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Les traditions populaires concernant Le Temple et L'Hôpital en Bretagne

Traditions dans les arrondissements de Quimper, Châteaulin, Brest et Quimperlé. — Traditions dans les arrondissements de Vannes, Lorient, Ploërmel et Pontivy. — Traditions dans les arrondissements de Saint-Brieuc, Dinan, Guingamp, Lannion et Loudéac. — Traditions dans l'Ille-et-Vilaine — Traditions dans la Loire-Inférieure. — Légendes populaires des Templiers ; chant des Trois Moines Rouges ; conte du chevalier de Montbran.

Quoiqu'étendue, l'étude qui précède est bien incomplète. Pour faire connaître nos commanderies bretonnes, nous nous sommes surtout servis de documents écrits, et c'est aux dépôts d'archives que nous avons puisé presque tous nos renseignements. Il est une autre source d'informations que nous n'avons pas rejetée, mais qui ne s'est pas toujours présentée à temps : nous voulons dire la tradition populaire. Cette tradition — entretenue souvent sur les lieux mêmes par la conservation d'un monument, par l'existence d'un village appelé le Temple ou l'Hôpital, par de simples morceaux de terre portant les noms de Champ des Templiers, Ile des Chevaliers, Pâture de la Chevalerie, Lande des Moines Rouges, — cette tradition locale n'est pas à dédaigner. Malheureusement il est difficile de la recueillir en Bretagne, où un seul département, le Morbihan, possède un Dictionnaire topographique.

Néanmoins, nous allons essayer de rappeler ici ce qu'on raconte encore de nos jours des chevaliers du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem.

Notons tout d'abord que nous ne relaterons dans cet épilogue aucune des traditions signalées précédemment dans le corps de l'ouvrage ; nous n'y nommerons aussi aucune chapelle, aucun village, aucun bien de Templiers ou d'Hospitaliers déjà mentionnés. L'épilogue présent est une véritable addition faite à ce que nous avons antérieurement écrit. Cet épilogue a pour but de faire connaître ce qui a échappé à nos premières investigations, et aussi les traditions et les localités que nous n'avons pu mentionner parce que, tout en les connaissant, nous ne savons pas à quelle commanderie elles doivent se rattacher.

Par suite de cette ignorance, nous ne grouperons point ici par commanderies les nouveaux biens des Templiers et des Hospitaliers que la tradition va nous faire connaître ; nous les signalerons en parcourant successivement les cinq départements de Bretagne, qui correspondent à peu près aux grandes commanderies de la Feuillée (Finistère), Carentoir (Morbihan), Pont-Melvez et Quessoy (Côtes-du-Nord), La Guerche (Ille-et-Vilaine), Nantes, Les Biais, Clisson (Loire-Inférieure). Dans chaque département nous suivrons l'ordre des arrondissements.

Remarquons bien enfin qu'en rapportant ici toutes les traditions populaires que nous rencontrerons, nous n'entendons leur donner aucune autorité historique : c'est pour nous simple objet de curiosité et aussi désir de compléter autant que possible ce qui nous reste du souvenir du Temple et de l'Hôpital. Quand, dans un récit verbal, dans un imprimé quelconque, nous trouvons une tradition conservée, nous la relatons sans l'adopter parfois comme sérieuse, uniquement pour éviter le reproche de l'avoir mise de côté, l'ayant connue. Ce dernier chapitre est oeuvre de folklore ; il appartient plutôt à la légende qu'à l'histoire ; souvent la légende est mensongère et trompeuse, parfois cependant elle peut être utile.

I — Arrondissement de Quimper
Nous commencerons par le Finistère et par l'arrondissement de Quimper
A Quimper même nous avons signalé l'obscurité régnant sur l'origine de la commanderie de ce nom. Etait-ce un Temple, était-ce un Hôpital ?
La tradition en faveur des Templiers nous semblait confirmée par le nom de Temple que portait encore la maison en 1617, mais nous savons que souvent les noms de Temple et d'Hôpital ont été pris indifféremment au XVIIe siècle par certaine commanderie. Sans attacher trop grande importance à une tradition que nous allons rappeler, nous devons cependant avouer que cette tradition enlèverait ici toute difficulté.

Ecrivant vers 1630 l'histoire manuscrite des Cordeliers, établis à Quimper vers 1232, Jean Beaujouan raconte ceci : « Il y avoit à Quimper une maison de Templiers avec une église placée sous le vocable de saint Jean-Baptiste et de sainte Magdeleine, patrons ordinaires de l'Ordre. Les Templiers quittèrent cette maison, peu après la mort de saint François, soit qu'ils se soient volontairement retirés, soit qu'ils aient cédé à la contrainte. Les Frères Mineurs furent appelés à les remplacer, et c'est alors que l'évêque de Quimper bâtit l'église qui garde le vocable de sainte Magdeleine et dans laquelle fut conservée, et avec grand soin, une image de saint Jean-Baptiste qui ornoit la première église (1). »

Remarquons, ajoute M. Trévédy, que « le P. Gonzague, historiographe des Franciscains, écrivant en 1580 avant Beaujouan, Wadding, annaliste des Franciscains, écrivant après lui (1703), sont d'accord avec notre compatriote sur la succession des Frères Mineurs aux Templiers dans le couvent de Saint-François. Voilà donc un fait bien établi : en 1232 ou 1233, après le départ des Templiers, les Frères Mineurs ont pris leur place dans le couvent réédifié ou aménagé par eux (2). »

Comme d'autre part la charte de 1160 nous apprend que les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem possédaient un Hôpital à Quimper, il résulterait de la tradition que cette ville avait, comme Nantes, deux établissements religieux-militaires : un Temple dans le fief de l'évêque et en ville close, et un Hôpital hors des murs dans la Terre-au-Duc.

Mais cette tradition du Temple de Quimper converti en couvent de Cordeliers, a été vivement attaquée (3), et il faut bien avouer qu'aucun document écrit ne vient la confirmer. Aussi sommes-nous loin de l'admettre comme fait historique, tout en croyant convenable de la signaler.

Dans la paroisse de Penhars, où le commandeur de Quimper avait certainement des biens, « l'opinion vulgaire voit dans les ruines du manoir de Pratanroux les restes d'une maison de Templiers. » Cambry, Ogée et le chevalier de Fréminville avaient émis le même sentiment qui n'en est pas plus solide pour cela (4).

« Il est de notoriété — écrivait naguère M. Anatole de Barthélémy — que les sires de Pont-l'Abbé eurent la plus grande partie de ce que les Templiers avaient possédé à Loctudy ; ce fait est admis par M. du Châtellier dans son étude sur la châtellenie de Pont-l'Abbé. M. de Fréminville parle de la donation de Loctudy faite par le duc de Bretagne aux Templiers en 1187 (5). » Mais cette opinion, attribuant aux chevaliers du Temple la construction de la belle église de Loctudy, semble abandonnée aujourd'hui : « Rien au monde — vient d'écrire M. du Crest de Villeneuve — ne peut établir même une présomption en faveur de l'établissement des Templiers à Loctudy. Nous avons recherché avidement dans tous les ouvrages parus sur la spoliation des Templiers, ainsi que dans les archives de Paris et de Poitiers, tous les documents du prieuré d'Aquitaine pouvant nous éclairer sur la question de Loctudy et celle du couvent des Cordeliers de Quimper. Nous n'avons rien trouvé (6). »

Nous avons signalé l'Hôpital Saint-Jean d'Audierne et l'établissement qu'avaient en ce lieu les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ; mais dans la même région les chevaliers du Temple avaient eux-mêmes des biens. Nous en trouvons la preuve dans cette note topographique et féodale, extraite d'une charte de 1410 : « Dans la baie d'Audierne tout le territoire entre le pont de Pouglousec et Pontcroix relève du vicomte de Léon, sauf la terre des Templiers (7). »

Mentionnons enfin dans l'arrondissement de Quimper le village du Moustoir et l'ancienne chapelle Saint-Jean, en Plogastel-Saint-Germain — et les chapelles également dédiées à Saint-Jean en Beuzec-Conq, Guengat et Poullan.

Arrondissement de Châteaulin
En l'arrondissement de Châteaulin et sur le territoire de Cléden-Poher, « selon la tradition, la Roche et le Mur ont été possédés par les Templiers, que les paysans appellent Moines Rouges (Manac'h Ru) ; les villages assez considérables qui existent actuellement près des ruines de ces bâtiments semblent avoir été construits avec les matériaux de vieux manoirs (8). »
Par ailleurs, les paroisses de Spezet, Le Cloître, Crozon et Quimerc'h conservent des chapelles dédiées de tout temps à saint Jean ; celle de Quimerc'h jouit même d'un pardon très fréquenté.

Arrondissement de Brest
Dans l'arrondissement de Brest nous n'avons à signaler que l'existence des chapelles Saint-Jean en Ploudiry, Logonna-Daoulas et Plougastel-Daoulas ; celle de cette dernière paroisse est célèbre par son pardon de juin, si connu sous le nom de pardon des Oiseaux.

Il a été fait mention précédemment de la chapelle Saint-Jean de Locjean sur le territoire de Kernevel, arrondissement de Quimperlé, mais nous n'avons pas parlé de celle du Moustoir dans la même paroisse : « La chapelle du Moustoir — écrit l'annotateur d'Ogée, — située à l'extrémité d'une belle avenue de hêtres, date de 1538. Cet édifice paraît avoir été construit sur les débris d'une ancienne chapelle qui avait appartenu aux Templiers. On trouve à peu de distance une butte artificielle en forme de cône, au sommet de laquelle s'élevait une tour fortifiée appelée le Moustoir. Les paysans des environs appellent encore cette butte Chastel ar Menec'h Ruz (château des Moines Rouges), dénomination par laquelle ils désignent constamment les Templiers (9). »
(1) Trévédy, Le couvent de Saint-François de Quimper (Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, XVII, 143).
(2) Ibidem, 144.
(3) Notamment par M. du Crest de Villeneuve dans sa Note sur les Templiers Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, XXIV, 403.
(4) Voyez Trévédy, Promenades autour de Quimper (Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, XIV, 168).
(5) Mélanges historiques sur la Bretagne, IIe série, 64.
(6) Note sur les Templiers (Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, XXIV, 402 et 403).
(7) D. Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, II, 851.
(8) Ogée, Dictionnaire historique et géographique de Bret. Annotations (nouvelle édition, I, 183.)
(9) Dictionnaire historique et géographique de Brest, nouvelle édition, II, 387.


II — Morbihan
M. Rosenweig nous apprend dans son Dictionnaire topographique du Morbihan que ce département renferme, en fait de hameaux, villages ou maisons, dix-sept Temples, onze hôpitaux, sans compter douze rues ou ponts portant ce nom — vingt-six villages ou chapelles de Saint-Jean — enfin vingt-sept Moustoirs. Nous avons déjà signalé le plus grand nombre de ces localités aux noms caractéristiques ; toutefois quelques-unes nous ont échappé et nous allons ici réparer cette omission.

Certains Vannetais ont voulu jadis s'attribuer une maison de Templiers et, comme les Quimpérois, ils ont fait de ces chevaliers les prédécesseurs des Cordeliers venus en 1260 dans leur ville. Dubuisson mentionne en 1636 — sans y ajouter foi d'ailleurs — cette légende dans son Itinéraire : « Avant que les Cordeliers fussent là (à Vannes, mais hors les murs), c'estoit, à ce qu'ils disent, une petite chapelle assise sur la douve et bord extérieur du fossé de la ville. Aucuns veulent dire que c'estoit un temple et chapelle des Templiers, mais il n'y en à point de preuves (1). »

La charte de 1182 parle des biens possédés par les Templiers en la paroisse de Treffléans « Trevoelan », or la tradition assure que ces chevaliers avaient un établissement en cette paroisse, au village de Cran. Là se retrouvent sur la butte de Coh-Castel (le Vieux-Château) des restes de retranchements et de fortifications ; la chapelle de Notre-Dame de Cran passe aussi pour avoir été fondée par les Templiers (2) ; c'est une construction assez intéressante, but de fréquents pèlerinages, mais seulement des XVe et XVIe siècles.

Dans la paroisse d'Ambon, la chapelle Notre-Dame de Brouel est également regardée comme ayant appartenu à l'Ordre du Temple (3) ; sa façade et son portail forment un bel ensemble de style ogival flamboyant.

Non loin de l'ancien Temple du Guerno se trouve Muzillac, assis au bord de la vieille voie romaine de Nantes à Vannes. « On entre à Muzillac par le faubourg de Penesclus, dont la chapelle délabrée n'attirerait pas les regards du voyageur, s'il ne savait qu'elle passe pour avoir appartenu aux Templiers. Cette chapelle était primitivement beaucoup plus grande qu'aujourd'hui ; mais en 1835 on la réduisit de moitié pour l'élargissement de la route. Heureusement on épargna deux statuettes en pierre qui se trouvent au-dessus de la porte. Ces statuettes, hautes d'environ un mètre, représentent deux chevaliers du Temple revêtus de leurs manteaux, l'épée à la ceinture, la lance à la main et les pieds appuyés sur un lion. L'une des deux est complète, sauf l'extrémité de la lance ; l'autre a subi de graves mutilations et ne présente plus que la partie inférieure du corps. Ces effigies appuient la tradition et ne laissent guère lieu de douter que la chapelle ait été, en effet, une propriété de l'Ordre (4). »

A quelque distance de là, mais dans la paroisse de Noyal-Muzillac, on voit la chapelle de Notre-Dame de Brangolo ou du Temple ; « le nom qu'elle porte est une grave présomption en faveur de l'opinion qui en fait une ancienne propriété des Templiers. Quoiqu'il en soit, ce lieu dut-avoir autrefois une grande importance religieuse (5). » La Vierge de Brangolo est encore de nos jours l'objet d'une particulière vénération.

Sur le territoire de Rochefort-en-terre, dans l'ancienne paroisse de Pluherlin, s'élève pittoresquement la chapelle Saint-Michel reconstruite à une époque moderne ; « elle passe pour avoir appartenu primitivement aux Templiers (6). » C'est peu probable, car elle dépendait au moyen-âge du prieuré bénédictin Saint-Michel de la Gresle, membre de l'abbaye de Redon.

On retrouve le souvenir des Templiers sur deux points de la paroisse de Baden : à Toulvern, où sont « les ruines d'un couvent de Moines Rouges, suivant la tradition (7), » et dans l'île devenue célèbre de Gavrinis.

C'est encore la seule tradition qui nous apprend « qu'anciennement l'île de Gavrinis était habitée par un couvent de Templiers. Il n'est pas un village des alentours où le souvenir de ces Moines Rouges (Menac'h Ru), seigneurs de Gavrinis, ne soit encore vivace, et, disons-le, la légende est loin de leur être favorable, puisqu'elle leur attribue les mêmes vices qu'Abélard reprochait aux moines de Saint-Gildas de Ruys au XIIe siècle. Aussi la vengeance céleste s'appesantit sur eux, et ils disparurent en une nuit (8). »

On y voyait encore naguère les ruines de leur chapelle et de leur monastère : de la chapelle demeuraient des fragments d'arceaux en plein cintre et des chapiteaux sculptés en granit de style roman ; le tout d'une coloration rougeâtre semblant indiquer qu'un incendie avait passé par là. Vers 1830, l'île de Gavrinis était sans culture de temps immémorial quand on entreprit d'y faire des fouilles. « Les premiers travaux de déblaiement mirent à découvert, indépendamment des murs lézardés de la chapelle qui étaient debout, une sorte de cimetière contenant de nombreuses sépultures. Puis, plus à l'Est, des ruines de maisonnettes ; au Sud un puits et une citerne ; des fragments de poteries diverses répandues çà et là ; des briques et des ardoises ; plusieurs meules à bras en grès, et jusqu'à des fers de chevaux oxydés en grand nombre. C'en était assez, la tradition aidant, pour en inférer qu'une communauté de religieux avait autrefois habité l'île, et que les ossements recueillis dans les tombes au pied de la chapelle pouvaient bien être les squelettes des Moines Rouges ou Templiers auxquels la légende faisait constamment allusion. Un fait qui mérite d'être noté, c'est que tous ces ossements appartiennent à des squelettes d'hommes vigoureux et adultes (9). »

C'est dans les décombres intérieurs de la chapelle de Gavrinis que fut alors découvert le fameux crucifix processionnel qui en conserve le nom. œuvre du XIIe siècle, de style éminemment romano-byzantin, cette précieuse croix en cuivre doré, ciselée et gemmée, ornée de figures symboliques, supporte un Christ en bronze revêtu de draperies formant jubé et d'une inscription du temps ; elle offre des points frappants de ressemblance avec d'autres croix attribuées ailleurs aux Templiers ; elle remonte certainement à l'époque en laquelle vivaient ces Chevaliers.

Non loin de Gavrinis, l'Ile-aux-Moines doit son nom aux religieux qui l'habitèrent autrefois, mais dans des temps si reculés, que les dernières ruines de leur monastère ont aujourd'hui complètement disparu. D'après la tradition, cette maison, construite dans le voisinage de Pen-Happ, eût encore été la propriété des Moines Rouges, c'est-à-dire des Templiers (10).
Mais on surprend ici la tradition locale en défaut, car longtemps avant la création de l'Ordre du Temple, dès l'an 854, cette île portait déjà le nom d'Ile-aux-Moines « Ener Manac » lorsqu'Erispoë la donna à l'abbaye de Redon (11).

Les mêmes traditions templières se retrouvent dans les paroisses de Sarzeau et d'Arzon. On y raconte que les ducs de Bretagne — possesseurs en Sarzeau du beau domaine où ils élevèrent leur château de Sucinio — concédèrent des terres au bord de la mer aux Chevaliers du Temple, qui y fondèrent un établissement composé de maison, chapelle, pourpris et dîmes, sous l'invocation de saint Jacques. De la chapelle de ce nom tombée en ruines, il ne subsistait plus, en 1807, que la tour, qui s'écroula elle-même en mer ; actuellement un pan de muraille rappelle seul l'existence de cette Templerie.

D'après M. le chanoine Le Mené, à la suppression de l'Ordre des Templiers, leur maison de Saint-Jacques en Sarzeau fut donnée, avec ses revenus et notamment ses dîmes, à l'évêque de Vannes, qui en jouissait encore en 1682 et devait à cause de cela entretenir la chapelle Saint-Jacques (12).

Sur la côte d'Arzon, en face l'Ile-aux-Moines, s'avance, dans le golfe du Morbihan, la pointe de Pen-Castel ou de Saint-Nicolas. Elle fut séparée du continent, à l'époque gauloise ou romaine, par un large fossé et un talus, et dans cette enceinte fortifiée s'éleva au Moyen-âge, d'après la tradition, un couvent de Templiers (13). De leur chapelle, dédiée à saint Nicolas, il ne reste guère que l'emplacement et un grossier soubassement nommé par le peuple l'autel des Moines Rouges ; à environ 100 mètres de là, sont les ruines d'une construction qu'on dit être la maison du Temple. Enfin un modeste oratoire en l'honneur de saint Nicolas attire encore la dévotion en ces lieux devenus déserts. La découverte en cette pointe de Pen-Castel de briques romaines et de médailles impériales, donne à croire que l'établissement religieux fondé là au Moyen-âge succéda à un ancien castrum gallo-romain (14).

Arrondissement de Vannes
Il nous reste à signaler dans l'arrondissement de Vannes quelques autres villages et chapelles dont les noms suivent : les villages du Temple en Saint-Jean de la Poterie et Allaire, en Saint-Jacut, en Muzillac et en Sulniac, — les villages de l'Hôpital en Larré, en Muzillac, en Plaudren, en Surzur et en Cournon, — la chapelle de Saint-Jean et les villages des Grand et Petit Moustoirs en Plescop, — les chapelles de Saint-Jean en Pluherlin, en Saint-Dolay, en Allaire et en Cournon.

Entrons maintenant dans l'arrondissement de Lorient.
L'annotateur d'Ogée dit qu'à Auray « l'église du Saint-Esprit passe pour avoir été une maison de l'Ordre des Templiers (15). » Mais cette tradition semble erronée, car l'établissement en question fut certainement dès le XIIIe siècle le siège d'une commanderie de l'Ordre du Saint-Esprit.

D'après M. Rosenzweig, « l'église de Crac'h fut bâtie, suivant la tradition, avec les pierres d'une ancienne maison de Templiers qui se trouvait dans la paroisse (16). » Il est à noter qu'on retrouve encore de nos jours en Crac'h une chapelle dédiée à saint Jean et un village appelé le Moustoir.

En la paroisse de Belz « la chapelle Saint-Cado, située dans une petite île, passe pour avoir appartenu à un prieuré de Templiers dont les ruines se voient encore dans un jardin tout auprès (17). » Ici de nouveau la tradition paraît fausse, car le monastère de Saint-Cado, construit par ce bienheureux au VIe siècle, devint, dès 1089, un prieuré de l'abbaye de Quimperlé.

On a prétendu aussi que le monastère de Locoal appartenait à l'Ordre du Temple : « On voit au bourg de Locoal, écrit M. Rosenzweig, les restes d'une église ancienne qui servait sans doute de chapelle aux Templiers, puis aux Chevaliers de Saint-Jean.

Tout auprès de l'église paroissiale sont les ruines de la maison des Chevaliers de Saint-Jean, ancien établissement de Templiers (18). » C'est encore une erreur : l'antique monastère de Saint-Goal, fondé par lui au VIIe siècle, devint le prieuré de Locoal, donné en 1037 à l'abbaye de Redon, qui le conserva jusqu'à la Révolution. Nous admettons plus volontiers l'opinion qui voit dans la chapelle Saint-Jean, bâtie dans un village de Locoal, une ancienne propriété des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Signalons aussi dans la paroisse de Locoal le village du Moustoir.

En Ploemel s'élève la chapelle Saint-Méen « réputée fondée par les Templiers (19). » A côté d'elle se trouvent un petit lech appelé « la pierre du serment » et une fontaine très vénérée.
La paroisse de Camors renferme deux vieilles enceintes fortifiées ; le château légendaire du roi breton Comorre, l'assassin de sainte Tréfine, et la motte de Tourel-tal-len ; le peuple prétend que les Templiers habitèrent ces deux forteresses dont il ne reste plus que les substructions (20).

La construction de la chapelle de Notre-Dame, au village de Locmaria, en la paroisse de Landévant, « est attribuée dans le pays aux Templiers (21). »
Notre-Dame des Orties est une intéressante chapelle bâtie dans le bourg de Pluvigner ; « suivant la tradition, il y aurait eu non loin de cette chapelle un couvent de Templiers (22). » Ne pourrait-on pas plutôt supposer une maison de ce genre au village du Moustoir en la même paroisse de Pluvigner ? Là existent une enceinte fortifiée et une chapelle dédiée à la Sainte-Trinité.

Sur le territoire paroissial de Caudan « les villages du Moustoir, du Grand et du Petit Moustoir et celui de Moustoiric semblent rappeler d'anciens établissements monastiques (23). » Sur le même territoire, la chapelle Saint-Yves « passe pour avoir appartenu aux Templiers. » Enfin il y faut remarquer la chapelle romane de Notre-Dame des Neiges ou de Trescoët, jadis en Saint-Caradec : « Il est possible, dit l'abbé Le Mené, que là se trouvait anciennement l'aumônerie de Treunnatos, appartenant (d'après la charte de 1160), aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem (24). »

La paroisse de Kervignac renferme, entre autres chapelles, celles de Saint-Jean et de Saint-Laurent ; cette dernière est particulièrement désignée par le peuple comme ayant été jadis la propriété des Templiers (25).

Merlevénez est une antique paroisse appelée d'abord Trévalsur et ayant son église au village actuel de Trévelzun ; quant à Merlevénez ou Brélevénez, comme on disait alors, c'était un Temple. « On sait, en effet, raconte encore l'abbé Le Mené, que les Templiers eurent en ce lieu, dès la fin du XIIe siècle, un établissement considérable, qui leur fut donné par le seigneur de Kermadio, en Pluvigner, avec le concours du duc de Bretagne. L'église, bâtie par les Chevaliers ou par leurs bienfaiteurs, subsiste encore en partie, et porte les caractères de l'architecture de la fin du XIIe siècle. Au pignon du choeur on trouve encore des substructions qui sont très apparentes dans le chemin, et le champ voisin porte le nom très significatif de « Parq er Hloestr », Champ du Cloître. A la suppression des Templiers, en 1312, le temporel de ce monastère fut offert à l'évêque de Vannes, qui érigea la chapelle de Brélevénez en église paroissiale et y transféra le siège de la paroisse (26). » Il est à noter que, quoique Notre-Dame de la Joie soit titulaire de l'église de Merlevénez, le patronage du territoire paroissial demeure encore à saint Jean-Baptiste.

La charte de 1160 nous signale l'aumônerie de Nostang « Eleemosina de Laustanc » appartenant alors aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. On croit que cette maison se trouvait au village actuel de Locmaria, dans la paroisse de Nostang ; on y voit une chapelle dédiée à Notre-Dame de Bonne-Nouvelle et que le peuple regarde comme « ayant été une succursale de l'église des Templiers de Merlevénez (27). »

« Il paraît, écrit M. Cayot-Delandre, que dès le XIIe siècle les Templiers furent mis en possession de la presqu'île de Quiberon ; peut-être sous le règne du duc Conan III, car on sait que ce prince accorda une grande protection à leur Ordre. Lorsque le sanglant coup d'Etat de Philippe le Bel fut venu frapper les Templiers, les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem devinrent leurs héritiers pour leur établissement à Quiberon. On voit encore à la pointe de la presqu'île quelques ruines qui indiquent l'emplacement qu'occupait leur maison (28). » M. Rosenzweig ajoute que ces ruines sont connues sous le nom de saint Clément (29) ; mais ce dernier monastère, dont la chapelle restaurée est si intéressante, semble avoir été depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789 un prieuré bénédictin de l'abbaye Saint-Gildas de Rhuys.

Dans l'arrondissement de Lorient se trouvent, en outre, les villages et chapelles de Saint-Jean dans l'île de Groix, dans la paroisse d'Inguinel, où l'on voit aussi le village du Moustoir, et sur le territoire de Languidic. On sait qu'en cette dernière paroisse les Chevaliers Hospitaliers possédaient dès 1160 une aumônerie « Eleemosina de Lann Kintic (30). »

Arrondissement de Ploërmel
Nous entrons dans l'arrondissement de Ploërmel par la paroisse de Lanouée.
MM. Cayot-Delandre, Rosenzweig et Le Mené ont écrit que les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem avaient en Lanouée une commanderie au village de Pont-Meleuc ou Pommeleuc. « La charte du duc Conan IV, en 1160, n'en fait aucune mention, dit M. l'abbé Le Mené, soit parce que cet établissement était peu important, soit parce qu'il n'existait pas encore (31). » Nous ne croyons point devoir admettre l'existence de cette commanderie : les savants écrivains ci-dessus nommés ont été induits en erreur par la similitude des noms, car il existait réellement une commanderie de la Nouée en Yvignac, et une commanderie de Pont-Melvez, dans la paroisse de même nom ; nous avons précédemment parlé de ces deux établissements, mais il n'y avait point de commanderie de Pommeleuc. Cependant rien ne s'oppose à ce que les Chevaliers, soit du Temple, soit de l'Hôpital, aient possédé quelque chose à Pommeleuc en Lanouée : là, en effet, est une très ancienne chapelle de Saint-Meleuc, bâtie au bord de la voie romaine de Vannes à Corseul, franchissant l'Oult en cet endroit.

Sur une colline de la paroisse de Lizio s'élève la chapelle Sainte-Catherine, qu'on dit construite des débris d'une maison de Templiers. « Pour rappeler cette tradition locale aux visiteurs, on a récemment fait peindre sur le tableau du fond deux personnages en robes rouges, qui sont censés représenter des Moines Rouges ou des Templiers. L'artiste ou son inspirateur ignorait, sans doute, que les Templiers étaient vêtus de blanc et n'avaient de rouge qu'une croix en étoffe sur l'épaule (32). » Néanmoins il faut signaler près de cette chapelle Sainte-Catherine — patronne chère aux Templiers, — des ruines d'édifice antique, appelées « Mangouer » (murailles), au milieu desquelles on a trouvé en 1842 une statuette de bronze représentant un personnage en costume de chasse, accompagné de son chien. Il faut remarquer aussi qu'il se trouve en Lizio un village du Temple : ce village, appelé en 1461 le Temple-Hervo ou le Temple de Lizio ou de Sérent — Lizio était alors une trêve de Sérent, — dépendait du commandeur du Temple de Carentoir ; mais celui-ci n'y jouissait en 1461 que d'un fief qui fut plus tard aliéné par ses successeurs.

La curieuse chapelle de Sainte-Magdeleine, à la porte de Malestroit, « passe pour avoir appartenu aux Templiers (33). » Ce fait est bien loin d'être prouvé, et la Magdeleine semble plutôt avoir été, au moyen-âge, l'église d'un prieuré de Bénédictins.

Dans la paroisse de Radenac se trouve la chapelle Saint-Fiacre, remarquable sous plusieurs rapports. « Le village qui l'entoure s'appelait d'abord Châteaumabon — nom demeuré à un manoir voisin — et ce n'est guère qu'au XVIIe siècle qu'il a commencé à prendre le nom de Saint-Fiacre. Outre la chapelle il y avait là anciennement un hôpital. Les archives de Rohan-Chabot mentionnent, en 1460, « la chapelle et l'hospital de Saint-Fiacre, à Chasteaumabon, en Radenac. » La tradition locale prétend que les Templiers ont eu là un établissement, mais l'existence d'un hôpital fait plutôt croire qu'il s'agit des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ; le peuple, dans ses souvenirs, a souvent confondu ces deux Ordres (34). »
Les villageois disent aussi que le bourg paroissial de Bignan renfermait une maison de Moines Rouges ou de Templiers (35).

Arrondissement de Pontivy
Nous avons peu de choses à noter dans l'arrondissement de Pontivy.
La chapelle Saint-Adrien, jadis dans la paroisse de Baud, actuellement en celle de Saint-Barthélemy, passe pour avoir été la propriété d'abord des Templiers, puis des Hospitaliers ; « mais rien ne le prouve, se hâte d'ajouter l'abbé Le Mené, et il paraît, au contraire, qu'il y a confusion avec une chapelle voisine, située en Quistinic, et dédiée à Saint-Jean (36). »

Nous avons parlé de cette dernière, appelée au Moyen-âge chapelle de Quinstinic-Blavet. On signale aussi, mais sans fondement sérieux, près du bourg de Baud, un ancien prieuré « occupant l'emplacement d'un établissement de Templiers (37). »

En la paroisse de Lignol, la construction de la chapelle Saint-Yves est faussement encore attribuée aux Chevaliers du Temple (38), car c'est un édifice du XVIe siècle. On montre néanmoins dans le voisinage où s'élevait un couvent des Moines Rouges.

La chapelle Notre-Dame de Crénenan en Ploerdut, sanctuaire si célèbre par ses pardons, est aussi réputée par le peuple comme ayant appartenu aux Templiers (39).

Dans la paroisse de Saint-Tugdual, à quelque distance du vieil hôpital du Croisty, appartenant aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, se trouve un village portant le nom significatif de Moustérien : « la tradition locale y place des Templiers ; tout le voisinage s'appelle la terre du Temple ; le moulin porte aussi le nom du Temple. Dans le village les maisons sont rangées autour d'une place carrée, et l'on voit encore au Midi les restes d'un vieux mur d'enceinte. En 1312, à la suppression des Templiers, cet établissement fut annexé à celui des Hospitaliers du Croisty (40). »

Comme curiosité historique, mentionnons qu'en 1652, par acte du 6 avril, René-François de Rieux, comte de Châteauneuf, aveugle de naissance et âgé alors de 17 ans, sollicita sa réception dans l'Ordre de Malte, en témoignant ses intentions de fonder ou d'enrichir une commanderie de cet Ordre ; il lui assigna à cet effet des biens dans les fiefs de ses seigneuries du Gué-de-l'Isle, en Locminé, et de la Boulaye, en Pluméliau (41).

Mais cet acte ne paraît point avoir eu de suites, et le jeune seigneur aveugle mourut quatre ans plus tard, en novembre 1656 ; il ne semble pas avoir été reçu Chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, et il n'avait pu effectuer son projet de fondation qu'il voulait faire en faveur de la commanderie de la Feuillée.

Signalons enfin dans l'arrondissement de Pontivy : le village de l'Hôpital en la paroisse de Moustoirac, paroisse dont le nom indique lui-même une haute antiquité et une origine monastique — les chapelles et villages de Saint-Jean en Bieuzy, en Guern, en Moréac et en Séglien, — enfin les chapelles de Saint-Jean du Poteau en Plumelin et de Saint-Jean en Cléguerec ; il est à noter que la charte de 1182 nous apprend que les Templiers avaient quelque chose dans cette dernière paroisse.

Notes
(1) Itinéraire de Bretagne, I, 142.
(2) Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 180.
(3) Ibidem, 189.
(4) Cayot-Delandre, Le Morbihan, 226.
(5) Cayot-Delandre, Le Morbihan, 236.
(6) Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 215.
(7) Ibidem, 232.
(8) Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan 1885, p. 144.
(9) Bulletin de la Sociale Polymathique du Morbihan 1872, p. 86.
(10) Cayot-Delandre. Le Morbihan, 157.
(11) Le Mené, Histoire des paroisses du diocèse de Vannes, I, 557.
(12) Notes ms de M. Le Mené.
(13) Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 216.
(14) Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan 18S7, p. 206.
(15) Dictionnaire historique et géographique de Bret. Annotations (nouvelle édition, I, 61.
(16) Répertoire archéologique du Morbihan, 5.
(17) Ibidem, 19.
(18) Ibidem, 22.
(19) Ibidem, 24.
(20) Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 44.
(21) Ibidem, 46.
(22) Ibidem, 47.
(23) Le Mené, Hist. des paroisses du diocèse de Vannes, I, 154.
(24) Ibidem, I, 156.
(25) Ibidem, I, 386.
(26) Hist. des paroisses du diocèse de Vannes, I, 537.
(27) Ibidem, II, 48, — Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 60.
(28) Le Morbihan, 526.
(29) Répertoire archéologique du Morbihan, 66.
(30) Anciens Evêchés de Bretagne, VI, 128.
(31) Hist. des paroisses du diocèse de Vannes, I, 417.
(32) Le Mené, Hist. des paroisses du diocèse de Vannes, I, 448.
(33) Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 141.
(34) Le Mené, Hist. des paroisses du diocèse de Vannes, II, 266.
(35) Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 159.
(36) Hist. des paroisses du diocèse de Vannes, II, 354.
(37) Rosenzweig, Répertoire archéologique du Morbihan, 69.
(38) Ibidem, 102.
(39) Ibidem, 105.
(40) Le Mené, Hist. des paroisses du diocèse de Vannes, II, 464.
(41) Bibliothèque Nationale, Fonds français, 16, 817.


III — L'arrondissement de Saint-Brieuc
Dans l'arrondissement de Saint-Brieuc — par lequel nous entrons dans les Côtes-du-Nord, — signalons tout d'abord le souvenir des Templiers attaché dans la ville même de Saint-Brieuc, à une maison de la rue Saint-Jacques, « où se voient encore les statues en bois représentant ces pieux guerriers (1). » Ils avaient là, raconte-t-on, une résidence et une chapelle dédiée à l'apôtre saint Jacques, un de leurs patrons préférés.

On voit aussi, en Yffiniac, les ruines d'un ancien couvent, nommé Sainte-Barbe ; « il était, disent les gens du pays, habité par des Moines-Rouges ou Templiers, et il fut, prétendent-ils, entièrement détruit en une nuit (2). » N'oublions pas que la charte de 1182 mentionne les possessions de l'Ordre du Temple en Yffiniac.

Dans la paroisse de Plérin, il faut noter « la chapelle du Saint-Sépulcre qui, dit la tradition, dépendait autrefois d'une commanderie de Templiers, dont les ruines s'apercevaient naguère entre le village du Saint-Sépulcre et celui de Peignart (3). »

La légende fait aussi une Templerie de la fameuse enceinte vitrifiée de Péran ; on raconte qu'elle fut élevée par les Moines Rouges, brûlée à cause de leurs crimes, et que l'incendie dura sept ans ; « elle contient encore d'immenses trésors, et une charrette n'en peut sortir sans passer sur une barrique d'or (4). »

Non loin de Châtelaudren, mais dans la paroisse de Plouagat, on admire les belles « ruines du prieuré Notre-Dame des Fontaines, ancien membre de l'abbaye de Beauport, dont les bâtiments, hôtellerie et chapelle, rappellent les constructions de l'Ordre du Temple (5). » Aussi l'abbé de Garaby y a-t-il vu un établissement de Templiers : « Le portique, écrit-il, est une grande arcade ogivale, entourée de voussoirs minces et serrés qui signalent le XIIe siècle. Cette entrée porte trois bustes en pierre : deux sont placés un de chaque côté à la naissance, et le troisième au sommet de l'ogive. Ces figures méritent un examen sérieux : celle qui orne la gauche est le portrait du chevalier, celle qui couronne la voûte représente le chapelain, celle qui est à droite rappelle le frère servant. Ces trois têtes sont donc le symbole des trois classes de religieux de l'Ordre du Temple (6). »

Nous avons dit que l'établissement des Templiers, désigné par la charte de 1182 sous le nom de « Eleemosina de Castello Pauli » nous semblait devoir être l'aumônerie de Lamballe, cette ville portant parfois au Moyen-âge le nom de « Castellum Lanna Pauli » ou simplement celui de « Lampaulium ». Il est certain que les Templiers, et plus tard les Hospitaliers, eurent des possessions dans la ville même de Lamballe : un acte de 1351, du jeudi après Pâques-Fleuries, constate que Pierre Costantiu, tuteur des héritiers de Geoffroi Herbert, a échangé avec l'abbaye de Saint-Aubin des Bois « la messon et herbergement du Temple » contre une rente de six perrées de froment. La même année, le mardi après la Saint-Martin d'été, Hervé de la Motte, d'Hénansal, faisait avec la même abbaye un autre échange : il donnait un emplacement situé à Lamballe, entre le mur de « l'herbergement du Temple, qui est ès dits religieux et la messon Jehan Bernart, sur la rue qui mène du Temple à la porte Moguel. » — L'échange de Pierre Costantin avait eu lieu le jeudi après « Judica me 1350 » ; on y remarque que « l'herbergement » en question se composait d'une maison avec terrain, murs et courtils, situés dans la clôture du grand château de Lamballe : la maison était appelée le Temple, et l'abbaye, en l'acquérant, était tenue « d'acquitter ledit herbergement des Hospitaliers de 20 souldées de rente que ledit herbergement leur doit chascun an. » Plus tard cette maison était désignée ainsi : « la Croix Verte soubs la butte du chasteau (7). »

D'après une tradition recueillie par l'abbé Tresvaux, il y eut à Lanvollon un très antique monastère, sur les ruines duquel fut construite une commanderie, dont la chapelle, dédiée à saint Jean, a été détruite en 1816 (8).

La très curieuse église romane, en forme de rotonde, dont on retrouve les majestueuses ruines au bourg de Lanleff, passe pour être l'oeuvre des Templiers ; on l'appela même longtemps le Temple de Lanleff, mais plutôt parce que certains savants avaient imaginé d'y voir un ancien édifice consacré aux faux dieux du paganisme. « La tradition des gens du pays, dit M. de Blois, qui attribue la construction du monument de Lanleff à des Moines Rouges, mérite quelque attention. » Et plus loin, le même archéologue ajoute: « Nous n'hésitons plus à reconnaître que cette ruine est une de ces anciennes églises que les Chevaliers du Temple construisirent en souvenir du Saint-Sépulcre (9). »
L'arrondissement de Saint-Brieuc renferme aussi les villages de l'Hôpital, en Saint-Alban et Saint-Julien de la Côte — et les villages et chapelles de Saint-Jean, en Plouha, Plourivô et Trémeven.

Arrondissement de Dinan
Commençons l'arrondissement de Dinan par rappeler que nous avons signalé dans la ville même de ce nom des maisons appartenant en 1643 aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Nous avons également dit qu'aux portes de Dinan les Templiers avaient créé les deux localités de Vildé-Goëllo et Vildé-Guingalan. Dubuisson ajoute en 1647 que l'établissement des Cordeliers de Dinan avait remplacé une maison de Templiers, et qu'on y voyait encore trois tombes attribuées par le peuple à trois Chevaliers de cet Ordre (10). Odorici écrit de son côté que « la maison ou plutôt l'espèce de forteresse, située sur la place des Cordeliers, presque vis-à-vis le beau portail de cet ancien couvent, servait aux Templiers. Cette maison, qui était simplement une petite commanderie, renfermait dans son enceinte assez étendue une chapelle dédiée à saint Nicolas qui n'existe plus (11). »

Dans la paroisse de Pleudihen « la tradition rapporte qu'il y avait près la chapelle de Saint-Meleuc un prieuré ayant appartenu aux Templiers (12). »
Si l'on en croit les vieux conteurs de Mégrit et de Saint-Maudez, il y eut autrefois dans ces deux paroisses des Chevaliers du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem (13). En Saint-Maudez subsiste encore le village de Saint-Jouan c'est-à-dire de Saint-Jean.

On a écrit qu'en 1400 Gouessouet en Matignon était une commanderie de Malte ayant une haute justice (14). En réalité les Chevaliers de l'Hôpital avaient simplement en Matignon quelques terres ou rentes dépendant de leur commanderie de Quessoy en la paroisse de ce nom ; il n'exista jamais de commanderie de Gouessouet. Mais outre son village de l'Hôpital, Matignon possédait aussi le village et la chapelle de Saint-Jean.

Dans la paroisse de Plévenon se trouve au bord de la mer le village de l'Hôpital-Saint-Jean, dont la chapelle fort ancienne a disparu (15).
Au bourg de Landébia on remarque une curieuse maison du XVe siècle, appelée « Presbytère des Templiers ; elle montre une porte ogivale et des fenêtres surmontées d'archivolte en accolade. A l'intérieur la cheminée forme un massif octogone composé de petites pierres très artistement maçonnées (16). »
La paroisse de Saint-André-des-Eaux renferme, non loin des bords de la Rance, les ruines du château et de la chapelle du Besso ; c'était au moyen-âge le siège d'une importante seigneurie séculière ; mais ce château est « réputé dans le pays avoir été une ancienne Templerie (17). »

Notons encore dans l'arrondissement de Dinan le village du Temple en Lescouët et celui de Saint-Jean en Plédéliac ; puis parlons de l'arrondissement de Guingamp.

Signalons dans la ville même de Guingamp une vieille maison aujourd'hui disparue et s'y trouvant jadis à l'entrée de la rue Saint-Yves, près la chapelle de ce nom. On nommait ce logis la Porte Rouge et elle passait pour avoir été « un couvent de religieux de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem appelés vulgairement Moines Rouges (18). »

C'est pour une raison analogue et parce que le nom de la paroisse de Moustéru signifie, semble-t-il, Monastère Rouge (Mouster Ru), que la tradition populaire « place là un couvent de Templiers qui passa plus tard aux Chevaliers de Malte (19). » Dans la même paroisse se trouve un village appelé Coz-Mouster, c'est-à-dire le Vieux Couvent.

Notons maintenant l'église paroissiale de Saint-Agathon : « Si l'on en croit la tradition, cette église faisait anciennement partie d'un établissement de Moines Rouges dont les ruines se voyaient encore naguère au Nord de la sacristie. » Elle eût appartenu d'abord aux Templiers, puis aux Chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem ; ces derniers « ont laissé seuls des preuves de leur séjour à Saint-Agathon : c'était un certain nombre de pierres sépulcrales sur chacune desquelles était gravée en relief une croix de Malte. A deux cents mètres environ de cette église — réédifiée de nos jours — est une ferme nommée Nazareth. C'est très vraisemblablement un souvenir de la Terre-Sainte, placé là par l'un ou l'autre des deux Ordres militaires dont nous venons de parler. Les Moines Rouges de Saint-Agathon étaient de moeurs très dissolues, disent les vieilles traditions (20). »

S'il y avait en Plédran un temple nommé Le Créac'h — vulgairement Créhac, dont nous avons précédemment parlé — on retrouve aussi en la paroisse de Bégard le village de Crec'h-Caër qui passe pour avoir également appartenu aux Templiers, « Il ne reste plus de cet ancien établissement en Bégard que quelques pans de murs d'enceinte et une croix assez curieuse en granit, fixée à un socle. Sur l'un des côtés de cette croix on a représenté, au-dessous du crucifix, un Templier en habit de maison, l'aumônière pendant à sa ceinture ; sur l'autre côté un écusson aux armes de l'Ordre du Temple, d'argent à la croix orientale de gueules, avec une longue inscription gothique illisible (21). » D'après M. Gaultier du Mottay, cette figurine est tout simplement « un personnage en costume du XVe siècle, qu'on croit représenter un Templier, tant les traditions templières sont restées vivaces en cet endroit (22). »

A propos de la paroisse de Kermoroc'h, M. Jollivet écrit : « Quelques personnes prétendent qu'il a existé un établissement de Templiers en Kermoroc'h ; nous n'en avons pas vu de traces (23). »

La chapelle de Locmaria est située dans le cimetière actuel de la paroisse de Belle-Isle-en-Terre et à une certaine distance du bourg. « Elle est très grande et affecte la forme des anciennes églises de monastère. Aussi dit-on qu'elle doit sa fondation aux Templiers. Saint Jean-Baptiste à un autel dans cette chapelle, et à peu de distance une fontaine, où les pèlerins vont se laver les yeux, est placée sous son patronage (24). » Ajoutons encore qu'en cette même paroisse de Belle-Isle-en-Terre on voit une autre vieille chapelle — aujourd'hui sécularisée — dédiée à sainte Catherine et affectée au moyen-âge au service d'un hôpital « fondé pour le soulagement des pèlerins qui revenaient de la Terre-Sainte (25). »

Dans la paroisse de Squiffiec — où les Templiers avaient des biens en 1182 — l'ancien manoir de Kermanac'h (village des Moines), est construit sur un terrain riche en antiquités romaines ; on voit à côté de cette maison la chapelle Saint-Jean, et ce bienheureux est tellement populaire dans la contrée, qu'on appelle « Lit de saint Jean » un beau dolmen élevé non loin sur les bords du Trieux.

Plusieurs traditions rappellent dans la petite ville de Rostrenen le souvenir des Templiers : l'une d'elles « rapporte qu'il existait à l'Ouest de l'emplacement actuel de Rostrenen un couvent de Moines Rouges. Un très beau puits, dans un lieu depuis des siècles inhabité, de petits bénitiers funéraires, trouvés en fouillant le sol, ne permettent pas, en effet, de mettre un seul instant en doute qu'il ait existé en ce lieu un cimetière et un établissement quelconque (26). » D'après une autre tradition, l'ancienne chapelle Saint-Jacques, dans le cimetière de Rostrenen, appartenait aux Templiers ; on trouvait dans la même paroisse une chapelle Sainte-Catherine ; enfin quand on démolit naguère la chapelle Sainte-Anne, l'instituteur de Rostrenen prétendit qu'elle abritait « la statue d'un chevalier du Temple, armé de toutes pièces et couché sur un sarcophage (27). »

Arrondissement de Guingamp
Dans l'arrondissement de Guingamp sont encore à signaler les villages et chapelles de Saint-Jean dans les paroisses de Grâces, de Gurunhuel, de Kerrien et Ploëzal.

Arrondissement des Côtes d'Armor
Les deux derniers arrondissements des Côtes-du-Nord ne nous retiendront pas longtemps. Dans celui de Lannion nous trouvons en la ville même de ce nom une tradition attribuant aux Templiers la construction de la chapelle Saint-Nicolas, qu'on voyait naguère dans le vieux cimetière de la paroisse (28). On dit aussi que les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, leurs successeurs, habitaient près de l'église paroissiale de Brélévenez le manoir de Muranvern. M. Gaultier du Mottay ajoute qu'on voit encore dans le cimetière de Brélévenez « deux pierres tombales sur lesquelles sont gravées des croix pattées, dont une branche est plus longue que les autres, et qu'on attribue à l'époque templière (29). »
Signalons encore dans la paroisse de Tonquédec le village de l'Hôpital, et dans celle de la Roche-Dorrien le village et la chapelle Saint-Jean.

Arrondissement de Loudéac
Dans l'arrondissement de Loudéac, la paroisse de Mûr renferme la chapelle Saint-Jean-du-Mur et celle de Sainte-Suzanne, célèbre par son pardon. Cette dernière est un édifice de 1694 remplaçant un vieux sanctuaire attribué aux Templiers, portant le nom de Plaisance et situé près des fontaines de Sainte-Suzanne (30).

En la paroisse de Merléac, au village de Saint-Léon, la belle chapelle Saint-Jacques passe pour avoir été fondée par les Chevaliers du Temple. Dans les curieuses peintures du moyen-âge qu'on y voit encore, on prétend découvrir des Templiers ; « ce qui ne saurait surprendre, dit M. Jollivet, attendu qu'il existe, tout près de la chapelle, des ruines ayant appartenu à un établissement de moines de cet Ordre célèbre, et que l'on nomme encore le Temple des Moines Rouges (31). »

La chapelle de Rosquelfen, en la paroisse de Laniscat, appartient en partie au XVe siècle, mais, selon M. Gaultier du Mottay, « quelques portions plus anciennes de cet édifice rappellent l'architecture de l'Ordre du Temple (32). » Aussi attribue-t-on sa fondation aux Chevaliers de cet Ordre.

Enfin on trouve des villages et chapelles de Saint-Jean dans la paroisse de Langast et dans celle de Saint-Martin-des-Prés.

Notes
(1) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, II, 243.
(2) Habasque, Notions historiques sur les Côtes-du-Nord, II, 353.
(3) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, l, 35.
(4) Sébillot, Légendes de la Haute-Bretagne, 5.
(5) Gaultier du Hottay, Répertoire arch. des Côtes-du-Nord, 88.
(6) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, I, 15.
(7) De Barthélémy et Geslin de Bourgogne, Anciens Evéchés de Bret, VI, 137.
(8) L'Eglise de Bretagne, 390.
(9) Dictionnaire historique et géographique de Bret., Annotations, nouvelle édition I, 446.
(10) Itinéraire de Bret., I, 53.
(11) Recherches sur Dinan, 345.
(12) Ogée, Dictionnaire historique et géographique de Bret., Annotations, nouvelle édition Il, 297.
(13) Notes de M. de Barthélémy.
(14) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, II, 224.
(15) Gaultier du Mottay, Répertoire archéologique des Côtes-du-Nord, 444.
(16) Ibidem, 460.
(17) Ogée, Dictionnaire historique et géographique de Bret. Annotations (nouvelle édition, II, 607.
(18) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, III, 49.
(19) Ibidem, III, 118.
(20) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, III, 142.
(21) Ibidem, III, 156.
(22) Répertoire archéologique des Côtes-du-Nord, 19.
(23) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, III, 159.
(24) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, III, 179.
(25) Ibidem, III, 178.
(26) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, III, 266 et 267.
(27) Gaultier du Mottay, Répertoire arch. des Côtes-du-Nord, 112.
(28) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, IV, 15.
(29) Répertoire archéologique des Côtes-du-Nord, 272.
(30) Jollivet, Les Côtes-du-Nord, IV, 431.
(31) ibidem, IV, 476.
(32) Répertoire archéologique des Côtes-du-Nord, 505.


IV — L'Ille-et-Vilaine
Les vieilles traditions sont bien moins vivaces dans la Haute-Bretagne que dans le pays Bas-Breton ; aussi avons-nous peu de choses à ajouter à ce que nous avons précédemment écrit des Ordres du Temple et de l'Hôpital dans l'Ille-et-Vilaine et dans la Loire-Inférieure.
En Ille-et-Vilaine, nous noterons seulement :
La rue du Temple, fort ancienne dans la ville de Fougères ;
Le fief du Temple mentionné en 1683 sur le territoire de Saint-Georges de Reintembaud ;
Le village du Temple dans la paroisse de Janzé ;
Les villages de la Chevalerie dans les paroisses de Livré, de Montreuil-sur-Pérouse et de Gaël.
A Livré on attribue aux Templiers non seulement la construction de la chapelle Sainte-Anne de la Chevalerie, mais encore celle de Saint-Mathurin, petit sanctuaire bâti sur la lande des Genderots (1).

A Montreuil-sur-Pérouse se trouvait la chapelle Saint-Armel de la Chevalerie. A Gaël il n'y a pas de chapelle au village de la Chevalsrie, mais on trouve dans cette paroisse un très vieux sanctuaire, nommé Saint-Jacques de Louya ; il était originairement, dit-on, attaché à un hôpital, disparu depuis des siècles, et dont le patronage et la position au bord d'une voie antique rappellent les Templiers et les Hospitaliers.

Nous avons précédemment signalé une dîme que possédaient en Argentré les Templiers de la Guerche; en voici l'origine. Vers 1197, Hamelin du Pinel, entrant dans l'Ordre du Temple, donna aux Templiers de la Guerche, du consentement de son fils Hugues, une des dîmes qu'il possédait en Argentré ; le templier frère Héron fut témoin de cette donation que nous fait connaître une charte inédite d'Herbert, évêque de Rennes, datée de 1197 (2).

Dans la paroisse de la Baussaine on raconte que les Templiers bâtirent l'église du lieu, mais qu'à cause de leurs crimes ils furent tous exterminés en une seule nuit (3). Enfin sur le territoire de Saint-Servan, près du village de Quelmé, au bord de la Rance et non loin du passage de cette rivière à Jouvente, on conserve encore le souvenir d'un établissement de Moines Rouges : on y montre l'emplacement de leur chapelle dont les champs voisins conservent le nom, et l'on y a récemment trouvé de nombreux ossements humains et les substructions même d'un vieil édifice.
(1) De Barthélémy, Mélanges historiques sur la Bretagne, 2e série, 65.
(2) Archives d'Ille-et-Vilaine, 3 H, 7.
(3) Sébillot, Légendes de la Haute Bretagne, 28.


V — Région Nantaise
En dehors de ce que nous avons écrit sur les commanderies nantaises, nous ne connaissons que fort peu de traditions relatives soit aux Templiers, soit aux Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dans la Loire-Inférieure.

Voici cependant deux traditions concernant les premiers. Dans la paroisse de Saint-Aubin-des-Châteaux on raconte qu'une ancienne et vaste chapelle dédiée à saint Gilles, appartint originairement aux Templiers. « Au midi de cet édifice, dans une prairie que baignent les eaux de la Chère, sont des ruines que la tradition prétend avoir été la prison des Templiers, et qui pourraient bien n'être que les ruines d'un moulin. Il faut tenir grand compte des traditions locales en ce qui concerne l'histoire, et nous ne sommes pas éloignés de croire que Saint-Aubin doit son commencement à un établissement de religieux militaires (1). » A l'appui de ce sentiment, rappelons qu'aux siècles derniers le commandeur de Nantes avait encore quelques intérêts en Saint-Aubin-des-Châteaux.

Dans la paroisse d'Avessac subsistent sur un coteau fort élevé les ruines de la chapelle de Triouby dédiée primitivement à saint Gilles, comme la précédente, et réédifiée au XIVe siècle sous le patronage de Saint-Méen. Ce dernier bienheureux a même tout à côté sa fontaine que fréquentent encore les pèlerins. « Cette chapelle, d'après la tradition, fut d'abord un oratoire de Templiers. Les gens du pays qui y vont en pèlerinage, la nuit, n'osent guère s'y aventurer sans armes. Un habitant du village voisin de Rambalay nous a raconté qu'en gardant un soir ses bestiaux tout près de là sur la lande, il eut l'idée, pour se préserver du vent, de s'abriter dans les ruines de la chapelle. Mal lui en prit, car à peine entré, il la vit aussitôt illuminée, remplie bientôt de squelettes, et un grand moine tout vêtu de rouge se mit à courir après lui en poussant des cris. Notre homme se précipita hors du sanctuaire ; mais s'étant retourné après quelques centaines de mètres, il vit le moine rouge revenir sur ses pas et disparaître sous les pierres du coteau. On dit que ce moine rouge, ancien Templier chargé de crimes, revient tous les soirs chercher des chrétiens en état de péché mortel, pour leur faire partager ses supplices en enfer. Mais il n'a aucun pouvoir sur les gens en état de grâce, et en dehors des limites de l'ancien territoire de la chapelle (2). »
(1) Goudé. Histoires et légendes du pays de Châteaubriant, 323.
(2) De l'Estourbeillon, Légendes du pays d'Avessac, 17.


VI — Templiers bâtisseurs
Après avoir relaté, aussi complètement que possible, les traditions populaires concernant les Chevaliers du Temple et de l'Hôpital et répandues çà et là dans de nombreuses paroisses, surtout en Basse-Bretagne, il nous reste à résumer pour ainsi dire ce qui précède, en parlant du souvenir général qu'ont laissé derrière eux les religieux-militaires, particulièrement les Templiers.

Nous avons maintes fois vu donner par le peuple le nom de Moines Rouges aux Chevaliers. Cette dénomination ne vient pas seulement de la croix rouge que portaient les Templiers sur leur robe blanche, ou du manteau rouge que revêtaient les Hospitaliers, mais encore du pouvoir surnaturel qu'on leur supposait, et aussi des mystérieuses accointances qu'on leur attribuait avec le diable représenté toujours vêtu de rouge dans les récits populaires.
Pour les Templiers, la tradition en fait de grands bâtisseurs ; elle leur rapporte l'origine de beaucoup de monuments : les églises de Loctudy et de Brélévenez en Basse-Bretagne, celles de la Baussaine et de Missillac dans la Haute, une multitude de chapelles et plusieurs châteaux dans ces deux régions. Nous avons vu qu'ils avaient laissé à une grande quantité de villages les noms de Temple, de Villedieu et de Moustoir, comme les Hospitaliers avaient dénommé non moins de localités villages de Saint-Jean et Hôpitaux.

La disparition des Templiers est aussi constatée par une même tradition répandue partout : non seulement on rappelle à Carentoir qu'ils furent tous saisis la même nuit par ordre supérieur, mais on raconte ailleurs les légendes suivantes caractérisant le même fait :
« Les nombreux châteaux qu'ils possédaient aux environs de Moncontour s'effondrèrent tous en une nuit ;
A Yffiniac, leur couvent, dont on voit encore les ruines, fut entièrement détruit en une nuit ;
A la Baussaine, ils furent exterminés de la même manière.

Ces trois légendes, recueillies sur des points assez éloignés les uns des autres, semblent une tradition populaire d'un fait historique : les Chevaliers du Temple furent, en effet, arrêtés le même jour, par ordre de Philippe le Bel (1). »

Nous savons d'ailleurs que les crimes que ce prince imputa aux Templiers, furent l'occasion de grands scandales et du déshonneur de leur Ordre que le Pape crut devoir abolir.

Aussi, maintenant encore, aux yeux du peuple breton, comme beaucoup d'autres personnages dont la vie fut souillée par des crimes, ils ne peuvent trouver de repos, même après leur mort.

Dans quelques cantons, le peuple croit toujours voir errer la nuit les Templiers ou Moines Rouges, montés sur des squelettes de chevaux revêtus de drap mortuaires ; poursuivant les voyageurs, ils s'attaquent de préférence aux jeunes gens et aux jeunes filles. Ailleurs ils viennent, également la nuit, visiter les ruines de leur ancien monastère : « Ils marchent péniblement, courbés sous le poids d'un pesant fardeau, et de temps en temps ils poussent des gémissements. Ils sont condamnés à porter, pendant toute l'éternité, en punition de leurs crimes, le poids de tout ce qu'ils ont volé. On raconte qu'un fermier, ayant compté ses gerbes dans un de ses champs, en trouva une centaine de plus le lendemain quand il fut pour faire une charretée ; les Moines Rouges lui avaient sans doute rendu une partie de ce qu'ils avaient volé jadis à ses parents : ce fut du moins ce qu'il crut (2). »

Parfois d'autres Moines Rouges, moins heureux que les précédents, ne peuvent, comme eux, réparer le tort qu'ils ont causé et restituer l'argent qu'ils ont pris :
« Dans l'avenue d'un ancien manoir, à Quévert près Dinan, erre, surtout aux environs d'un puits, un Templier ; d'abord il se promène à pas lents, puis il se met à parcourir l'avenue en tous sens. On dit dans le pays que le puits cache un dépôt d'argent fait au Templier qui est mort sans avoir pu le restituer (3). »

Heureusement qu'il est possible aux bons chrétiens d'échapper à l'horreur qu'inspirent ces visions surnaturelles. C'est ce qu'éprouva jadis une femme de Cornouaille. Cette pauvre vieille s'étant attardée certain soir, dut, pour rentrer chez elle, passer près du cimetière d'une ancienne commanderie ; quel ne fut pas son effroi, d'y apercevoir un cheval noir, couvert d'un linceul, qui broutait l'herbe des tombeaux ! Puis surgit tout à coup un chevalier de forme gigantesque, au visage cadavérique, aux yeux étincelants, s'avançant vers elle. Malgré son extrême frayeur, la pieuse bretonne ne songea pas à fuir : pleine de foi et regardant bien l'apparition, elle fit un grand signe de croix ; à l'instant même, le moine rouge — car c'en était un — et son lugubre coursier disparurent dans un tourbillon de flammes (4).

De toutes les légendes de Bretagne concernant les Templiers, aucune n'égale la ballade que M. Hersart de la Villemarqué entendit en la paroisse de Nizon de la bouche d'une mendiante appelée Anne Tern. « On voit — dit ce savant membre de l'Institut — aux portes de Quimper, les ruines d'une ancienne commanderie de Templiers. C'est probablement là que se passa le fait consigné dans la chanson populaire ; il y a lieu de croire qu'il arriva sous l'épiscopat d'Alain Morel, évêque de Quimper de 1290 à 1321 (5). »
Voici, d'après M. Hersart de la Villemarqué lui-même, la traduction française de cette curieuse légende bretonne appartenant au dialecte de Cornouaille :

Les trois Moines Rouges
« Je frémis de tous mes membres, je frémis de douleur, en voyant les malheurs qui frappent la terre,
« En songeant à l'événement qui vient, horrible, d'arriver aux environs de la ville de Quimper, il y a un an.
« Katelik Moal cheminait en disant son chapelet, quand trois moines, armés de toutes pièces, la joignirent ;
« Trois moines sur leurs grands chevaux bardés de fer de la tête aux pieds, au milieu du chemin, trois moines rouges.
«  — Venez avec nous au couvent, venez avec nous, belle jeune fille ; là ni or ni argent, en vérité, ne vous manquera.
« — Sauf votre grâce, Messeigneurs, ce n'est pas moi qui irai avec vous, j'ai peur de vos épées qui pendent à votre côté.
« — Venez avec nous, jeune fille, il ne vous arrivera aucun mal. — Je n'irai pas, Messeigneurs ; on entend dire de vilaines choses !
« — On entend dire assez de vilaines choses aux méchants ! Que mille fois maudites soient toutes les mauvaises langues !
« Venez avec nous, jeune fille, n'ayez pas peur ! — Non, vraiment ! Je n'irai point avec vous ! J'aimerais mieux être brûlée !
« — Venez avec nous au couvent, nous vous mettrons à l'aise. — Je n'irai point au couvent, j'aime mieux rester dehors.
« Sept jeunes filles de la campagne y sont allées, dit-on, sept belles jeunes filles à fiancer, et elles n'en sont point sorties.
« — S'il y est entré sept jeunes filles, vous serez la huitième ! — Et eux de la jeter à cheval, et de s'enfuir au galop ;
« De s'enfuir vers leur demeure, de s'enfuir rapidement avec la jeune fille en travers, à cheval, un bandeau sur la bouche.
«  Et au bout de sept ou huit mois, ou quelque chose de plus, ils furent bien déconcertés en cette commanderie ;
«  Au bout de sept ou huit mois, ou quelque chose de plus : — Que ferons-nous, mes frères, de cette fille-ci maintenant ?
« Mettons-la dans un trou de terre. — Mieux vaudrait sous la croix. — Mieux vaudrait encore qu'elle fût enterrée sous le maître-autel.
« — Eh bien ! Enterrons-la ce soir sous le maître-autel où personne de sa famille ne la viendra chercher !
« Vers la chute du jour, voilà que tout le ciel se fend ! De la pluie, du vent, de la grêle, le tonnerre le plus épouvantable !
« Or, un pauvre chevalier, les habits trempés par la pluie, voyageait tard, battu de l'orage ;
« Il voyageait par là et cherchait quelque part un asile, quand il arriva devant l'église de la commanderie.
« Et lui de regarder par le trou de la serrure, et de voir briller dans l'église une petite lumière ;
« Et les trois moines, à gauche, qui creusaient sous le maître-autel ; et la jeune fille sur le côté, ses petits pieds nus attachés.
«  La pauvre jeune fille se lamentait et demandait grâce : — Laissez-moi ma vie, Messeigneurs ! Au nom de Dieu !
« Messeigneurs, au nom de Dieu ! Laissez-moi ma vie ! Je me promènerai la nuit et me cacherai le jour.
« Et la lumière s'éteignit, et il restait à la porte sans bouger, stupéfait.
« Quand il entendit la jeune fille se plaindre au fond de son tombeau : — Je voudrais pour ma créature l'huile et le baptême ;
« Puis, l'extrême-onction pour moi-même, et je mourrai contente et de grand coeur après.
« — Monseigneur l'Evêque de Cornouaille, éveillez-vous, éveillez-vous ; vous êtes là dans votre lit couché sur la plume molle ;
« Vous êtes là dans votre lit, sur la plume bien molle, et il y a une jeune fille qui gémit au fond d'un trou de terre dure,
«  Demandant pour sa créature l'huile et le baptême, et l'extrême-onction pour elle-même.
«  On creusa sous le maître-autel par ordre du seigneur comte (de Quimper), et on retira la pauvre fille, au moment où l'évêque arrivait ;
«  On retira la pauvre jeune fille de sa fosse profonde, avec son petit enfant, endormi sur son sein ;
« Elle avait rongé ses deux bras, elle avait déchiré sa poitrine, elle avait déchiré sa blanche poitrine jusqu'à son coeur.
«  Et le seigneur évêque, quand il vit cela, se jeta à deux genoux, en pleurant sur la tombe ;
«  Il passa trois jours et trois nuits les genoux dans la terre froide, vêtu d'une robe de crin et nu-pieds.
«  Et au bout de la troisième nuit, tous les moines étant là, l'enfant vint à bouger entre les deux lumières (placées à ses côtés) ;
« Il ouvrit les yeux, il marcha droit, droit aux trois moines rouges ; — Ce sont ceux-ci !
«  Ils ont été brûlés vifs, et leurs cendres jetées au vent ; leur corps a été puni à cause de leur crime (1). »

Après cette ballade bretonne, nous dépeignant si énergiquement les déplorables déportements de certains Moines-Chevaliers, il est juste et convenable de reproduire une autre légende — sorte de conte français — qui présente en Haute-Bretagne les Templiers sous un jour favorable. La scène se passe dans les paroisses de Ploubalay et de Pléboulle, aux environs de cette commanderie de Montbran, dont nous avons plusieurs fois parlé, et dont subsiste encore le pittoresque donjon construit par les Chevaliers du Temple.

Le chevalier de Montbran
« Au temps jadis les habitants de Ploubalay étaient en mauvais renom dans tout le pays d'alentour ; on dit même que les recteurs des paroisses voisines avaient adopté une sonnerie spéciale qui conseillait aux gens de faire attention à leurs bêtes et à leurs filles, parce que, comme on disait, les Ploubalay étaient dehors. Parmi eux, il y en avait cinq, plus méchants que les autres, qui partirent pour Matignon, se promettant d'y rançonner les gens. L'un d'eux pourtant n'était pas entièrement corrompu, et il avait plus d'une fois soigné ceux qu'avaient blessés ses compagnons, ou restitué la part du butin qui lui revenait. Comme ils passaient par Trégon, ils rencontrèrent un chevalier monté sur une maigre haridelle et suivi d'un seul serviteur assez pauvrement vêtu. Il leur demanda quel chemin il fallait prendre pour arriver à Saint-Jacut-de-la-Mer. Au lieu de lui répondre, les quatre coquins l'attaquèrent à l'improviste, tuèrent son valet et s'acharnèrent à le frapper lui-même jusqu'au moment où il ne donna plus signe de vie. Après avoir pris au maître et à son serviteur ce qu'ils avaient d'argent, ils continuèrent leur route, sans s'occuper du cheval qui leur paraissait de trop peu de valeur. Le voleur compatissant resta en arrière de ses compagnons pour rendre les derniers devoirs à ceux qui venaient d'être tués. Il creusa une fosse assez profonde pour contenir deux corps, et il y déposa d'abord le cadavre du serviteur, mais comme il soulevait le chevalier, il s'aperçut qu'il respirait encore. Il courut à une source qui se trouvait dans les bois de la Villegueury, et en rapporta un peu d'eau, à l'aide de laquelle il fit revenir le chevalier.

«  Quand celui-ci eut repris ses sens, il remercia l'homme qui l'avait secouru, et lui conseilla d'aller rejoindre ses compagnons. « Non, dit le voleur, je ne vous abandonnerai pas dans l'état où vous êtes ; laissez-moi vous remettre sur votre cheval, je le tiendrai par la bride, et vous conduirai à un endroit où l'on pourra vous soigner. — Bien grand merci, » répondit le chevalier, et quand il se fut soulevé à l'aide du voleur, il se mit en selle aussi aisément que s'il n'avait eu que vingt ans, et que s'il n'eût jamais été blessé. A peine l'homme de Ploubalay, qui se nommait Jean, eut-il pris la bride du maigre coursier, qu'il se sentit soulevé de terre et comme porté, et il put, sans nulle fatigue, suivre le galop rapide du cheval. En arrivant à Matignon, il vit ses quatre compagnons que les soldats de M. de Gouyon emmenaient à la Roche-Gouyon pour y être pendus. «  Mon fils, lui dit le chevalier, si vous n'aviez pas été charitable, vous auriez eu le sort de ces malheureux : que Dieu et la Vierge vous gardent ! »

« Ils traversèrent Matignon sans s'y arrêter et arrivèrent à la chapelle du Temple de Pléboulle lorsque la nuit était déjà close depuis longtemps. Jean fut bien étonné de voir qu'elle était splendidement éclairée ; la porte s'ouvrit d'elle-même quand son compagnon se présenta, et il le suivit. Le chevalier se prosterna sur les dalles, et après y être resté longtemps en prières, il se releva et dit à Jean : «  Je suis le grand Maître des Templiers, les Chevaliers sans peur et sans reproche ; vous m'avez sauvé la vie sans savoir qui j'étais, et Dieu m'envoyait vers vous pour vous retirer de la voie que vous suiviez ; car si jusqu'ici votre bon coeur vous avait rendu moins méchant que vos compagnons, vous auriez fini par devenir comme eux. Vous avez beaucoup à expier ; mais votre charité vous a déjà fait obtenir un peu de miséricorde. Voulez-vous retourner dans le monde où vous vous perdriez encore peut-être, ou rester ici à jamais ? » Jean répondit qu'il resterait avec le chevalier.

« Depuis il vit dans le souterrain qui conduit de la chapelle à la vieille tour, dont on voit les ruines sur le tertre de Montbran. Quelques personnes l'ont aperçu lorsque, par les nuits sombres, il quitte sa retraite ignorée des hommes pour se promener parmi eux. Sa barbe est si longue que, pour pouvoir marcher, il lui faut la relever et la mettre sur son épaule, et elle est si touffue que l'on dirait qu'il porte un sac de grain. Souvent la chapelle semble entourée d'étranges clartés ; c'est alors que les spectres des compagnons de Jean viennent le supplier de les prendre en pitié et d'intercéder pour eux (1). »
(1) Hersart de la Villemarqué, Barzax-Breit, I, 307-311.

VII — Le procès
C'est par ces traditions populaires, ces légendes et ces contes, que nous terminons notre étude sur le Temple et l'Hôpital en Bretagne. Tous ces récits n'ont pas grande valeur au point de vue historique, et cependant il nous a paru bon de les rappeler. Après avoir dépeint, archives en mains, ce que furent les Chevaliers du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem, il nous restait à rechercher quels souvenirs avaient laissés dans le peuple des campagnes ces Moines-militaires. Or, ces souvenirs se résument en deux faisceaux d'idées : d'un côté les tristesses de l'abolition de l'Ordre du Temple, de l'autre les grandeurs de la mission des Templiers et des Hospitaliers.

Le procès fait par le roi de France aux Chevaliers du Temple, suivi des tourments horribles qu'eurent à subir ceux-ci, et terminé par la condamnation solennelle du Pape, ébranla toute l'Europe et remplit d'épouvante le peuple chrétien. Aucun fait du Moyen-âge n'a laissé d'aussi profondes traces dans les traditions populaires. De là, et comme explication nécessaire de ces supplices du feu et de ces anathèmes pontificaux, s'est répandue et s'est maintenue jusqu'à nous la croyance du peuple aux abominations des Moines Rouges. Comment les Templiers n'eussent-ils pas été bien coupables, puisqu'on les châtiait si sévèrement ?

Mais en même temps remarquons le caractère de grandeur que ce même peuple attribue aux Chevaliers : qu'ils soient Templiers, qu'ils soient Hospitaliers, peu importe, tous sont de vaillants soldats et de puissants seigneurs ; ce sont eux qui bâtissent les plus redoutables forteresses, les plus belles églises, les plus dévotes chapelles ; ce sont eux qui battent et mettent en fuite, longtemps en Terre-Sainte, plus longtemps encore sur les mers, les Turcs, ennemis de la Sainte Eglise ; ce sont eux qui, jouissant dans leurs terres en Bretagne d'un repos bien gagné, défendent leurs vassaux contre la cupidité des barons, la rapacité des bourgeois, la malveillance des gens sans aveu. Ils ne sont pas seulement de courageux combattants sur terre et sur mer, ils sont encore de grands justiciers, employant leur influence, leurs richesses, toutes leurs ressources à sauvegarder les intérêts des faibles ; et s'ils s'écartent parfois du sentier du devoir, ils ne reculent pas devant l'expiation, le sentiment de l'honneur régnant en maître chez eux.

Cette grandeur de caractère fait vite oublier les calomnies juridiques, plus évidentes que les crimes, de l'an 1312 ; elle fait oublier la légende des Moines Rouges qui n'en est qu'une suite. C'est cette grandeur de caractère qui distingue aussi l'Ordre des Chevaliers de Malte demeurés parmi nous jusqu'en 1789. Déjà, dans notre introduction, nous avons retracé ce que fut aux derniers siècles en Bretagne la glorieuse institution des Chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Nous avons rappelé comment ces hommes furent tout à la fois de vaillants soldats sur le champ de bataille et d'humbles hospitaliers dans leurs commanderies ; nous ne nous répéterons pas, mais nous conclurons en disant que ce fut une des gloires de la Bretagne de comprendre la valeur de l'Ordre de Malte et de lui donner un si grand nombre de ses fils.

Comment la noblesse bretonne saisit l'importance et la beauté du rôle que jouaient dans la chrétienté les Chevaliers des Ordres religieux-militaires.
(1) Sébillot. Légendes locales de la Haute-Bretagne, 30-34.
Sources : Guillotin de Corson (Abbé) — Les Templiers et les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en Bretagne — Nantes — Librairie Ancienne et Moderne L. Durange — 1902 - Librairie

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