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Grands-prieurés du Temple en France

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    Grand-Prieuré d’Aquitaine. R. Favreau

    L’Enquête pontificale de 1373 sur l’Ordre de l’Hôpital dans le Grand-Prieuré d’Aquitaine

    Je n’ai pas recopié « l’Annexe » [en latin], vous la trouverez sur le site de Persée, il faut tout de même aller la voir, elle offre de nombreuses informations sur les noms des commanderies ainsi que ceux des commandeurs, les terres, les surfaces, ce qu’elles rapportaient, etc.

    Les finances pontificales ont bénéficié de solides études, de Charles Samaran et Guillaume Mollat (1) à Jean Favier (2), en passant par William Lunt (3), qui ont souligné l’efficacité de l’administration fiscale avignonnaise. Dès la fin du XIIe siècle les temporels ecclésiastiques avaient été soumis, en principe exceptionnellement, à une décime afin de pourvoir au financement de la croisade. Clément Y établit en 1306 la levée d’une année de revenu net, après déduction des charges de gestion et de l’entretien du bénéficier, à l’occasion des collations de bénéfice, et Jean XXII la généralisa. Sous le nom d’annate ou de communs et menus services, ce fut désormais pour le clergé l’imposition pontificale par excellence. Elle supposait une bonne connaissance des revenus de chaque bénéfice, épiscopal ou abbatial, comme on le constate par les séries fiscales conservées aux Archives vaticanes à partir de 1306 (4).

    Robert Favreau, correspondant de l’Institut, professeur émérite à l’université de Poitiers, Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, 24 rue de la Chaîne, BP 603, F-86022 Poitiers Cedex.

    De surcroît, les papes du XIVe siècle ont procédé à de larges et systématiques collectes d’information par le moyen d’enquêtes, dans le contexte d’importantes réformes. Benoît XII (1334-1342), moine bénédictin avant de devenir évêque puis cardinal, tentant d’imposer à l’ordre de Saint-Benoît un plan de centralisation par la bulle Summi magistri du 20 juin 1336, ordonna la même année une enquête générale sur la fortune de ses établissements. Des commissaires généraux en furent chargés dans chaque province, et le but et le caractère de l’enquête se trouvent définis dans la lettre que le pape adressa le 13 décembre 1336 à deux de ses commissaires, Gerbert, abbé de Saint-Victor de Marseille, et Raimond, abbé de Montmajour. On constate « la netteté et la précision des points sur lesquels l’enquête devait porter : rigoureuse uniformité du cadre dans lequel devaient entrer les renseignements recueillis pour chaque maison, précautions prises pour s’assurer la pureté des sources d’information. » Léopold Delisle, qui a signalé cette enquête en 1909, en a trouvé des traces ou des documents pour 1337 et 1338 aux archives départementales de la Seine-Maritime, de la Manche, d’Ille-et-Vilaine et des Bouches-du-Rhône (5).

    C’est la réforme du principal des ordres militaires, l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, qui est visée par l’enquête que lance le pape Grégoire XI en 1373. En juin 1372 il a demandé au maître de l’ordre de remédier à l’inactivité des frères dans la croisade, à leurs négligences face à leur mission charitable, aux carences dans la gestion de leurs biens (6). Le 10 février 1373 il fait expédier aux évêques de la chrétienté une lettre les chargeant, chacun dans son diocèse, d’une enquête sur l’ordre, dont il déplore la notable (non modicum) décadence spirituelle et temporelle. Dans le questionnaire auquel chacun devra répondre, on saisit la compétence, l’organisation, l’efficacité de l’administration financière d’Avignon. Il est demandé de communiquer à Avignon :

    — la liste des établissements de l’ordre dans le diocèse.
    — le prénom, le nom, l’âge des commandeurs, des prêtres et clercs ayant reçu les ordres sacrés, ainsi que des chevaliers.
    — l’état des revenus annuels de chaque maison.
    — les charges à assurer chaque année.
    — une estimation de la somme annuelle qui pourrait être demandée si les domaines de l’ordre étaient donnés à ferme, dans le cas où les chevaliers seraient tous envoyés en Orient pour la lutte contre les infidèles.

    Jean Glénisson a présenté cette enquête en 1971 dans cette même revue (7), avec la liste, par pays et diocèses, des quatre-vingt-huit procès-verbaux conservés, et Anne-Marie Legras a donné en 1987 une analyse de l'« organisation et déroulement de l’enquête pontificale », avec une liste un peu différente puisqu’elle ne donne que les soixante-quatorze procès-verbaux des enquêtes proprement épiscopales (8). Pour la France, la mieux représentée dans cette documentation, nous avons des réponses à l’enquête pour quarante-trois diocèses.

    En 1987 ont été publiées les réponses conservées pour le prieuré de France, soit quinze diocèses : Amiens, Arras, Auxerre, Bayeux, Beauvais, Cambrai, Chartres, Coutances, Evreux, Laon, Liège, Nevers, Sées, Sens et Soissons (9). Les transcriptions, pour les diocèses français, étaient pour la plupart faites depuis vingt ans, et l’édition de l’enquête devait procéder par prieurés. Des reports successifs ont rendu de plus en plus aléatoire et finalement quasi impossible la publication de l’ensemble de l’enquête, au point qu’il a fallu se résoudre à des publications partielles. On trouvera donc ici ce qui concerne le grand prieuré d’Aquitaine.

    Ce grand prieuré était né à la suite de la fusion de l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem et de l’ordre du Temple, après la dissolution de ce dernier par le pape Clément V, au concile de Vienne en 1312.

    L’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem était apparu à la fin du XIe siècle, et avait reçu protection et confirmation officielle du pape Pascal II en 1113. Vers 1137, une activité militaire de protection des pèlerins de Terre sainte s’était ajoutée à sa fonction hospitalière d’origine. Ses possessions occidentales étaient organisées en commanderies, regroupées en prieurés. Sa règle, à partir du milieu du XIIe siècle, s’inspira de celle de saint Augustin. Au début du XIVe siècle les prieurés étaient répartis en sept langues: France, Auvergne, Provence, Espagne, Italie, Angleterre, Allemagne. La langue de France couvrait la France du Nord, de la Lorraine à la Bretagne, mais aussi la région entre Loire et Dordogne.

    Quant au Temple, on place en 1118-1119 la création par Hugues de Payns d’un ordre destiné à défendre les pèlerins de Terre sainte. Il tira son nom de son installation dans l’ancien temple de Salomon à Jérusalem. En 1128 l’ordre reçut une règle, inspirée par saint Bernard et fondée sur la règle de saint Benoît. En 1130, avant de revenir en Palestine, Hugues de Payns nomma un de ses premiers compagnons, Payen de Montdidier, maître en France, c’est-à-dire dans les limites de la langue d’oïl (10). Par la version française de la règle, qui doit dater des années 1139-1140, nous savons qu’à côté de la France il y avait aussi « Engleterre, Peito, Aragon, Portegal, Puille et Hongrie » (11). Les commanderies templières sont ainsi regroupées en provinces, administrées par un maître. La province de Poitou comprend Bretagne, Maine, Anjou, Touraine, Poitou, Saintonge, Angoumois, Bordelais et Périgord, c’est-à-dire à peu près les provinces ecclésiastiques de Lyonnaise troisième et d’Aquitaine seconde. Elle englobe aussi une petite partie occidentale du Berry, sur la rive gauche de l’Indre.

    A la suite de la dissolution de l’ordre du Temple le 22 mars 1312, les biens de l’ordre, à l’exception de ceux de la péninsule Ibérique, furent attribués aux Hospitaliers (2 mai 1312). Leur patrimoine allait s’en trouver considérablement augmenté, au moment même où ils venaient de conquérir l’île de Rhodes (1309) et où ils devaient verser au roi Philippe le Bel des sommes considérables pour entrer en possession des biens du Temple. Ils procédèrent alors à une réorganisation administrative pour assurer une gestion plus rigoureuse dans des circonscriptions moins grandes, mais comprenant dès lors un bien plus grand nombre de maisons. Le grand prieuré de France, constitué vers 1178-1179 pour les pays de langue d’oïl, à l’exception de la Bourgogne, fut scindé en trois parties, avec la création d’un prieuré de Champagne (Champagne et Lorraine) et d’un prieuré d’Aquitaine (Bretagne, Maine, Anjou, Touraine, Poitou, Saintonge et Angoumois). Bordeaux et Périgueux étaient rattachés au grand prieuré de Toulouse. Ce partage s’est opéré entre le 21 juin et le 21 juillet 1317, comme l’a montré A.-M. Legras (12).

    L’ordre de l’Hôpital n’avait pas, jusque-là, de maison à Poitiers, mais ce fut à Poitiers que fut placé le siège du nouveau prieuré d’Aquitaine, dans les locaux qui avaient été ceux du maître de l’ordre du Temple pour la province de Poitou. Les Templiers avaient bénéficié de la générosité d’un des premiers maires de Poitiers, qui leur avait donné sa maison en la Grand-Rue. C’est sûrement en cette maison du « précepteur de Poitou » ou « maître des maisons du Temple en Aquitaine », Geoffroy de Gonneville, que logea le grand maître Jacques de Molay lorsque, à l’été 1307, il vint à Poitiers rencontrer le pape Clément V, pour lui parler de l’ordre (13). Mais si le siège du nouveau prieuré d’Aquitaine fut installé à Poitiers, les chapitres, qui réunissaient chaque année les commandeurs sous la direction du prieur, se tinrent à l’ancien hôpital Saint-Jean d’Angers (14) aux XIVe et XVe siècles, et presque toujours au mois de juin (15).

    L’enquête de 1373 n’est représentée, dans le grand prieuré d’Aquitaine, que par les procès-verbaux des diocèses d’Angers et de Saintes, ce qui est peu pour dix-neuf diocèses, mais ces procès-verbaux sont assez développés, par rapport aux deux procès-verbaux conservés pour le prieuré de Champagne (Châlons-en-Champagne et Chalon-sur-Saône). Ce sont les prieurés du sud, Toulouse et surtout Saint-Gilles, qui fournissent le plus grand nombre des réponses faites à l’enquête pontificale de 1373 (16).

    Notes - Enquête pontificale
    1 — Charles Samaran et Guillaume Mollat, La fiscalité pontificale en France au XIVe siècle, Paris, 1905 (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, 96) ; Guillaume Mollat, Les papes d’Avignon (1305-1378), 9e édition, Paris, 1950, page 504-525.
    2 — Jean Favier, Les finances pontificales à l’époque du Grand Schisme d’Occident (1378-1409), Paris, 1966 (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, 211), et plusieurs notices du Dictionnaire historique de la papauté, dir. Philippe Levillain, Paris, 1994.
    3 — William E. Lunt, Papal revenues in the Middle Ages, New York, 1934, 2 volumes (2e editions 1965).
    4 — Obligationes praesulum Clementis papae V et Solutiones praesulum, publiées en appendice au dernier volume du Regestum Clementis papae V, par les Bénédictins, tome VIII, Rome, 1892, page 181 et suivantes ; Emil Goller, Die Einnahmen der apostolischen Kammer unter Johann XXII., Paderborn, 1910 ( Vatikanische Quellen zur Geschichte der papstlichen Hofund Finanzverwaltung 1316-1378, 1) ; Taxae pro communibus servitiis ex libris obligationum ab anno 1295 usque ad annum 1455 confectis, édition Hermann Hoberg, Cité du Vatican, 1949 (Studi e testi, 144). Cet ouvrage, précieux, donne les dates et le montant des paiements pour les bénéfices épiscopaux et abbatiaux, mais il faut recourir à la série Obligationes et solutiones si l’on veut avoir les noms — du moins les noms de baptême — des évêques et abbés.
    5 — Léopold Delisle, Enquête sur la fortune des établissements de l’ordre de Saint-Benoît en 1338, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, tome XXXIX, première partie, Paris, 1909, page 359-408 : chartes de Saint-Ouen de Rouen, fonds de l’abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte, enquête au Mont-Saint-Michel, prieuré de Martigny, lettre aux commissaires dans le fonds de l’abbaye Saint-Victor de Marseille. Il ne semble pas qu’il y ait eu de plus amples investigations sur cette enquête.
    6 — Anthony Luttrell, Papauté et Hôpital : l’enquête de 1373, introduction à L’enquête pontificale de 1373 sur l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, direction Jean Glénisson, tome I, L’enquête dans le prieuré de France, éditions Anne-Marie Legras, collaborateur Robert Favreau, Paris, 1987 (Documents, études et répertoires publiés par l’Institut de recherche et d’histoire des textes, 34), page 3-42, aux page 17-18.
    7 — J. Glénisson, L’enquête pontificale de 1373 sur les possessions des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, dans Bibliothèque de l’Ecole des chartes, tome 129, 1971, page 83-111.
    8 — L’enquête pontificale de 1373 sur l’ordre..., tome I, page 43-68.
    9 — Le titre complet de la publication est donné en note 6. N’ont pas été conservées, pour le prieuré de France, de réponses pour les diocèses de Lisieux, Meaux, Noyon, Orléans, Paris, Rouen, Senlis.
    10 — Marion Melville, Les débuts de l’ordre du Temple, dans Die geistlichen Ritterorden Europas, éditions Josef Fleckenstein et Manfred Hellmann, Sigmaringen, 1980 (Vortrage und Forschungen, 26), page 23-30, à la page 26.
    11 — La Règle du Temple, éditions Henri de Curzon, Paris, 1886 (Société de l’histoire de France), page 80.
    12 — A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem en Saintonge et en Aunis, Paris, 1983.
    13-15 — Madeleine Limouzineau, L’organisation d’un prieuré de l’ordre de Malte aux XVIIe et XVIIIe siècles d’après le prieuré d’Aquitaine, dans Ecole nationale des chartes, Positions des thèses..., 1949, page 125-130, dit que le prieuré d’Aquitaine fut créé entre 1315 et 1320, peut-être en 1317, mais son étude ne concerne pas directement le XIVe siècle.
    13 — Recueil de documents concernant la commune et la ville de Poitiers, tome 1, De 1063 à 1327, éditions Edouard Audouin, Poitiers, 1923 (Archives historiques du Poitou, 44), nº 39, page 76-79, et nº 52 et 52 bis, page 99-102 ; Robert Favreau, Le procès des templiers de la province d’Aquitaine, dans Bulletin de la Société des antiquaires de l’Ouest, 5e série, tome 4, 1990, page 274 et 275, et nº 13 et 14.
    14 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/438 : « infra septa domorum antiqui hospitalis S. Johannis » (4 mars 1471).
    15 — Liste des chapitres provinciaux tenus à Angers aux XIVe et XVe siècles, d’après le fonds du grand prieuré d’Aquitaine aux archives départementales de la Vienne (3 H 1) : 1392, 19 juin (3 H 1/972) ; 1393, 18 juin (3 H 1/942) ; 1394, 22 juin (3 H 1/964) ; 1396, 28 août (3 H 1/428) ; 1401, 15 juin (8 H 1/946) ; 1404, 18 juin (3 H 1/943) ; 1407, 15 juin (3 H 1/4) ;1416, 3 juin (ibid.) ; 1448, 8 juin (3 H 1/104) ; 1452, 8 juin (3 H 1/4) ; 1453, 8 juin (3 H 1/104) ; 1457, 9 juin (3 H 1/125) ; 1468, 8 juin (3 H 1/825) ; 1471,4 mars (3 H 1/4 et 438) ; 1484, 8 juin (3 H 1/951) ; 1494, 2 juin (3 H 1/104) ; 1503, 7 juin (3 H 1/4). Un chapitre est tenu à Parthenay le 20 avril 1503 (3 H 1/104).
    16 — Je remercie Anne-Marie Legras de m’avoir fourni les éléments de description technique des deux manuscrits. La première transcription de l’enquête de Saintes a été faite par Jean-Loup Lemaitre, à lui aussi tous mes remerciements.


    I. — Les Hospitaliers dans le diocèse d’Angers
    La bulle Ex certis causa du 10 février 1373 avait demandé à chaque évêque :
    1º un tableau des commanderies hospitalières et de leurs dépendances dans son diocèse.
    2º un état du personnel de ces maisons.
    3º un bilan des revenus et des charges.
    4º une estimation sur la possibilité d’affermer chaque commanderie si on retirait les frères chevaliers et sergents et ne gardait que les prêtres.

    1. Les commanderies
    — L’enquête conservée pour le diocèse d’Angers permet donc d’abord de connaître la situation de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem en Anjou, douze commanderies, toutes dites hospitalis ou preceptoria. Six d’entre elles sont dites d’origine templière (quondam templi) : Angers, Brain, Béconnais, Bois-Ferré, Saumur et Monsoreau.

    Les deux premières présentées dans l’enquête sont celles d’Angers et de Brain, sans doute parce qu’elles relèvent du prieuré d’Aquitaine. On sait que dans chaque prieuré le maître de l’ordre avait une commanderie, dite « chambre magistrale » et que chaque prieur disposait de quatre « chambres priorales », portées à cinq à partir du grand maître Raymond Bérenger (17).

    L’enquête indique que l’hôpital d’Angers est chambre priorale depuis dix ans, c’est-à-dire à peu près depuis la création des chambres priorales. Dans le fonds du grand prieuré d’Aquitaine, les frères de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem sont cités à Angers en 1206 (18). L’hôpital était situé à l’intérieur de l’enceinte, dans la rue dite précisément de l’Hôpital, paroisse Saint-Denis (19). Si cette paroisse a disparu, on sait que l’église Saint-Denis se trouvait à l’angle des rues Saint-Denis et Saint-Julien. La commanderie était établie en la rue Saint-Blaise, qui d’ailleurs tient son nom du patronage de la chapelle de la commanderie. Le logis de la commanderie, avec escalier de pierre et salle de chapitre, comprenait plusieurs bâtiments couverts d’ardoise et était protégé par un enclos de muraille (20). La chapelle Saint-Blaise, située hors clôture, existait encore au XVIIIe siècle. On en possède une description détaillée à la date de 1631 (21).

    L’hôpital ancien d’Angers avait, en 1373, quatre dépendances. La plus importante était, au sud de la Loire, la maison de Saulgé-l’Hôpital, qui a toujours dépendu de l’ordre. Elle était entourée de murailles et de fossés pleins d’eau. Le logis avait des tourelles à chaque angle. La chapelle, voûtée de pierre de taille, couverte d’ardoise, était située dans la basse-cour et avait pour patron celui de l’ordre, saint Jean Baptiste. La Chapelle-Baussan était située dans la paroisse de Brain. Dans la paroisse de Villévêque, Plumoison, qui comprenait deux corps de logis, jardins et futaies (22), serait un ancien domaine de la commanderie du Temple d’Angers (23), mais c’est aux maîtres et frères de l’hôpital d’Angers qu’en 1288 Mathieu Chenau, de la paroisse de Villévêque, se donne avec tous ses biens (24). La dernière dépendance était Le Morisson, qu’il faut sans doute situer dans la commune de Saint-Léger-des-Bois (25). L’hôpital avait encore une métairie à Pierrelize, « près de la ville d’Angers », paroisse Saint-Michel-du-Tertre ; le 23 avril 1436 fut fondée la chapelle de Pierrelize, dont le chapelain devait payer à l’hôpital ancien 28 sous 4 deniers à Noël et à la Saint-Jean-Baptiste, et un écu d’or à chaque mutation de desservant (26).

    A peu de distance d’Angers, vers l’est, la commanderie de Brain-sur-l’Authion était tenue depuis au moins deux ans par le prieur d’Aquitaine Renaud de Nanteuil, comme membre dépendant de l’hôpital d’Angers, sa « chambre priorale », mais constituait une commanderie distincte. D’origine templière, elle était constituée d’une maison couverte d’ardoise avec ses dépendances (27), mais les textes n’y indiquent pas de chapelle. La maison, qui n’était plus en l’an V qu’une simple ferme, a été démolie en 1860 (28).

    La maison noble de la commanderie du Temple à Angers reçut le 20 janvier 1202 (a. st.) du roi Jean d’Angleterre une rente de cent livres (29). Comme l’hôpital ancien, sa fondation doit remonter au XIIe siècle. Elle était située hors de l’enceinte, dans la paroisse Saint-Laud, et comprenait maison, chapelle (où avaient souvent lieu des réceptions de templiers (30), grange, pressoir, étable, jardins et appartenances, le tout protégé par un enclos de muraille (31). La rue du Temple, au sud-est de l’église Saint-Laud, en garde le souvenir. Avant la seconde guerre mondiale on pouvait encore voir la maison du commandeur aux nº 7 et 9, la chapelle, devenue maison d’habitation, au nº 5, et des servitudes au nº 3 bis. Les bombardements de mai 1944 ont détruit cet ensemble, tout en dégageant une tourelle hexagonale, aujourd’hui enclavée dans une construction récente (32).

    A l’ouest, entre Loire et Mayenne, se trouvaient deux commanderies, Béconnais et Bouillé. L’hôpital de Béconnais avait, au XVIIe siècle, corps de logis, chapelle, fuie, grange, étable, jardin, vigne, le tout enfermé de murailles (33). Il se trouvait sur la commune de Villemoisan, au nord, légèrement à l’écart de la route du Louroux-Béconnais. C’était, depuis le XIIe siècle, une dépendance du temple d’Angers. La chapelle, simple rectangle allongé avec étroite abside et voûte sur ogives de deux travées, portée par des colonnes à curieux chapiteaux, a une porte romane à l’ouest et des fenêtres en plein-cintre également romanes. Des peintures murales du XVIe siècle représentent saint Médard, saint Pierre et saint Eutrope. L’autel portait au XVIIIe siècle un grand tableau de saint Jean Baptiste. La maison d’habitation était, au temps de Célestin Port qui nous fait cette description (34), réduite en ferme mais gardait un portail en arc brisé ; le puits portait la date de 1600. L’enclos, dont l’enceinte tombait en ruine, fut vendu comme bien national le 28 prairial an IV (16 juin 1796). Le portail et surtout la chapelle subsistent encore aujourd’hui (35).

    Béconnais avait, en 1373, des possessions au Lion-d’Angers, à Candé et à Segré. Au XVIIe siècle est cité l’hôpital Saint-Jean de Segré, paroisse Saint-Jame (Sainte-Gemmes-d’Aubigné ?), avec corps de logis, chapelle Saint-Jean, grange, étable et jardin (36).

    L’Hôpital est un petit bourg, entre Bouillé-Ménard et Grugé, qu’un décret du 2 janvier 1808 a réuni à la commune de Grugé, dite dès lors Grugé-l’Hôpital. Dans l’enquête de 1373 il est question de l’hôpital de Bouillié, où les textes du XVIIIe siècle citent maison, chapelle, cour, jardin et dépendances (37). L’église Saint-Jean avait des restes romans (baies) et gothiques (fenêtre à double meneau trilobé avec vitraux du XVIe siècle), des toiles du XVIIe siècle (38), mais elle s’est effondrée en 1957 (39). Y attenait l’ancienne maison seigneuriale, un logis du XVIIIe siècle qui servit de presbytère. Dépendance de l’hôpital de Bouillé, dans la même commune de Grugé-l’Hôpital, Saint-Gilles a gardé sa chapelle, transformée au début du XVIIe siècle, « long rectangle en moellon informe, surmonté d’un petit clocheton d’ardoise, au milieu d’un vaste préau », et un manoir seigneurial très simple formé de trois logis de hauteur décroissante (40).

    Dans les Mauges le bourg de Villedieu, près de Beaupréau, doit son existence à l’implantation d’une commanderie hospitalière. Elle avait tous droits de justice haute et basse, four et moulin banaux. Le logis, autrefois avec fossés, tours et pont-levis, garde des caractères des XVe-XVIe siècles. Il fut vendu comme bien national le 14 décembre 1792. Consacrée le 3 novembre 1455, la chapelle Saint-Jean — qui englobait un chêne centenaire —, agrandie et transformée, est devenue l’actuelle église paroissiale (41). A peu de distance Bois-Ferré, ancienne commanderie templière (42), avait également une chapelle Saint-Jean. Les deux commanderies furent réunies vers la fin du XVe siècle au temple de Clisson.

    Le Saumurois avait également deux commanderies. Celle de Saumur, d’origine templière, était située dans la paroisse de Notre-Dame de Nantilly (43). Celle du Coudray-Macouard, d’origine hospitalière, se trouvait à l’entrée du bourg en venant de Saumur. Son logis devait être modeste, car il ne comprenait, en 1620, qu’une chambrée basse et à l’étage deux chambres hautes (44). Sa chapelle Saint-Jean-Baptiste avait double pignon, celui de l’ouest percé de deux petites fenêtres en plein cintre, et une large porte cintrée sur le côté, avec deux énormes contreforts (45). On est ici proche de maisons poitevines importantes, La Lande-des-Verchers, Loudun et Moulins.

    Aux confins du Maine et de la Touraine, l’ordre de l’Hôpital a encore trois commanderies appartenant au diocèse d’Angers. Celle de Thorée a une maison « ancienne et mal bâtie » selon un texte de 1620. Sa chapelle Saint-Jean-Baptiste, couverte d’ardoise, a deux cloches et un ballet. Ses deux membres de Saint-Jean-du-Feuillet et de Saint-Jean-des-Landes ont aussi logis et chapelle Saint-Jean-Baptiste (46). Il y a à Précigné une « belle maison », avec chapelle, pressoir, étable, fuie, fournil, d’après un aveu de 1547 (47). A peu de distance Monsoreau, qui est d’origine templière, a également maison, chapelle, grange, métairie (48). En 1381 frère Jean du Ronceray est toujours commandeur de Monsoreau (49) ; mais en 1385 Précigné et Monsoreau ont un même commandeur (50). Une bulle du grand maître le 8 septembre 1453 unira les commanderies de Précigné et de Monsoreau au temple d’Angers (51), ce qui sera confirmé au chapitre du prieuré d’Aquitaine le 9 juin 1457 (52).

    Notes - Les commanderies
    17 — Jean-Marc Roger, Les différents types de commanderies du prieuré de Champagne au XVe siècle, dans La commanderie, institution des ordres militaires dans l’Occident médiéval, direction Anthony Luttrell et Léon Pressouyre, Paris, 2002 (Comité des travaux historiques et scientifiques), page 29-56, aux pages 40-41.
    18 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/29.
    19 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/29.
    20 — Ibidem, visites de 1620 et 1665. Célestin Port identifie la commanderie à l’hôtel Contades (Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, tome I, Paris-Angers, 1874, page 73).
    21 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/29.
    22 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/29.
    23 — Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, tome III, 1878, page 127.
    24 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/29.
    25 — Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, tome II, 1876, page 745, y situe « une dépendance de l’ancien hôpital d’Angers »
    26 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/30.
    27 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/104.
    28 — Célestin Port, Dictionnaire..., édition revue et mise à jour par Jacques Levron et Pierre d’Herbe-court, tome I, Angers, 1965, page 500.
    29 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/131, inventaire de 1509, fol. 48.
    30 — Le procès des Templiers, éditions Jules Michelet, réédition Paris, 1987 (Comité des travaux historiques et scientifiques), tome II, page 103, 206, 214.
    31 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/104.
    32 — Célestin Port, Dictionnaire..., éditions revue, tome I, page 99-100 ; Thierry Barreau, Les Templiers en Val de Loire, dans Sur les pas des Templiers en Bretagne, Normandie, Pays de Loire, Paris, 1980, page 73-104, à la page 82. On a aussi retrouvé après les bombardements quelques sculptures du XVIe siècle.
    33 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/104.
    34 — Célestin Port, Dictionnaire..., tome I, page 730.
    35 — T. Barreau, Les Templiers..., page 102-103, avec cinq photographies de la chapelle (pages 99-101).
    36 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/104.
    37 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/104.
    38 — Célestin Port, Dictionnaire..., éditions orig., tome II, page 362-363.
    39 — Célestin Port, Dictionnaire..., éditions revue, tome II, 1978, page 283.
    40 — Célestin Port, Dictionnaire..., tome III, 1978, page 386.
    41 — Célestin Port, Dictionnaire..., tome III, page 725-726.
    42 — Bois-Ferré est dit d’origine templière par l’enquête. Le procès des Templiers..., tome II, page 106, cite un frère Guillelmus de Bosco Ferrici demeurant en la maison de Clisson.
    43 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/719.
    44 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/29.
    45 — Célestin Port, Dictionnaire..., éditions revue, tome I, page 767. La chapelle est, à l’époque, inhabitée.
    46 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/29.
    47 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/104.
    48 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/104.
    49 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/121.
    50 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/125.
    51 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/131.
    52 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/125.


    2. Les effectifs
    — L’enquête de 1373 fait aussi le point sur les personnes présentes dans les différentes maisons de l’ordre. Une étude statistique des effectifs, du type de celles qui ont été réalisées pour le prieuré de France et le prieuré de Saint-Gilles (53) n’aurait guère de sens dans le cadre d’un seul diocèse. On peut du moins dégager quelques traits.

    Il n’y a plus ni frère ni prêtre résidant dans trois des commanderies de l’Ouest. Pour l’hôpital de Béconnais, la cause invoquée est le danger causé « par les guerres qui ont cours en Bretagne. » L’absence de résidence dure depuis vingt ans, et le gouverneur de la commanderie, réfugié à Angers, en est réduit à payer un prêtre étranger à l’ordre pour y assurer le service. Plus de frères non plus à Villedieu depuis huit ans « en raison des ennemis du roi et du royaume de France installés dans des forteresses outre Loire », ni à Bois-Ferré, « du fait des guerres qui ont lieu en Anjou, outre Loire, du côté de l’Aquitaine. » Des difficultés d’effectif sont aussi signalées dans la dernière commanderie de l’Ouest, celle de Bouillé, où demeure seulement un prêtre : il faudrait un chapelain pour desservir l’église paroissiale du bourg Saint-Gilles. A l’hôpital d’Angers il y avait, avant son affectation au prieur d’Aquitaine comme « chambre priorale », deux frères chapelains et trois frères sergents. Il n’y a plus en 1373 qu’un chapelain et deux sergents, l’effectif ayant probablement été réduit pour diminuer les charges.

    En 1373, aucun frère chevalier ne réside dans les commanderies angevines. Les cinq frères sergents ne se trouvent que dans deux commanderies, l’hôpital ancien d’Angers et Thorée. A Angers un des frères, Etienne de Taverny, s’est mis à l’abri des murailles, faute de pouvoir résider en sa commanderie de Béconnais ; les deux autres frères sergents Bertholot, soixante ans, et son neveu Philippot, seize ans, ne sont entrés dans l’ordre que depuis deux ans, y apportant, pour leur entrée, beaucoup de vignes et divers revenus en argent et en blé. La situation est donc nettement différente de la Provence où chevaliers et sergents sont en nombre. Elle se rapproche plutôt de celle du prieuré de France, puisque ce sont les frères prêtres qui assurent pour l’essentiel le fonctionnement des commanderies. C’est le cas à l’hôpital ancien d’Angers, au temple d’Angers, où le frère prêtre est assisté d’un chapelain, à Saumur, où il y a deux frères prêtres, au Coudray-Macouard, à l’hôpital de Bouillé, à Villedieu, Bois-Ferré, Monsoreau, à Précigné, où se trouvent deux frères prêtres. On trouve aussi un frère prêtre avec les deux frères sergents de Thorée.

    Clercs, serviteurs, servantes forment le personnel subalterne, nécessaire pour le fonctionnement matériel des commanderies. A Brain-sur-l’Authion c’est même un simple clerc de trente ans qui assure la gestion. A Béconnais, déserté par les frères en raison de l’insécurité, un serviteur et une servante sont restés sur place. Partout ailleurs, il y a de même un serviteur et une servante. La présence des servantes fait l’objet de notes en marge des dépositions, dont celle-ci, significative : Hoc non instituit sanctus Johannes, « cela n’a pas été institué par saint Jean. » L’ordre n’ignore pourtant pas les femmes. Lorsque, en 1368, Robert de Saint-Riquier est nommé prieur d’Aquitaine, ses lettres lui prescrivent de visiter régulièrement « frères, sœurs, donnés, vassaux, hommes » (54).

    Les « donnés » sont bien moins nombreux que dans le prieuré de France et le prieuré de Saint-Gilles : un couple à l’hôpital ancien d’Angers, un oblat au temple d’Angers, un autre « pauvre et vieux » à Saumur. La commanderie du Coudray-Macouard a aussi hébergé un oblat qui, à sa mort, a laissé à l’ordre une modeste maison à Saumur ; elle a en outre une oblate, pour le moment absente, mais qui devrait à sa mort laisser une métairie sise dans la Vallée.

    Notes - Les effectifs
    53. A.-M. Legras, Les effectifs de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem dans le prieuré de France en 1373, dans Revue Mabillon, janvier-juin 1984, nº 295-296, page 353-394 ; Noël Coulet, Les effectifs des commanderies des Hospitaliers dans le grand prieuré de Saint-Gilles en 1373, dans Provence historique, facsimilé 179, 1995, page 101-118.
    54. Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/4.


    3. Des ressources réduites par la guerre
    — Si l’enquête de 1373 marque la forte diminution des revenus de l’ordre de l’Hôpital, la guerre en est la cause principale. Le danger est longtemps venu de Bretagne, où la succession ducale a tourné au profit des Montfort, alliés de l’Angleterre, et où l’Anglais Robert Knolles, installé à Derval, sera une menace permanente pendant plus de vingt ans. Au sud les Gascons prennent Passavant en 1359, Puy-Notre-Dame est occupé de 1359 à 1360, des pillards bretons s’emparent de Blaison en 1358 et se fortifient dans l’église, Cunault est pris vers 1361. A l’est l’abbaye cistercienne de Loroux est occupée par les Anglais pendant quinze ans et ne sera délivrée qu’en 1371 par du Guesclin. L’abbaye de Bourgueil est détruite par les Anglais le 30 avril 1361, La Flèche succombe en 1360. Le traité de Brétigny de 1360 aurait dû ramener la paix, mais les bandes qui occupaient les forteresses d’Anjou et du Maine refusèrent de les évacuer, et les années qui suivirent furent les plus éprouvantes qu’ait connues le duché » (55).

    Jean Cresswell et Folcuin l’Allemand occupent Château-Gontier en 1368-1369, le Craonnais est ravagé, Le Lion-d’Angers est pris, plus au sud l’abbaye cistercienne de Pontron, proche de la commanderie de Bécon, est incendiée. A l’est, du Guesclin bat les Anglais à Pontvallain en 1370 mais Le Lude subit deux assauts en 1371 et est partiellement détruit. L’ennemi hiverne dans la région de Montreuil-Bellay et de Fontevraud en 1369-1370, l’abbaye de Saint-Florent près de Saumur est transformée en forteresse et en partie détruite en 1369. En 1370 Jean de Bueil bat la garnison anglaise de Montreuil-Bellay (56). La situation deviendra plus calme, si ce n’est du côté breton, à partir des trêves de 1375. Même si l’Anjou a été beaucoup moins touché que la Normandie, l’Ile-de-France, le Bordelais, les provinces du Centre-Ouest, ce n’est que dans les années 1380 qu’on pourra constater une certaine remise en ordre.

    Presque toutes les dépositions des hospitaliers insistent sur les dommages causés par « les guerres », « les hommes d’armes qui courent par le pays. » Mais il faut y ajouter le mauvais temps (tempestates), les mauvaises récoltes (sterilitates, sterilitatem fructuum, sterilitates vinearum), le « grand gel », qui est invoqué par l’hôpital ancien et par le temple d’Angers. Il est encore fait état des épidémies (mortalitates), Peste noire de 1348-1349, certes, qui s’étendra jusqu’au Segréen, mais aussi la terrible vague de peste bubonique de 1362 conjuguée avec un très mauvais hiver 1362-1363 (57). L’enquête faite à Thorée mentionne la dépopulation qui fut le résultat de tous ces malheurs (paucitas gentium).

    Les revenus en argent des commanderies ont baissé le plus souvent entre 14 et 35 %, mais on peut s’interroger sur les baisses de 14 % à Thorée et à Précigné alors qu’à la commanderie proche de Monsoreau la baisse est de 68 %. Les revenus en nature sont souvent diminués de moitié (58), et les vignes sont le plus généralement détruites.

    La responsio, droit payé chaque année au maître de l’ordre, permet un classement des commanderies du diocèse par ordre d’importance : le temple d’Angers (96 francs 5 sous), Thorée (90 francs), l’hôpital d’Angers (80 francs) ; Béconnais (54 francs), Boisferré (40 francs), Saumur (28 fr.), Bouillé (26 francs), Brain (25 francs), Le Coudray-Macouard (24 francs), Monsoreau (16 francs). Seuls les droits de Saumur et du Coudray-Macouard ne sont pas mentionnés comme ayant bénéficié d’une réduction : a-t-on alors le chiffre de la responsio après réduction ? Les droits des commanderies les plus aisées ont été réduits de moitié par le maître de l’ordre cinq ans auparavant : l’hôpital et le temple d’Angers, Thorée, Boisferré ; Béconnais a vu sa part passer de 54 à 30 francs. La participation de Brain est passée de 25 à 15 francs depuis deux ans. La réduction accordée à Bouillé est limitée (de 26 à 20 francs), les autres réductions sont supérieures à 50 %.

    On comprendra dès lors qu’à la dernière question posée par la bulle pontificale : à combien la commanderie pourrait-elle être affermée, si tous les frères chevaliers et sergents en étaient retirés pour aller combattre en Orient ? Il ait été presque chaque fois répondu qu’aucun arrentement n’était envisageable dans les conditions du temps. Il n’y a de réponses positives que pour l’hôpital ancien d’Angers et la commanderie de Brain, qui relèvent du prieur d’Aquitaine. Encore notera-t-on que pour l’hôpital ancien d’Angers le « fermier et gouverneur » propose une possibilité de bail pour 50 livres, alors qu’Etienne de Taverni, frère sergent réfugié à Angers, avance le chiffre de 160 livres, et que pour la maison de Saulgé-l’Hôpital qui en dépend, les chiffres proposés par les mêmes sont de 60 et de 160 livres. Pour Brain-sur-l’Authion le « gouverneur » estime possible un bail de 10 livres, si les procès en cours étaient terminés.

    L’enquête nous fournit au total un précieux tableau de la situation de l’ordre dans le diocèse d’Angers en 1373, mais ses conclusions ne font guère apparaître, c’est le moins qu’on puisse dire, la capacité de soutenir efficacement une politique pontificale active pour le recouvrement de la Terre sainte.

    Notes - Des ressources réduites par la guerre
    55 — Michel Le Mené, Les campagnes angevines à la fin du Moyen Age (vers 1350-vers 1530) : étude économique, Nantes, 1982, page 195-221 ; Henri Denifle, La guerre de Cent Ans et la désolalion des églises, monastères et hôpitaux en France, tome I, jusqu’à la mort de Charles V (1380), Paris, 1899 (réédition 1965), page 291-292,455.
    56 — Chronique normande du XIVe siècle, éditions Auguste et Emile Molinier, Paris, 1882 (Société de l’histoire de France), page 191. Voir aussi M. Le Mené, Les campagnes angevines..., page 205-208, et H. Denifle, La guerre de Cent Ans..., page 565-566, 739-741.
    57 — M. Le Mené, Les campagnes angevines..., page 209-210.
    58 — M. Le Mené, Les campagnes angevines..., page 215 ; Marie-Françoise Parnaudeau, L’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem dans le diocèse angevin en 1373, mémoire de D.E.S., Université de Nantes, 1972, dactylographies.


    II. — Les Hospitaliers dans le diocèse de Saintes
    L’enquête de 1373 dans le diocèse de Saintes a fait l’objet d’une série de publications (59), ce qui permettra ici de nous limiter à une synthèse plus rapide, pour laquelle on trouvera, dans lesdites publications, les références et compléments utiles.
    59. J. Glénisson, Les biens des hospitaliers dans le diocèse de Saintes en 1373, dans Recueil de la Société d’archéologie et d’histoire de la Charente-Maritime et Groupe de recherches archéologiques de Saintes, tome 25, 1973, page 127-135 ; A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem en Saintonge et en Aunis, Paris, 1983 ; R. Favreau, La commanderie du Breuil-du-Pas et la guerre de Cent Ans dans la Saintonge méridionale, Jonzac, 1986, et id., L’enquête pontificale de 1373 sur les Hospitaliers dans le diocèse de Saintes, dans La commanderie..., (voir note 16), page 261-276 ; Claire Nau, Templiers et Hospitaliers dans le diocèse de Saintes (XII-XVe siècles), mémoire de D.É.A., Université de Paris, 1998, dactylographie.

    1. Les commanderies
    — Les commanderies sont principalement désignées par le mot domus, parfois par preceptoria, et une fois par balleia (baillie). Même s’il reste des incertitudes pour plusieurs des maisons, l’origine templière est assurément prédominante, d’autant plus qu’elle concerne la plupart des commanderies les plus importantes. Seules les deux maisons de La Rochelle sont connues par des textes sûrs pour le XIIe siècle, le temple en 1139, l’hôpital Saint-Jean-du-Pérot en 1188, mais il reste encore nombre de chapelles qui remontent à la seconde moitié du XIIe ou au début du XIIIe siècle. La chute de Jérusalem en 1187 et la perte de la totalité de la Terre sainte en 1291 n’étaient pas de nature à inciter à de nouvelles fondations. Templiers et Hospitaliers ne s’intéressent guère aux villes importantes de l’époque. Certes, le temple de La Rochelle fut le principal établissement des ordres militaires dans le diocèse de Saintes, mais lorsque la reine Aliénor donna aux Templiers les moulins qu’elle avait dans la ville, en 1139, il y avait moins de dix ans que la bourgade de pêcheurs et de sauniers citée à la fin du Xe siècle avait commencé le rapide essor qui en ferait en un demi-siècle la première ville de la région. De même l’ordre fontevriste, de vocation érémitique, évita l’implantation urbaine, mais eut un prieuré Sainte-Catherine en 1185-1186 à La Rochelle, ville affirmée, sans avoir pourtant l’ancienneté des cités traditionnelles de la région. Les ordres militaires, comme les ordres nouveaux des XIe-XIIe siècles, recherchèrent plutôt les établissements à l’écart des centres urbains : Courant mais non Saint-Jean-d’Angély, Fontsèche mais non Tonnay-Charente, Châteaubernard et non Cognac, Les Epeaux plutôt que Saintes, Le Breuil-du-Pas et non Saujon ou Royan.

    Le temple de La Rochelle était l’établissement ecclésiastique le plus important de la ville, dans un enclos bien délimité au centre de l’espace intra-muros. La porta Templi, la rua Templi sont citées dès 1216. L’évêque de Saintes, Pons de Pons, accusa même les Templiers de vouloir mettre la main sur la majeure partie de la ville. Ceux-ci tinrent pour le roi d’Angleterre le rôle de banquiers et s’attirèrent par leur richesse et leur arrogance bien des critiques (60). Le temple comprenait en 1562 une grande cour d’entrée, une chapelle avec deux autels et cinq cloches, un cloître, un grand logis, le logis des religieux, un jardin, un grand cellier, une tour voûtée où se trouvaient les archives (61). L’enquête de 1373 ne décrit pas les maisons de l’ordre, mais elle nous permet de constater que le temple de La Rochelle est la maison hospitalière du diocèse qui a, de loin, les plus gros revenus et qui paie la plus forte « responsion. » Elle a cinq maisons : Bernay, La Cabane, Sècheboue et, en Saintonge, Le Mung (sur la Charente) et Goux. Le procès des Templiers cite une chapelle à Bernay et au Mung ; des textes du XVe et du XVIe siècle en mentionnent une à La Cabane et à Sècheboue. Le temple de La Rochelle est « chambre magistrale », c’est-à-dire, pour le prieuré d’Aquitaine, la commanderie affectée au maître de l’ordre.

    C’est encore une commanderie d’origine templière qui vient très nettement au deuxième rang pour les revenus et pour le montant de la « responsion » : Bourgneuf, une localité qui a dû se former autour de la maison nouvellement fondée, Burgus novus Templi d’après le premier acte qui la mentionne, en 1224. Les Templiers puis Hospitaliers auront d’ailleurs la présentation à la cure et la pleine juridiction sur le lieu. Un plan de 1786 permet de situer la commanderie (62), mais ses bâtiments ont disparu et l’église, reconstruite au XVIIe siècle, ne conserve que quelques vestiges, départs de nervures de l’ancienne voûte. Bourgneuf, en 1373, avait trois membres : Thairé, d’origine templière, et dont l’église, reconstruite au cours du premier quart du XIVe siècle, garde un clocher fortifié sans doute vers l’époque de l’enquête, puis Péreault et Le Treuil-au-Roi qui sont des possessions beaucoup plus modestes.

    Saint-Jean-du-Pérot à La Rochelle est une maison de l’ordre de l’Hôpital dont Richard, comte de Poitou et duc d’Aquitaine, confirma les biens en 1188. Cette maison a été établie, disent les textes, entre La Rochelle et la mer : elle est au cœur de l’îlot du Pérot (Perrocum, « Per-roc »), jusque-là situé hors des remparts, mais qui va alors être protégé par une extension de l’enceinte. Sa chapelle sera l’église paroissiale de ce nouveau quartier populeux, placée, comme il se doit, sous le patronage de saint Jean. Il n’en reste que le clocher, en son état du XVIIIe siècle, et le logis de la commanderie a aujourd’hui complètement disparu. La baillie est modeste, puisqu’elle ne comprend qu’une maison, Fontsèche, près de Tonnay-Charente, connue dès 1229 et possédant une chapelle. Il n’y subsiste aujourd’hui aucun vestige de la maison des Hospitaliers. Ceux-ci ont cependant mené dans la proche banlieue de La Rochelle une politique d’acquisition que l’on perçoit dès le deuxième quart du XIVe siècle : l’enquête de 1373 dit « nouvellement acquis » le « treuil » ou exploitation viticole de Remigon, et au début du XVe siècle les Hospitaliers auront aussi une métairie, avec logis et chapelle, à Margot, au nord de Courçon.

    La dernière des quatre principales commanderies du diocèse est celle de Beauvais-sur-Matha, dans la partie nord-orientale de la Saintonge. Les actes qui situent sa fondation au milieu du XIIe siècle sont faux ou suspects, mais le portail de l’église date bien de la seconde moitié du XIIe siècle. Comme à Saint-Jean-du-Pérot l’église des Templiers puis Hospitaliers est paroissiale. Son état actuel traduit d’importants remaniements au cours des âges, et notamment l’adjonction, à la fin du XIVe siècle, d’une massive tour de clocher, qui a perdu sa flèche au cours de la première moitié du XVIIIe siècle. La fondation d’une commanderie est probablement, comme à Bourgneuf, à l’origine du bourg. Une forteresse a été construite « trente ans » avant l’enquête de 1373, c’est-à-dire au début de la guerre de Cent Ans. Les documents postérieurs la situent au sud de la cour, face à l’église, et elle constitue avec ses deux tours une partie de l’enceinte méridionale. Subsistent encore aujourd’hui des vestiges des fortifications, et une longue grange qui devait abriter récoltes et redevances en nature, mais les halles de la commanderie ont été détruites au début des années 1960. La commanderie de Beauvais avait cinq membres : deux sans chapelle, Bourcelaine et Sallerit, et trois avec, Angoulême, Boixe et Le Fouilloux. La chapelle du Fouilloux existe toujours, mais de celle de Boixe il ne subsiste plus que des ruines, encore imposantes. On peut avoir une bonne idée des possessions de la commanderie d’après la publication faite en 1999 de son terrier datant de 1491-1492 (63).

    Les deux autres maisons de cette partie nord de la Saintonge étaient d’origine hospitalière. La commanderie de Courant avait une église paroissiale que l’enquête de 1373 nous dit fortifiée, mais ne possédait, en sa dépendance, qu’une modeste grange tout au nord du diocèse à Pont-de-Cessé. Seule l’église, remaniée à de nombreuses reprises, conserve le souvenir de l’installation des Hospitaliers en ce lieu.
    De la commanderie des Eglises-d’Argenteuil, sise sur le grand chemin de Poitiers à Saintes, et qui reçut en septembre 1308 le maître de l’Hôpital, Foulques de Villaret, il ne demeure rien de nos jours.

    Les sept autres commanderies décrites par l’enquête de 1373 appartiennent à la Saintonge méridionale. Celle de Châteaubernard, à quelques kilomètres au sud de Cognac, est d’origine templière, mais l’occupation, à la date de l’enquête, de la ville de Cognac par les Anglo-Gascons n’a pas permis aux enquêteurs d’en dresser l’état, et ils n’ont pas même fait mention de la commanderie d’Angles qui lui avait été rattachée dès le XIIIe siècle. Du moins pouvons-nous encore aujourd’hui admirer leurs chapelles Saint-Jean, qui remontent l’une et l’autre au milieu du XIIe siècle. La chapelle de Châteaubernard est devenue église paroissiale en 1874.

    La commanderie la plus importante au sud de la Charente est sans conteste celle des Epeaux, d’origine templière, que les vestiges de sa chapelle Saint-Jean font remonter à la seconde moitié du XIIe siècle. La forteresse qui la protégeait fut détruite par les Anglais, mais le commandeur de 1373 la fit reconstruire. Cette reconstruction devait être très récente, car frère Jean de Columviliers, cité comme commandeur dès mai 1371 (64), n’avait en 1373 que trente ans. C’est cette fortification qui lui permit sans doute de ne pas tomber en ruine au cours des longues décennies de guerre continue, en cette région de frontière. Villeneuve, qui en dépend et possède une chapelle, est dite ne plus avoir aucun revenu depuis deux ans, ce qui confirme les dommages subis par la région au cours de la reconquête de la province sur les Anglais, auxquels elle avait été cédée par le traité de Brétigny.
    Les deux autres membres, Rétaud et Beloire, n’ont pas de chapelle.

    A la fin du XVe siècle Les Epeaux se trouvèrent à la tête d’une vaste baillie qui comprit, outre Courant et Les Eglises-d’Argenteuil, toutes les commanderies de la Saintonge méridionale à l’exception du Dognon, soit Le Breuil-du-Pas, Civrac, Bussac et Le Deffend, avec toutes leurs dépendances. Ainsi trouvera-t-on désormais Les Epeaux sur toutes les listes des principales commanderies du prieuré d’Aquitaine jusqu’à la Révolution. Outre une partie de l’église, on peut encore voir aujourd’hui aux Epeaux le logis du commandeur.

    Du Breuil-du-Pas, qui est en 1373 la commanderie la plus proche des Epeaux, et qui semble d’origine hospitalière, on ne trouve aujourd’hui aucun vestige. Du fait de la proximité de garnisons anglaises en la tour de Broue et au château de Mortagne, il resta inaccessible pour les enquêteurs. Du moins le dossier judiciaire particulièrement riche d’une procédure engagée à la fin de la guerre de Cent Ans par le commandeur contre le seigneur de Rioux pour le paiement d’une rente de 20 livres nous fournit-il un tableau exceptionnel de la situation de la commanderie au cours des trente dernières années du conflit franco-anglais (65).

    Civrac et Bussac sont à la frontière de la Guyenne anglaise. La première commanderie est d’origine templière. Elle avait deux membres, La Lande-de-Lorignac et Chierzac, dont le second a conservé sa chapelle. L’origine de Bussac, peut-être hospitalière, est incertaine. L’église de la commanderie a survécu aux malheurs des temps, de même que les églises de deux de ses membres, Chepniers (église paroissiale à la charge des Hospitaliers) et Lugéras. On a peine à placer sur la carte les quatre derniers membres de Bussac : Mélac, La Grolle, Grand-Vaux et Lussac. La guerre de Cent Ans et plus tard les guerres de Religion ont causé ici des dommages tels que ces maisons n’ont jamais vraiment pu s’en remettre. Il ne reste pas trace de la commanderie du Deffend, dont l’origine templière est assurée. De ses quatre membres, Viville, Auvignac, Guizengeard et La Lande, on garde du moins deux chapelles : celle de Viville, qui comporte une abside en place de l’habituel chevet droit des chapelles templières, et celle de Guizengeard, dédiée à saint Jean Baptiste et devenue église paroissiale, comme la précédente. L’enquête de 1373 ne cite pas la maison du Tâtre, toute proche du Deffend, et dont il nous reste la chapelle.

    La dernière commanderie citée par l’enquête est celle du Dognon, d’origine templière, dans la commune de Cressac, qui comme les précédentes fut particulièrement touchée par la guerre. Du moins sa chapelle, sauvée après de graves vicissitudes, est-elle aujourd’hui protégée. Elle est bien connue pour garder des peintures murales qui, sur deux registres, présentent des combats entre croisés et Sarrasins.

    Notes - Les commanderies
    60 — R. Favreau, Les débuts de la ville de La Rochelle, dans Cahiers de civilisation médiévale, tome 30, nº 1, 1987, page 9-32.
    61 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/938. Après les destructions dues aux protestants, les Templiers avouent n’avoir fait refaire aucune image car « la ville n’est encore pacifique pour la diversité des religions. »
    62 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1, registre nº 399. Voir Claire Neuville, La commanderie de Bourgneuf en Aunis aux XIVe et XVe siècles, mémoire de D.E.A., Université de Poitiers, 1991, dactylographie.
    63 — Claire Nau, Contribution à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge pendant la guerre de Cent Ans, thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, 1999, dactylographie, tome II, Edition du terrier de la commanderie de Beauvais-sur-Matha, 294 page (thèse résumée dans Ecole nationale des chartes, Positions des thèses..., 1999, page 317-320).
    64 — Archives départementales de la Vienne, 3 H 1/423.
    65 — R. Favreau, La commanderie du Breuil-du-Pas...


    2. Les effectifs
    — La deuxième question posée par l’enquête concerne l’état des personnes. Il y a en 1373 dans le diocèse cinq frères chevaliers, ce qui contraste avec l’enquête angevine qui n’en relève aucun. On peut penser qu’ils sont placés dans les commanderies les plus importantes, et de fait, s’ils ne se trouvent pas à La Rochelle, qui a une forte enceinte placée sous la garde de la commune, on les trouve à Bourgneuf, Beauvais-sur-Matha (deux), Châteaubernard, Les Epeaux. Les frères sergents sont au nombre de dix, un au temple de La Rochelle, trois à Bourgneuf, trois à Beauvais, un au Dognon, au Deffend, à Courant. On compte vingt-deux frères prêtres, un frère diacre. En dehors des deux maisons rochelaises qui ont cinq et trois frères prêtres, ce sont les petites maisons qui sont administrées seulement par des frères prêtres ou chapelains : Bernay, La Cabane, Sècheboue, Civrac, Le Breuil-du-Pas, Les Eglises-d’Argenteuil, Courant. Deux chapelains ne sont pas dits frères, et n’ont donc pas été comptés comme tels. La situation est au total assez différente de celle du diocèse d’Angers. La moyenne d’âge des frères est de trente-sept ans. Il y a bien plus de « donnés » que dans le diocèse d’Angers : dix-huit le sont dits expressément, et peut-être faut-il y ajouter les trois « séculiers » qui sont indiqués à Saint-Jean-du-Pérot avec leur âge : un prêtre, un acolyte et un clerc. Une donnée est seulement dite antiqua. Si on additionne les dix-sept âges indiqués (quatorze donnés et trois séculiers), on obtient une moyenne d’âge de trente-trois ans. La moitié sont laïcs, les autres clercs ou prêtres. A Bourgneuf il y a un « donné » de soixante-dix ans et trois serviteurs (famuli). A Saint-Jean-du-Pérot de La Rochelle sont mentionnés trois « séculiers » sans la qualification de donnés. Pour le temple de la même ville on fournit les noms des cinq « donnés », « qui ne portent pas l’habit de ladite religion », et on mentionne aussi les dépenses pour un serviteur et une servante. Parmi les cinq « donnés » de Beauvais il y a un prêtre, trois laboureurs (laboratores), un fournier. A Civrac un serviteur, un clerc et une servante sont dits « donnés » de la maison. En dehors du temple de La Rochelle et du cas particulier de Civrac, on ne trouve un serviteur et une servante que dans les maisons modestes de Fontsèche et de Sècheboue, où ils aident le frère chapelain. Si donc il y a dans les maisons du diocèse de Saintes quatre fois plus de « donnés » que dans celles du diocèse d’Angers, on y trouve en revanche beaucoup moins de serviteurs et servantes. En Anjou on rencontre surtout des frères prêtres secondés par des serviteurs et des servantes, en Aunis et Saintonge des frères chevaliers et sergents, assistés de « donnés »

    3. Les ressources
    — L’intérêt de l’enquête de 1373 pour le diocèse de Saintes réside principalement dans l’éclairage qu’elle donne sur la guerre franco-anglaise et ses conséquences économiques dans les trente premières années des hostilités. La description des revenus et des charges en leur valeur ancienne et en leur valeur actuelle est rédigée avec beaucoup de précision, ce qui facilite un état général. La baisse des ressources est bien moindre en Aunis que dans le sud du diocèse : pour les revenus en argent, 27 % à Saint-Jean-du-Pérot, 32 % au temple et à Bourgneuf, mais jusqu’à la moitié au sud. Les vignobles ne sont plus guère entretenus et exploités dans tout le pays et leurs revenus ont chuté de près de 85 %. Presque partout les moulins sont détruits. Une notation intéressante est à relever pour le temple de La Rochelle : les revenus de ses quatre moulins à eau à La Rochelle, ceux que la reine Aliénor lui a donnés en 1139, sont très diminués notamment « en raison du grand nombre de moulins à vent nouvellement construits autour de la ville. » Les ressources en blés ont diminué de façon générale des trois quarts et parfois jusqu’à 90 %. Certaines maisons sont totalement abandonnées : les cinq membres de la commanderie de Beauvais-sur-Matha et Villeneuve depuis deux ans, Le Mung, Lugéras, Mélac, La Grolle, Grand-Vaux, Lussac et Le Breuil-du-Pas. Les témoignages invoquent continuellement les guerres, mais rarement les sterilitates, les mauvaises récoltes, citées à plusieurs reprises en Anjou. Dans la région ce sont les hostilités, commencées dès les années 1330 mais que les contemporains font plutôt remonter à trente ans — à l’époque des incursions dévastatrices de l’Anglais Derby —, qui sont la calamité omniprésente, tenue pour responsable des difficultés constatées en 1373.

    En Aunis, La Rochelle constitue une redoutable forteresse qui ne sera jamais perdue. Mais la milice rochelaise a dû intervenir pour reprendre aux Anglais Salles-sur-Mer, Rochefort et Fouras. Lors de la reprise de La Rochelle par les Français le 7 septembre 1372, après une douzaine d’années d’« occupation » anglaise, l’armée de du Guesclin et des princes campera à Bourgneuf. Peu après, le château de Benon est pris d’assaut et ses occupants sont tués ; la garnison de Marans commandée par l’allemand Wisebare « se tourne toute françoise » ; le château de Surgères, abandonné, reçoit une garnison française.

    Il faut engager de grands frais pour l’entretien de la forteresse construite trente ans plus tôt à Beauvais-sur-Matha, qui est peu éloigné du château de Bouteville, longtemps occupé par les Anglo-Gascons, et de Cognac et Merpins qui sont encore aux mains des Anglais en 1373, ce qui fait que les enquêteurs ne pourront aller jusqu’à Châteaubernard. Cognac ne redeviendra français que le 1er juin 1375, et un compte de l’Angoumois de 1376-1378 montre bien la situation extrêmement difficile en cette partie de la vallée de la Charente.

    A l’embouchure de la Seudre les Anglais tiennent la tour de Broue, et sur la Gironde ils occupent solidement le château de Mortagne que Clisson ne pourra reprendre. Aussi les enquêteurs n’oseront se rendre au Breuil-du-Pas près de Saujon, où subsistent à grand-peine deux frères de l’ordre, et il a fallu sans délai relever la forteresse des Epeaux détruite par les Anglais. On s’emploiera en 1377 à « racheter » la tour de Broue, et on constate qu’en 1380 Mortagne est toujours aux mains des Anglais.

    A la frontière entre Saintonge et Guyenne la situation est des plus chaotiques. En 1373 le seigneur de Montguyon décide de passer au parti anglais, mais ses valets restent attachés à la cause française et lui conservent le château et la ville. Montlieu, longtemps aux mains des Anglais, sera repris par le duc de Bourbon en 1385. C’est dans cette région que la situation économique des maisons de l’ordre de l’Hôpital est la plus désastreuse, et elle ne sera guère meilleure aux confins de la Saintonge et de l’Angoumois (66).

    A la dernière question de l’enquête, seules les commanderies de Bourgneuf, de Saint-Jean-du-Pérot et de Beauvais-sur-Matha répondent en envisageant un arrentement dans l’hypothèse où tous les frères chevaliers et sergents quitteraient la région. Mais pour toutes les commanderies de la Saintonge méridionale la réponse est la même : il n’est pas d’arrentement possible considérant la situation financière du temps ; seule la petite maison de La Lande, membre du Deffend, envisage une possibilité d’arrentement pour 12 livres.
    66. Voir R. Favreau, L’enquête pontificale de 1373..., passim.
    Sources: Robert Favreau - Bibliothèque de l’Ecoles des Chartes, tome 164, deuxième livraison, juillet-décemnre 2006. Librairie Droz, Paris Genève 2007.

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