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Robert de Craon

Robert-de-Craon Juin 1136 début 1147

L'an 1136, juin, un acte, passé en faveur de la commanderie de Richerenches cite Robert de Craon en qualité de Maître de l'Ordre. Les documents se rapportant à l'activité intensive du deuxième Maître sont beaucoup plus complets et rapprochés. En réalité, c'est lui le véritable législateur du Temple. Il donna sa forme à l'Ordre, forme qui ne fera qu'évoluer par la suite. Son rôle, à l'intérieur du Temple, fut des plus importants. Il fut un administrateur de premier plan et un juriste éclairé.
Son influence fut grande tant sur les chevaliers que sur l'entourage immédiat des prélats, seigneurs et même des rois.
Pour nous en tenir aux dates extrêmes de son magistère, en dehors de la bulle de confirmation de l'Ordre, Innocent II lui adressa la bulle « Ecclesiasticis utilitalibus », datée du Latran, qui confirmait certaines possessions.
Il est mentionné pour la dernière fois en 1146 à l'occasion d'une donation faite en Navarre.
Guillaume de Tyr le cite en 1148 comme faisant partie des chevaliers qui se joignirent à l'armée de Louis VII.
Cette affirmation est un peu hasardeuse, puisqu'au mois d'avril 1147 son successeur était en place.
L'obituaire de Reims signale sa mort le jour des ides de janvier, soit le 13. Selon l'acte, confirmé par Garcia, comte d'Aragon, ce ne peut être qu'en 1147.

Robert de Craon 1136-1147

Robert, fils de Renaud, sire de Craon, surnommé le Bourguignon, est le cadet de trois frères et s'est installé en Aquitaine ou le comte d'Angoulème l'a fiancé avec la fille d'un seigneur. Lorsqu'il apprend la fondation de l'Ordre du Temple, il rend sa parole à sa fiancée, et part pour la Palestine se faire Templier.
Sa valeur et sa piété lui valent d'être désigné Grand-Maître à la mort d'Hugues de Payens. Peu après son élection, il bat l'émir d'Alep, qui se livre à des opérations de brigandage à travers la Palestine, avec sa troupe. Mais l'émir, tandis que les chevaliers chrétiens se livrent à leur tour au pillage, revient et les taille en pièces.
L'état du royaume de Jérusalem est tel que le Grand-Maître ne peut quitter la Palestine, et participer à une expédition des Templiers d'Espagne qui, avec 70 vaisseaux, mettent le siège devant Lisbonne. L'expédition est un échec.
En 1140, à la bataille de Técua, les Templiers opposent une résistance héroïque à l'armée turque.
La mort accidentelle, lors d'une chasse, du roi Foulques provoque des troubles et des intrigues dans le royaume. II laisse deux fils de 13 et 7 ans ; la reine Mélisende assure la régence, mais, à la majorité de son aîné, refuse d'abandonner le pouvoir. Edesse, tombe aux mains des Turcs, après un siège et une bataille au cours desquels 30 000 chrétiens périssent, guerriers, femmes et enfants, et 16 000 sont déportés comme esclaves. La chute d'Edesse a un tel retentissement en Occident que Louis VII, roi de France, qui a l'incendie d'une église à se faire pardonner, supplie le pape d'intervenir, et que la seconde croisade soit prêchée par saint Bernard.
Sous le magistère de Robert le Bourguignon, les Templiers sont autorisés par le pape Eugène III à porter la croix pattée rouge. Le pape Innocent II, par la bulle « Omne datum optimum (29 mars 1139) précise les privilèges de l'Ordre »
Le principal en est l'exemption de la juridiction épiscopale; l'Ordre pourra avoir ses propres prêtres, ses chapelains ne relèveront pas des évêques.
A cela s'ajoute l'exemption des dîmes; seuls les Cisterciens ont, comme les Templiers, ce privilège jalousé.

Durant le magistère de Robert de Craon

Hugues de Payens, eut pour successeur Robert, surnommé le Bourguignon, qu'il ne faut pas confondre avec son aïeul de même nom. Guillaume de Tyr le qualifie grand capitaine, habile dans l'art militaire, et aussi illustre par la pureté de ses moeurs que par l'éclat de sa naissance. Il était troisième fils de Renaud II, Seigneur de Craon, fondateur de l'Abbaye de la Rue en Anjou, « On prétend que Wulgrin II, » Comte d'Angoulême, son parent, le fiança à la fille de Jourdain II, « Seigneur de Chabanois et de Confolens; que Wulgrin invertit » Robert de ces deux seigneuries qui lui appartenaient, mais que le Duc de Guienne, de qui ces biens relevaient, trouva moyen de s'en emparer, ce qui fâcha tellement Robert, que de dépit il s'en alla en Terre-Sainte, et y prit « l'habit de Templier. »

Dans ce peu de mots il y a beaucoup à rectifier: Robert fut non-seulement fiancé, mais engagé par un mariage légitime avec Richeze, soeur unique de Saint Anselme, Archevêque de Cantorbéry. Il eut de son épouse plusieurs enfants, qui moururent tous en bas âge, et dont il ne lui resta que l'aîné, nommé Anselme, qu'il consacra au service des saints autels dans l'Eglise de Cantorbéry, et dont l'Archevêque prit un soin particulier. Le jeune Anselme, devenu religieux, fut fait Abbé de Saint-Edme, et demeura assez longtemps en Angleterre. Il fit le voyage de Rome, et fut très-considéré du Pape Pascal, qui le fit Abbé de Saint-Sabbas, et lui conféra l'Evêché de Londres. Il a mérité, par ses écrits, d'être compté au nombre des Auteurs ecclésiastiques.

« Il aime Dieu, dit le saint Prélat écrivant à Robert, et tout ce que l'on doit aimer ; c'est pourquoi vous ne sauriez trop affectionner ceux qui lui ont inspiré cet amour de Dieu et de son état: c'est sans doute parce que vous avez donné à Dieu votre premier né, que le ciel vous a ravi vos autres enfants, avant qu'ils fussent en état de contracter aucunes souillures: rendez-en grâces à Dieu ; et vous, ma chère soeur, je vous conjure de n'être pas insensible à cette grâce, dont vous avez été prévenue sans l'avoir méritée. Considérez que Dieu ne vous a privée de cette consolation, que pour vous rendre plus libre de vous attacher à lui seul, et pour vous ôter toute occasion d'aimer le monde. Rappelez-vous souvent a l'esprit l'un et l'autre le terme de vos espérances ; faites-en l'objet de vos entretiens du jour et de la nuit ; dites-vous à vous-mêmes: que faisons-nous ?
Que tardons-nous ?
A quoi se passent nos jours ?
Quelles satisfactions offrons-nous à Dieu pour nos péchés ?
Nous sommes à la veille de paraître devant le Souverain Juge, qu'avons-nous fait pour nous le rendre propice ?
Tels doivent être les pensées de votre esprit et les sentiments de votre coeur. »

Cette semence ne tomba pas sur une terre ingrate: les deux époux, dociles aux instructions réitérées du saint Archevêque, coulaient tranquillement leurs jours dans la pratique de toutes sortes de bonnes oeuvres, lorsqu'il vint en pensée à Robert de faire le voyage de la Terre-Sainte. Il s'en ouvrit au saint Prélat, qui lui répondit en ces termes: « S'il est vrai que vous ayez conçu le dessein de faire le voyage de Jérusalem pour l'honneur de Dieu et le salut de votre âme, et que vous n'ayez pas voulu vous mettre en route sans m'avoir consulté et votre fils Anselme, je loue vos dispositions, et vous conseille de ne pas traîner après vous le fardeau de vos péchés, mais de vous affermir dans la résolution de vivre en bon Chérirent, conformément aux obligations de votre état: commencez par une bonne confession générale de toute votre vie, et que votre absence n'occasionne aucun tort à votre épouse, dont le caractère bienfaisant vous est mieux connu qu'à personne ; faites en sorte de ne pas l'abandonner sans secours ni conseils, et que, si la Providence vient à disposer de vous, elle ne soit pas obligée de sortir de votre maison contre son gré, mais qu'il lui soit libre d'y servir Dieu tant qu'elle vivra, et d'y prier pour votre conservation et le salut de votre âme. Mettez donc ordre à vos affaires, comme s'il s'agissait de paraître à ce moment devant Dieu. Quant à ma bénédiction que vous demandez, je prie le Seigneur de vous accorder lui-même la sienne, de vous combler de ses grâces, et de vous seconder dans toutes vos entreprises. »

Ce ne fut donc qu'après avoir bien consulté, et non par dépit, que Robert de Craon partit pour la Terre-Sainte; ce fut encore moins pour se faire Templier, puisque, quand il quitta son épouse, c'est-à-dire, vers 1107, avant la mort de Saint Anselme, il n'était pas encore question de cette Chevalerie: ce ne fut que vers 1130, après la mort de Richeze, que Robert prononça ses voeux.

Il ne fut pas plutôt mis à la tête de ses confrères, qu'il trouva l'occasion de justifier le choix qu'on venait de faire de sa personne. Une troupe de brigands, retranchés au-delà du Jourdain, dans les cavernes d'une montagne escarpée, faisaient de fréquentes irruptions sur les frontières de la province. Le Roi Foulques, résolu de leur donner la chasse, se mit à la tête de l'armée chrétienne ; les Infidèles, de leur côté, profitant de l'absence du Roi, passèrent le Jourdain par un autre endroit, dans le dessein de ravager cette contrée de la Palestine « qui échut en partage à la Tribu de Juda ». Robert, qui était resté à Jérusalem, rassembla ce qu'il put des siens et de quelques autres qui n'avaient pas suivi l'armée et sans perdre de temps courut à l'ennemi, accompagné d'un bon nombre de bourgeois qu'il avait armés à la hâte. Les Sarrasins, qui ne s'attendaient à rien moins qu'a une vigoureuse résistance, prirent la fuite, et se rependirent dans la plaine d'Ascalon. La prudence demandait qu'on s'en tint à cet avantage, et c'était l'intention de Robert ; mais l'insatiable avidité du butin, qui a rendu si souvent douteux le sort des armes, rendit la suite de cette journée fatale aux Chrétiens. Après avoir poursuivi quelques temps les fuyards, n'observant plus aucun ordre, ils se débandèrent pour courir au pillage, et l'ennemi, qu'il s'en aperçut, se ralliant, vint fondre sur cette multitude en confusion. Robert fit tous les efforts pour arrêter les progrès des Sarrasins, mais ce fut sans succès: à mesure que les siens accouraient par pelotons, pour le seconder, ils étaient repoussés et accablés par le grand nombre. On perdit à cette affaire quelques gentilshommes et quelques Chevaliers de marque ; mais celui qui mérita le plus d'être regretté, fut le brave Templiers Eudes de Montfaucon, qui s'était déjà fait remarquer dans plusieurs autres rencontres par sa valeur et sont courage.

On ne voit pas sur quel fondement le Chevalier Jauna et l'historien de l'Eglise de Paris ont prétendu que Robert périt à cette journée. Mathieu Paris et Gurtler après lui se sont trompés en rapportant cette action à l'an 1133, et en disant que tous les Templiers y furent tués: le plus grand nombre de ceux-ci étaient à la suite du Roi, au-delà du Jourdain.

La nouvelle de cet échec parvint dans peu jusqu'à l'armée: loin de décourager les chefs, elle ne fit que les animer de serer de plus près les paysans dans leurs rochers, de façon qu'au bout de quelques jours, on se vit maître de la montagne, et consolé de la perte que Robert venait d'essuyer.

Cependant l'Ordre se multipliait sensiblement dans les contrées occidentales ; déjà les Templiers existaient en Italie, puisque, en 1138, Saint Bernard, se trouvant à Rome, alla leur demander le suffrage de leurs prières, et leur accorder sa bénédiction paternelle. On dit que le Saint Abbé logea une nuit chez eux, et qu'il y oublia, ou voulut bien y oublier, par condescendance, une tunique de laine qui avait été à son usage, et dont le seul attouchement guérit un prêtre de la maison, détenu à l'infirmerie.

Dans la province d'Arles, Hugues de Mont-Ségur leur accorda, en 1138, des fonds considérables à Richerenches. Ce fut Ponce de Grillon, évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, qui signa, comme témoin, l'acte de donation, ce qui prouve évidement qu'Aimare doit être rayé du nombre des évêques de Saint-Paul. On trouve aussi que nos Chevaliers ont possédé dans cette ville l'église de Saint-Paul, mais la charte qui en fait foi est pas dans notre chronologie.

En 1139, le Roi Louis VII, permet à tous ses sujets de faire aux Templiers telles donations qu'ils voudront, à l'exception des villes et des châteaux, et à condition lui-même de ne rien perdre des droits attachés à la couronne.

Cette année-là-même, Pierre, Abbé de Saint-Gilles dans le Languedoc, leur accorda un endroit appelé le « Sertelage ». Bertrand, son successeur, y ajouta dans la suite un jardin, et leur permet quelques autres acquisitions. C'est aussi vers ce temps là qu'ils s'établirent dans le Périgord, et qu'on leur céda l'église de Sainte-Marie d'Andrival (Andrivaux), que des religieuses avaient abandonné par incontinence et libertinage.

Peu après, en 1141, Conon, fils d'Allain Fergan, Duc de Bretagne, fonda ceux de Nantes, et leur donna l'île de Lamna. La charte se trouve dans l'Histoire de Bretagne: elle est signée Ubon Foulques et deux autres Chevaliers. Cette donation fut confirmée dans la suite par une Duchesse de Bretagne, nommée Constance.

En 1142, nous les trouvons fondés dans les diocèses d'Amiens, de Rouen et dans l'Artois. Dans les Pays-Bas Godefroi I, Duc de Lorraine et Comte de Brabant, leur fait part dans tout ce qui lui revient du droit de relief C'est encore au temps de Robert de Craon qu'il faut rapporter leur établissement dans la Sicile: on voit dans la notice du prieuré de Messine qu'ils y étaient en crédit du temps du Roi Roger, qu'ils y avaient des terres considérables qui leur furent confirmées et augmentées en 1151, à la prière du Précepteur Geoffroi de Cognac.

Les altercations que le testament d'Alphonse, en faveur des Chevaliers, avait occasionnées, n'étant pas encore terminées, après sept ou huit ans de négociations, les deux Maîtres Robert et Raimond Dupui, désireux de voir à quoi aboutirait enfin cette grande affaire, résolurent d'envoyer une députation à ceux qui gouvernaient les Etats d'Alphonse, c'est à dire à Garcie-Ramirez qui était à la tête des Navarrois et à Raimond, Comte de Barcelone, Prince d'Aragon. Les Députés étaient le Maître de l'Hôpital avec quelques uns de ses principaux sujets, et de la part des Templiers, les frères Oftan ou Otton de Saint Ordogno, Everard des Barres, Hugues Borraio, Bernard Reginol et Pedro Anticho. Arrivés en Espagne, ils trouvèrent les obstacles plus difficiles à surmonter qu'ils ne se l'étaient d'abord imaginé, surtout de la part du Navarrois, qui ne voulut entendre à aucun accommodement. Le Comte de Barcelone, plus équitable, voulut bien traiter avec les Députés, en demandant la jouissance du Royaume d'Aragon pour toute sa vie, à condition qu'après sa mort, ses Etats passeraient sous la domination des deux Ordres, au cas qu'il vînt à mourir sans postérité ; que cependant il serait accordé aux Chevaliers, dans la plaine de Jacca et ailleurs, des emplacements pour y élever des lieux réguliers ; qu'on leur fournirait, en fonds ou en argent, de quoi entretenir autant de sujets qu'ils jugeraient à propos ; que toutes les familles chrétiennes, juive et mauresques des villes de Saragoce, Calataïud, Huesca, Barbastro, Daroca et de tous autres lieux qu'on viendrait désormais à prendre sur les Maures, seraient soumises aux Chevaliers ; qu'ils pourraient y lever des troupes, les commander et les conduire contre les Maures.

Ce traité fut signé et ratifié à Jérusalem par le Patriarche et les Chevaliers le 29 d'août: le Roi Foulques y donna son consentement quelque temps avant sa mort, qui arriva sur la fin de cette année 1142, peu après la dédicace de l'Eglise des Templiers faite par le Légat Albéric. Foulques laissa deux fils, Baudoin âgé de treize ans et Amauri âgé de sept. La Reine Melizende, chargée de la régence, fut couronnée avec Baudoin son fils. Il arriva sous ce Prince, ce qui arrive d'ordinaire sous la minorité des Rois ; la discorde des Barons et des Grands troubla le gouvernement et favorisa les progrès des Sarrasins ; le Sultan d'Alep entra dans le Comté d'Edesse, et le soumit à sa domination, Noradin son fils s'empara de quelques places comme Artesie, Mamoulas, Basarfout, Kafarlatha et menaça le Royaume de Jérusalem. Plus cette situation des affaires était affligeante pour les Templiers Syriens, plus leur état devenait florissant en Espagne: tout y semblait contribuer à leur agrandissement, la faveur du Prince, protection des évêques, et surtout la prospérité de leurs armes contre les Maures. Le Gouverneur d'Aragon, non content de les avoir gratifiés au point que nous avons vu, cherchait encore tous les moyens possibles de les multiplier dans ses Etats. Témoin de leur zèle à garder contre les Infidèles les places qu'on leur confiait, il aurait volontiers consenti que toute sa noblesse embrassât leur institut, afin de les opposer d'autant plus efficacement aux incursions des Barbares. Ayant communiqué ses vues au Maître Robert, par lettres et par députation, celui-ci, obligé par reconnaissance autant que par son état à la défense des Chrétiens, promit à Raimond de le seconder en tout ce qui dépendrait de lui, à condition cependant que cette milice, destinée à combattre les Maures, suivrait en tout les statuts des Templiers orientaux, et serait soumise au Grand-Maître.

En conséquence, Raimond convoque à Gironne, le 27 novembre 1143, une célèbre assemblée d'Evêques, Abbés et autres Grands du Royaume, qui consent à ce que l'on fasse aux Templiers de nouvelles donations, par un acte authentique où le Gouverneur explique ainsi ses intentions.: « En vue de contribuer à la gloire de Dieu à l'exaltation de la foi et à la défense de l'Eglise occidentale, en rémission de mes péchés et de ceux de mon père, qui est mort sous l'habit de Templier, moi Raimond Bérenger, Comte de Barcelone Maître souverain d'Aragon, je vous donne en franc alleu et pour toujours, à vous, Robert, très vénérable Maître du Temple, à tous vos Frères et Successeurs, les forteresses de Monçon et de Montgausi, avec toutes leurs franchises, dépendances et immunités, quelles qu'elles puissent être: je vous abandonne aussi, sans aucune charge ni restriction, les châteaux nommés Chalomere et Barbaran, celui de Remolins avec son territoire, et tout ce que j'ai à prétendre sur celui de Corbins, lorsqu'il aura plu à la Providence d'en chasser les Maures ; je vous fais en outre donation de la dixième partie de tout le revenu de mes Etats, de mille sols à lever tous les ans sur la ville d'Huesca, et d'autant sur la ville de Saragoce ; et s'il arrive que je sois obligé de vendre ou d'engager quelques-unes de mes terres, le tout se fera sans toucher au dixième que je vous accorde. Je vous cède aussi à perpétuité, non-seulement la cinquième partie de toutes les conquêtes que vos Chevaliers feront sur les Maures, mais encore la dixième généralement de toutes celles que le ciel voudra bien m'accorder à moi même. Outre cela je m'engage à vous prêter secours toutes les fois que vous aurez à bâtir quelques forteresses contre les Infidèles, et à ne faire désormais aucune paix ni trêve avec eux que de votre avis et consentement. C'est avec inclination, avec une pleine et entière liberté, que je vous transfère le domaine de toutes ces choses, prétendant que vous jouissiez dans mes Etats, de toutes sortes d'immunités et de franchies, rendant grâces à Dieu de vous avoir inspiré de condescendre à mes désirs, et de vous avoir suscités pour être le soutien de son Eglise. Cette donation se fit entre les mains de sept Templiers présents à cette assemblée: c'étaient Everard des Barres, Précepteur de France, Pierre de la Rovere, Précepteur de Provence, et d'une partie d'Espagne, Otton de Saint-Ordogno, Hugues de Lezuns, Pierre d'Arzacho, Bérenger d'Eguignoles et Arnauld de Sorcia. »

Cet acte que M de Marca a tiré des archives de Barcelone, est signé par sept Evêques, huit autres Prélats, et quinze tant Comtes que Barons, il fut confirmé dix neuf ans après par Alphonse II, Roi d'Aragon, fils et successeur de Raimond Bérenger, et approuvé une seconde fois par les Grands du Royaume (1).

A l'exemple du Gouverneur d'Aragon plusieurs autres seigneurs Espagnols, voulant se prémunir contre les Maures, tâchèrent d'attirer ces Chevaliers dans leurs territoires. C'est dans cette vue que Bertrand et Guigues, Comtes de Forcalquier, donnèrent vers ce même temps à l'Ordre, une de leurs plus belles terres, dite Leporianum ou le Permoné, maintenant la Brillane, selon quelques-uns ; donation qui fut confirmée six ans après, et cédée en échange à Pierre de Sabran, Evêque de Sisteron, pour l'Eglise de Sainte-Marie d'Olone. C'est dans cette vue que Ferdinand Mendez, Duc de Bragance, leur fit don, en 1145, de la citadelle dé Langroïva, après l'avoir peuplée et exemptée de tout impôt, langroïva est un bourg de Portugal, dans la Province de Beïra, situé dans un fond entouré de quatre collines, sur le bord de Riopisco.

On trouve dans l'Histoire de Cîteaux la formule du serment qu'on exigeait en Portugal de celui qui avait été choisi pour Précepteur dans ce Royaume ; elle est conçue en ces termes: « Je N. Chevalier de l'Ordre du Temple, et nouvellement élu Maître des Chevaliers qui sont en Portugal, promets à J. C. mon Seigneur, et mon Vicaire N., Souverain Pontife, et à ses successeurs, obéissance et fidélité perpétuelle ; je jure que je ne défendrai pas feulement de bouche, mais encore par les armes et de toutes mes forces, les mystères de la foi, les sept sacrements, les quatorze articles de foi, le symbole des Apôtres et celui de S. Athanase, les livres tant de l'ancien que du nouveau Testament, avec les commentaires des SS. Pères, qui ont été reçus par l'Eglise, l'unité d'un Dieu, la pluralité des personnes de la Sainte Trinité ; que Marie, fille de Joachim et d'Anne, de la tribu de Juda et de la race de David, est toujours demeurée vierge avant l'enfantement, pendant et après l'enfantement ; je promets aussi d'être soumis et obéissant au Maître général de l'Ordre, selon les statuts qui ont été prescrits par notre Père Saint Bernard ; que toutes les fois qu'il en sera besoin, je passerai les mers pour aller combattre ; que je donnerai secours contre les Rois et Princes Infidèles, et qu'en présence de trois ennemis, je ne fuirai point et leur tiendrai tête, s'ils sont Infidèles ; que je ne vendrai point les biens de l'Ordre, ni ne consentirai qu'ils soient vendus ou aliénés ; que je garderai perpétuellement la chasteté, et que je serai fidèle au Roi, de Portugal ; que je ne livrerai point aux ennemis les villes et places appartenant à l'Ordre, et que je ne refuserai aux personnes religieuses aucun des secours dont je fuis capable ; que je les défendrai par paroles, par les et par toutes sortes de bons services, surtout les Cisterciens et leurs Abbés, qui sont nos frères et nos compagnons ; en foi de quoi je jure, de ma propre volonté, que j'observerai toutes ces choses.

Par cette pièce, qui n'est peut-être pas aussi ancienne que nous la faisons, on voit en quelle confédération était un Précepteur du Temple dans le Portugal, la liaison intime qu'il y avait entre les Cisterciens et les Templiers, et combien ceux-ci étaient persuadés que Saint Bernard leur avait dressé des statuts.

Malgré cette union des deux Ordres, il était convenu entre eux qu'un Templier ne pourrait être agrégé parmi les Cisterciens, sans une permission expresse: ceux-ci, amateurs d'un certain sujet qu'on ne voulait pas leur accorder, s'avisèrent d'un stratagème pour l'enrôler: ils lui firent donner clandestinement l'habit de Bénédictin dans l'Abbaye de Saint-Urbain, afin de pouvoir dire qu'ils ne l'avaient pas enrôlé comme Templier: les supérieurs du Chevalier, mécontents de cette fraude, s'en plaignirent au Pape et à Saint Bernard ; ils obtinrent du Saint-Siège un interdit contre l'Abbé de Saint-Urbain, et le présentèrent à l'Evêque de Châlons: l'Abbé de Clairvaux, de son côté, porta l'affaire au Chapitre général, fit renvoyer le Chevalier, et fut chargé d'écrire au Pape pour demander l'absolution des censures qu'avait encourues l'Abbé de Saint-Urbain.

C'est aux dernières années de Louis-le-Gros, que nous croyons devoir rapporter la fondation des Templiers de Paris: on s'est trompé en la reculant jusqu'en 1150, puisqu'avant Pâques de 1147, ils avaient déjà près de cette ville des bâtiments assez spacieux pour la tenue d'un Chapitre général. On leur avait assigné, hors des murs, dans un terrain fangeux, un endroit pour y bâtir une Eglise et une Maison, qui, dans la suite, se sont trouvées renfermées dans l'enceinte de la ville. On appelle ce quartier, le « Marais du Temple ». Cette Maison a été longtemps le lieu où étaient mis en dépôt des deniers publics, et les revenus du Souverain. Il paraît, par un testament de Philippe-Auguste, fait dans le temps qu'il se disposait au voyage d'Outre-mer, quelle était dès-lors destinée à cet usage: il y est fait mention d'un Contrôleur, de plusieurs officiers que ce Prince y avait commis, pendant son absence, à la garde de son trésor ; chacun d'eux, ainsi que le Maître du Temple, devait avoir une clef des coffres ou il était renfermé. On appelle la « coulture du Temple », tout le terrain que les Chevaliers avaient près de Paris, c'est-à-dire tout ce grand espace couvert de rues et de maisons qui sont entre la rue du Temple, depuis la rue Sainte-Croix et les environs de celle de la Verrerie, jusqu'au delà des murs et des fossés de la porte du Temple. Lorsque Charles V entreprit les murailles du côté du Temple, ce terrain fut partagé en trois ; les deux tiers de cette « coulture » furent couverts de maisons et de rues sur la fin du quatorzième siècle, et le reste s'est toujours appelle le « Marais du Temple »

Cette maison est célèbre dans l'Histoire de France du douze et du treizième siècle, parce que Matthieu Paris l'a nommée le vieux Temple, par opposition à celle de Londres, qui se nommait le nouveau Temple (2).
On s'est aussi trompé dans le Théâtre des Antiquités de Paris, en disant que ces Chevaliers ne restèrent pas longtemps dans l'endroit de leur première fondation. Parce que le Temple fut autrefois hors des murs de la ville, et qu'il est maintenant dans l'enceinte, le P. du Breul en a conclu trop légèrement qu'à Paris ils changèrent d'habitation peu après leur établissement. On sait au contraire que le Temple a toujours été le lieu où se sont assemblés en chapitre les Chevaliers de France et d'Angleterre: il leur était même défendu de loger ailleurs, afin d'être plus à portée de se trouver le matin, qui était le temps de leurs congrégations capitulaires.
Le 27 avril, octave de Pâques de l'an 1147, ils s'y trouvèrent au nombre de cent trente Capitulant, le Pape Eugène III à leur tête. Tout ce que nous savons de cette assemblée, c'est que le Roi Louis le Jeune l'honora de sa présence ; que plusieurs Prélats et Seigneurs s'y trouvèrent pour y traiter, sans doute, du secours de la Terre-Sainte ; que Bernard de Bailleul, gentilhomme Normand, y donna aux Chevaliers, du consentement d'Ingelram son fils, le revenu de quinze arpents de terre à percevoir sur ses métairies de la Grande-Bretagne. Ce fut durant la tenue de ce chapitre, ou pendant son séjour en France, qu'Eugène, plus attentif au succès de la guerre Sainte qu'au maintien de l'ancienne discipline, fit expédier une bulle par laquelle il remet aux Pénitents qui font part de leurs aumônes aux Templiers, la septième partie des oeuvres « satisfactoires » qui leur sont enjointes. Par la même bulle il accorde à l'Ordre une partie de ses privilèges qui ont fait tant de bruit, et qui furent tant de fois confirmés par ses successeurs. Nous en remettons le détail à une autre occasion, pour éviter les redites, et parce que ceux qui ont vu la bulle dans les archives de Portugal, ne nous en ont donné qu'un précis.

1 - Si nous étions assez simples pour croire le P. Hardouin sur sa parole, loin de faire usage de cette pièce, nous la rejetterions comme fabriquée au quatorzième siècle seulement, par gens intéressés à prouver par diplômes, quels furent autrefois les biens des Templiers ; mais comme c'est moins à l'autorité de cet écrivain qu'à ses raisons et à ses preuves qu'on doit se rendre, jusqu'à ce que nous les ayons trouvées, nous pouvons bien compter ce jugement du P. Hardouin au nombre de ses autres méprises.

2 - Le P. Hardouin, souvent malheureux en conjectures, s'est imaginé qu'il y avait eu apparemment un temple de Jupiter dans ce terrain boueux, ce qui l'a fait, dit-il, nommer le Marais du Temple; et malgré l'évidence, il soutient seul contre tous, que c'est delà, et non d'ailleurs, que les Templiers ont tiré leur dénomination. Il est vrai que quand Clovis choisit Lutèce pour son séjour, on voyait encore en masure le temple de Cérès, ceux de Mars et de Mercure dans les environs de cette ville, mais dans des endroits bien différent et bien éloignés de celui où les Templiers commencèrent à bâtir.
Sources: Par feu Claude Mansuet Jeune. Chanoine Régulier de l'Ordre de Prémontré, Docteur en Théologie, Prieur de l'Abbaye d'Etival. Edité chez Guillot, Librairie de Monsieur, Frère du Roi, rue Saint-Jacques. Paris. M DCC. LXXXIX.

Evrard des Barrès

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