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Études réalisées sur les Templiers

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Premières attaques contre les Templiers

Saint-Louis voulant venger les échecs des croisés en Palestine, entreprit la huitième croisade (1270) mais au lieu de se rendre en terre sainte à la tête de ses troupes il eut le tort de s'arrêter à Tunis pour combattre les Sarrazins. Pendant ce temps toutes les villes de Palestine retombaient entre les mains des infidèles et les armées des croisés avaient fondu, décimées par les armes et surtout par la peste.

C'était la fin des croisades et c'était aussi le commencement de la fin des Templiers. On en venait à s'apercevoir que toutes les croisades n'avaient rien résolu, qu'on avait sacrifié beaucoup de monde et qu'elles avaient coûté très cher. On s'apercevait aussi que les motifs pour lesquels on avait institué l'Ordre n'existaient plus, que l'Ordre n'avait plus d'utilité puisque la conquête des lieux saints avait échoué, et la garde des chemins qui y conduisaient n'existait plus.

Comme tous les autres ordres militaires celui du Temple eut à souffrir, dans son prestige, des désastres subis par les chrétiens en orient. On les accusa même, suprême injure, d'avoir pactisé avec les infidèles ; ce qui arriva en effet quand ils s'allièrent avec Cazan qui, après leur victoire sur les Egyptiens, les abandonna à leur sort. Aussi on allait faire des Templiers les boucs émissaires responsables de tous ces désastres militaires. Philippe le Bel, toujours à court d'argent accusait le Temple d'avoir ruiné les finances publiques et de s'être enrichi aux dépens de la nation. Il accusait les milliers de commanderies qui possédaient domaines fermes et granges, et qui n'avaient souvent à leur tête que des sergents grossiers et incultes, de pressurer le peuple.

Les Templiers, en effet, orgueilleux, riches, oisifs ne suscitaient que haine et jalousie.

Les paysans détestaient les Templiers parce qu'ils possédaient la plus grande partie du domaine foncier ; les citadins parce qu'ils donnaient asile aux malandrins qui les avaient volés, ainsi qu'aux mauvais débiteurs, les civils parce que les Templiers étaient militaires, les religieux parce qu'ils étaient plus laïcs que religieux et qu'ils avaient des privilèges qu'eux n'avaient pas, les nobles parce qu'ils leur avaient enlevé une partie de leurs prérogatives, les politiques parce qu'ils étaient un Etat dans l'Etat, et tous parce qu'ils détenaient une partie de la fortune publique et privée, et surtout parce qu'ils avaient perdu la guerre contre l'Islam.

Essai de fusion des Ordres Militaires

Déjà, en 1274, Saint-Louis, Grégoire X et le concile œcuménique de Lyon avaient reconnu la nécessité de réformer les ordres militaires en proposant la fusion des Templiers et des Hospitaliers, mais les choses étaient restées en l'état. Nicolas IV et Boniface VIII étudièrent aussi cette mesure sans y donner suite. En 1306 Jacques de Molay Grand Maître de l'Ordre des Templiers, répondait dans un mémoire adressé au pape que cette fusion aurait plus d'inconvénients que d'avantages.

Philippe IV le Bel contre les papes Boniface VIII et Benoît XI

Un antagonisme allait naître entre Philippe le Bel et Boniface VIII. Ce pape avait créé un évêché à Pamiers aux dépens de l'évêque de Toulouse Pierre de la Chapelle-Taillefer originaire de la Marche. Il avait nommé à ce poste Bernard de Saisset originaire du Languedoc qui n'aimait pas Philippe ni les Français et qui était, de plus, en très mauvais termes avec l'évêque de Toulouse. Saisset fut dénoncé à Paris comme ayant tenu des propos injurieux contre le roi. Il aurait dit : le roi fabrique de la fausse monnaie et de plus il est batard. C'en fut assez pour que le roi le fasse arrêter à Pamiers et transférer à Senlis.

Apprenant cela, le Pape répondit, le 5 décembre 1301, en ordonnant sèchement au roi de délivrer l'évêque, en ajoutant dans sa bulle Salvator mundi « Le vicaire du Christ peut révoquer, suspendre, modifier les statuts, privilèges, concessions émanées du Saint-Siège, sans que la plénitude de son autorité puisse jamais être entravée par quelque disposition que ce soit. » Puis dans la bulle Cléricis laïcos le pape fait défense aux prélats de France de rien accorder au roi à titre de décimes et de subsides sans l'autorisation du pape. Dans la bulle Ausculta fili, Boniface déclare que Dieu l'a institué « au-dessus des rois et des royaumes pour édifier, planter, arracher et détruire. Le roi ne doit pas se laisser persuader qu'il n'a pas de supérieur et qu'il n'est pas soumis au chef de la hiérarchie ecclésiastique, car penser ainsi ce serait d'un fou. » Puis il annonça qu'il allait réunir, au 1er novembre 1302, à Rome, un comité où siégeraient tous les représentants de l'église gallicane.

Réponse de Philippe le Bel

Philippe n'est pas un timoré. Il renverse tous les obstacles ou les contourne. Rien ne l'effraye ni ne l'arrête, ni les menaces ni les interdits. Avec son armée de légistes : Pierre Flotte, Plasians et Nogaret il prévient les événements et détourne les catastrophes. Quand il a fixé son but il l'atteint par tous les moyens. C'est un homme froid, égoïste avec cruauté, mais il a parfois des accès de bonté. C'est un roi énergique, jaloux de son autorité et il le montre.

En réponse aux bulles de Boniface il ne tarde pas à répondre aussi sèchement, ainsi qu'on peut le lire dans un registre du trésor des chartres: « Philippe par la grâce de Dieu, roi de France à Boniface qui se dit Pape peu ou point du salut ! »
« Que ta très grande fatuité sache que nous ne sommes soumis à personne pour le temporel ; que la collation des bénéfices et des prébendes vacantes nous appartient par le droit de notre couronne, et que les fruits de leurs revenus sont à nous et que nous sommes résolus de maintenir dans leur possession ceux que nous y avons mis. Ceux qui croient autrement sont des fous et des insensés. »

Ce n'était pas seulement une épreuve de force qui commençait entre Philippe et Boniface. C'était déjà la lutte entre la royauté Capétienne et la papauté, entre l'empire et le sacerdoce.

C'était déjà l'autorité laïque qui déniait à l'autorité ecclésiastique tout pouvoir temporel et voulait la confiner dans le pouvoir spirituel. Enfin, comme l'a dit un historien, c'était la fin prochaine du moyen-âge et la venue des temps modernes.

Les états généraux de 1302

Le pape avait convoqué les évêques français à Rome pour le 1er novembre 1302. Le roi prit les devants et convoqua les états généraux pour le 1er avril 1302, afin de faire appuyer sa politique. La noblesse et le commun dirent qu'ils étaient prêts à se battre pour le roi. Le Clergé se montra plus réticent mais finit par se ranger à la thèse royale.

Les envoyés des barons, du clergé et du commun de France apportèrent la réponse du roi et des états généraux le 24 juin, 1302 au pape qui se trouvait à Agnani. Boniface fulmina contre le clergé français et fit honte aux prélats de leur lâcheté, et dans un discours virulent et ironique il fustigea la France « ce royaume désolé entre tous ceux de la terre. Nos prédécesseurs ont déjà déposé trois rois de France ; les Français ont cela dans leurs archives et nous dans les nôtres. Nous aurons le chagrin de déposer ce roi s'il ne vient pas à résipiscence. »

Boniface crut avoir la victoire d'autant plus que Philippe venait de recevoir un coup terrible à la bataille de Courtrai (11 juillet 1302) où les Flamands avaient cruellement humilié l'orgueil du roi de France. Philippe, en proie à toutes sortes d'ennuis, se résigna à négocier. Il manifesta le désir de se réconcilier, mais il ne trouva pas de cardinaux pour s'y employer. De plus, le synode du 11 novembre eut lieu à Rome et beaucoup de prélats français y assistèrent malgré la défense du roi. C'est à ce synode que Boniface publia sa fameuse bulle « Unam sanctam » la plus absolue proclamation théocratique qui ait été formulée au moyen-âge. On y relève que : « l'Eglise catholique n'a qu'un corps et qu'une tête. Son chef c'est le christ et le vicaire du christ c'est le successeur de Pierre. Il y a deux glaives : le spirituel et le temporel. L'un et l'autre appartiennent à l'Eglise. Le glaive spirituel est dans la main du pape, le glaive temporel est dans la main des rois, mais les rois ne peuvent s'en servir que pour l'Eglise et selon la volonté du pape. Donc si le pouvoir temporel dévie, c'est au pouvoir spirituel de le juger. Mais la réciproque n'est pas vraie. »

« Nous disons et déclarons qu'être soumis au pontife romain est pour toute créature une condition de salut. »

Philippe comprit, à ce moment, que tout compromis était impossible avec Boniface et que, par conséquent, il fallait engager la lutte. Il nomma comme ministre de la justice Guillaume Nogaret, qui avait lui aussi à se venger de Boniface. Ce Nogaret, fils d'Albigeois, soumit au roi un plan qui consistait à enlever Boniface, à le ramener en France, et à le déposer de son siège pontifical comme hérétique et suppôt de l'enfer.

Il partit pour Agnani où se trouvait le pape et il se présenta dans l'appartement du pape avec une bande de mercenaires. En le voyant le pape lui lança cette apostrophe : « fils de patarin » !

Cette flétrissure d'albigeois cathare ne s'effacera jamais de la mémoire de Nogaret.

Cependant Nogaret ne put exécuter son plan car le pape fut délivré par 400 cavaliers romains qui l'emmenèrent à Rome.

Mais ces évènements avaient troublé l'esprit et la raison de Boniface qui mourut peu après le 11 Octobre.

« Ce qu'il y a d'extraordinaire dans l'épisode d'Agnani, a dit Renan, ce n'est nullement que le pape ait été surpris, c'est que cette surprise ait amené des résultats durables, c'est que la papauté ait été abattue sous ce coup, c'est qu'elle ait fait amende honorable au roi sacrilège. Cela ne s'est vu qu'une fois et c'est par là que la victoire de Philippe le Bel, sur la papauté a été dans l'histoire un fait absolument isolé. »

Benoît XI successeur de Boniface VIII

Benoit XI succéda à Boniface mais pour peu de temps (1303-1304). Il eut juste le temps de se réconcilier avec Philippe qui d'ailleurs se présenta à lui, non en quémandeur humilié, mais en grand triomphateur. Benoit leva toutes les censures et excommunications prononcées contre le roi par Boniface, sans que le roi ait eu à le demander. Le 13 Mai, il donna une absolution générale mais il en excepta nommément Nogaret qu'il cita à comparaître devant le Saint-Siège.

Nogaret se garda bien d'obtempérer ; il se mit en sureté en France. D'ailleurs, ainsi qu'il l'a dit, un miracle se produisit, auquel il n'était peut-être pas étranger. Ce miracle s'opéra par le moyen d'un jeune homme habillé en religieuse qui se présenta comme sœur tourière des sœurs de Sainte-Pétronille. Il offrit au pape des figues fraiches de la part de son abbesse. Quoiqu'il se méfia des empoisonneurs le pape en mangea, parce que l'abbesse était sa dévote préférée, et il mourut.

Plan de Philippe le Bel

Après la mort de Benoit XI, Philippe le Bel qui avait trop souffert des deux papes précédents dont l'hostilité à son égard avait été si grande et lui avait créé tant de difficultés élabora, avec la complicité de Nogaret, un double plan :
1° Obtenir un pape docile et à sa merci
2° Détruire avec l'appui du pape l'Ordre des Templiers trop riches et trop puissants.
On verra avec quelle habileté et quelle obstination il va y parvenir.

Election d'un nouveau pape

La vacance du Saint Siège dura cette fois près d'un an, du 7 Juillet 1304 au 5 Juin 1305. Ce fut durant ces onze mois une bataille acharnée dans le sacré collège entre les partis des Français et les Bonifaciens. C'est pendant cet interrègne que Nogaret déploya toute son habileté pour obtenir un pape qui soit tout dévoué au roi Philippe le Bel. Il amadouait les uns par des promesses, il impressionnait les autres en proclamant que si le pape futur était choisi parmi les Bonifaciens, il en appellerait à un concile général pour faire enfin justice de la mémoire de Boniface et de sa séquelle. Ses diatribes étaient d'une violence extrême et jetaient le trouble et la crainte parmi ceux qui étaient hostiles aux Français. Pendant ce temps, Philippe, de son côté, ne restait pas inactif. Bref, si l'on en croît Villani, chroniqueur florentin (1276-1348) chroniqueur de cette époque, voici comment se serait préparée l'élection du pape.

Les cardiaux s'étaient réunis en conclave à Pérouse. Les cardinaux français et anti-français étaient en nombre à peu près égal et n'arrivaient pas à se départager pour le choix d'un pape.

Les jours passaient ; les choses trainaient en longueur à tel point que les Perugins auraient décidé de les affamer pour les obliger à en finir. De guerre lasse, les partisans et les adversaires de Boniface décidèrent qu'une liste de trois personnes papables et étrangères à l'Italie serait désignée par les Bonifaciens, et celle de ces trois personnes qui serait choisie par les anti bonifaciens serait élue pape à l'unanimité. Parmi les trois personnes désignées figurait Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, qui était considéré (comme Bonifacien, ami d'Edouard d'Angleterre et hostile à Philippe le Bel. Celui-ci ne perdit pas de temps.

Il convoqua Bertrand. L'entrevue aurait eu lieu dans une forêt près de Saint-Jean d'Angely. Le roi dit à Bertrand : Archevêque je peux te faire pape si je veux, c'est pourquoi je viens à toi. Si tu me promets de me faire six grâces que je te demanderai, je t'assurerai de cette dignité ; et voici qui te prouve que j'en ai le pouvoir. Alors il montra les lettres des deux délégations. Le gascon voyant que le roi avait en effet le pouvoir de le faire élire pape, se serait jeté aux pieds du roi en disant : Je vois que tu veux me rendre le bien pour le mal. Commande et j'obéis.

Le roi le releva, le baisa sur la bouche et lui dit : Voilà les six grâces que je te demande :
1° Tu me réconcilies avec l'Eglise.
2° Tu me rends la communion à moi et à tous les miens.
3° Tu m'accoudes les décimes du Clergé.
4° Tu détruiras et annuleras la mémoire de Boniface.
5° Tu rendras la dignité au cardinal messer Jacobo et a messer Piero de la Colona, et avec eux tu feras cardinaux certains de mes amis.
Quant à la sixième grâce et promesse nous en reparlerons en temps et lieu.
Bertrand acquiesça, le roi promit et Bertrand fut nommé pape.

Cette narration de Villani est peut-être bien un peu romancée, mais le fond de l'histoire est vrai. Il est certain qu'il y eut des tractations entre le roi et Bertrand de Got et une réconciliation.

D'ailleurs la suite démontre bien que ce nouveau pape s'était mis à l'entière discrétion du roi de France. La condamnation de Boniface par la bulle Gloria virtutem du 27 Avril 1311 en est bien la preuve. Cette bulle ordonnait d'effacer des registres de l'église de Rome, les excommunications et sentences lancées par Boniface VIII et Benoît XI depuis la toussaint 1300 contre le roi, le royaume et les partisans du roi.

Couronnement du pape Clément V

Le nouveau pape ayant pris le nom de Clément V, déclara qu'il voulait être couronné à Lyon. Ce couronnement commençait la captivité de l'Eglise. L'historien J. Michelet a pu écrire sur la mort de Benoit XI :
« La mort scandaleusement prompte de Benoit XI fit tomber l'Eglise dans la main de Philippe le Bel. Elle le mit à même de faire un pape, de tirer la papauté de Rome, de l'amener en France pour, dans cette geôle, le faire travailler à son profit, lui dicter des bulles, exploiter l'infaillibilité, constituer le Saint-Esprit comme scribe et percepteur pour la Maison France. »

Philippe le Bel contre les Templiers

Philippe avait accompli la première partie de son plan. Il avait obtenu un pape à sa dévotion. Il allait pouvoir maintenant, avec l'aide plus ou moins avouée, ou plus ou moins consentante du nouveau pape, s'attaquer à la deuxième partie de son plan : détruire l'Ordre des Templiers. Il allait employer les mêmes méthodes que celles qui lui avaient si bien réussi. Pour cela, il pouvait compter sur son ministre Nogaret, homme habile, rusé, d'esprit inventif et sans scrupules.

D'ailleurs, un Ordre de soldats grossiers comme les Templiers n'avait pu se transformer en république riche en terres, en privilèges, enrichie par le commerce des métaux précieux et par son crédit sur les papes, les rois et les princes sans se corrompre, sans exciter l'envie et la malveillance. Aussi l'Ordre avait des ennemis dans toutes les classes de la société.

Pour arriver au résultat cherché, il fallait d'abord ruiner la réputation des Templiers dans l'esprit du public, il fallait révéler l'avarice, l'avidité, l'orgueil, les vices, les mystères et les mauvaises mœurs des Templiers. Puis, réunir un certain nombre de faits vrais ou faux et enfin porter ces accusations devant le public et devant le pape puisque, juridiquement, les Templiers ne relevaient que du Saint-Siège. Tout cela pour en arriver au but définitif mais qu'on n'avouait pas : s'approprier la fortune immense des Templiers.

Les griefs : l'avidité

Le cardinal Vitri a dit des Templiers : Chacun de vous fait profession de ne rien posséder en particulier, mais en commun vous voulez tout avoir. On disait pour expliquer leurs richesses qu'ils spéculaient sur les grains pour affamer le peuple, qu'ils promettaient à ceux qui voulaient entrer dans l'Ordre de les enrichir par tous les moyens même illicites. Leur opulence les rendait orgueilleux et odieux à tous ceux qu'ils avaient obligés, ainsi qu'au peuple qui vivait misérablement tout en travaillant beaucoup alors que les Templiers vivaient bien et ne travaillaient pas. On craignait que leur puissance, comme guerriers et comme financiers, leur permette de fonder en occident des républiques cléricales à l'image de celles des chevaliers teutoniques en Allemagne, ou des Jésuites au Paraguay.

Leur orgueil

Leur orgueil indisposait tout le monde et cependant on ne manquait pas de leur rappeler qu'ils avaient laissé retomber entre les mains des infidèles toutes les forteresses chrétiennes de Palestine. Saint-Jean-d'Acre, la dernière, était tombée en 1291. On accusait les Templiers et aussi les Hospitaliers d'être responsables de tous ces revers. On disait qu'ils étaient dus à leurs querelles intestines et on les accusait même d'avoir pactisé avec les Sarrasins.

Leurs vices

L'Ordre contenait dans ses rangs beaucoup de frères de moralité douteuse. On disait « boire comme un Templier ; jurer comme un Templier. » En Allemagne, on appelait tempelhaus les maisons mal famées. On prétendait que des scènes d'orgie se passaient dans le Temple. Un Templier bourguignon aurait dit : Cela ne tire pas à conséquence de renier Jésus ; on le renie cent fois par jour pour une puce dans mon pays. On disait aussi que des doctrines diaboliques s'étaient introduites dans l'Ordre au cours de leur contact avec l'Islam.

Les Mystères

Toutes les affaires des Templiers étaient conduites dans le plus grand secret. La règle n'était connue que par de rares dignitaires. Un grand dignitaire aurait dit : Dieu, le Diable et nous, sommes les seuls à connaître les secrets de la règle de l'Ordre. Le précepteur de l'Auvergne, à qui on demandait pourquoi son Ordre s'était toujours entouré d'un si profond secret répondit : par sottise. Or, le bon sens populaire croira que celui qui se cache a quelque chose à cacher.

La façon dont se passait la réception dans l'Ordre était empruntée aux mystères, rites bizarres dont l'église antique ne craignait pas d'entourer les choses saintes. Quand un nouveau chevalier se présentait pour être admis dans l'Ordre, tout le Chapitre s'assemblait. Toutes les portes du Temple étaient soigneusement fermées. Chaque dignitaire prenait la place que lui valait son rang en grand costume d'apparat. La cérémonie avait lieu la nuit, à la lueur des flambeaux. Le récipiendaire attendait à la porte de l'église. Le président du Chapitre envoyait deux frères qui demandaient trois fois au chevalier s'il voulait être admis dans la milice du Temple. Il devait répondre trois fois affirmativement. Alors on l'introduisait dans l'église. Il se mettait à genoux et sollicitait par trois fois le pain, l'eau et son admission au sein de l'Ordre.

L'Initiation

La cérémonie de l'initiation allait commencer. Le chef du Chapitre disait alors : Vous allez prendre de grands engagements Il vous faudra veiller quand vous aurez sommeil, marcher quand vous voudrez vous reposer, souffrir de la faim et de la soif quand vous voudrez manger et boire, aller dans un pays quand il vous plairait d'aller dans un autre ; en somme obéir aveuglément aux ordres qui vous seront donnés. Puis il lui demandait s'il était chevalier, s'il était célibataire, sain de corps et s'il n'avait pas de dettes. Quand il avait répondu à ces questions, le récipiendaire devait se présenter comme un pêcheur mauvais chrétien et renégat. Il devait renier le Christ à l'exemple de Saint-Pierre et cracher trois fois sur la croix afin que l'Ordre puisse racheter ce renégat, le relever, le réhabiliter. L'initiation était terminé, l'impétrant recevait le manteau de l'Ordre et prononçait les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance.

Cette cérémonie inconcevable était bien faite pour impressionner les gens grossiers, mais on a peine à croire que des Chevaliers n'aient pu en sentir tout le ridicule. Cependant tous les historiens se sont accordés pour croire à la véracité de cette cérémonie et nul n'a prouvé que ce fût une calomnie. D'ailleurs, pour le Temple, ce n'était qu'un Symbole. On faisait subir au récipiendaire les dernières limites de la dégradation morale pour lui en donner ensuite une absolution totale.

Mais le peuple n'admettait pas ce symbole. Il prenait les choses à la lettre. Pour lui, les Templiers étaient des renégats, des impies qui blasphémaient le nom de Dieu et crachaient sur la croix. De plus, les bruits les plus étranges couraient sur l'adoration d'une idole par les Templiers. Selon les uns c'était une tête à trois faces, selon d'autres un crâne humain ou un chat noir. De tous les griefs portés contre les Templiers, c'est bien ces derniers qui étaient l'accusation la plus terrible et celle qui a eu le plus de poids dans le jugement public et pour la condamnation des Templiers.

Le Procès des Templiers

On ne sait à quelle date naquit à la cour de France le projet de détruire l'Ordre des Templiers. Rien ne laissait présager le guet-apens d'octobre 1307. Au contraire, Philippe le Bel récompensa les Templiers de l'appui qu'il lui avait prêté contre Boniface en 1303 et 1304. Bien plus, une émeute ayant éclaté à Paris en 1306 le roi s'était réfugié au Temple pour y chercher protection. La sédition avait duré très peu, mais suffisamment pour que le roi ait pu se rendre compte de toutes les richesses qui y étaient accumulées.

A partir de 1304, des tractations secrètes avaient eu lieu entre la cour de France et la curie, mais elles n'ont pas laissé de traces. Le pape avait eu connaissance des bruits qui circulaient concernant l'avarice, les vices, les mœurs et la traîtrise des Templiers qui se comportaient plutôt en grands seigneurs qu'en moines qui avaient fait vœu de pauvreté, de chasteté et de charité. La foule parlait surtout de vices affreux et d'idolâtrie.

Au printemps de 1307, Philippe pressait le pape de lui accorder une entrevue. Justement, Jacques Molay venait d'arriver en France avec 60 Chevaliers, appelés par Clément V qui désirait être informé de ce qui se passait en Palestine. On disait que le Grand Maître abandonnait la Terre Sainte et venait se fixer en France, qu'il apportait avec lui sur douze mules qui pliaient sous le poids, un monstrueux trésor de cent cinquante mille florins d'or et en argent la charge de dix mulets en tournois d'argent.

Le cœur de Philippe dut tressaillir d'aise et de convoitise en voyant arriver ce riche équipage de 60 cavaliers, montés sur de fougueux chevaux arabes, vêtus richement, portant des armes damasquinées à la manière orientale. De nombreux esclaves noirs suivaient le front ceint du turban de Mahomet. Cette brillante arrivée suscita des commentaires sans fin.

Le Guet-apens de 1307

Le pape Clément se rappelait son entrevue avec le roi près de Saint-Jean d'Angely, et se doutait bien de ce qu'on désirait de lui.

Il était hésitant et tergiversait. Le roi lui avait fait dire : « Sur les six grâces que je vous avais demandées, cinq ont été accordées, il s'agit de tenir vos promesses pour la sixième. » La sixième c'était évidemment la suppression de l'Ordre des Templiers. Mais le secret avait été bien gardé aussi bien du côté du roi que de celui du pape. Clément chercha à gagner du temps.

Il invoqua des excuses misérables : « J'ai la migraine, je suis malade, les saignées m'ont affaibli. » Enfin l'entrevue eut lieu à Poitiers. Tout ce que le roi put obtenir du pape c'est la promesse d'ouvrir une enquête.

Philippe était fatigué d'attendre ; il avait besoin d'agir. Sachant qu'il avait avec lui le peuple, les dominicains qui l'avaient élevé, toutes les congrégations, les prêtres ainsi que l'Inquisition, tous jaloux de la place prise par les Templiers ; sachant qu'il serait soutenu, Philipe prépara, avec ses conseillers, dans le plus grand secret, au château de Maubuisson, des actes foudroyants contre les Templiers.

Le 29 septembre 1307, il confia à Nogaret, son garde des sceaux, le soin d'arrêter, en France, tous les Templiers, le 13 octobre 1307. Les chevaliers du Temple étaient sans défiance.

Molay venait d'obtenir de nouveaux privilèges, et la veille de son arrestation il était à côté du roi à l'enterrement de la Comtesse de Valois. Le secret avait donc été bien gardé, même les troupes qui devaient prendre position aux abords de leur objectif ignoraient tout. Leur ordre de mission ne devait être ouvert qu'à l'aube de ce vendredi fatidique. Aussi très peu de Templiers échappèrent à ce coup de filet gigantesque.

Le masque est tombé. Jacques Molay est arrêté à Paris avec 140 Templiers. Dans toutes les provinces de France, à la même heure toutes les commanderies sont envahies. Tous leurs trésors et leurs biens sont confisqués. La sainte inquisition allait entrer en fonction dans son vilain travail avec tous ses instruments de torture. L'opération avait été parfaitement organisée et bien exécutée.

Manifeste royal contre les Templiers

Pour justifier devant l'opinion les mesures prises contre les Templiers un véritable monument fut dressé par Nogaret.

Il débute ainsi : « Une chose amère, une chose déplorable, une chose terrible à penser, terrible à entendre, détestable, exécrable, abominable, inhumaine, avait déjà retenti à nos oreilles, non sans nous faire frémir d'une violente horreur. »
Il continue longtemps sur ce ton. Il accuse les Templiers d'avoir malgré les vœux qu'ils avaient prononcés, de renier le Christ, de se livrer à d'ignobles désordres, etc., etc. Il dit que le pape a été consulté par le roi qui en a délibéré avec ses prélats et avec ses barons. C'est pourquoi il a cédé aux supplications du grand Inquisiteur de Paris le frère Guillaume, qui a fait spontanément appel au bras séculier pour lui livrer les Templiers.

L'assentiment (supposé) du pape et l'initiative (suggérée) de l'Inquisiteur étaient destinés à légitimer en droit l'arrestation arbitraire, la confiscation des biens et les autres mesures à venir.

Ainsi tout se transformait en œuvre pieuse et Nogaret concluait : La colère de Dieu, au nom du roi, s'abattra sur ces incrédules, car Dieu nous a élevés à l'éminence royale pour la défense de la foi et de la liberté de l'Eglise.

Instructions secrètes

Ce discours empathique fut lu en province le 15 octobre.

Mais la circulaire était accompagnée d'instructions confidentielles du roi à ses agents : Les commissions administreront les biens des Templiers dont ils dresseront un inventaire. Ils garderont les prisonniers. Ils les interrogeront avant de les livrer aux commissaires inquisiteurs pour en obtenir la vérité.

Les instructions furent suivies à la lettre. A Paris, 140 prisonniers furent rassemblés dans une salle basse de leur forteresse, devant les moines assistés des conseillers du roi parmi lesquels il y avait des délégués du Pape : Hugues de la Celle le cardinal de la Chapelle Taillefer (1), deux creusois qui jouèrent un rôle important dans le procès des Templiers ainsi que deux autres légats.
1. Pierre de la Chapelle Taillefer avait acquis la réputation d'un juriste éminent et d'un négociateur habile. Aussi Clément V et Philippe IV le tenaient en grande estime. Il avait été élevé à la dignité de cardinal prêtre de Saint-Vital le 15 Décembre 1305 par le Pape lors de son séjour à Lyon.

D'après Baluze le Cardinal Pierre de la Chapelle Taillefer obtint du roi en 1311 la récompense de ses services pendant le procès des Templiers. Le roi lui octroyait la permission de fonder dans ses terres patrimoniales à la Chapelle-Taillefer une église collégiale et d'y construire un cloître entouré de murailles, et d'acheter des fiefs et autres revenus. Il en usa largement car il laissa à sa mort en 1312 (c'est-à-dire moins d'un an après cette permission) outre son chapitre de grands biens en Périgord, en Angoumois, en Poitou, en Limousin, et dans la Marche. La ville d'Issoudun lui versait annuellement 8.000 livres. Il mourut à Avignon mais fut enseveli dans le chœur du chapitre de son église de la Chapelle-Taillefer. On lui éleva un mausolée en cuivre, richement émaillé par un membre de la famille Pénicaud de Limoges. On peut en lire la description par Beaumesnil dans le tome 3 page 68 des Mémoires de la Société des Sciences Naturelles et Archéologiques de la Creuse.

Les comptes rendus notariés n'enregistrent que les dépositions ; ils sont muets sur les tortures, mais il est hors de doute qu'il y en eut. Dieu seul sait à quelles tortures furent mis les chevaliers pour leur arracher des fautes peut-être imaginaires et qui dépassent l'entendement. Ils subirent les supplices de l'eau, de la corde et du feu. On leur arrachait les dents, on leur brûlait les pieds, on leur suspendait des poids aux testicules.
Jacques de Saci vit mourir vingt-cinq frères de la question.

A côté de ces tortures atroces il y eut des choses ignobles. Un chevalier avoua que le grand maître, lors de son initiation lui avait donné un baiser sur la bouche, et qu'en retour il l'avait obligé à lui rendre ce baiser sur le nombril et au bas du dos.

La meilleure preuve de l'intensité des supplices c'est l'unanimité des aveux arrachés par les inquisiteurs, aveux d'ailleurs rétractés quand ils se trouvèrent plus tard devant des juges qu'ils croyaient impartiaux. Il n'y eut que de rares Templiers qui restèrent muets malgré les tortures. « Nihil dixit » relate le compte-rendu.

Les trois grands chefs de l'Ordre : Jacques Molay Grand Maître, Hugues Pairaud Grand Visiteur de France et Geoffroy de Charnai précepteur de Normandie qui pourtant étaient des hommes braves ayant fait leurs preuves en Palestine avouèrent comme de simples chevaliers. Ils avouèrent avoir renié le Christ et craché sur la croix. On reste confondu que des hommes de cette trempe aient pu reconnaître de semblables faits. Quels crimes les subalternes n'auraient-ils pas inventés pour faire cesser les tortures, comme ce Guillaume de Gi qui raconta quels rapports ignobles il avait eus avec le Grand Maître.

La même chose se passa en province. Les aveux étaient obtenus à force de géhenne. Les torturés avouèrent tout ce que désiraient leurs bourreaux « dixerunt voluntatem torquencium »

En attendant, Philippe le Bel s'était emparé de leurs trésors et s'était installé dans leur palais. Le pape Clément V, très offensé, fut furieux en apprenant ce coup de main du 13 octobre accompli sous son nom et sans sa permission. Il écrivit à Philippe pour se plaindre. Ce dernier comprit qu'il valait mieux négocier avec le saint siège. Il essaya de donner des apaisements au pape, il exposa de nouveau tous ses griefs. Le pape se dit ébranlé mais non convaincu. Un peu plus tard, au début de 1308, tout est changé : le pape se dit incrédule et blâme la conduite des inquisiteurs et des évêques. Mais était-il si incrédule ? Il pensait certainement que s'il y avait des coupables parmi les Templiers, tous ne l'étaient pas. Il voulait bien abolir l'Ordre, mais user de clémence envers les Templiers. Il voulait surtout jeter un voile pudique sur ce scandale dont les éclaboussures ne manqueraient pas d'atteindre l'Eglise.

Nogaret vit le danger. Il se livra à de violentes attaques contre Clément V, l'accusant de vouloir sauver les Templiers malgré leurs turpitudes, malgré leurs actes contre la religion, ajoutant que le roi était le vrai défenseur de l'Eglise.

Le pape vit bien qu'on allait renouveler contre lui les mêmes procédés que ceux employés contre Boniface et qu'il ne serait pas le plus fort. Il obtint du roi une nouvelle entrevue.

De son côté, Philippe n'oubliait pas que le pape avait seul la haute Juridiction contre l'Ordre. On allait arriver à un compromis dans lequel le pape n'eut pas une conduite très digne.

Il fut convenu que les Templiers qui étaient dans les prisons du roi seraient rendus au pape, mais que celui-ci les remettrait aussitôt entre les mains des officiers royaux au nom de l'Eglise romaine. Les biens des Templiers seraient administrés conjointement par des commissaires rétribués par le roi, le pape et les évêques diocésains. De plus on distingua deux sortes de crimes d'hérésie : crimes de l'Ordre en tant que collectivité religieuse et crimes particuliers des Individus Templiers. Un concile fut convoqué à Vienne (Isère). Le grand Maître et les hauts dignitaires étaient réservés au jugement du pape.

Les Templiers devant les enquêteurs

Tous les archevêques et évêques de la Chrétienté reçurent ordre de poursuivre les Templiers. Ainsi en France, en Suède, au Danemark, en Allemagne, en Pologne, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Sardaigne, en Sicile, en Corse, dans les îles de Majorque et de Chypre, à Constantinople, il ne restait plus un seul lieu d'asile pour les Templiers. Partout ils étaient entre les mains de l'inquisition.

Le 9 Août 1309 la commission pontificale, réunie en assemblée à l'abbaye de Sainte-Geneviève, fit connaître qu'elle était constituée et prête à recueillir les témoignages de tous.

Le 26 novembre comparut le grand Maître Jacques de Molay.

Sa conduite fut piteuse. Devant les attaques de Nogaret il montra de la lâcheté. A la demande : Etes-vous prêt à défendre l'Ordre il répondit : Oui je suis prêt à le défendre de toutes mes forces ; mais prisonnier du pape et du roi je suis dans une position difficile. Prenez garde lui répondit-on : Rappelez-vous les aveux que vous avez déjà faits. Nous sommes prêts à vous accorder un délai pour répondre si vous voulez réfléchir davantage. Voyant qu'il hésitait on lui donna lecture de ses aveux qui avaient été enregistrés et transmis à la Cour de Rome. Puis on ajouta : Souvenez-vous que l'Eglise romaine livre les obstinés au bras séculier. Alors Molay demanda un délai de douze jours. Les commissaires enchantés lui accordèrent un délai encore plus long, espérant que les gens du roi sauraient bien l'amener à leurs fins.

Le délai écoulé, Molay reparut devant la Commission. Il déclara : J'ai entendu dire que le seigneur pape m'a réservé moi et quelques dignitaires à sa justice. Dans l'état où je suis je préfère aller en présence du pape, quand il lui plaira et je souhaite que ce soit le plus tôt possible.

La défense des Templiers

De tous les points de France arrivèrent des Templiers qu'on sortait de prison pour les présenter à la commission papale. La plupart déclarèrent qu'ils venaient défendre l'Ordre.
Ainsi le frère Ponsard de Gisi, dans un élan de confiance, déclara que pour lui et d'autres frères, les aveux leur avaient été arrachés par la torture. On lui avait lié les mains derrière le dos tellement serrées que le sang jaillissait sous les ongles. Il fut abandonné ainsi pendant une heure dans une basse fosse attaché avec une longe. Il ajoute que si on lui faisait subir encore les mêmes tortures il nierait tout ce qu'il affirmait en ce moment et répondrait tout ce qu'on voudrait qu'il réponde.
Bertrand de Saint-Paul dit : Je n'ai jamais avoué les crimes imputés à l'Ordre, ce sont des calomnies.
Bernard de Vado en montrant ses pieds dit : Voyez mes pieds, on m'a si longtemps tenu devant un feu si ardent, que la chair de mes talons a été brûlée et que deux os se sont détachés et manquent à mes pieds.

Des centaines de Templiers se dirent prêts à défendre l'Ordre d'une façon encore plus virile. La plupart se contentèrent de déclarer : Je défends l'Ordre je n'y ai jamais vu faire de mal.

D'autres écrivirent des mémoires contenant des arguments de la plus grande puérilité. Les 546 Templiers internés à Paris chez Guillaume de la Huche, au Temple, au Palais du Comte de Savoie, à l'abbaye de Sainte-Geneviève, à l'abbaye Sainte-Magloire furent interrogés par les notaires en mars 1309 et tous affirmèrent l'innocence de l'Ordre.

Nouveau guet-apens, mai 1310

Les affaires des Templiers paraissaient donc s'arranger. Si la bonne foi des accusés était évidente celle des accusateurs ne l'était pas moins. Mais les fanatiques sont de mauvais juges : on l'a constaté de tous temps. Prétendre que c'est Philippe le Bel qui ordonna tous ces supplices pour s'emparer des richesses des Templiers c'est déplacer les responsabilités. Les tortures sont l'œuvre des inquisiteurs, et le pape n'y fut pas étranger puisque, par lettre, il avait ordonné, en Angleterre, d'obtenir rapidement la vérité par le moyen des tortures.

L'Ordre avait donc trouvé des défenseurs. Nogaret et ses complices jugèrent qu'il était temps d'intervenir. Ils profitèrent de de ce que les deux procès : celui contre l'Ordre et celui contre les personnes se poursuivaient parallèlement et que les juges du procès contre les personnes leurs étaient dévoués pour effrayer les témoins du procès contre l'Ordre. Le jugement des personnes appartenait en vertu des lettres du pape au concile provincial présidé par l'archevêque de Sens qui était le frère d'un des principaux ministres du roi. Ce tribunal d'inquisition avait le droit de condamner sans entendre les accusés et de faire exécuter le jugement dans les vingt-quatre heures. L'archevêque agit sans retard, et le 12 mai cinquante-quatre Templiers qui après avoir fait des aveux les avaient rétractés, furent condamnés comme relaps, empilés dans des charrettes et brûlés entre le bois de Vincennes et le moulin à vent de Paris.

Le 13 mai, lendemain de ce massacre le frère Aimeri de Villiers le Duc, Templier depuis 28 ans écoutait l'acte d'accusation le concernant, pâle et terrifié. Il interrompit cette lecture : J'ai avoué quelques articles à cause des tortures que m'ont fait endurer Guillaume de Marcilly, Hugues de la Celle et Pierre de la Chapelle Taillefer tout ce que j'ai dit est faux. Hier j'ai vu cinquante-quatre de mes frères dans les fourgons conduits au bûcher. Je sens que je ne pourrai pas résister au feu. J'avouerai tout, je le sens. J'avouerai même que j'ai tué Dieu.

C'en était fait, on ne pouvait plus se faire d'illusion sur la liberté de défense. Les enquêteurs ne reprirent leurs opérations qu'après six mois d'interruption, et pour la forme, l'enquête fut close. On l'expédia en deux exemplaires pour le concile de Vienne ; elle remplissait 219 feuillets.

Le concile de Vienne

Guillaume le Maire, évêque d'Angers, convoqué au conseil œcuménique de Vienne rédigea par écrit son avis en ces termes : Il y a deux opinions au sujet des Templiers. Les uns veulent détruire l'Ordre sans tarder à cause du scandale qu'il a suscité dans la chrétienté et à cause des deux mille témoins qui ont attesté ces erreurs. Les autres disent qu'il faut permettre à l'Ordre de présenter sa défense. Je crois que notre seigneur le pape usant de sa toute-puissance doit supprimer « ex Officio » un Ordre qui a mis le nom chrétien en mauvaise odeur auprès des incrédules, et qui a fait chanceler des fidèles dans la stabilité de leur foi.

On connaît les accusations portées contre les Templiers. On sait que les officiers du roi avaient perquisitionné dans tous les Temples dans le but de trouver des objectifs compromettants : exemplaires secrets de la règle, Idoles païennes, livres hérétiques etc. mais qu'ils n'avaient rien trouvé de semblable. L'enquête n'avait rapporté que des témoignages oraux. Le pape avait ordonné des enquêtes dans tous les pays hors de France.

Il avait même écrit en Angleterre d'obtenir des aveux au besoin par la torture. Mais partout, sauf en France, le résultat avait été favorable aux Templiers. On disait même que seulement en France on avait obtenu des aveux.

Dissolution de l'Ordre du Temple

L'invraisemblance de certaines charges, la férocité des procédés d'enquête devaient bien troubler la conscience des Juges. Mais le bâillon fut mis sur la bouche des défenseurs au concile de Vienne réuni pour les entendre. Clément V désirait en finir au plus vite. Après le rapport d'Alberico Rosate il coupa court en disant : Si l'Ordre ne peut être détruit per viam Justiciæ, qu'il le soit per viam expédientiæ, pour que notre cher fils le Roi de France ne soit pas scandalisé.

L'histoire du concile de Vienne est assez mal connue. On peut être sûr que Philippe intriguait pour en finir au plus vite.

De son côté, le pape n'avait pas avec lui les trois cents pères qui étaient assemblés. S'il était assuré du côté des Français, il n'en était pas de même des Allemands, des Italiens, et de ceux de Sicile, d'Aragon et de Castille qui avaient presque tous acquitté les Templiers dans leurs assemblées diocésaines. Philippe eut une nouvelle entrevue avec le pape. Il dut céder quelque peu sur Boniface pour obtenir de Clément V la liquidation des Templiers. Il sacrifia un peu sur l'accessoire et sur son amour-propre pour obtenir l'essentiel, le plus important pour lui : le trésor des Templiers.

Le 22 Mars Clément V, réunit un grand nombre de Prélats en consistoire secret. Il annonça qu'il cassait et annulait l'Ordre du Temple en se réservant la disposition de leurs personnes et de leurs biens.

Le partage des dépouilles

Le 3 Avril 1312, à la seconde session du Concile, il publia la suppression de l'Ordre des Templiers, par sa bulle Vox in excelso, en présence du roi Philippe le Bel, de ses trois fils et de son frère Charles qui étaient accompagnés de toute une armée.

Alors les Templiers se dispersèrent : les uns entrèrent dans des couvents ; d'autres prirent femme et métier manuel.

Une fois la suppression publiée il ne restait plus qu'à se partager les dépouilles. Ce ne fut pas long. On prétend que les Hospitaliers, les rivaux des Templiers, payèrent très cher la faveur d'hériter des biens des Templiers. Mais Philippe conservait les trésors et les meubles qu'il avait fait saisir dans toute la France et il perçut jusqu'à sa mort les revenus des domaines des Templiers.

Mort des grands dignitaires

Il restait à régler le sort des prisonniers dont le pape s'était réservé le soin de les juger : Jacques de Molay Grand Maître, le commandeur d'Aquitaine, Hugues de Péralda (Pairaud), le grand visiteur de France Guy le Prieur de Normandie, et le Prieur d'Auvergne. De ceux-ci, le pape ne savait que faire. Dans une bulle du 11 Janvier 1313, il chargea courageusement l'évêque d'Albi et les cardinaux de Saint-Eusebe et Saint-Paques de le suppléer, leur confiant le pouvoir d'absoudre ou de condamner et d'infliger une peine proportionnelle aux délits commis. Il n'était pas question d'ouvrir un nouveau débat mais de juger sur pièces.

Les commissaires du pape se présentèrent dans la prison où étaient enfermés Molay et ses Compagnons. On les emmena sur le parvis de Notre-Dame, on les fit monter sur une estrade et là, en présence du peuple accouru en foule on lut la sentence, les condamnant à la prison perpétuelle. Le légat du pape demanda à Molay de reconnaître publiquement la confession qu'il avait faite à Poitiers. Mais Molay dans un sursaut de courage se dressa est cria d'une voix forte et vibrante :
« Il est bien juste que dans un terrible jour, et à la fin de ma vie je découvre toute l'iniquité du mensonge et que je fasse triompher la vérité. Je déclare à la face du ciel et de la terre, et j'avoue qu'à ma honte éternelle, j'ai commis le plus grande crime, mais ce n'a été qu'en avouant ceux qu'on impute avec tant de noirceur à notre ordre. J'atteste, et la vérité m'oblige d'attester qu'il est innocent, et, je n'ai fait la déclaration contraire que pour suspendre les douleurs excessives de la torture et pour fléchir ceux qui me la faisaient subir. Je sais tous les supplices qu'on, a infligés à tous mes chevaliers qui ont eu le courage de révoquer une telle confession. Mais l'affreux spectacle qu'on me présente n'est pas capable de me faire confirmer un premier mensonge par un second. A une condition infâme je renonce de bon cœur à la vie. »

On fit taire Molay et on appela Guy, prieur de Normandie. Il tint le même langage que son grand Maître et protesta hautement de l'innocence de l'Ordre. Les deux autres dignitaires effrayés des menaces proférées par la foule ne les imitèrent pas, ils persistèrent dans leurs aveux et confirmèrent les crimes de l'Ordre.

Ils retournèrent donc en prison

Quant à Molay et à son compagnon, ils furent remis entre les mains du prévôt de Paris pour les garder jusqu'au lendemain pour qu'il soit délibéré sur leur cas.

En apprenant ce qui s'était passé, le roi entra dans une violente colère. Il n'attendit pas une nouvelle délibération. Il assembla son conseil. Le même soir, un bûcher fut dressé dans l'île qui aujourd'hui est enjambée par le pont neuf. Le peuple de Paris fut convoqué pour assister à cette exécution. On vit arriver Jacques Molay et son compagnon. Ils montèrent d'un pas ferme sur l'échafaud, s'agenouillèrent pour prier. Le bourreau alluma les feux et ils moururent courageusement.

Le chroniqueur Geoffroy de Paris a décrit ces derniers moments : Le Grand Maître se mit en chemise. Comme il avait de l'argent sur lui, il voulut le donner aux pauvres qu'il voyait à ses pieds. Que Dieu ait pitié de son âme ! Mais il ne trouva nulle âme qui l'en voulut ouïr en rien. Ainsi le tenoient en chien.

Quand le bourreau lui lia les mains derrière le dos il dit : Seigneur, au moins laissez-moi joindre les mains pour prier Dieu !

Il proclama de nouveau d'une voix ferme l'innocence et la pureté de l'Ordre et demanda d'être tourné la face à l'Eglise Notre-Dame. Et si doucement la mort le prit que chacun s'en émerveilla.

Geoffroy de Charnai dit à son tour : Seigneur, sans doute de mon Maître suivrai la route ; comme martyr occis l'avez. Lorsque tout fut consommé, le chroniqueur conclut philosophiquement : Ne sais qui dit vérité ou qui ment ! Vienne en ce qu'en doit advenir.

Conclusion

Ainsi finit l'affaire des Templiers. L'Ordre avait été supprimé par ordre du pape, mais non condamné par un Concile. Il avait été condamné non sur les accusations principales portées contre lui, mais parce qu'il n'avait plus l'audience de la chrétienté, du pape ni du roi.

Il est certain qu'après deux siècles d'existence, les chevaliers du Temple ne pratiquaient plus leurs vertus premières. Que restait-il de leur pauvreté, de leur chasteté, de leur désintéressement et de leur esprit chevaleresque ? Mais aussi est-ce que les accusations grossières et l'invraisemblance de certaines charges étaient suffisantes pour que l'Inquisition se livre à tant d'exécutions sommaires. L'Inquisition s'est montré la plus acharnée et la plus terrible pour obtenir par la torture des aveux afin de condamner les Templiers.

Dans cette affaire, le pape s'est montré d'une grande faiblesse de caractère. Il est vrai qu'il avait commis une faute capitale en acceptant, pour devenir pape, les six conditions imposées par Philippe le Bel. Il avait, de ce fait, abdiqué par avance, entre les mains du roi toute son autorité de chef de l'Eglise. Il aurait pu du moins, ne pas ordonner aux Inquisiteurs d'infliger la torture aux Templiers. Rien ne l'y obligeait.

Quant à Philippe le Bel, il est certain qu'il voulait obtenir du pape la suppression de l'Ordre parce qu'il redoutait sa puissance et convoitait ses richesses dont il avait grand besoin. Cependant, voulut-il aussi la torture des Templiers ? On peut en douter quand on sait qu'en libérant d'autres prisonniers de l'Inquisition il disait : La prison est faite pour séquestrer les coupables mais non pour les torturer.

En vérité, il faut bien le dire, les Templiers se sont montrés les premiers artisans de leurs malheurs. Par leur superbe et leur orgueil ils se sont rendus coupables de se mettre tout le monde à dos, depuis le peuple en passant par les corps constitués, le clergé, les congrégations, les évêques, jusqu'au pape et au roi. Ils ont ainsi attiré la foudre sur leur tête. Il fallait les châtier et supprimer leur ordre. N'est-il pas vrai que quand on veut abattre son chien on dit qu'il a la rage ? Doit-on rappeler à ce sujet, que plus tard, un évêque français, vendu aux Anglais, inventa bien, pour faire condamner Jeanne d'Arc, de l'accuser elle aussi de Sodomie, d'impudicité, de reniement de la croix et d'idolâtrie !

Cette fin des Templiers, ces arrestations en masse, ces aveux arrachés par la torture, ces liquidations de personnes n'ont-elles pas été la préfiguration des temps modernes où l'on a vu aussi les arrestations en masse, les aveux spontanés arrachés par une torture plus raffinée que celle de l'Inquisition et enfin la liquidation des prisonniers par les chambres à gaz.

On prétendit qu'en montant sur l'échafaud Molay avait donné rendez-vous au pape, à Philippe le Bel et à Nogaret devant Dieu.

Or il se trouva que Clément V mourut un mois après l'exécution de Molay, Nogaret trois mois après et Philippe six mois plus tard (1). Le peuple ne manqua pas de voir dans ces coïncidences fortuites le châtiment de Dieu. 1. Les malheurs domestiques et la mort sans postérité des fils de Philippe le Bel n'ont pas manqué de rappeler cette parole de l'Ecriture : « Semen impiorum péribit. »

On disait que Dieu les avait convoqués devant son tribunal pour les juger.

Jules Michelet a écrit ces quelques lignes qui vont terminer cette affaire des Templiers :
« Ce qu'il y a de tragique ici, c'est que l'Eglise est tuée par l'Eglise. Le Temple est poursuivi par les Inquisiteurs et aboli par le pape. Les dépositions les plus graves contre les Templiers sont celles des prêtres. Nul ne doute que le pouvoir d'absoudre qu'usurpaient les chefs de l'Ordre, ne leur ait fait, des ecclésiastiques, d'irréconciliables ennemis. Quelle que fut sur les hommes d'alors l'impression de ce grand suicide de l'Eglise, les inconsolables tristesses de Dante le disent assez :
« Tout ce qu'on avait cru et révéré : Papauté, Chevalerie, Croisades, tout semblait finir. »

« Le Moyen-Age est déjà une seconde antiquité qu'il faut, avec Dante, chercher chez les morts. »
Sources: Claude Laborde. Mémoires de la société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse, page 150, tome XXXIII, premier fascicule. Guéret 1957
Bnf

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