déserteurs de l'armée de Jésus-Christ ont altéré la vérité dans leur récit. Lorsqu'on aura reconnu leur apostasie, on fuira également leurs discours et leur présence. Si l'armée de Dieu a souffert pour ses péchés, la miséricorde du Seigneur lui a donné la victoire sur ses ennemis. »

C'est par l'arrivée des croisés dans l'Esclavonie, aujourd'hui la Dalmatie, que commence le récit. On y décrit ensuite ce pays ; on y raconte, avec des détails intéressants et au jour le jour, les assauts livrés à l'armée sainte par les barbares, les artifices de la perfidie grecque, les sièges de Nicée, d'Antioche, de Marra et de Jérusalem. On y parle des souffrances inouïes que l'armée éprouve, des victoires qu'elle remporte et des échecs qu'elle subit. Le récit se termine avec les événements de l'année 1099.

L'ouvrage nous a conservé une foule de particularités négligées par les autres historiens. Parmi les plus intéressantes, il y en a sur la part que Raymond des Agiles et Ponce de Balazuc prirent à l'invention et au portage de la sainte Lance. Douloureuses, y est-il dit, avaient été les péripéties de la route à travers des pays inconnus, où l'on avait eu à lutter sans cesse contre des peuples ennemis. C'était au prix de mille difficultés qu'on était enfin arrivé auprès d'Antioche, dont il avait fallu faire le siège. Grand fut le découragement des croisés, quand, maîtres d'Antioche après un siège de plus de six mois, et épuisés de privations et de fatigues, ils se virent de nouveau obligés de combattre contre l'armée, aussi nombreuse qu'aguerrie, du sultan de Mosoul. Il fallait que Dieu vienne à leur aide. En effet, un événement merveilleux ne tarda pas à ranimer leur ardeur. Un prêtre, nommé Pierre Barthélémy, raconta que saint André lui avait montré dans l'église de Saint-Pierre l'endroit où l'on trouverait le fer de la lance qui avait percé le côté de Notre-Seigneur. Il l'avait assuré que ce fer sacré serait pour les croisés un gage certain de leur prochaine délivrance, pourvu qu'ils fissent pénitence de leurs péchés. Ce prêtre offrait de passer au travers d'un feu, pour confirmer la vérité de ce qu'il annonçait. Le comte Raymond de Saint-Gilles envoya à la recherche de la lance plusieurs seigneurs, parmi lesquels était Ponce de Balazuc. On creusa à l'endroit indiqué, et, après toute une journée de travail, on trouva en effet un fer de lance, dont la vue exalta le courage des croisés.
Ceux-ci, ranimés par l'événement firent une sortie et triomphèrent des Musulmans dans une bataille célèbre. Pendant tout le combat, Raymond des Agiles porta la sainte lance devant Adhémar de Monteil son évêque, ainsi qu'il nous l'apprend lui-même dans son histoire. La ville d'Antioche fut délivrée (fin de juin 1098), et l'armée chrétienne put continuer sa marche vers Jérusalem.

Ponce de Balazuc eut part, avec les troupes du comte de Saint-Gilles, à l'attaque et à la prise de Marra, ville située à deux ou trois journées d'Antioche, vers Apamée. Puis l'armée du même comte alla attaquer Arcas, ville située sur une colline, à deux lieues de Tripoli et à une lieue de la mer. L'attaque en fut commencée le 11 février 1099. L'ardent comte de Saint-Gilles croyait prendre la place sans peine. Mais l'émir de Tripoli y avait mis une très forte garnison. Les hommes du comte en furent repoussés et celui-ci se vit contraint d'y mettre le siège, qu'il y tint « inutilement près de trois mois avec perte de plusieurs vaillants hommes, » de sorte qu'on dut finir par laisser Arcas à l'émir pour se porter vers Jérusalem (6). Or, Ponce de Balazuc fut au nombre de ces vaillants hommes qui ne devaient pas voir la ville sainte, pour avoir péri au siège d'Arcas. « Là, dit Raymond des Agiles, est tué d'un coup de pierre le seigneur Ponce de Balazuc, pour l'âme duquel je demande les prières de tous les orthodoxes, surtout des transalpins et de toi, révérend évêque de Viviers, pour qui j'ai pris soin d'écrire cet ouvrage (7). »
6. MAIMBOURG, Histoire des croisades, tome 1, page 165.
7. Viviers avait alors pour évêque un homme du plus haut mérite. Il se nommait Léger. Il occupa le siège de Viviers de 1096 à 1119. C'est manifestement à lui que fut dédiée l'Histoire des Francs qui prirent Jérusalem, comme Raymond des Agiles le dit ici, après avoir mis plus haut cette courte dédicace : « A l'évêque de Viviers, mon seigneur, salut et participation de notre travail. »
— Recueil des Historiens des Croisades, histoire occidentale, tome III, page 235.
— Histoire littéraire de la France, tome VIII, page 623.
— Gallia Christ, nova, tome XVI, col. 552-524).


Et immédiatement notre historien ajoute ces mots, où semble se refléter le souvenir de l'amitié qui l'avait uni au défunt et de la collaboration qu'il en avait reçue : « Maintenant, pour ce qui reste, avec l'inspiration de Dieu qui a tout fait, je vais m'efforcer de terminer avec la même joie avec laquelle j'ai commencé. Je prie donc et je supplie tous ceux qui entendront la suite de mon récit, de croire qu'il est la pure vérité. »
Voilà bien le genre simple, sincère de cet historien, qui a constamment écrit avec la plus parfaite bonne foi et au jour le jour, au fur et à mesure des événements, ce qu'il avait vu de ses propres yeux. Voilà ce qui a valu à son ouvrage la haute estime de ceux même qui l'ont trouvé trop crédule en quelques points.
Mais avec la mort de Ponce de Balazuc finit la tâche par nous assumée de recueillir les traits connus de sa vie. Ajoutons seulement aux lignes ci-dessus ces quelques mots terminant l'article de l'Univers dont nous avons parlé au début de notre modestissime notice. Ils ne seraient sujets à absolument aucune réserve, si nous étions tout à fait sûrs de la possession par la famille de notre Ponce, du vieux château dont il y est parlé.

« Dans un coin reculé du Vivarais, on peut encore voir des parties bien conservées du château de Pons de Balazuc, l'église où il fit bénir ses armes avant son départ, le donjon et les remparts naguère encore intacts. Le village qui le vit naître a encore l'aspect d'un village du moyen âge avec ses maisons romanes sur lesquelles plus tard furent greffées des maisons aux fenêtres gothiques, lorsque les guerres eurent amené leur ruine. Les rues ont aussi conservé leur même aspect. Ce serait, en un mot, un village du XIe et du XIVe siècle, n'étaient le pont jeté sur l'Ardèche et là-haut, en face du vieux donjon, une nouvelle église élégante, élancée, à peine terminée. Grand acte de foi et du vénéré pasteur et de la population qui n'ayant comme ressource que la Providence, se sont mis résolument à l'œuvre et ont construit, comme on construisait au moyen âge, une maison à Dieu. »

« Le souvenir de Pons de Balazuc sera perpétué par les verrières de cette église et par la vieille église elle-même auprès de laquelle, au cri de Dieu, le veut ! Il quitta sa famille et son château et alla mourir là-bas, bien loin, en combattant pour la cause de Dieu. »
Sources : Fillet, Louis (abbé). Un chevalier du Vivarais à la première croisade : Ponce de Balazuc. Privas 1895. BNF

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